INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'année 2011 devrait être placée pour l'administration pénitentiaire sous le signe de quatre interrogations.

La première présente un caractère financier. Le projet de loi de finances pour 2011 prévoit une progression de 4,5 % des crédits du programme « administration pénitentiaire » au sein de la mission justice -dont la dotation augmente globalement de 4,1 %. Cette évolution est commandée pour une large part par l'ouverture des établissements pénitentiaires dans le cadre du programme 13.200 places et par la création des emplois de surveillant qu'elle implique.

L'exercice budgétaire apparaît ainsi contraint et ne permet pas encore de prendre en compte les exigences de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et, en particulier, le rééquilibrage des recrutements en faveur des services pénitentiaires d'insertion et de probation afin de favoriser le développement des mesures d'aménagement de peine. Une telle réorientation serait impérative en 2012, date de livraison des dernières prisons du programme « 13.200 ».

Elle apparaît cependant difficilement compatible avec l'annonce de création de 5.000 places supplémentaires au titre du nouveau programme immobilier destiné à prendre le relais du programme « 13.200 ». Comment dégager, dans ces conditions, la marge de manoeuvre budgétaire qui a manqué jusqu'à présent ?

En deuxième lieu, le Gouvernement a arrêté en octobre dernier le principe d'un transfert des escortes judiciaires de la police et de la gendarmerie nationales vers l'administration pénitentiaire . Dans son principe, cette évolution rencontre les voeux d'une grande majorité des personnels pénitentiaires dès lors, du moins, qu'elle s'accompagne de la création des emplois nécessaires. Or de nombreuses incertitudes demeurent sur l'évaluation des effectifs actuellement consacrés à ces missions. Elles devront être levées rapidement afin de dissiper le malaise récurrent des personnels.

En troisième lieu, l'application de la loi pénitentiaire ne dépendra pas seulement des moyens financiers. L'adoption des mesures réglementaires a beaucoup tardé au risque de susciter une certaine déception après le large mouvement d'adhésion qui a accompagné l'examen et l'adoption du texte par le Parlement en 2009. La publication, cet automne, des premiers décrets d'application, devrait contribuer à lever les inquiétudes.

Cependant, la politique pénitentiaire se jugera à l'aune des objectifs assignés par le législateur : reconnaissance des personnels, respect et sécurité des personnes détenues, obligation d'activité... L'administration pénitentiaire dispose-t-elle des outils adaptés pour évaluer son action ? La grille des indicateurs de performance figurant dans les documents budgétaires, quasiment inchangée malgré l'adoption de la loi pénitentiaire, soulève des interrogations à cet égard.

La dernière interrogation touche la restructuration du parc pénitentiaire dans le cadre du nouveau programme immobilier. Il convient de se réjouir du remplacement envisagé de 9.000 places obsolètes par des places conformes au respect de la dignité des personnes détenues. Le choix des établissements appelés à fermer semble toutefois reposer sur des critères interprétés de manière restreinte.

Aussi, au-delà de la présentation des moyens consacrés à l'administration pénitentiaire, votre rapporteur s'efforcera d'apporter les éléments d'analyse nécessaires pour répondre à ces différentes questions.

I. UN PROJET DE BUDGET CONTRAINT PAR DES LOGIQUES ANTÉRIEURES À LA LOI PÉNITENTIAIRE

A. LA NÉCESSAIRE ADAPTATION DU PROJET ANNUEL DE PERFORMANCES AUX GRANDES ORIENTATIONS DE LA LOI PÉNITENTIAIRE

L'administration pénitentiaire constitue l'un des six programmes de la mission justice 2 ( * ) . Il se décline lui-même en trois actions :

- L'action n° 1 : « garde et contrôle des personnes placées sous main de justice » (garde des détenus, contrôle des personnes placées sous main de justice, aménagements de peine, alternatives à l'incarcération, parc immobilier, sécurité) ;

- L'action n° 2 : « accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice » (accueil, y compris maintenance et entretien des bâtiments pénitentiaires, accès aux soins, maintien des liens familiaux, activités de réinsertion) ;

- L'action n° 4 : « soutien et formation » (moyens de l'administration générale, développement du réseau informatique, formation des personnels).

Ces actions représentent respectivement 68,6 %, 20 % et 11,5 % des moyens de l'administration pénitentiaire.

Le programme administration pénitentiaire comprend un projet annuel de performances . Ce document présente plusieurs objectifs assortis d' indicateurs de performance . Ces éléments sont indispensables pour apprécier les priorités de l'administration pénitentiaire et permettre de contrôler leur suivi au-delà de l'exercice budgétaire.

OBJECTIFS ET INDICATEURS DE PERFORMANCE

Six objectifs

Objectif n° 1
Renforcer la sécurité
des établissements pénitentiaires

Indicateurs :


Taux d'évasions sous garde pénitentiaire directe (pour 10.000 détenus). En 2009 : 3,4. Cible 2013 : <3.
- de détenu particulièrement signalé :
En 2009 : 0,2. Cible 2013 : <1.
- de détenu autre :
En 2009 : 3,2. Cible 2013 : <2.
- taux d'évasions hors établissements pénitentiaires en aménagement de peine :
En 2009 : 31,3.Cible 2013 : <36.
- taux d'évasions hors établissement pénitentiaire en sorties sous escortes pénitentiaires :
En 2009 : 0,6. Cible 2013 : <1.


Nombre d'incidents (pour 10.000 détenus), agressions contre le personnel :
En 2009 : 18. Cible 2013 : <15.

Taux de formation à la prévention suicide (% des personnels formés par corps, grade et établissement)

- Taux de formation de personnels : prévision 2010 : 50. Cible 2013 : 75.

- Taux de formation des personnels de surveillance affectés dans les quartiers sensibles : prévision 2010 :100. Cible 2013 : 100.

Objectif n° 2
Adapter le parc immobilier aux catégories de populations accueillies

Indicateurs :


Taux d'occupation des places spécialisées :

- taux d'occupation des places en centre ou quartier semi-liberté :
En 2009 : 93.Cible 2013 : 96

- taux d'occupation des places en centre ou quartier courte peine :
En 2009 : 84. Cible 2013 : 95


Taux d'occupation des places en établissements pour mineurs (nouveau) :
En 2009 : 67,2. Cible 2013 : 75.


Taux de places spécialisées créées depuis 2008

- nombre de places créées en centre de semi-liberté
En 2009 : 268. Cible 2013 : 738

- nombre de places créées en quartier courte peine :
En 2009 : 59. Cible 2013 : 648

- nombre de places créées en centre pour peine aménagée :
En 2009 : 32 -. Cible 2013 : 112

- taux de places spécialisées crées/nombre total de places créées :
En 2009 : 5,98. Cible 2013 : 11,58


Nombre de détenus par cellule (nouveau) .

En 2009 : 1,30. Cible 2013 : 1,19.

Objectif n° 3
Développer
les aménagements de peine

Indicateur :


Taux des personnes placées sous main de justice et bénéficiant
d'un aménagement de peine (PSE, placements extérieurs, semi-liberté) :
En 2009 : 13,4.
Prévision 2011 : 20.

Cible 2013 : 24.

Objectif n° 4
Améliorer les conditions de détention
Indicateurs :


Maintien des liens familiaux :

- Taux d'occupation des unités de vie familiale :
En 2009 : 58. Prévision 2011 : 70. Cible 2013 : 70


Taux d'occupation des parloirs familiaux :
En 2009 : 42

Prévision 2011 : 60. Cible 2013 : 70
(total de ½ journées d'utilisation des parloirs familiaux/total de ½ journées d'ouverture)


Améliorer l'accès aux soins

- Taux d'actualisation des protocoles (évaluation de l'adaptation des procédures de collaboration entre le ministère de la justice et celui de la santé) :
En 2009 : 58
Prévision 2011 : 100. Cible 2013 : 100

- Taux d'occupation des UHSI et UHSA :
En 2009 : 66
Prévision 2011 : 92. Cible 2011 : 80

- Taux d'établissements pénitentiaires labellisés dans le processus de « prise en charge et accompagnement des personnes détenues » (nouveau) .

En 2010 : 56,6. Prévision 2011 : 83,7. Cible 2013 : 100.

Six objectifs (suite)

Objectif n° 5
Favoriser les conditions d'insertion professionnelle
des détenus

Indicateurs :


Taux de personnes bénéficiant d'une formation générale professionnelle

- Taux de personnes détenues stagiaires de la formation professionnelle

En 2009 : 8,5 %. Prévision 2011 : 9,3. Cible  2013 :10,2


Taux de personnes détenues scolarisées par l'éducation nationale

2009 : 23,4. Prévision 2011 : 23,4. Cible 2013 : 25,2


Taux de détenus bénéficiant d'une activité rémunérée :
En 2009 : 35,7 : Prévision 2011 : 37 . Cible 2013 : 37,4
(cet objectif était fixé à 44,2 % pour 2012 dans le PLF pour 2008 et à 41,5 % dans le PLF pour 2009)

Objectif n° 6
Améliorer la qualité
de prise en charge du condamné
en milieu ouvert

Indicateur :


Pourcentage de personnes condamnées avec un sursis avec mise à l'épreuve ayant respecté l'obligation d'indemniser les victimes :
En 2009 : 54. Prévision 2011 : 66. Cible 2013 : 72

Les indicateurs de performance sont-ils à la mesure des objectifs assignés à l'administration pénitentiaire par la loi pénitentiaire ?

Sans doute dans le cadre de l'objectif n° 4 (Améliorer les conditions de détention), un nouvel indicateur permettra d'évaluer le taux d'établissements pénitentiaires labellisés par un organisme extérieur (AFNOR Certification ou Bureau Veritas) au regard de la mise en oeuvre d'une trentaine de règles pénitentiaires européennes. Après la labellisation de 24 sites en 2008 et 2009, 70 établissements devraient l'être en 2010, 45 en 2011 et 27 en 2012. Comme le précisent les documents budgétaires, l' « acuité de cet indicateur ne s'éteint pas à la labellisation de l'ensemble des établissements pénitentiaires dans la mesure où il s'agit d'un processus devant être reconduit annuellement ».

Cependant, en l'état, les outils d'évaluation de l'administration pénitentiaire semblent insuffisants à trois titres.

En premier lieu, comme votre rapporteur l'avait déjà souligné l'an passé, dans plusieurs domaines, la cible fixée apparaît en-deça des objectifs souhaitables . Tel est plus particulièrement le cas pour le taux de détenus bénéficiant d'une activité rémunérée (travail et formation professionnelle). La cible pour 2011 -37,4 %- marque une progression bien modeste par rapport au résultat enregistré en 2009 -35,7-. Est-elle susceptible de mobiliser l'administration pénitentiaire autour de l' « ardente obligation » de développer des activités afin de répondre à l'article 27 de la loi pénitentiaire (obligation d'activité pour les détenus) ? On peut en douter.

En deuxième lieu, plusieurs indicateurs font l'objet d'une approche réductrice . Il en est ainsi du nouvel indicateur relatif au nombre de détenus par cellule (dans le cadre de l'objectif n° 2 -Adapter la gestion du parc immobilier aux catégories des populations accueillies) dont le calcul ne semble permettre qu'une approche partielle de l'encellulement 3 ( * ) sans distinguer en outre entre les maisons d'arrêt qui connaissent une surpopulation récurrente et les établissements pour peine où prévaut, en principe, l'encellulement individuel.

De même est-il vraiment pertinent de calculer l'indicateur concernant l' amélioration de l'accès aux soins (objectif n° 4 - Améliorer les conditions de détention) sur la base du nombre d'établissements ayant actualisé leur protocole d'accord avec les services de soins (UCSA), mesure présentant un caractère purement administratif ? Le nombre d'emplois de médecins effectivement pourvus ou encore celui des consultations donnerait, comme l'a relevé M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, des éléments d'information plus utiles.

Enfin, les éléments de présentation actuels présentent des lacunes évidentes au regard de plusieurs orientations de la loi pénitentiaire. Ainsi s'il est indispensable, comme le prévoit le projet annuel de performance, de mesurer le taux d'incident dont les personnels sont victimes, la sécurité des établissements (objectif n° 1) doit aussi s'apprécier à travers les violences commises en détention sur les personnes détenues. Aux termes de l'article 44 de la loi pénitentiaire, en effet, « l'administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels ». Une évaluation des violences dont les détenus sont victimes, aujourd'hui inexistante, serait pourtant un indicateur précieux sur l'évolution des conditions de détention.

D'une manière plus générale, comme l'ont observé les représentants du syndicat national des directeurs pénitentiaires lors de leur audition par votre rapporteur, l'organisation de l'administration pénitentiaire -administration centrale et déconcentrée- articulée autour de deux pôles -l'état major « sécurité » d'une part, l'insertion d'autre part- perpétue une scission entre deux volets pourtant indissociablement liés. Elle ne favorise ni une vision globale de la politique pénitentiaire, ni son évolution.


* 2 Pour la commission des Lois, le programme consacré à la protection judiciaire de la jeunesse est traité dans l'avis présenté par M. Nicolas Alfonsi ; les quatre autres programmes -justice judiciaire, accès au droit et à la justice, conduite et pilotage de la politique de la justice- décomposés en deux programmes distincts, sont traités par M. Yves Détraigne.

* 3 Au numérateur figure la somme du nombre de personnes écrouées détenues au 1 er janvier de l'année n et au 1 er janvier de l'année n+1 divisée par 2 ; au dénominateur figure la somme du nombre de cellules mises en service au 1 er janvier de l'année n et au 1 er janvier de l'année n+1 divisée par 2.

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