INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'année 2009 aura été marquée par l'adoption par le Parlement, au terme de débats fructueux, de la loi pénitentiaire longtemps attendue. L'enjeu des prochaines années est la mise en oeuvre effective, dans le respect de l'esprit des travaux parlementaires, de l'ensemble des dispositions de ce texte. Votre commission y sera, pour sa part, très attentive.

A l'évidence, l'application de la loi ne saurait être appréciée seulement à l'aune de l'effort financier dégagé en faveur de l'administration pénitentiaire. Néanmoins, comme le souligne d'ailleurs l'étude d'impact qui accompagnait le projet de loi pénitentiaire, « toute politique de prise en charge ambitieuse des détenus est nécessairement coûteuse ». Cette étude avait procédé à une première évaluation du coût, pour l'Etat, de certaines des dispositions de la loi « sans prétendre apporter une analyse globale des moyens financiers nécessaires à la mise en oeuvre de la future loi ».

Qu'il s'agisse du développement des aménagements de peine, de l'obligation d'activité -dont le corollaire est la nécessité pour l'administration pénitentiaire de développer et diversifier notamment l'offre de travail et de formation- ou encore de l'encadrement des fouilles -avec le recours privilégié aux moyens électroniques de contrôle- pour ne prendre que quelques exemples parmi les nouvelles mesures introduites par la loi pénitentiaire, ce texte impliquera une forte mobilisation de moyens humains et financiers et, en tout cas, dans un cadre budgétaire nécessairement contraint, une réorientation de certaines priorités (avec, en particulier, un rééquilibrage au sein des recrutements des personnels pénitentiaires en faveur des services pénitentiaires d'insertion et de probation).

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A la lumière de la visite de nombreux établissements et des échanges organisés à cette occasion, votre rapporteur est convaincu que le développement de l'activité en prison ainsi que l'extension des mesures d'aménagement de peine constituent deux axes prioritaires pour modifier la situation carcérale. La loi pénitentiaire offre sur ces deux sujets de nouveaux leviers d'action .

La situation du centre de détention de Val-de-Reuil illustre les insuffisances que l'on retrouve dans un grand nombre de prisons.

Le centre de détention de Val de Reuil (30 avril 2009)

Le centre de détention de Val-de-Reuil a ouvert le 7 juin 1989. Il a été décidé d'augmenter sa capacité au moment de la construction : la structure a ainsi été doublée à l'identique -non seulement pour les cellules mais aussi pour tous les espaces communs (salles de sports et salles de spectacles).

L'établissement se compose ainsi de deux divisions d'une capacité d'accueil de 400 détenus chacune. La deuxième division reçoit des détenus pour de longues peines et la première, des courtes et moyennes peines (reliquat de peines en général inférieur à 7 ans). Lors de la visite de votre rapporteur, le taux d'occupation était de 97 % , chaque cellule étant occupée par un détenu.

Le centre de détention comporte un quartier de semi-liberté d'une trentaine de places mais qui, à la date de la visite de votre rapporteur, n'accueillait qu'une vingtaine de détenus.

Les régimes différenciés au coeur de l'organisation de la détention

L'établissement pratique quatre régimes différenciés allant d'un régime de responsabilité (cellule portes ouvertes, circulation libre pour se rendre aux activités et libre circulation au sein de l'unité de vie avec possibilité de mutualiser les moyens des détenus, par exemple pour la cuisine) au régime de contrôle resserré, mis en place à la suite d'agressions violentes commises contre les personnels en passant par un régime contrôlé normal (détenus accompagnés dans leurs mouvements fixés à des horaires précis).

La modification du régime de détention est décidée par la commission pluridisciplinaire unique qui réunit le chef d'établissement, le chef de détention, des représentants des surveillants, enseignants, corps médical, ainsi que le psychologue, organe au sein duquel l'information peut être mutualisée.

De fortes tensions

L'établissement connaît actuellement deux grandes difficultés.

La première est liée aux délais de l'ordre de 10 à 12 mois pour obtenir les expertises nécessaires à l'octroi des aménagements de peine. Cette situation liée à l'insuffisance du nombre de psychiatres provoque une très forte insatisfaction de la part des détenus dont beaucoup demandent à quitter l'établissement dès leur arrivée car ils jugent que ces délais leur font grief.

82 % des aménagements de peine concernent les permissions de sortie tandis que la liberté conditionnelle et le placement extérieur demeurent résiduels.

Les soins psychiatriques sont organisés au sein du SMPR également commun à la maison d'arrêt de Rouen. L'établissement compte un psychiatre à temps partiel (60 %). Le délai de prise en charge par le SMPR est de l'ordre de 7 à 8 mois (une centaine de détenus sont suivis en soins psychiatriques dans la deuxième division). En revanche, tous les détenus font l'objet d'une consultation psychiatrique à leur arrivée et aussi en soins d'urgence.

La seconde difficulté tient à l'insuffisance de l'emploi puisque sur quelque 800 détenus, seuls 150 ont un travail en atelier (100 pour la deuxième division, 50 pour la première). L'établissement dispose pourtant d'ateliers vastes (6.000 m 2 ) et plus faciles d'accès, comme votre rapporteur a pu le constater, qu'un grand nombre d'établissements pénitentiaires. Plusieurs grosses entreprises ont quitté l'établissement. Celui-ci a récemment embauché un commercial qui sillonne la région pour démarcher les entreprises sans avoir pour l'instant réussi à faire venir de nouvelles entreprises.

Par ailleurs, 20 à 30 % des détenus suivent une formation.

Comme l'a indiqué le responsable de l'éducation nationale à votre rapporteur, la moitié des personnes qui arrivent en détention ont quitté l'école avant la classe de troisième. En outre, au sein de la division 1, un petit nombre de jeunes détenus perturbent fortement les cours et la disponibilité que les enseignants sont en mesure de témoigner pour l'ensemble des détenus.

Un délégué du Médiateur assure deux permanences par mois (5 à 6 détenus étant reçus par permanence). Il a attiré l'attention du rapporteur sur les difficultés particulières que présente le renouvellement des titres de séjour des personnes détenues auprès des préfectures. En effet, le titre de séjour peut expirer en cours de détention, pénalisant le détenu qui, pour bénéficier d'un certain nombre de prestations sociales doit disposer d'un titre de séjour régulier. Or, la procédure actuelle implique la présence de la personne concernée à la préfecture. Le problème pourrait être surmonté par l'organisation d'une permanence du service de la préfecture au sein de l'établissement, par exemple un jour par mois.

Les interlocuteurs de votre rapporteur, et en particulier les surveillants, ont tous souligné que l'intervention du délégué du Médiateur avait apporté un apaisement dans un contexte qui reste marqué par les fortes tensions liées, d'une part, à l'insuffisance des aménagements de peine, et d'autre part, au manque de travail.

I. LE PROJET DE BUDGET POUR 2010 : UNE PRISE EN COMPTE ENCORE PARTIELLE DES CONSÉQUENCES DE LA LOI PÉNITENTIAIRE

Force est de constater que le projet de loi de finances pour 2010, qui constitue la première année de mise en oeuvre de la loi pénitentiaire, ne prend pas encore en compte tous les effets de la loi pénitentiaire.

Deux constats s'imposent :

- le programme annuel de performances, dont les objectifs et indicateurs constituent un instrument précieux de suivi et de contrôle des politiques publiques, apparaît en retrait par rapport aux orientations de la loi pénitentiaire ;

- malgré un effort financier soutenu en faveur de l'administration pénitentiaire qu'il convient de saluer, les créations d'emplois de conseiller d'insertion et de probation (CIP) apparaissent encore en retrait au regard des objectifs de la loi pénitentiaire en matière d'aménagements de peine.

A. LA NÉCESSAIRE ADAPTATION DU PROJET ANNUEL DE PERFORMANCES AUX GRANDES ORIENTATIONS DE LA LOI PÉNITENTIAIRE

L'administration pénitentiaire constitue l'un des six programmes de la mission justice 1 ( * ) . Il se décline lui-même en trois actions :

- L'action n° 1 : « garde et contrôle des personnes placées sous main de justice » (garde des détenus, contrôle des personnes placées sous main de justice, aménagements de peine, alternatives à l'incarcération, parc immobilier, sécurité) ;

- L'action n° 2 : « accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice » (accueil, y compris maintenance et entretien des bâtiments pénitentiaires, accès aux soins, maintien des liens familiaux, activités de réinsertion) ;

- L'action n° 4 : « soutien et formation » (moyens de l'administration générale, développement du réseau informatique, formation des personnels).

Ces actions représentent respectivement 69,9 %, 17,3 % et 12,8 % des moyens de l'administration pénitentiaire.

Le programme administration pénitentiaire comprend un projet annuel de performances . Ce document présente plusieurs objectifs assortis d' indicateurs de performance . Ces éléments sont indispensables pour apprécier les priorités de l'administration pénitentiaire et permettre de contrôler leur suivi au-delà de l'exercice budgétaire.

OBJECTIFS ET INDICATEURS DE PERFORMANCE

Six objectifs

Objectif n° 1
Renforcer la sécurité
des établissements pénitentiaires

Indicateurs :


Taux d'évasions sous garde pénitentiaire directe (pour 10.000 détenus). En 2008 : 0,8. Cible 2011 : <3.
- de détenus particulièrement signalés :
En 2008 : 0. Cible 2011 : <1.
- de détenus autres :
En 2008 : 0,8. Cible 2011 : <2.
- taux d'évasions hors établissements pénitentiaires en aménagement de peine :
En 2008 : 24.Cible 2011 : <36.
- taux d'évasions hors établissement pénitentiaire en sorties sous escortes pénitentiaires :
En 2008 : 1,1. Cible 2011 : <1.


Nombre d'incidents (pour 10.000 détenus), agressions contre le personnel :
En 2008 : 24,9. Cible 2011 : <15.

Taux de formation à la prévention suicide (nouveau)

- Taux de formation de personnels : prévision 2010 : 50. Cible 2011 : 75.

- Taux de formation des personnels de surveillance affectés dans les quartiers sensibles : prévision 2010 :100. Cible : 100.

Objectif n° 2
Adapter le parc immobilier aux catégories de populations accueillies

Indicateurs :


Taux d'occupation des places spécialisées :

- taux d'occupation des places en centre ou quartier semi-liberté :
En 2008 : 84.Cible 2011 :96

- taux d'occupation des places en centre ou quartier courte peine :
En 2008 : 84.Cible 2011 : 95


Taux de places spécialisées créées depuis 2008

- nombre de places créées en centre de semi-liberté
En 2008 : 80. Cible 2011 : 831

- nombre de places créées en quartier courte peine :
En 2008 : 0.Cible 2011 : 450

- nombre de places créées en centre pour peine aménagée :
En 2008 : 0 -. Cible 2011 : 442

- taux de places spécialisées crées/nombre total de places créées :
En 2008 : 2,8. Cible 2011 : 17,75

Objectif n° 3
Développer
les aménagements de peine

Indicateur :


Taux des personnes placées sous main de justice et bénéficiant
d'un aménagement de peine (PSE, placements extérieurs, semi-liberté) :
En 2008 : 11,6.
Prévision 2009 : 14.

Cible 2011 : 18.

Observation : Cet indicateur, utile, ne dépend qu'en partie de l'administration pénitentiaire
(qui, depuis la loi Perben 2, peut proposer des mesures d'aménagement), la décision relevant en principe du juge
de l'application des peines.

Objectif n° 4
Améliorer les conditions de détention
Indicateurs :


Taux d'occupation des unités de vie familiale :
En 2008 : 61 Prévision 2010 : 65. Cible 2011 : 70


Taux d'occupation des parloirs familiaux :
En 2008 : 40

Prévision 2010 : 85. Cible 2011 : 100
(total de ½ journées d'utilisation des parloirs familiaux/total de ½ journées d'ouverture)


Taux d'actualisation des protocoles (évaluation de l'adaptation des procédures de collaboration entre le ministère de la justice et celui de la santé) :
En 2008 : 44
Prévision 2010 : 85. Cible 2011 : 100


Taux d'occupation des UHSI :
En 2008 : 67
Prévision 2010 : 80. Cible 2011 : 80

Six objectifs (suite)

Objectif n° 5
Favoriser les conditions d'insertion professionnelle
des détenus

Indicateurs :


Taux de détenus bénéficiant d'une formation professionnelle :
En 2008 : 8,6. Cible 2011 : 9,3


Taux de détenus bénéficiant d'une activité rémunérée :
En 2008 : 36,4 : Prévision 2011 : 37
(cet objectif était fixé à 44,2 % pour 2012 dans le PLF pour 2008 et à 41,5 % dans le PLF pour 2009)

Objectif n° 6
Améliorer la qualité de prise en charge du condamné en milieu ouvert

Indicateur :


Pourcentage de personnes condamnées avec un sursis avec mise à l'épreuve ayant respecté l'obligation d'indemniser les victimes :
En 2008 : 58,6. Cible 2011 : 68

Selon votre rapporteur, la présentation des objectifs et indicateurs de performance appelle trois réserves.

En premier lieu, si certains indicateurs sont tout à fait pertinents, la cible fixée apparaît en deçà des objectifs d'une politique pénitentiaire ambitieuse. Tel est le cas pour le taux de détenus bénéficiant d'une activité rémunérée qui ne prévoit aucune progression d'ici deux ans par rapport à la situation actuelle (objectif fixé à 44,2 % pour 2012 dans le projet de loi de finances pour 2008, à 41,5 pour 2011 dans le projet de loi de finances pour 2009 et à 37 % pour 2011 dans le présent projet de loi de finances).

En deuxième lieu, plusieurs objectifs font l'objet d'une approche réductrice . L'objectif n° 6 (améliorer la qualité de prise en charge du condamné en milieu ouvert) n'est appréhendé que par le pourcentage de personnes condamnées avec un sursis avec mise à l'épreuve ayant respecté l'obligation d'indemniser les victimes. Or, d'une part, il existe d'autres mesures en milieu ouvert, d'autre part, l'obligation d'indemniser les victimes, malgré son importance, ne constitue pas la seule mesure prévue dans le cadre d'un SME. Comme l'ont indiqué à votre rapporteur les responsables du syndicat Snepap-FSU, principalement représenté dans la filière des services d'insertion et de probation, les conseillers d'insertion et de probation jugent peu motivant que leur activité dans le milieu ouvert soit appréhendée à travers ce seul prisme.

Enfin, les éléments de présentation actuels présentent des lacunes évidentes . Sans doute votre rapporteur approuve-t-il l'introduction d'un nouvel indicateur relatif au taux de formation à la prévention du suicide qui vient compléter les moyens d'apprécier l'objectif n° 2 relatif au renforcement de la sécurité des établissements pénitentiaires et permettre de vérifier l'application, sur ce point, des préconisations du rapport de la commission Albrand. Il regrette cependant que l'objectif concernant la sécurité des établissements ne soit assorti d'aucune donnée sur le taux de suicide dans les établissements ou sur les violences commises à l'encontre des détenus alors même que la loi pénitentiaire (article 44) assigne à l'administration pénitentiaire l'obligation d' « assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels ».

Il convient par ailleurs de regretter la suppression de l'indicateur associé à l'objectif n° 5 (« favoriser les conditions d'insertion professionnelle des détenus ») concernant le nombre de conventions partenariales signées et actives qui avait été introduit l'an dernier seulement. Ce choix n'augure pas favorablement de la dynamique pourtant indispensable au développement du travail dans le milieu pénitentiaire.

De même, l'objectif n° 8 « assurer une formation de qualité aux personnels pénitentiaires », introduit en 2008, a été supprimé ainsi que l'indicateur dont il était assorti (taux de formation initiale effective). Selon les explications apportées à votre rapporteur, ce taux « sera porté en JPE (justification au premier euro) ou dans la partie opérateur du PAP (projet annuel de performances) du programme », ce qui ne semble toutefois pas garantir la même qualité d'information sur un sujet auquel il importe que l'administration pénitentiaire accorde une attention plus soutenue.

Votre rapporteur appelle de ses voeux une réflexion d'ensemble , en concertation avec le Parlement, sur une révision des objectifs et des indicateurs qui puisse, tout en reposant sur des données statistiques fiables, prendre pleinement en compte les grands axes de la loi pénitentiaire .

* 1 Pour la commission des Lois, le programme consacré à la protection judiciaire de la jeunesse est traité dans l'avis présenté par M Nicolas Alfonsi ; les quatre autres programmes -justice judiciaire, accès au droit et à la justice, conduite et pilotage de la politique de la justice- décomposés en deux programmes distincts, sont traités par M. Yves Détraigne.

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