III. LA RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE ET L'ACCÈS AU DROIT

Le ministère de la justice a engagé une profonde transformation, dont l'axe principal est la réforme de la carte judiciaire. Cette mutation s'accompagne de l'utilisation croissante des nouvelles technologies et de la modernisation des méthodes de gestion. Elle devrait se poursuivre avec un mouvement de déjudiciarisation et de simplification des procédures, suivant les recommandations du rapport de la commission présidée par M. Serge Guinchard 23 ( * ) .

Ces réformes s'inscrivent dans la révision générale des politiques publiques. Aussi l'investissement initial devrait-il avoir pour conséquence une meilleure efficience du service public de la justice. La mise en oeuvre de la réforme de la carte judiciaire pose néanmoins la question du maintien de l'accès au droit, dans un contexte budgétaire difficile.

A. LA RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE, POUR UNE MEILLEURE ORGANISATION DE LA JUSTICE

1. Une réforme nécessaire

La réforme de la carte judiciaire apparaissait nécessaire depuis de nombreuses années. Plusieurs gardes des sceaux avaient souhaité engager cette réforme et avaient mené des concertations approfondies sur ce sujet, qui avaient donné lieu à la rédaction de nombreux rapports.

Ainsi, la mission d'information de votre commission chargée d'évaluer les moyens de la justice, conduite par notre ancien collègue Charles Jolibois et par notre collègue Pierre Fauchon, présentait 17 propositions pour une carte judiciaire « réaliste », permettant d'orienter dans la transparence les redéploiements de ressorts et d'effectifs, les recrutements nouveaux et diversifiés ainsi que la modernisation de la gestion prévisionnelle 24 ( * ) . Il suggérait l'établissement d'un plan de transition sur dix ans ou même davantage, de la carte actuelle à la nouvelle.

En effet, l'organisation judiciaire n'avait pas subi de modification substantielle depuis la réforme initiée par Michel Debré en 1958. En dépit des évolutions démographiques, économiques et sociales du pays, la carte judiciaire n'avait fait l'objet depuis cette date que d'adaptations ponctuelles, dont les dernières ont concerné les tribunaux de commerce (36 suppressions en 1999 et 7 autres en 2005) et la création des juridictions de proximité en 2002.

Elle constituait, de surcroît, un obstacle à la modernisation de la justice, les moyens étant disséminés entre 1.200 juridictions implantées sur 800 sites.

De même, la multiplicité des juridictions laissait parfois subsister des structures qui n'atteignaient pas la taille critique nécessaire pour assurer une justice efficace, certaines ayant même une très faible activité. Ce foisonnement empêchait la spécialisation pourtant indispensable des juges, qu'ils soient ou non des magistrats professionnels.

Ainsi, 54 des 181 tribunaux de grande instance avaient un nombre de magistrats du siège inférieur à 10 et 19 tribunaux de grande instance avaient une activité inférieure à 1.550 affaires civiles nouvelles par an et à 2.500 affaires poursuivables au plan pénal.

Certains tribunaux de grande instance fonctionnaient avec seulement 4 magistrats du siège assurant en même temps le service des tribunaux d'instance rattachés, et seulement 2 magistrats du parquet devant assurer l'ensemble des permanences. L'organisation des audiences correctionnelles, dans de telles conditions, posait des difficultés.

Par ailleurs, des systèmes judiciaires différents coexistaient selon les ressorts, notamment en matière commerciale, où la compétence revenait, selon le lieu, au tribunal de commerce ou au tribunal de grande instance.

La répartition des 181 tribunaux de grande instance sur le territoire était en outre très hétérogène , sans que ces localisations répondent à des critères objectifs : 41 départements de métropole ne disposaient que d'un tribunal de grande instance ; 45 départements disposaient de deux tribunaux de grande instance au moins. Le département du Nord en comptait à lui seul 7.

S'agissant des 473 tribunaux d'instance et des 474 juridictions de proximité, ils comptaient, au 1 er janvier 2007, 868 juges d'instance et 589 juges de proximité, 273 tribunaux d'instance ne comprenant qu'un seul juge d'instance et le fonctionnement de nombreuses juridictions de proximité reposant, conformément à l'article L. 232-2 du code de l'organisation judiciaire, sur le juge d'instance.

Plus encore, le service de l'instance était souvent assuré en pointillé. Ainsi 8 tribunaux d'instance ne comportaient pas de juge d'instance permanent, 169 autres ne comptaient pas de juge à temps complet, celui-ci partageant son service entre le tribunal de grande instance et l'instance. Cette situation ne permettait pas aux magistrats de s'investir à plein temps dans les fonctions de l'instance.

La situation était la même pour les juges de proximité, dont le service était partagé entre l'assessorat correctionnel et le traitement du contentieux de proximité. Le renforcement de la qualité de la justice de proximité supposait une vraie spécialisation des juges d'instance et des juges de proximité dans le traitement de leurs contentieux respectifs.

Par ailleurs, les ressorts des tribunaux d'instance étaient très disparates et couvraient de 10.000 à plus de 900.000 habitants, pour une moyenne de 127.000.

En outre, les petites juridictions, qui disposaient de très peu d'effectifs, ne pouvaient fonctionner de manière optimale. Ainsi, 16 tribunaux d'instance comportaient moins de deux fonctionnaires à temps plein, 45 autres comportaient un effectif compris entre deux et trois fonctionnaires. Ces juridictions ne pouvaient assurer l'accueil du justiciable dans des conditions satisfaisantes.

Enfin, la sécurité des personnels et des justiciables étaient difficiles à assurer dans 474 juridictions, souvent installées dans des bâtiments anciens, non fonctionnels et dans lesquels d'importants travaux devaient parfois être réalisés.

S'agissant du traitement des litiges entre commerçants, il était assuré par :

- 185 tribunaux de commerce, composés de juges élus par leurs pairs,

- 26 juridictions composées de magistrats professionnels statuant en matière commerciale (23 tribunaux de grande instance dont un à la Réunion et 3 tribunaux de première instance statuant à juge unique dans les collectivités d'outre-mer de Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis et Futuna),

- 14 juridictions échevinées 25 ( * ) : 7 chambres mixtes de commerce dans les tribunaux de grande instance d'Alsace-Moselle composées d'assesseurs élus et 7 tribunaux mixtes de commerce outre-mer.

Fruit d'une évolution historique, cette organisation n'avait plus de cohérence . En effet, dans certains départements la compétence commerciale était entièrement dévolue à des tribunaux de commerce, dans d'autres elle relevait uniquement du tribunal de grande instance.

Par ailleurs, la rationalisation de l'implantation des tribunaux de commerce eux-mêmes s'imposait : hétérogène, la carte de ces tribunaux ne correspondait également plus aux évolutions économiques.

Ainsi un département comprenait-il 4 tribunaux de commerce (les Alpes-Maritimes), 3 départements en comprenaient 3 (Bouches-du-Rhône, Nord et Seine-et-Marne), et 10 départements en comprenaient 2, parfois sans que l'activité ou les bassins d'emplois le justifient.

Enfin, la carte des conseils de prud'hommes n'avait pas été modifiée depuis la suppression en 1992 de 11 conseils de prud'hommes. Elle était devenue trop disparate : certains départements comptaient 14 conseils de prud'hommes, quand d'autres n'en comptaient que deux (Gironde) voire un seul (Nièvre), sans que cette répartition géographique demeure justifiée par les bassins d'emplois ou le volume d'activité de ces juridictions.

Dans ce contexte, la réorganisation de l'ensemble des juridictions s'imposait pour améliorer la cohérence et le fonctionnement de la justice.

2. Un calendrier de mise en oeuvre accéléré pour une réforme ambitieuse

->  Une concertation inaboutie

La réforme d'ensemble de la carte judiciaire a été engagée par le garde des sceaux, ministre de la justice en juin 2007, à la demande du Président de la République, et conduite très rapidement.

La concertation nationale a été organisée au sein du Comité consultatif de la carte judiciaire, composé des chefs de la Cour de cassation, des présidents des conférences des premiers présidents de cour d'appel et des procureurs généraux près lesdites cours, des organisations représentatives des personnels (magistrats et fonctionnaires) et des représentants des juges consulaires, des conseillers prud'homaux, ainsi que de l'ensemble des professions juridiques et judiciaires (avocats, avoués, notaires, huissiers, commissaires priseurs, greffiers des tribunaux de commerce).

Une concertation locale, confiée aux chefs des cours d'appel ainsi qu'aux préfets, a été parallèlement initiée. Les chefs de cour d'appel ont été chargés de procéder à la consultation des magistrats et fonctionnaires des services judiciaires, ainsi que des professions judiciaires et juridiques. Par lettre conjointe du ministre de la justice et du ministre de l'intérieur en date du 17 juillet 2007, les préfets ont été invités à consulter les élus locaux et à recueillir les avis des services déconcentrés de l'Etat appelés à travailler en lien avec l'institution judiciaire.

Les diverses propositions et contributions recueillies dans le cadre de cette consultation ont été remises à la Chancellerie le 30 septembre 2007 et analysées. Elles n'ont été que partiellement reprises pour l'élaboration des projets de schémas d'organisation judiciaire de chaque cour d'appel, présentés par le garde des sceaux région par région entre la mi-octobre et la fin novembre 2007.

->  Le calendrier de mise en oeuvre de la réforme

Après cette phase de concertation rapidement menée, la réforme s'est traduite par un ensemble de textes réglementaires, en particulier :

- le décret n° 2008-145 du 15 février 2008 modifiant le siège et le ressort des tribunaux d'instance, des juridictions de proximité et des tribunaux de grande instance ;

- le décret n° 2008-146 du 15 février 2008 modifiant le siège et le ressort des tribunaux de commerce ;

- le décret n° 2008-235 du 6 mars 2008 fixant le siège et le ressort des tribunaux pour enfants ;

- le décret n° 2008-236 du 6 mars 2008 modifiant le siège et le ressort des tribunaux de l'application des peines ;

- le décret n° 2008-237 du 6 mars 2008 fixant le siège et le ressort des tribunaux d'instance compétents pour recevoir et enregistrer les déclarations de nationalité française et pour délivrer les certificats de nationalité ;

- le décret n° 2008-238 du 6 mars 2008 fixant le siège et le ressort des tribunaux de grande instance et des tribunaux de première instance compétents pour connaître des contestations sur la nationalité française ou étrangère de personnes physiques ;

- le décret n° 2008-514 du 29 mai 2008 modifiant le siège et le ressort des conseils de prud'hommes ;

- le décret n° 2008-786 du 16 juin 2008 fixant le nombre des juges et le nombre des chambres des tribunaux de commerce.

Cependant, le décret n° 2008-1110 du 30 octobre 2008 modifiant le siège et le ressort des tribunaux d'instance, des greffes détachés, des juridictions de proximité et des tribunaux de grande instance, abroge les décrets n° 2008-145 du 15 février 2008 et n° 2008-237 du 6 mars 2008.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a expliqué que le nouveau décret anticipait la fermeture de certains tribunaux d'instance et permettrait le regroupement, avant le 31 décembre 2010, de quelques tribunaux de grande instance .

En effet, le décret du 30 octobre 2008 avance la fermeture du greffe détaché de Voiron et du tribunal d'instance de Barbezieux-Saint-Hilaire. Les représentantes de l'Association nationale des juges d'instance ont indiqué à votre rapporteur que le tribunal de Barbezieux ne disposait plus de greffier et devait faire appel à des fonctionnaires venant du tribunal de Cognac. Elles ont exprimé leur inquiétude quant à un report du sous-effectif des tribunaux supprimés sur les tribunaux d'accueil.

Selon la Chancellerie, le lancement de la réforme a entraîné des demandes de mutation des personnels souhaitant rejoindre plus rapidement leur nouvelle affectation. Certains chefs de juridictions ont par conséquent demandé l'anticipation des regroupements.

Ainsi, le regroupement des tribunaux de grande instance de Millau et de Rodez devrait également être anticipé, de même que le regroupement du tribunal de grande instance de Belley avec celui de Bourg-en-Bresse.

Les décrets relatifs à la carte judiciaire prévoient que :

- 62 conseils de prud'hommes (sur 271) seront regroupés le 3 décembre 2008 et 1 sera créé ;

- 55 tribunaux de commerce (sur 185) seront regroupés au 1 er janvier 2009. Par ailleurs, 23 tribunaux de grande instance verront, à la même date, leur compétence commerciale transférée à des tribunaux de commerce, dont 4 créés dans des départements métropolitains qui en étaient jusque-là dépourvus, ainsi qu'au tribunal mixte de commerce créé à Saint-Pierre de la Réunion ;

- 178 tribunaux d'instance (sur 473) et autant de juridictions de proximité (sur 474) seront regroupés au 1 er janvier 2010 ; 7 tribunaux d'instance et 7 juridictions de proximité seront créés ;

- 23 tribunaux de grande instance (sur 181) seront regroupés au 1 er janvier 2011.

En outre, 31 greffes détachés de tribunaux d'instance ont été supprimés dès l'entrée en vigueur du décret n° 2008-145 du 15 février 2008 et 54 autres le seront au 1 er janvier 2010.

Au total, la future carte judiciaire comprendra 863 juridictions (contre 1.190 aujourd'hui).

Impact de la réforme de la carte judiciaire sur le nombre d'implantations judiciaires

Nombre de juridictions avant réforme

Nombre de juridictions supprimées

Nombre de juridictions créées

Nombre de juridictions après réforme

Cours d'appel

35

0

0

35

Tribunaux de grande instance
et de première instance

186

23

0

163

Tribunaux d'instance
(hors les 3 tribunaux de police)

473

178

7

302

Greffes détachés ou greffes permanents

86

85

0

1

Bureaux du livre foncier (Alsace Moselle)

46

37

0

9

Juridictions de proximité

474

178

7

303

Conseils de prud'hommes

271

62

1

210

Juridictions commerciales, dont :

225

78

6

153

Tribunaux de commerce

185

55

5

135

TGI à compétence commerciale

23

23

0

TPI à compétence commerciale (outre-mer)

3

3

Chambres commerciales des TGI (Alsace-Moselle)

7

7

tribunaux mixtes de commerce

7

1

8

Total hors juridictions de proximité

1190

341

14

863

Total avec juridictions de proximité

1664

519

21

1166

Source : Ministère de la justice

->  Les critères retenus pour dessiner la nouvelle carte judiciaire

Dans la mesure où la réforme de la carte judiciaire vise à adapter le service public de la justice aux évolutions démographiques, économiques et sociales du pays, elle a été élaborée en croisant des critères judiciaires avec les réalités du territoire, sans que les observations des chefs de cours aient toujours été prises en compte.

Aussi, les critères retenus pour dessiner la nouvelle carte judiciaire de la France tiennent-ils compte des réalités judiciaires actuelles, bien différentes de celles qui prévalaient en 1958, lorsque la carte judiciaire a été fixée de manière générale pour la dernière fois, et des données humaines, économiques et sociales déterminant la demande de justice et d'accès au droit.

Selon le ministère de la justice, la réforme se fonde avant tout sur le critère de l'activité judiciaire , qui conduit à regrouper les juridictions dont le niveau d'activité est inférieur au seuil critique en deçà duquel la bonne marche du service public de la justice n'apparaît pas assurée.

Les constats relatifs à l'activité ont cependant été combinés à une approche qualitative de l'environnement judiciaire et à une certaine prise en compte de l'aménagement du territoire , notamment sous les angles suivants :

- le développement démographique et économique ;

- la situation géographique et les conditions d'accès ;

- les spécificités de certaines régions ;

- les équilibres entre territoires ;

- l'organisation administrative.

Toutefois, si la réforme ne résulte pas de l'application mécanique et uniforme d'un seuil d'activité, elle n'a pas suivi une approche suffisamment pragmatique et néglige parfois les réalités du terrain.

3. Les objectifs de la réforme

La réforme de la carte judiciaire vise d'abord à renforcer la qualité et l'efficacité de la justice, en donnant à chaque juridiction une activité et une taille suffisantes pour :

- permettre aux personnes qui rendent la justice, qu'elles soient professionnelles ou non, d'acquérir ou de conserver le niveau de technicité nécessaire pour l'application d'un droit très évolutif et de plus en plus complexe, et garantir une réelle spécialisation dans les matières les plus techniques ;

- assurer la collégialité dans les matières où elle est requise et favoriser les échanges d'expériences en mettant fin à l'isolement du juge, en particulier dans les fonctions exercées à juge unique, telles que l'instruction ou l'instance ;

- garantir la continuité du service public de la justice , qui ne peut être assurée dans une trop petite structure, dont le fonctionnement repose sur un ou deux agents. A cet égard, il convient de rappeler qu'une cinquantaine de juridictions sont dépourvues de greffe propre ;

- améliorer les délais de traitement des contentieux par une meilleure répartition de la charge de travail ;

- garantir une impartialité renforcée , laquelle ne peut être totalement assurée lorsque les juges, qu'ils soient professionnels ou non, travaillent en trop petit nombre dans des juridictions où peut apparaître le risque d'une proximité excessive avec les acteurs des litiges soumis à la justice ;

- permettre, en remédiant à l'éclatement des sièges, notamment des tribunaux de commerce et des tribunaux d'instance, un contrôle effectif du parquet d'une part sur l'activité commerciale, d'autre part sur le suivi des mesures de tutelles.

La réforme devrait en outre rendre l'organisation judiciaire plus compréhensible pour le citoyen, en rationalisant les implantations judiciaires et en les mettant en cohérence avec les évolutions démographiques, économiques et sociales de notre pays.

Aussi la justice commerciale sera-t-elle davantage unifiée. Il était en effet devenu indispensable d'harmoniser le traitement des litiges concernant les commerçants, dans un souci de meilleure lisibilité et d'égalité de traitement. C'est ainsi, que, sauf dans les collectivités d'outre-mer de Mayotte, Saint-Pierre et Miquelon et Wallis et Futuna et en Alsace-Moselle, les compétences commerciales des tribunaux de grande instance ont été transférées aux juridictions consulaires.

Par ailleurs, la nouvelle carte judiciaire permettra la concentration des effectifs de greffe , ce qui devrait offrir au justiciable un accès de meilleure qualité à la justice (meilleure qualité de l'accueil et création de guichets universels de greffe auprès desquels le justiciable pourra faire l'ensemble des démarches nécessaires, quelle que soit la juridiction concernée, suivant les propositions du rapport Guinchard 26 ( * ) ).

Enfin, la réforme de la carte judiciaire doit permettre d'avoir une justice à un coût optimisé pour le contribuable .

Le ministère de la justice souligne en effet que l'existence de nombreuses juridictions disposant d'un effectif restreint génère des difficultés de fonctionnement et constitue un frein tant à la mise en place de nouvelles organisations du travail plus rationnelles et plus efficaces, qu'à la mutualisation des moyens. En outre, les effets de seuil ne permettent pas d'optimiser les ressources humaines.

Ainsi, lors de son audition devant la commission des lois, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné que, si la réforme de la carte judiciaire avait pour premier objectif d'améliorer l'efficacité et l'organisation de la justice, elle permettrait également une meilleure allocation des ressources et la réalisation d'économies .

A cet égard, la performance des applications informatiques en cours de développement apparaît indispensable au succès de la réforme. Seules des applications adaptées et fiables permettront de conforter la réforme de la carte judiciaire par des gains de productivité.

Votre rapporteur souligne que la réforme de la carte judiciaire et le développement de l'informatique ne doivent pas être un alibi pour réduire les effectifs ou simplement transposer la pénurie de personnels des tribunaux supprimés vers les tribunaux d'accueil .

Or, les représentants de la CFDT, du Syndicat des greffiers de France, de l'Union syndicale autonome justice (USAJ), de la CGT et du Syndicat national C-Justice ont indiqué à votre rapporteur que près de 100.000 heures supplémentaires devaient être payées aux fonctionnaires des greffes, alors que les départs à la retraite n'étaient pas tous remplacés.

Si, selon les indications de Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, une solution prévoyant la récupération ou le paiement de ces heures supplémentaires doit être apportée rapidement, cette situation montre que les réformes en cours ne peuvent s'accompagner d'une réduction des moyens.

4. Le coût de la réforme

->  Le ministère de la justice évalue le coût total de la réforme de la carte judiciaire à 427 millions d'euros. Selon les indications du ministère de la justice, les dépenses liées à la réforme se décomposent de la façon suivante :

- après 10,5 millions d'euros en 2008, une enveloppe de 375 millions d'euros sur 5 ans doit financer les investissements immobiliers qui devront accompagner les regroupements de tribunaux ;

- un plan d'accompagnement des personnels concernés par la réforme de la carte judiciaire de 21,5 millions d'euros, dont 2 millions d'euros en 2009, après 1,5 millions d'euros en 2008 ;

- une enveloppe de 15 millions d'euros pour continuer à accompagner la restructuration des cabinets d'avocats concernés par la réforme de la carte judiciaire, après 5 millions d'euros en 2008.

Pour l'année 2009, les crédits inscrits au budget afin de financer les mesures liées à la mise en oeuvre de la réforme de la carte judiciaire s'élèvent à 104 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 37 millions d'euros en crédits de paiement (CP), qui correspondent à :

- 2 millions d'euros en AE et CP en crédits de titre II (dépenses de personnel), pour l'accompagnement social apporté aux personnels de services judiciaires ;

- 22  millions d'euros en AE et 20  millions d'euros en CP en crédits de titre III (fonctionnement courant), dont 8  millions d'euros en AE et CP au titre de l'aide apportée aux avocats dont le barreau est supprimé dans le cadre de la réforme ;

- 80  millions d'euros en AE et 15  millions d'euros en CP prévus en crédits de titre V (dépenses d'investissement). Le financement du volet immobilier de la carte judiciaire sera complété par une mobilisation des crédits du compte d'affectation spéciale « gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » à hauteur de 75 millions d'euros en AE et 55  millions d'euros en CP en 2009.

Ainsi, les magistrats du tribunal de grande instance de Chartres ont expliqué à votre rapporteur que, cette juridiction devant accueillir les tribunaux d'instance de Nogent-le-Rotrou et de Châteaudun, la solution retenue consistait à moderniser les bâtiments existants. Le personnel issu des deux tribunaux d'instance sera accueilli dans les combles du palais de justice. Ils ont indiqué que cette réforme suscitait un climat de morosité, certains agents s'interrogeant sur leur sort.

M. Bertrand Darolle, président du tribunal de grande instance de Rouen, a indiqué à votre rapporteur que le tribunal d'instance de Rouen devait absorber ceux d'Yvetot et d'Elbeuf. Le projet de construction d'un nouveau palais de justice ayant été abandonné, le ministère de la justice devrait faire l'acquisition d'un nouvel immeuble pour y reloger le tribunal d'instance, cette opération pouvant être financée par la vente d'un immeuble moins bien situé, qui n'a jamais été utilisé comme bâtiment judiciaire. En outre, le conseil des prud'hommes et le tribunal de commerce de Rouen devraient respectivement accueillir, « par densification », ceux d'Elbeuf.

Votre rapporteur souligne que cette « densification » doit cependant préserver les conditions de travail des magistrats et des fonctionnaires intéressés.

->  Les mesures d'accompagnement des magistrats et des fonctionnaires

Par ailleurs, la mise en oeuvre de la réforme de la carte judiciaire s'accompagne de mesures en faveur des personnels (magistrats, fonctionnaires et agents non titulaires de droit public recrutés pour une durée indéterminée) affectés dans les juridictions supprimées.

Ce plan d'accompagnement comprend, outre diverses mesures sociales, des mesures indemnitaires qui s'inscrivent dans le dispositif interministériel issu des décrets du 17 avril 2008 et qui organisent l'accompagnement des agents de l'Etat en cas de restructuration des administrations.

Les personnels concernés par la réforme de la carte judiciaire bénéficient ainsi, en particulier, d'une prime de restructuration de service et d'une allocation d'aide à la mobilité du conjoint, dont les modalités d'attribution et les montants ont été fixés par un arrêté du garde des sceaux du 9 juillet 2008.

En outre, la définition des mesures d'accompagnement des magistrats et fonctionnaires concernés par la réforme de la carte judiciaire fait l'objet d'un dialogue entre le secrétaire général du ministère et les organisations syndicales.

Les mesures qui font l'objet des discussions portent sur :

- une indemnité de restructuration pour les magistrats et fonctionnaires qui seront en poste dans les juridictions regroupées depuis au moins un an à la date d'effet de regroupement ;

- la prise en charge des frais réels de déménagement ;

- la prise en charge, de manière dégressive, des frais de transport pour les magistrats et fonctionnaires qui choisiront de ne pas déménager ;

- une indemnité pour les conjoints obligés de quitter leur emploi et une aide pour trouver un nouvel emploi ;

- un appui pour la recherche de logements à louer. Le ministère a signé au mois de juillet une convention avec la Caisse des dépôts, qui devrait apporter son expertise pour identifier des logements qui pourront être proposés dans le parc social ou dans le parc privé ;

- les possibilités de mutations et les modalités accordées aux agents concernés par les regroupements de juridiction ;

- les facilités de détachement pour les fonctionnaires qui souhaiteraient rejoindre une autre administration de l'Etat ou les collectivités locales ;

- le développement du télétravail pour limiter les déplacements entre le domicile et la juridiction.

M. Gilbert Azibert, secrétaire général du ministère de la justice, a indiqué que les 740 fonctionnaires concernés par la fermeture des tribunaux d'instance d'ici fin 2009 seraient entendus individuellement, afin que toutes les difficultés soient prises en compte.

Il a précisé que le recours au télétravail était envisagé pour les personnes qui souhaiteraient rester dans la ville où se trouvait un conseil des prud'hommes ou un tribunal d'instance fermé en application de la réforme. Ces personnes ne travailleraient pas à leur domicile, mais dans les anciens locaux du tribunal, ou au sein d'une maison de la justice et du droit, ou encore dans les locaux d'une collectivité territoriale.

Votre rapporteur souligne en outre que dans l'hypothèse où certains fonctionnaires préfèreraient être détachés dans d'autres services publics situés près du lieu d'implantation de la juridiction dans laquelle ils travaillent actuellement, il appartiendra au ministère de la justice de veiller au maintien des effectifs affectés aux juridictions regroupées.

Mmes Emmanuelle Perreux et Natacha Rateau, présidente et vice-présidente du Syndicat de la magistrature, estimant que la réforme de la carte judiciaire paraissait souhaitable, ont néanmoins jugé qu'elle n'avait pas été accompagnée d'un dialogue social suffisant. Elles ont exprimé leur inquiétude à l'égard du risque de suppression d'une partie des effectifs qui devraient être transférés dans le cadre des regroupements de juridictions.

->  Les mesures d'accompagnement des avocats

La réforme de la carte judiciaire prévoit la suppression de 23 tribunaux de grande instance au 1 er janvier 2011 et le rattachement de leur ressort de compétence à celui d'un tribunal de grande instance voisin. Cette mesure entraînera des conséquences financières pour les avocats inscrits dans les barreaux correspondant à ces TGI, puisqu'ils devront, le cas échéant, se réinstaller à proximité des juridictions d'accueil.

Selon la Chancellerie, 510 avocats sont concernés par cette mesure.

Le décret n° 2008-741 du 29 juillet 2008 instituant une aide à l'adaptation de l'exercice de la profession d'avocat aux conditions nouvelles résultant de la suppression de certains tribunaux de grande instance, et l'arrêté d'application du même jour, prévoient que les avocats inscrits au barreau d'un des tribunaux de grande instance supprimés par le décret n° 2008-145 du 15 février 2008 et qui avaient établi leur résidence professionnelle dans le ressort de l'un de ces tribunaux, peuvent demander à bénéficier d'une aide à l'adaptation de leur exercice professionnel aux nouvelles conditions résultant de la suppression du tribunal.

Cette aide comportera une part forfaitaire (en pourcentage du chiffre d'affaires, dans la limite d'un plafond de 10.000 euros) et une part modulée, déterminée par une commission au vu des dépenses d'investissement et des autres charges directement liées au projet d'adaptation des professionnels concernés aux nouvelles conditions d'activité.

Par ailleurs l'intégration dans la magistrature des avocats concernés qui le souhaiteraient sera facilitée. A cet égard, le critère de l'ancienneté exigée pour l'accès au premier grade pourrait être assoupli en ramenant à 13 ans d'exercice professionnel au lieu de 17 l'ancienneté exigée pour l'intégration au premier grade.

En outre, pour les avocats touchés par la réforme de la carte judiciaire, la formation deviendra préalable et non plus probatoire. Enfin, les conditions de rémunération des candidats admis par la commission d'avancement seront améliorées.

B. LE NÉCESSAIRE DÉVELOPPEMENT DE L'ACCÈS À LA JUSTICE ET AU DROIT

La réforme de la carte judiciaire, qui était devenue indispensable pour améliorer le fonctionnement des juridictions, doit s'accompagner d'une réflexion approfondie sur la politique d'accès au droit et à la justice.

1. Le défi de la maîtrise des dépenses d'aide juridictionnelle

L'accès à la justice implique que toute personne, et tout particulièrement celles qui sont les plus démunies, puisse saisir la justice, faire valoir ses droits ou se défendre. L'Etat remplit cette exigence grâce au dispositif de l'aide juridictionnelle.

Celle-ci n'est pas versée aux justiciables. Elle consiste, pour l'Etat, à prendre en charge directement la totalité ou une partie des frais liés aux prestations des auxiliaires de justice (avocats, huissiers, avoués ou autres experts...), susceptibles d'être engagés dans le cadre d'une procédure. En pratique, les sommes allouées à ce titre sont principalement versées aux avocats, pour lesquels ce dispositif est un enjeu économique véritable, voire pour certains d'entre eux une source exclusive de revenus.

Mis en place dans ses modalités actuelles par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, ce dispositif bénéficie principalement aux justiciables les plus démunis mais aussi depuis 2002, aux victimes des crimes les plus graves 27 ( * ) .

Les admissions à l'aide juridictionnelle sont instruites par le bureau d'aide juridictionnelle (BAJ) présent dans chaque tribunal de grande instance. Les personnels affectés à ces services accueillent les demandeurs, instruisent les demandes, notifient les décisions et effectuent toutes diligences en cas de retrait de l'aide si le bénéficiaire a vu sa situation s'améliorer ou lorsque la procédure qu'il a engagée a été jugée dilatoire ou abusive.

La dépense d'aide juridictionnelle est passée en euros courants de 189,15 millions d'euros en 1998 à 324,13 millions d'euros en 2007, soit une hausse de 71 % . En euros constants 2007, la hausse est de 48 %.

La dotation budgétaire inscrite au projet de loi de finances 2009 est de 359,50 millions d'euros en AE et de 300 millions d'euros en CP (347,51 millions d'euros en AE et de 314,45 millions d'euros en CP en 2008).

Un audit de modernisation de janvier 2007 sur le recouvrement de l'aide juridictionnelle, auprès du justiciable condamné aux dépens en matière civile et non bénéficiaire de cette aide, a préconisé la mise en oeuvre d' un mécanisme d'incitation budgétaire lié aux résultats du recouvrement . Ce mécanisme consiste en un rétablissement de crédits, qui atteint 8,9 millions en 2008 et 13 millions d'euros en 2009.

Lors de sa visite au bureau d'aide juridictionnelle de Paris, le personnel rencontré a expliqué à votre rapporteur que le recouvrement des sommes versées au justiciable au titre de l'aide juridictionnelle était systématiquement effectué. Toutefois, cette pratique est devenue moins courante en raison de nombreux départs à la retraite et de l'augmentation de l'activité 28 ( * ) . Un agent (adjoint administratif) a récemment été désigné pour relancer cette politique.

Cependant, la fréquence des dossiers d'aide juridictionnelle incomplets constitue un obstacle au recouvrement des sommes. Ainsi, certains dossiers ne peuvent être mis en recouvrement car les renseignements relatifs à l'état civil des demandeurs sont incomplets. A cet égard, comme l'ont souligné les interlocuteurs rencontrés, il serait souhaitable que les dossiers d'aide juridictionnelle comportent obligatoirement des données très précises sur l'état civil.

Votre rapporteur a par ailleurs observé que le BAJ ne pouvait être écarté des réflexions sur la politique de l'accès au droit. Ainsi, M. Pujol, greffier en chef, directeur du BAJ de Paris, a expliqué que cet organisme se trouvait parfois dans une situation ambiguë, dans la mesure où les justiciables s'adressent à lui en amont pour constituer leur dossier de demande d'aide juridictionnelle, les avocats assistant rarement leurs clients dans la constitution de leur dossier. Cette situation conduit les services du BAJ à se sentir parfois juge et partie.

La mise en place de relais d'accès au droit, en partenariat avec les barreaux, pourrait néanmoins remédier à cette difficulté. Les interlocuteurs rencontrés ont constaté une demande d'accès au droit très forte de la part des citoyens. Ils ont estimé que la généralisation des maisons de justice et du droit (MJD) permettrait de capter une partie du public qui s'adresse au BAJ, dont la charge de travail pourrait ainsi être utilement allégée. Ils ont insisté sur la nécessité de doter les MJD d'effectifs suffisants.

Le personnel du BAJ de Paris a en outre souligné que l'inflation législative avait des conséquences très directes sur l'activité des BAJ, la création d'une nouvelle procédure engendrant une augmentation mécanique du nombre de demandes d'aide juridictionnelle. Ainsi, la loi n° 2003-710 du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine a institué une procédure de rétablissement personnel, qui fut suivie d'une augmentation de 19 % des admissions pour des procédures devant le juge de l'exécution en 2004, et d'une hausse de 15 % en 2005.

A contrario, la présidente du BAJ, Mme Paulze-d'Ivoy a souligné les vertus de certaines procédures mises en place par le législateur, telles que la conciliation ou la transaction. Elle s'est félicitée de ce que le barème de l'aide juridictionnelle ait inclus ces procédures pour inciter les avocats à y recourir.

Enfin, la réforme de la carte judiciaire suscite des inquiétudes chez les personnels des BAJ, qui considèrent qu'un coût supplémentaire est à prévoir, notamment en raison de la prise en charge de frais de transport plus importants pour les avocats.

2. Les tribunaux d'instance au sein de la nouvelle carte judiciaire et face à la réforme des tutelles

Les représentantes de l'Association nationale des juges d'instance ont expliqué à votre rapporteur que la suppression de plusieurs tribunaux d'instance poserait le problème de l'accès à la justice d'une population vulnérable et démunie, par exemple en matière de surendettement.

Elles ont estimé que si le faible nombre d'affaires de certains tribunaux ne justifiait pas leur maintien, le coût de déplacement vers le tribunal de regroupement pourrait représenter un obstacle pour les personnes les plus défavorisées.

Par ailleurs, la mise en oeuvre de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs inquiète vivement les juges d'instance, en raison de l'obligation de révision des mesures de tutelle tous les cinq ans, sous peine de caducité de ces mesures. La révision des mesures en cours devrait intervenir avant un délai de cinq ans à compter de la publication de la loi, soit avant mars 2012.

Cependant, lors de la discussion de la proposition de loi de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, l'Assemblée nationale a adopté un amendement tendant à reporter cette échéance à cinq ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, soit à compter du 1 er janvier 2009. Cette modification prolongerait donc de deux ans le délai de révision des mesures de tutelle ouvertes avant l'entrée en vigueur de la loi. Le renforcement des moyens des tribunaux d'instance apparaît néanmoins indispensable pour leur permettre de faire face à cette échéance .

Les représentantes de l'Association nationale des juges d'instance, estimant, selon une comptabilisation qui n'a, certes, plus cours avec la LOLF, que les tribunaux d'instance devaient fonctionner avec 20 % de postes vacants, ont souligné que la réforme de la protection juridique des majeurs ne pourrait être mise en oeuvre convenablement sans effectifs supplémentaires.

Ainsi, le TGI de Chartres comptabilise 2.000 dossiers de tutelle, répartis entre 5 magistrats, soit 400 dossiers par magistrat. De même, au tribunal d'instance de Rouen, il paraît impossible de revoir les 7.000 dossiers de tutelle en cinq ans sans l'attribution de moyens spécifiques.

Le ministère de la justice a indiqué à votre rapporteur que les 59 créations d'emplois de magistrats prévues en 2009 seraient affectées en priorité à la mise en oeuvre de la réforme des tutelles.

Par ailleurs, la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, ayant désigné les seuls greffiers en chef des tribunaux d'instance pour assurer la vérification des comptes de tutelle, la Chancellerie estime que ces fonctionnaires pourraient recevoir l'aide d'agents du Trésor. Toutefois, cette hypothèse semble susciter des doutes chez les magistrats, qui considèrent que de telles mises à disposition seront difficiles à obtenir.

Afin de permettre aux tribunaux d'instance de faire face à la mise en oeuvre de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, votre commission vous soumet un amendement visant à créer 20 emplois de magistrats et 45 emplois de greffiers affectés au traitement et au jugement des contentieux civils .

L'amendement tend par conséquent à réduire de 3 982 810 euros les crédits du programme « Administration pénitentiaire » et à attribuer le même montant de crédits au programme « Justice judiciaire », en crédits du titre 2 (dépenses de personnel).

Au sein du programme « Administration pénitentiaire », les crédits seraient retirés de l'action 01 « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice », en accord avec notre collègue Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis, au nom de la commission des lois, des crédits de ce programme. En effet, une réduction des crédits destinés à la sécurisation des établissements pénitentiaires semble possible, la France connaissant l'un des plus faibles taux d'évasion d'Europe. En outre, il ne paraît pas satisfaisant d'appliquer de façon indifférenciée aux détenus d'un établissement les règles de sécurité visant la minorité des détenus « à risques ».

La majoration de crédits du programme « Justice judiciaire » serait imputée, à hauteur de 2 720 490 euros, sur l'action 01 « Traitement et jugement des contentieux civils », pour la création de 20 emplois de magistrats, soit 1 300 380 euros, et de 45 emplois de greffiers, soit 1 420 110 euros 29 ( * ) . Ces emplois sont destinés à renforcer les effectifs des tribunaux d'instance.

Le solde des crédits retirés au programme « Administration pénitentiaire » serait imputé sur l'action 08, « Support à l'accès au droit et à la justice » 30 ( * ) .

3. Les propositions du rapport Guinchard en matière d'accès à la justice

La commission présidée par M. Serge Guinchard sur la répartition des contentieux a énoncé plusieurs propositions en matière d'accès à la justice 31 ( * ) .

Ce rapport suggère en particulier la création d'un guichet universel de greffe permettant aux justiciables et aux auxiliaires de justice d'introduire une instance judiciaire, ou d'obtenir des informations concernant une procédure depuis n'importe quel site judiciaire du ressort de la cour d'appel.

Un tel guichet supposerait une mutualisation des greffes d'un ressort, tout en préservant l'autonomie de chacun et sans créer un service de centralisation et de répartition des compétences. Il reviendrait à chaque guichet d'assurer les traditionnelles missions des guichets uniques de greffe (renseignements pratiques et information, orientation du justiciable en liaison avec les juridictions et aussi avec les conciliateurs de justice et les services de médiation). En outre, des permanences seraient assurées dans ces guichets par ces conciliateurs et médiateurs.

Chaque guichet universel pourrait également recevoir les demandes faites aux juridictions . Ces guichets seraient conçus comme des points d'entrée de proximité dans le système judiciaire, permettant au justiciable de saisir une des juridictions du ressort lorsque la procédure est sans représentation obligatoire, d'enregistrer cette demande directement auprès de la juridiction compétente, ou de délivrer une information précise sur le déroulement d'une procédure concernant le justiciable.

Le guichet universel pourrait enfin recevoir et enregistrer un appel, même lorsque le guichet n'est pas situé dans les mêmes locaux que la cour d'appel.

Cette proposition a été intégrée par la Chancellerie dans le projet de création de maisons de la justice et du droit de nouvelle génération.

La commission présidée par M. Serge Guinchard propose en outre la création d' audiences de proximité en matière familiale . Ainsi, chaque année, le président du tribunal de grande instance devrait fixer, après avis de l'assemblée générale des magistrats du siège, des audiences de proximité, dans les tribunaux d'instance, pour le contentieux familial sans représentation obligatoire.

Enfin, la commission Guinchard préconise une réforme importante du statut et des compétences des juges de proximité 32 ( * ) . Ainsi, elle propose de supprimer la juridiction de proximité en tant qu'ordre de juridiction, mais de maintenir les juges de proximité, qui seraient rattachés au tribunal de grande instance.

Les attributions des juges de proximité relatives au jugement des contraventions des quatre premières classes et à la validation des compositions pénales seraient maintenues, ainsi que leur participation, sur décision du président du tribunal de grande instance, après avis de l'assemblée générale des magistrats du siège, et selon leur expérience, aux formations de jugement en qualité d'assesseurs des chambres correctionnelles.

Par ailleurs, ils pourraient désormais, selon la même procédure, être assesseurs des chambres civiles, et être délégués pour l'examen des injonctions de payer, avant opposition du défendeur, ainsi que dans des activités telles que la vérification des comptes de tutelles et les mesures d'instruction civiles (transports sur les lieux, auditions des parties ou de témoins, conciliations).

Lors de son audition par votre rapporteur, Mme Monique Loew-Deval, présidente de l'Association nationale des juges de proximité, s'est prononcée pour le maintien des fonctions de juge autonome en matière civile et en matière pénale du juge de proximité, soulignant que le fonctionnement de cette juridiction apparaissait efficace et économe 33 ( * ) . Elle a considéré que la suppression des compétences des juges de proximité en matière civile, limitant l'intérêt de la fonction, risquerait d'entraîner une baisse du nombre de candidats à son exercice.

L'enquête du Conseil supérieur de la magistrature
« les Français et leur justice : restaurer la confiance »

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a commandé auprès de l'IFOP un sondage, réalisé en mai 2008, afin de comparer l'évolution de l'image de la justice en France par rapport aux précédentes études effectuées en 1997 et 2001 pour le groupement d'intérêt public « Mission de recherche droit et justice ».

Il apparaît que 63 % des personnes interrogées déclarent avoir confiance dans la justice , alors que 89 % ont confiance dans les hôpitaux, 82 % dans l'école, 81 % dans l'armée et 76 % dans la police. Pour expliquer les raisons de leur confiance, les personnes ayant confiance dans la justice avancent en premier lieu que la justice est accessible à tous (23 %), puis qu'elle est rendue par des magistrats compétents (22 %) et qu'elle est indépendante (16 %). L'efficacité de la justice arrive en septième position (5 %). Parmi les 37 % déclarant ne pas avoir confiance dans la justice, le premier motif invoqué est que celle-ci n'est pas la même pour tous (30 %), le second tenant à sa lenteur (20 %).

Analysant les résultats de cette étude, le rapport du CSM publié en 2008 considère que les Français connaissent mal le fonctionnement de leur système judiciaire et souligne que le public ne maîtrise pas des notions et des distinctions de base telles que le siège et le parquet, les avocats et les magistrats, les juridictions de première instance et les cours d'appel 34 ( * ) .

Le Conseil recherche par ailleurs les causes de la crise de confiance des acteurs politiques à l'égard de la justice, évoquant, dans un contexte d'affaiblissement des pouvoirs politiques nationaux et de judiciarisation de la société, la défiance née de l'irruption des magistrats dans le monde politique, des soupçons de politisation de la magistrature et de l'évolution du syndicalisme judiciaire.

Le rapport évoque également les tourments des personnels de justice, confrontés à des logiques de gestion nouvelles, à des impératifs de rationalisation, à l'éloignement progressif des fonctions du siège et du parquet.

Le CSM avance ensuite plusieurs pistes pour renouer la confiance . A l'égard de l'opinion, il affirme la nécessité d'ouvrir davantage la justice sur l'extérieur, notamment en l'intégrant mieux dans les programmes scolaires, et de la rendre plus compréhensible, au moyen d'une politique de communication plus efficace. La diversification du recrutement doit être approfondie pour que la justice soit en outre plus proche de la société. Face aux dysfonctionnements, elle doit apprendre à se remettre en cause, pour être davantage respectée.

Le rapport du CSM appelle par ailleurs à un retour des débats de société au sein du Parlement, afin de ne recourir qu'à bon escient à des réponses judiciaires. Il appelle également au développement de stages des magistrats auprès des parlementaires.

Enfin, il préconise le développement de la concertation dans le fonctionnement du monde judiciaire, afin d'éviter les décisions rendues par des personnes isolées. L'effort de recrutement et de formation doit également être porté sur les fonctionnaires et les assistants juridiques. Loin d'entretenir une incompréhension mutuelle, le siège et le parquet devraient travailler ensemble non seulement sur l'organisation et la gestion des dossiers pénaux, mais aussi sur une approche globale de l'activité juridictionnelle, estime le CSM. Il conclut à l'urgence de prendre des initiatives innovantes pour conforter la confiance du peuple français en sa justice.

4. Vers les maisons de la justice et du droit de nouvelle génération

Il existe actuellement 123 maisons de la justice et du droit (MJD), réparties au sein de 27 cours d'appel (57 départements concernés). Ouvertes au public depuis 1990, elles ont pour objectif de donner une réponse adaptée au traitement de la petite délinquance, une aide aux victimes et un accès au droit dans des quartiers situés en zone urbaine sensible (ZUS) et en grand projet ville (GPV). Aussi 91 % de ces structures sont-elles implantées dans les zones urbaines sensibles ou à proximité.

Les MJD ont reçu près de 650.000 personnes en 2006 (personnes convoquées et visiteurs).

Elles connaissent des problèmes d'effectifs, 30 d'entre elles étant dépourvues de greffier et 22 fonctionnant uniquement avec des personnels mis à disposition par les collectivités territoriales (environ 115 agents mis à disposition pour l'ensemble des MJD).

Cette situation a conduit à l'ouverture à temps partiel de certains sites (une quinzaine de MJD), voire à la fermeture provisoire d'un certain nombre d'entre eux.

La traduction en ETPT des effectifs physiques relevant du programme « Accès au droit et à la justice » inscrits sur l'action « Support à l'accès au droit et à la justice » du programme « Justice judiciaire » est de 105,54 en 2008 (personnel d'encadrement : 0,54 ETPT ; greffiers : 87,20 ETPT ; personnel de catégorie C : 17,8 ETPT).

Toutefois, depuis fin 2007, la direction des services judiciaires identifie par fléchage les postes en MJD proposés aux commissions administratives paritaires de greffiers et d'agents de catégorie C. Cette politique plus favorable à l'affectation des personnels de justice devrait contribuer à améliorer la situation.

S'agissant du fonctionnement des MJD, le ministère de la justice prend en charge les traitements des magistrats, du greffier, des agents de catégorie C, des agents de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) qui y exercent, les frais de justice, les frais de téléphone et un investissement initial de 11.435 euros pour le premier équipement informatique et divers mobiliers et matériels.

Les collectivités territoriales assurent la mise à disposition des locaux et leur équipement, ainsi que l'emploi de personnel d'accueil.

Les projets de création de MJD doivent dorénavant s'inscrire dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire. Est ainsi prévue l'expérimentation de MJD de « nouvelle génération », pour améliorer l'accès au droit et à la justice de proximité.

Ces nouvelles MJD devraient constituer des lieux d'accueil et d'information juridique, mais pourraient également offrir au justiciable un accès à la justice.

Tout justiciable aurait la possibilité de recourir dans ces MJD à des modes diversifiés de règlement des différends, en étant orienté, in situ , vers des instances de conciliation et de médiation.

Il pourrait accéder à un guichet universel de greffe implanté à partir de la MJD et ainsi introduire toute demande ou requête, autre que celles effectuées par voie d'assignation avec ministère d'avocat obligatoire, être renseigné sur le déroulement d'une procédure, ou encore former un recours. Des audiences foraines, notamment de cabinet, pourraient y être tenues.

Les modalités de fonctionnement de ces nouvelles MJD, tant en termes fonctionnel et organisationnel qu'en termes d'implantation géographique, sont encore en cours d'étude par la Chancellerie. Néanmoins, les premières expérimentations de MJD de nouvelle génération devraient intervenir prochainement.

Plusieurs magistrats rencontrés par votre rapporteur ont évoqué leurs craintes que la mise en place de ces MJD de nouvelle génération ne consiste à multiplier les bornes interactives ou « points visio-public », permettant au justiciable d'entrer en communication avec un greffier à distance.

En effet, si de tels équipements peuvent se révéler pertinents pour apporter des renseignements simples aux justiciables, ils apparaissent moins adaptés pour répondre aux situations complexes.

Votre rapporteur souligne en outre la nécessité de renforcer les liens entre les MJD et les conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD), qui animent le partenariat avec les acteurs locaux, par exemple en favorisant la création de dispositifs articulant les compétences des travailleurs sociaux, des associations, et des professionnels du droit 35 ( * ) .

M. Gilbert Azibert, secrétaire général du ministère de la justice, a confirmé à votre rapporteur qu'une maison de la justice et du droit de nouvelle génération ne consistait pas nécessairement en un lieu public, mais pouvait être une borne interactive, implantée dans d'autres services publics.

Les points visio-public font actuellement l'objet d'une expérimentation à Sceaux avec le TGI de Nanterre, à Murat avec le TGI d'Aurillac, à Aigurande avec le TGI de Châteauroux et à Orléans avec le TGI de la même ville. Selon la Chancellerie, quelques dizaines de ces équipements pourraient être installés à terme.

Afin de donner aux maisons de la justice et du droit les effectifs dont elles ont besoin, votre commission vous soumet un amendement tendant à augmenter de 1.262.320 euros les crédits de personnel de l'action 08 « Support à l'accès au droit et à la justice », du programme « Justice judiciaire ». Ces crédits permettront la création de 40 emplois de greffiers de catégorie B, destinés à compléter les effectifs des maisons de la justice et du droit qui, selon les indications de la Chancellerie, sont actuellement déficitaires.

De nombreuses MJD qui ne peuvent actuellement fonctionner ou qui n'assurent qu'un service partiel, pourront ainsi remplir pleinement leur mission, essentielle dans le contexte de réforme de la carte judiciaire.

Les crédits nécessaires sont issus d'une réduction des crédits du programme « Administration pénitentiaire ».

Votre commission vous propose en outre un amendement visant à renforcer les moyens alloués à l'accès au droit et à la justice dans le contexte de mise en oeuvre de la carte judiciaire . A cette fin, cet amendement tend à retirer 1.017.190 euros du programme « Administration pénitentiaire », pour les attribuer au programme « Accès au droit et à la justice ».

Au sein du programme « Administration pénitentiaire », les crédits seraient retirés de l'action 01 « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice » et portent sur les dépenses liées à la sécurisation des établissements pénitentiaires.

La majoration de crédits du programme « Accès au droit et à la justice » serait imputée à l'action 02 « Développement de l'accès au droit et du réseau judiciaire de proximité », afin d'assurer l'ouverture de nouvelles MJD et d'améliorer l'équipement des MJD existantes, en cohérence avec l'amendement qui tend à renforcer les effectifs de ces organismes.

Au total, la réduction des crédits du programme « Administration pénitentiaire » proposée par votre commission s'élèverait à 5 millions d'euros, entièrement destinés au renforcement des moyens des tribunaux d'instance et des maisons de la justice et du droit.

* 23 Commission sur la répartition des contentieux, rapport remis à madame le garde des sceaux, ministre de la justice, L'ambition raisonnée d'une justice apaisée.

* 24 Charles Jolibois et Pierre Fauchon, mission d'information de la commission des lois chargée d'évaluer les moyens de la justice, rapport n° 49, 1996-1997.

http://www.senat.fr/noticerap/1996/r96-49-notice.html

* 25 L'échevinage consiste à composer une juridiction de magistrats de carrière et de magistrats non professionnels, choisis comme citoyens (jurés) ou en raison de leur appartenance à une catégorie socioprofessionnelle.

* 26 Voir le IV, B, 3).

* 27 Les victimes des crimes les plus graves (atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne) sont dispensées de justifier leurs ressources.

* 28 Le BAJ de Paris reçoit chaque jour 200 demandes (demandes orales à l'accueil et demandes adressées par courrier).

* 29 En effet, selon le projet annuel de performance, le coût moyen annuel chargé d'un magistrat entrant dans la carrière s'élève à 65 019 euros et celui d'un greffier de catégorie B à 31 558 euros.

* 30 Voir le 4) ci-après.

* 31 Commission sur la répartition des contentieux, rapport remis à madame le garde des sceaux, ministre de la justice, L'ambition raisonnée d'une justice apaisée.

* 32 A la fin de l'année 2008, les juges de proximité en exercice sont au nombre de 620.

* 33 Le coût prévisionnel de la justice de proximité en 2008, est évalué à 8.265.936 euros au titre de la rémunération des juges de proximité et à 216.000 euros au titre de la formation (formation initiale et formation continue).

* 34 Conseil supérieur de la magistrature, Rapport 2007, p. 97.

* 35 Les conseils départementaux de l'accès au droit, institués dans 88 départements en 2008, seront renforcés en 2009 avec la création de 5 CDAD, dans le Doubs, la Côte d'Or, la Haute-Marne, le Territoire de Belfort, et la Vendée. Le CDAD est présidé par le président du tribunal de grande instance du chef lieu du département ; le procureur de la République y exerce la fonction de commissaire du Gouvernement.

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