III. UN DÉCALAGE CROISSANT ENTRE LES AMBITIONS AFFICHÉES ET LES MOYENS MIS EN oeUVRE

On le constate depuis plusieurs années, la politique française d'aide au développement se caractérise par un décalage entre les chiffres officiels déclarés à l'OCDE et les moyens effectivement disponibles sur le terrain et entre les engagements pris dans les forums internationaux et la réalité des financements décaissés. Par-delà les majorités politiques, ce décalage s'explique par l'écart croissant entre les ambitions des gouvernants et la réalité de nos moyens financiers.

Cette situation conduit dans les pays que l'on considère traditionnellement comme prioritaires, c'est-à-dire les pays pauvres de l'Afrique subsaharienne à un hiatus croissant entre les ambitions affichées et les moyens dont disposent les acteurs de terrain pour poursuivre leur action en faveur du développement.

Vos rapporteurs ont souhaité s'attarder sur ce point en considérant la situation des 14 pays prioritaires de la coopération française pour bien comprendre les processus en cours.

A. SUR LE TERRAIN : UN SENTIMENT DE DÉCLIN DE LA COOPÉRATION FRANÇAISE

Un des paradoxes de la situation actuelle est le fait que l'Afrique subsaharienne est la zone dans laquelle les acteurs de terrain ont le sentiment le plus fort d'une diminution de leurs moyens, alors même que jamais auparavant cette zone n'a fait l'objet de tant d'indicateurs de concentration.

En effet, le document-cadre de coopération comme le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD indiquent que « l'Afrique subsaharienne est la première des priorités de la politique de coopération ». Il est ainsi prévu que « dans cette géographie, les interventions les plus concessionnelles se concentreront préférentiellement sur les pays pauvres prioritaires » 25 ( * ) .

Cette priorité se traduit par un objectif de consacrer 60 % de l'effort financier de l'Etat à l'ensemble de l'Afrique subsaharienne, 50 % des dons consacrés aux pays pauvres prioritaires définis par le CICID à cette même région et au sein des dons aux pays pauvres prioritaires, 50 % aux pays sahéliens (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad).

Or en dépit de cette volonté de concentration, la comparaison entre la liste des 14 pays pauvres prioritaires et celle des 10 premiers bénéficiaires de l'APD bilatérale nette française est édifiante.

On constate en effet que seulement trois pays parmi les 14 pays prioritaires figurent au sein des 15 premiers bénéficiaires de l'APD bilatérale française.

Certes l'APD constitue un mauvais thermomètre de l'engagement français en faveur du développement. Sans doute ce classement reflète-t-il le rôle croissant des prêts, des écolages et des annulations de dettes qui expliquent en partie le palmarès de l'ensemble de l'APD et la place singulière de pays comme la Chine ou l'Irak.

Néanmoins, que l'on considère l'APD dans son ensemble, ou seulement l'aide programmable, voire les seuls dons programmables destinés à l'Afrique subsaharienne, on constate que les derniers chiffres disponibles sont bien à la baisse ces 5 dernières années.

Évolution de l'aide programmable vers l'Afrique subsaharienne

2006

2007

2008

2009

2010

APD nette, en millions d'euros

3 405

2 056

1 817

2 382

2 621

Dons, en millions d'euros 26 ( * )

1 627

1 632

1 442

1 417

1 441

Aide publique programmable, en millions d'euros

1 433

1 372

1 304

1 270

nd*

Source : DPT 2012

Si l'on poursuit plus loin l'analyse en se concentrant sur l'effort financier de l'État qui comprend à la fois le coût des bonifications des prêts et le coût des subventions ou si l'on considère les seules subventions, le constat est identique : une diminution des moyens en valeur absolue.

En effet, malgré des taux de concentration croissant vers l'Afrique avantageux, on ne peut que constater la diminution des moyens en subventions.

Si on considère maintenant plus avant les subventions issues des programmes 209 et 110, consacrées aux 14 pays pauvres prioritaires, celles-ci passent de 219 millions en 2005 à 158 millions en 2009.

Évolution de l'aide bilatérale française consacrée aux 14 pays pauvres prioritaires et octroyée sous formes de subventions sur la période 2005-2009 27 ( * )

2005

2006

2007

2008

2009

Subventions projets

161

176

145

71

112

FSP

29

23

31

25

9

Aide budgétaire globale

29

57

24

10

37

TOTAL 14 pays pauvres prioritaires

219

256

200

106

158

En % du total des subventions

49%

48%

39%

32%

52%

Pour rappel : total subventions

443

538

519

331

306

Source : MAEE

Votre commission estime que les montants actuels de crédits pour les dons-projets ne sont plus cohérents avec les ambitions en matière de périmètre géographique.

L'AFD continue à la demande des pouvoirs publics d'intervenir dans un nombre important de pays avec des moyens de plus en plus limités.

La situation est criante dans les 14 pays dit prioritaires qui ne sont pas en mesure de s'endetter et dans lesquels la faiblesse des montants disponibles en subvention pose un problème de crédibilité.

Ainsi, en Guinée-Conakry, au Bénin, au Burundi, en RCA, les engagements de l'AFD se situent entre 1 et 3 millions d'euros.

Le sentiment de décalage entre nos ambitions et nos moyens vient sans doute de ce chiffre : 150 millions de subventions pour 14 pays prioritaires revient à consacrer en moyenne 10 millions d'euros de subvention par an à chaque pays et ce, alors même que nous affichons une aide au développement d'un montant supérieur à 10 milliards d'euros.

A l'origine d'une expression souvent entendue par vos rapporteurs selon laquelle la France continue d'avoir les ambitions des Etats-Unis avec le budget du Danemark, il y a ce chiffre 158 millions d'euros de subventions aux 14 pays prioritaires sur 10 milliards d'APD déclarés, soit un millième : une priorité toute relative.

Comme le souligne la revue à mi-parcours de l'aide au développement française par le CAD, il y a une contradiction entre les objectifs de la coopération française et l'évolution des dons de plus en plus préoccupante : « Les cinq secteurs sur lesquels la France veut se concentrer, d'après la décision du CICID, sont des secteurs dont la plupart sont susceptibles d'être appuyés par des dons, et ne se prêtent pas facilement aux prêts, puisqu'ils ne sont pas des secteurs productifs. Pourtant, la France a réduit ses dons. Ceci pose un défi pour la mise en oeuvre de la nouvelle stratégie de la France et le ciblage sur les PMA qu'elle a proposé . »

Nombre d'intervenants, lors de la table ronde que la commission des affaires étrangères a organisée en mai de l'année dernière, ont effectué le même constat.

M. Serge Michailof, consultant international, enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris, ancien directeur régional à la Banque mondiale, a estimé que « nous sommes sans moyens d'action effectifs pour répondre à nos préoccupations propres, qu'il s'agisse d'intervenir dans des pays pauvres où nous avons des enjeux géopolitiques, comme ceux du Sahel, ou sur des thématiques importantes, comme le développement rural pour lequel nous avons une expertise ancienne avérée ».


* 25 Liste arrêtée par le CICID du 5 juin 2009 : Bénin, Burkina Faso, Comores, Ghana, Guinée Conakry, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République Démocratique du Congo, République Centrafricaine, Sénégal, Tchad, Togo. Cette liste nominative est révisable par décision conjointe des ministres de tutelle, sur proposition du co-secrétariat du CICID.

* 26 Le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE assimile les subventions à des dons, puisqu'il estime que ce sont des transferts en espèces ou en nature qui n'entraînent pas d'obligation juridique de remboursement pour le bénéficiaire. Dans les statistiques du CAD, sont considérés comme des dons, les subventions projets, la coopération technique (dont les écolages), l'aide alimentaire à des fins de développement, l'aide humanitaire, les remises de dettes, les aides consenties à des organisations non gouvernementales, les frais administratifs, et le coût des réfugiés dans le pays donneur.

* 27 Subventions projets de l'AFD, fonds de solidarité prioritaires (instrument d'aide-projet du MAEE) et aides budgétaires globales. Les montants sont exprimés en engagements, en millions d'euros et couvrent les programmes 209 et 110. Les montants octroyés sous forme de C2D (contrats de désendettement et développement) ne sont pas pris en compte dans les subventions. Les montants FSP n'incluent pas les engagements de FSP mobilisateurs dont bénéficient en partie certains des 14 pays pauvres prioritaires ; ces montants sont respectivement de 40 ; 62 ; 48 ; 33 et 9 millions d'euros en 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009.

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