2. La politique du « logement d'abord » ne doit pas servir de prétexte à la rationalisation des crédits destinés à l'hébergement
a) Un objectif ambitieux...

Lancée en novembre 2009 par le secrétaire d'Etat au logement, la politique du logement s'inscrit dans le cadre du « Chantier national prioritaire 2008-2012 pour les personnes sans-abri ou mal logées ». Elle se fonde sur un principe difficilement contestable : le logement n'est pas le résultat du parcours d'insertion mais la condition première de la réussite de celui-ci. L'objectif est donc de concentrer les aides publiques vers l'accompagnement des personnes, quels que soient leurs difficultés et leur degré d'isolement, vers des formes durables de logement, au détriment des solutions temporaires d'hébergement.

Une expérience pionnière de « logement d'abord » a été menée aux Etats-Unis dans les années 1990 à destination des personnes souffrant de troubles psychiques et d'addiction. Baptisé « Pathways to the housing » , ce programme laisse les bénéficiaires libres de choisir leur logement ainsi que le degré d'accompagnement dont ils souhaitent bénéficier. Une équipe pluridisciplinaire est cependant disponible en permanence pour apporter un soutien. Les bénéficiaires du programme ont également droit à une aide financière leur permettant d'assurer le paiement du loyer. Selon la Fnars, 88 % des bénéficiaires du programme occupaient toujours leur logement au bout de deux ans 14 ( * ) .

Une réflexion approfondie s'est engagée au niveau européen sur le thème du « logement d'abord ». La conférence de consensus européenne sur le sans-abrisme de décembre 2010 a ainsi appelé à « un déplacement de l'utilisation des refuges et des hébergements de transition comme solution principale à l'absence de chez-soi vers des approches « dirigées vers le logement ». Cela implique d'accroître l'accès à un logement permanent et d'augmenter la capacité à la fois de la prévention et de la mise à disposition d'accompagnement flottant aux personnes dans leur logement, en fonction de leurs besoins » 15 ( * ) .

A la suite des Etats-Unis, plusieurs pays européens ont mis en place des politiques de « logement d'abord ». Il convient de noter que, contrairement à l'exemple américain, les expériences menées ont parfois une dimension coercitive, le souci de préserver la tranquillité de l'espace public revêtant une importance forte dans les mesures mises en oeuvre.

Ces politiques se fondent généralement sur des dispositifs d'évaluation particulièrement précis des mesures engagées ainsi que sur le recensement des personnes sans abri. C'est notamment le cas au Royaume-Uni où, depuis l'adoption du « homelessness act » en 2002, les autorités locales ont la responsabilité de compter régulièrement les sans-abri.

L'implication des collectivités territoriales constitue bien souvent un élément clé dans la mise en pratique des politiques de « logement d'abord », l'Etat jouant un rôle de soutien et d'orientation.


Quelques expériences européennes de « logement d'abord »

Le Royaume-Uni fait figure de précurseur en la matière. Il a lancé en 1998 la « Rough sleeping strategy » (stratégie de lutte contre le sans-abrisme de rue), politique visant à réduire de 70 % le nombre de personnes sans abri à l'horizon 2002 puis à long terme à le ramener à zéro. Cette initiative a été complétée en 2002 par le programme « More than a roof » qui visait à ce que, d'ici mars 2004, plus aucune famille avec enfant ne vive dans des structures d'accueil, sauf en cas d'urgence et pour des durées ne pouvant excéder six semaines. Près d'un milliard de livres ont été consacrées chaque année sur la période 2002-2004 à ce programme, la moitié pour financer des aides personnelles aux sans domicile ou risquant de le devenir, l'autre pour développer des structures d'accueil alternatives à l'hébergement d'urgence.

Le Danemark s'est fixé pour les années 2008-2011 l'objectif de réduire fortement, voire d'éliminer, le sans-abrisme « involontaire » ;100 millions d'euros ont été dégagés visant à soutenir les collectivités locales afin notamment de limiter la durée de séjour dans les centres d'accueil à trois ou quatre mois et à proposer des solutions de logement adaptées aux personnes sortant de prison, d'établissement de soins ou d'unité de traitement. Une expérience originale consiste en la création de « maisons atypiques pour existences atypiques » ( Freak houses for freak people ), qui permet d'accueillir pour un loyer bas (environ 20 % du montant de l'aide sociale ou de la pension d'invalidité) des personnes incapables de vivre seules mais également peu adaptées à la vie en foyer. Chaque projet comporte une dizaine d'habitations regroupées autour de pièces communes et au sein desquelles un « gardien social » apporte un soutien pratique.

Les Pays-Bas ont mis en place en 2006 une politique très décentralisée, qui a concerné à l'origine les quatre principales villes du pays (La Haye, Utrecht, Rotterdam et Amsterdam) pour un budget de 175 millions d'euros sur la période 2006-2009. Un plan local a été établi pour chaque ville à partir d'orientations fixées par l'Etat visant à mettre en place des mesures d'accompagnement pour l'accès au logement et à l'emploi dont certaines, comme l'obligation d'accepter la prise en charge, sont relativement coercitives. Chaque plan est assorti d'indicateurs chiffrés et évalués tous les ans. Le projet a par la suite été étendu à trente-neuf villes supplémentaires et complété d'un financement global de 360 millions d'euros en 2008, dont les deux tiers pris en charge par l'Etat et le reste par l'assurance maladie.

Julien Damon, Rapport au ministre du logement :
les politiques de prise en charge des sans-abri dans l'Union européenne, avril 2009.

A moyen terme, et la conférence européenne de consensus le soulignait dans les conclusions de ses travaux, ces mesures sont porteuses d'économies budgétaires en ce qu'elles permettent de limiter le recours à des actions particulièrement coûteuses telles que le financement de nuits d'hôtel. Ces économies n'apparaissent cependant qu'à la suite d'une première phase nécessitant la mobilisation de moyens financiers importants pour renforcer l'offre de logements et l'accompagnement des personnes.

b) Galvaudé par les contraintes de la rationalisation budgétaire

La mise en oeuvre de la politique du « logement d'abord » conduit à une concentration des crédits du programme « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » sur les dispositifs de logement adapté et d'intermédiation locative. Cependant, l'objectif fixé par le plan de relance de création de 15 000 places en pensions de famille à l'horizon 2011 n'est pas encore atteint. Selon la direction générale de la cohésion sociale, ce sont 11 000 places qui seraient ouvertes fin 2011. En outre, si les dispositifs d'intermédiation locative ont une utilité certaine, la question des moyens mis en oeuvre pour garantir sur le long terme la solvabilisation des personnes reste posée.

De surcroît, une politique ambitieuse du « logement d'abord » est difficilement envisageable sans un effort accru en matière de construction de logements. Or, le PLF 2012 prévoit de diminuer de 30 % le montant des aides à la pierre attribuées par l'Etat. Dès lors, ainsi que le souligne la fondation Abbé Pierre dans son dernier rapport sur le mal-logement, « en l'absence d'une offre suffisante de logements à loyers accessibles [...], le principe du « logement d'abord » résonne davantage comme un slogan ».

A l'insuffisance de la construction de logements s'ajoutent, selon la fondation Abbé Pierre, les faiblesses de la politique de prévention des exclusions, que la loi Molle du 25 mars 2009 visait pourtant à renforcer.

Dans ce cadre, l'insuffisance des moyens alloués à l'hébergement d'urgence conduit à remettre en cause le principe de l'accueil inconditionnel de toute personne en situation de détresse.

Le rapport d'Etienne Pinte avait pourtant alerté dès 2008 sur le fait que, « compte tenu de la crise actuelle de la construction, crise à la fois structurelle et conjoncturelle, il est impensable aujourd'hui de diminuer le budget consacré à l'hébergement et la ligne fongible en matière d'aide à la pierre tant que le manque de logement sera aussi criant ».


* 14 Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion, « Le « logement d'abord » : qu'est-ce que c'est ? Et comment la Fnars s'y engage ? Mai 2011.

* 15 Conférence européenne de consensus sur le sans-abrisme, Recommandations politiques du jury, décembre 2010.

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