II. LA NÉCESSITÉ D'UN ENCADREMENT

Le projet de loi soumis à l'examen du Sénat prévoit plusieurs mesures de protection contre le risque lié au jeu. Celles-ci doivent cependant être précisées et complétées, tant en matière de prévention qu'en matière de soins.

A. PRÉVENIR

Depuis 1990, l'action de l'association SOS joueurs en matière d'écoute, d'assistance et d'analyse des données recueillies 17 ( * ) a fait beaucoup pour la prise de conscience de la gravité des difficultés personnelles et sociales liées au jeu problématique par les pouvoirs publics. Son action dans le domaine de la prévention doit être saluée et confortée. Parallèlement, la mise en place de messages sanitaires destinés à la prévention du jeu pathologique relève par nature de l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) qui est appelé à développer son action encore trop modeste en ce domaine 18 ( * )

La prévention des risques liés aux jeux de hasard ou d'argent prend deux formes : il est nécessaire de limiter l'accès au jeu des populations potentiellement fragiles et de prévoir, au sein même des périodes de jeu, des espaces permettant de sortir de l'émotion pour faire appel à la raison.

1. Limiter l'accès au jeu

Conformément aux pratiques antérieures, plusieurs types de limitation de l'accès au jeu sont prévus par le projet de loi.

La première est l' interdiction de jeu des mineurs . Ceux-ci constituent en effet une population psychologiquement fragile ; en outre, parce qu'ils ne disposent pas, le plus souvent, de ressources propres, ils sont les plus sujets à la tentation d'en acquérir illégalement pour les besoins du jeu.

La deuxième est l' interdiction du financement à crédit du jeu , source d'une spirale de pertes financières et d'endettement, et, en outre, activité potentiellement liée au blanchiment d'argent.

Enfin, pour préserver les personnes les plus fragiles, il est prévu que tout joueur doit pouvoir demander son exclusion du jeu , ou pouvoir être exclu par les opérateurs. Cette exclusion doit s'accompagner de la possibilité de se tourner vers une prise en charge sanitaire et sociale.

Dans le cadre de l'encouragement aux pratiques de « jeu responsable », les opérateurs tant publics que privés ont mis en place des systèmes de contrôle et d'accompagnement des joueurs pour faire respecter les interdictions, limiter les mises et détecter les comportements à risque. S'il faut saluer les initiatives prises en ce domaine, spécialement par les opérateurs publics historiques, il faut néanmoins constater que la grande variété des méthodes retenues demande à être évaluée afin de s'assurer que les intérêts des joueurs sont véritablement pris en compte et préservés. Votre commission proposera donc un amendement à cette fin.

2. Prévoir le temps de la réflexion

A côté de ces interdictions de jeu, des limites doivent également être prévues à l'intérieur du jeu même. Pouvoir prendre le temps de la réflexion, spécialement face à des jeux de sensation, est particulièrement salutaire. Le chiffre d'affaires des casinos a ainsi baissé de près de 30 % depuis la mise en oeuvre de l'interdiction de fumer dans les lieux publics : le simple fait de sortir de la salle de jeux pour fumer incite souvent les fumeurs à ne pas revenir.

Pour ce qui concerne le jeu en ligne, deux types de « pauses » peuvent être envisagés. Tout d'abord, lors de la première participation au jeu, l'impulsion de jouer la première fois est freinée par la procédure nécessaire à l' ouverture d'un compte joueur , obligatoire pour pouvoir jouer. Ensuite, la remise des gains peut être différée afin qu'ils ne soient pas rejoués immédiatement. De ce point de vue, il est également important que le taux de retour des différents jeux, soit la part des mises réinvesties sous forme de gains, soit limité. En effet, plus le taux de retour est élevé, plus les chances de gains sont importantes et la tentation de rejouer prégnante. Les autorités françaises, contrairement à celles d'autres pays européens, ont ainsi imposé aux opérateurs publics des taux de retour relativement plus bas que ceux généralement pratiqués par les opérateurs privés. Cette pratique nécessaire du point de vue sanitaire, mais dont la détermination ne relève pas du domaine législatif, doit être poursuivie.

Plus largement, il paraît nécessaire d'introduire dans le projet de loi une pratique déjà adoptée par la Belgique pour l'ensemble des jeux et retenue en Italie pour les jeux en ligne. Il s'agit de l'attribution à chaque joueur d'un numéro d'identification qu'il est obligé de fournir lors de chaque ouverture d'un compte joueur auprès d'un opérateur. Cette pratique a un double mérite : obliger à une démarche volontaire devant les autorités avant de commencer à jouer pour la première fois, ce qui empêche la participation impulsive à la suite d'une sollicitation publicitaire, et permettre un suivi de l'ensemble des gains et pertes chez les différents opérateurs. En effet, le système de suivi par opérateur est nécessairement imparfait dès lors qu'un joueur excessif ou pathologique aura la possibilité de contourner les alertes ou recommandations qui lui sont faites en ayant recours à un autre opérateur. Tout en tenant compte des nécessaires limites imposées par la sauvegarde des libertés publiques, votre commission proposera la mise en place d'un tel dispositif.

B. SOIGNER

Le décalage dans le temps entre la description du phénomène de jeu pathologique et sa reconnaissance comme maladie psychiatrique explique que les traitements médicaux soient relativement récents. Dans l'intervalle, se sont développées plusieurs pratiques thérapeutiques issues de différentes écoles de la psychologie. L'une des plus répandues à travers le monde est celle développée par les Joueurs anonymes ( Gamblers anonymous ), association d'entraide fondée aux Etats-Unis en 1957. Leur pratique de traitement en douze étapes s'inspire de la méthode développée par les Alcooliques anonymes en 1935. Elle n'a cependant pas fait jusqu'à présent l'objet d'une évaluation scientifique « robuste » 19 ( * ) . Elle est par ailleurs très peu utilisée en France.

1. Les centres de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie

Les centres de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) sont par nature le lieu du soin pour les joueurs pathologiques. Créés en 2007 20 ( * ) , ils ont vocation à regrouper les services spécialisés dans le traitement de l'alcoolisme et des drogues et se mettent progressivement en place sur l'ensemble du territoire. Ils ont pour mission d'assurer l'ensemble de la prise en charge médicale et sociale des personnes dépendantes.

Une circulaire de ministère de la santé du 28 février 2008 21 ( * ) a permis aux Csapa d'assurer le traitement des addictions sans substance, parmi lesquelles figure l'addiction au jeu, sous réserve de la formation en ce domaine de l'équipe soignante. Des formations ont donc été mises en place par les premières équipes à avoir ouvert des consultations en addictologie autour de Marc Valleur à l'Hôpital Marmottan et de Jean-Luc Venisse au CHU de Nantes. Près d'une centaine de personnes seront ainsi formées à la prise en charge des personnes atteintes de troubles liés au jeu.

Cette formation sera évaluée par la direction générale de la santé dans le courant de l'année 2010 et sera pérennisée si ses résultats se montrent satisfaisants. L'expertise en matière de prise en charge sanitaire de troubles liés aux jeux se diffuse donc progressivement. Il appartient aux pouvoirs publics de conforter cette diffusion des connaissances et des bonnes pratiques en lui assurant un financement adéquat.

2. Garantir leur financement

Le projet de loi prévoit une répartition des sommes prélevées sur les opérateurs de jeux entre l'Inpes, pour ses activités en matière de prévention, et l'assurance maladie, en matière de soins. Plusieurs précisions doivent néanmoins être apportées au texte proposé. En effet, le montant maximal attribué à l'Inpes, soit 10 millions d'euros, paraît quelque peu surdimensionné puisqu'il s'agirait alors de consacrer près de 10 % du budget de cet organisme à la lutte contre le jeu excessif. Entre le montant maximal fixé par le texte et l'estimation basse fournie à votre rapporteur d'un coût de 400 000 euros annuels de cette mission pour l'Inpes, une voie moyenne doit être trouvée.

En effet, si le montant des prélèvements sur les opérateurs reste pour le moment théorique, il ne saurait faire de doute que c'est le développement des structures de soins qui doit être privilégié à ce stade. Il importe donc que les sommes versées à l'assurance maladie soient bien orientées vers les Csapa. Votre commission proposera un amendement en ce sens.

Si les réalités technologiques et économiques conduisent à l'ouverture légale des jeux de hasard et d'argent en ligne, les risques tant sanitaires que sociaux qui leur sont associés imposent une régulation forte par les pouvoirs publics. Dès lors, il est nécessaire que les revenus tirés du jeu participent au financement des pathologies causées et que les opérateurs s'engagent dans une démarche de prévention responsable. Ces démarches de « compensation » du risque lié aux jeux doivent appuyer une politique publique volontariste tendant à donner au public une image réelle du jeu, de ses aléas et de ses conséquences, afin de maintenir le plus possible ces pratiques comme des activités ludiques saines et limiter le développement de pathologies sociales.

* 17 Données réunies dans l'Expertise collective, précité, pp. 475-479.

* 18 Cf. rapport d'Alain Milon, au nom de la commission des affaires sociales, sur le projet de loi de finances pour 2010, avis mission Santé n° 103, tome IV.

* 19 « Traitements par approches psychosociales et psychodynamiques », in Expertise collective, précité, pp. 204-205.

* 20 Décret n° 2007-877 du 14 mai 2007 relatif aux missions des centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie.

* 21 Circulaire DGS/MC2 n°  2008-79 du 28 février 2008 relative à la mise en place des Csapa.

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