II. DES PRÉOCCUPATIONS NOUVELLES

La complexité des émotions suscitées par l'image du « fou criminel » montre la difficulté d'une approche durable de la délinquance sexuelle des personnes atteintes de troubles mentaux. En effet, les actes violents commis par les malades sont imputés aux défauts de la prise en charge médicale, en même temps que les soins sous contrainte servent à « se déculpabiliser de la rigueur de la loi pénale » 21 ( * ) et ce, particulièrement depuis la mise en place d'une mesure complémentaire privative de liberté, la rétention de sûreté.

Définir la place de la médecine dans la réponse à ces inquiétudes sociales suppose d'écarter les solutions inadaptées proposées par le projet de loi soumis à l'examen du Sénat.

A. UNE INQUIÉTUDE SOCIALE LÉGITIME

Si l'interaction du soin et de la justice s'avère complexe, il n'en demeure pas moins que deux objectifs également légitimes doivent être conciliés : apporter des soins adéquats aux personnes malades auteurs de violences sexuelles et prévenir la récidive.

1. Apporter les soins adéquats

Garantir aux personnes détenues les mêmes soins qu'à la population générale, tel est l'objectif de loi du 18 janvier 1994 22 ( * ) relative à la santé publique et à la protection sociale. Le Conseil constitutionnel a transformé cet objectif en obligation, en prévoyant dans sa décision du 21 février 2008 relative à la loi sur la rétention de sûreté 23 ( * ) , qu' « il appartiendra [...] à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de vérifier que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l'exécution de sa peine, de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre » . Ceci implique que les soins devront avoir été commencés ou proposés dans un cadre adapté à leur mise en oeuvre dès l'incarcération, pour pouvoir être continués dans le cadre d'une rétention de sûreté. Cette nouvelle forme d'internement doit donc s'intégrer à une démarche de soins et ne peut dépendre d'une simple évaluation de la dangerosité d'un détenu au moment de sa libération.

Cette décision, conforme à la vision républicaine de la prison comme lieu de réinsertion, pose néanmoins une question fondamentale. La prison peut-elle être un lieu de guérison ? Si la loi du 18 janvier 1994 a fait de la prison un lieu de soins, les conditions d'incarcération sont, au témoignage de plusieurs soignants, trop pathogènes pour qu'on puisse espérer y obtenir une amélioration durable d'une pathologie mentale. Les centres pénitentiaires spécialisés dans l'accueil des détenus souffrant de tels troubles, comme celui de Château-Thierry, sont des lieux où s'exerce un dévouement extrême des personnels pénitentiaires et des médecins. Mais plus qu'une thérapie durable, cette démarche, pourtant particulièrement exigeante pour les différents acteurs, permet principalement la stabilisation de l'état des détenus à un niveau compatible avec les exigences de l'incarcération. Il ne saurait faire de doute dans l'esprit de votre rapporteur que la volonté, tant des personnels pénitentiaires que des soignants, est bien d'aller le plus loin possible dans la thérapie et, si cela est envisageable, de guérir ou d'atténuer durablement la souffrance liée au trouble. Mais un tel aboutissement paraît ne pouvoir être qu'exceptionnel en prison.

Parallèlement au renforcement des moyens médicaux en prison, il faut donc continuer à réfléchir aux alternatives à l'incarcération pour les personnes atteintes de troubles mentaux 24 ( * ) .

De plus, apporter des soins adéquats ne saurait se limiter à la seule question de la maladie mentale. Comme l'a jugé la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt Vincent contre France du 24 octobre 2006 25 ( * ) , il existe également une obligation d'adaptation des conditions d'incarcération aux situations de handicap , c'est-à-dire tant pour les soins que pour les aménagements intérieurs.

L'attention portée à certaines catégories de détenus ne doit pas faire oublier l'obligation sanitaire et sociale générale qui pèse sur l'Etat envers les personnes détenues. C'est là l'un des principaux objectifs de la loi pénitentiaire à l'élaboration de laquelle le Sénat a largement participé. Les textes ultérieurs ne doivent pas le perdre de vue.

2. Limiter le risque de récidive

Le rapport remis par le Premier président de la Cour de Cassation, Vincent Lamanda, au Président de la République 26 ( * ) comporte, parmi ses vingt-trois recommandations, trois qui intéressent particulièrement le champ de la santé et que votre rapporteur partage pleinement :

« 14 - Mettre en place, sans délai, une prise en charge médico-sociale, psychologique et éducative des condamnés dangereux, si possible dès le début de leur détention ;

« 18 - Augmenter les effectifs de médecins coordonnateurs et les moyens dont sont dotés les services médico-psychologiques des établissements pénitentiaires ;

« 19 - Apporter une attention particulière à la médecine pénitentiaire, en complétant en ce domaine la formation des médecins, en particulier les psychiatres, et en revalorisant les conditions matérielles de leur intervention en milieu pénitentiaire. »

Il convient cependant de relever que l'essentiel des recommandations concerne le renforcement de la criminologie et la mise en place d'une criminologie clinique susceptible de déterminer scientifiquement la dangerosité d'un condamné. De ce point de vue, le rapport souligne bien que la récidive n'est pas d'abord un problème de prise en charge médicale. Dangerosité psychiatrique et dangerosité criminelle ne se confondent pas. Le risque auto-agressif, et même parfois le risque hétéro-agressif, que présente un malade n'est pas directement corrélé à un danger social. Comme le soulignent Jean-Louis Senon et Cyril Manzanera 27 ( * ) , l'audition publique organisée par la Haute Autorité de santé et la fédération française de psychiatrie les 25 et 26 janvier 2007 a opéré une distinction entre, d'une part, « la dangerosité psychiatrique à évaluer par le psychiatre en prenant en compte les facteurs évolutifs de la maladie mentale, l'adhésion aux soins, les connaissances actuelles sur la thérapeutique... », d'autre part, « la dangerosité criminologique à évaluer de façon multidisciplinaire à la façon d'une criminologie confrontant les données du droit, de la sociologie comme de la clinique ».

Il faut donc éviter toute confusion et ne pas assigner à la médecine un rôle qui ne peut être le sien. Soigner n'est pas la même chose qu'empêcher de nuire.

B. DES DISPOSITIONS INADAPTÉES

Cette distinction fondamentale entre évaluation de la dangerosité sociale et diagnostic médical doit empêcher l'adoption de mesures inadaptées pour lutter efficacement contre la récidive en matière de délinquance sexuelle. L'attention disproportionnée donnée à un type de traitement risque ainsi de faire renaître les craintes d'une instrumentalisation de la médecine par la politique pénale et d'avoir un impact néfaste tant sur les relations entre magistrats et médecins que sur celles entre médecins et malades.

1. L'attention disproportionnée accordée à un type de traitement

L'intérêt déclaré pour la prise en charge thérapeutique des délinquants sexuels s'est porté de manière quasi exclusive sur les traitements antihormonaux connus du grand public sous l'appellation, empruntée à l'urologie, de « castration chimique » . Or, les psychiatres entendus par votre rapporteur s'accordent pour penser qu'un tel traitement, qui a pour effet d'inhiber la production de testostérone, n'a d'utilité que pour soigner 5 % à 10 % des délinquants sexuels.

Cette indication elle-même semble d'ailleurs encore sujette à discussion puisque la lecture des études médicales internationales a conduit l'un des médecins auditionnés à considérer qu'un traitement antihormonal semble principalement indiqué pour le traitement de la « pédophilie extra-familiale à tendance homosexuelle », tandis que d'autres praticiens qui le prescrivent ne le limitent aucunement à ce type de cas. Plusieurs d'entre eux ont indiqué que l'intérêt principal des traitements antihormonaux tient à leur action rapide permettant de limiter l'envahissement mental dont souffrent les malades. Il est particulièrement important de noter que les psychiatres qui prescrivent ces traitements comptent parmi leurs patients de nombreux malades qui n'ont commis aucun crime ou délit et qui essayent de lutter contre une pathologie destructrice tout en continuant à vivre en société.

Les traitements antihormonaux ne sont donc ni un traitement qui serait particulièrement indiqué pour les délinquants sexuels, ni un « remède » à l'efficacité garantie. Ils ne sont en effet prescrits qu'en accompagnement d'une psychothérapie et nécessitent l'adhésion du malade pour fonctionner. Ils ne permettent que de faire disparaître certains symptômes de la pathologie, mais ne guérissent rien. Un traitement curatif doit être mis en place parallèlement pour espérer obtenir des résultats durables, et ces traitements sont ceux dont dispose la psychiatrie actuelle avec toutes leurs limites. L'antihormonal doit être prescrit avec d'autant plus de prudence qu'il entraîne, pour faire disparaître les symptômes pathologiques, un dérèglement biologique de l'organisme analogue à celui de l'andropause. Les risques afférents, et plus particulièrement celui de l'ostéoporose, interdisent de prescrire le traitement trop tôt avant la fin de l'incarcération. L'apparition d'effets secondaires risque en effet de retarder la mise en oeuvre du traitement d'accompagnement, le plus souvent une psychothérapie. Les effets secondaires imposent également une obligation de suivi. Le traitement antihormonal est donc un traitement parmi d'autres, avec ses avantages et ses inconvénients, qu'il appartient au médecin de mesurer avant de le proposer au malade.

L'attention disproportionnée portée à ce type de traitement ne découle pas uniquement des attentes excessives de l'opinion publique. Les traitements inhibiteurs de la libido sont en effet un des seuls traitements mentionnés explicitement dans la loi, plus précisément dans le code de la santé publique : le quatrième alinéa de son article L. 3711-3 dispose que, dans le cadre d'une injonction de soins, « le médecin traitant est habilité à prescrire au condamné, avec le consentement écrit et renouvelé, au moins une fois par an, de ce dernier, un traitement utilisant des médicaments qui entraînent une diminution de la libido » .

Cette disposition exceptionnelle n'a pas été introduite pour des raisons fortuites. Elle s'explique par le fait que dans la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales « les médicaments susceptibles de limiter la libido avaient alors, de par leur autorisation de mise sur le marché, un autre objet (le plus souvent la lutte contre le cancer de la prostate). Les médecins qui les prescrivaient n'étaient donc pas couverts par leur assurance ; de même, ces médicaments n'étaient pas remboursés par la sécurité sociale ce qui freinait également leur mise en oeuvre » 29 ( * ) .

Or, il n'est plus nécessaire aujourd'hui de donner un statut légal spécifique à ce qui était un traitement novateur mais est devenu un traitement usuel pour des indications limitées. Au moins trois médicaments répondent désormais au classement pharmaco-thérapeutique Vidal « traitement des déviances sexuelles » et sont pris intégralement en charge par la sécurité sociale 30 ( * ) . Tout médecin confronté à une pathologie de ce type peut donc les prescrire. Afin de mettre fin au débat que suscitent les médicaments antihormonaux, il est donc préférable de supprimer toute référence légale qui leur est spécifique afin qu'ils soient prescrits comme l'est tout autre médicament. Votre commission vous proposera des amendements en ce sens.

2. La crainte d'une instrumentalisation de la médecine

La place des soins en prison repose sur la construction progressive d'une double confiance : entre les médecins et l'administration pénitentiaire d'une part, entre les médecins et les malades condamnés, d'autre part. Le respect du secret médical et de la liberté de traitement en est la condition essentielle. Toute ambiguïté en ce domaine ne peut que faire renaître la crainte d'une volonté d'instrumentalisation de la médecine à des fins de défense sociale. Même infondée, l'existence de ce risque est en soi de nature à faire régresser les relations entre magistrats et médecins : chacun est réticent à se trouver dans une position qui n'est pas la sienne, magistrat prescripteur de soins ou médecin geôlier.

Ce risque de confusion des rôles est particulièrement important au moment où est prononcée l'injonction de soins. Celle-ci ne doit comporter aucune référence à un traitement spécifique. Par ailleurs, s'il est nécessaire qu'une interruption soudaine et unilatérale d'un traitement soit signalée au juge de l'application des peines, il ne peut y avoir d'obligation de signalement s'il est mis un terme à une forme particulière de traitement pour privilégier une autre approche thérapeutique. Comme le secret médical, les choix thérapeutiques ne peuvent relever que du seul médecin traitant.

L'interaction entre magistrats et médecins et la confiance des malades dans leur thérapeute sont trop importantes pour pouvoir être soumises à des dispositions légales ambiguës. Votre commission vous proposera donc des amendements de nature à lever celles qui demeurent.

* 21 « Psychiatrie et justice : de nécessaires clarifications à l'occasion de la loi relative à la rétention de sûreté », Jean-Louis Senon et Cyril Manzanera, AJ Pénal, n° 4 (avril), 2008.

* 22 Loi n° 94-43.

* 23 Décision n° 2008-562 DC.

* 24 Un groupe de travail, constitué conjointement entre la commission des affaires sociales et la commission des lois, est précisément consacré à la responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux et devrait rendre ses conclusions avant la fin de la session parlementaire.

* 25 Requête n° 6253/03.

* 26 Amoindrir le risque de récidive criminelle des condamnés dangereux, 30 mai 2008.

* 27 Article précité « Psychiatrie et justice : de nécessaires clarifications à l'occasion de la loi relative à la rétention de sûreté », Jean-Louis Senon et Cyril Manzanera, AJ Pénal, n° 4 (avril), 2008.

28 Loi n° 94-43.

* 29 Rapport Sénat n° 174 (2007-2008) de Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

* 30 Salvacyl des laboratoires Ipsen Pharma, Cyproterone Mylan des laboratoires Mylan et Androcur des laboratoires Bayer santé.

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