3. Une organisation de la justice pénale des mineurs récemment modifiée par le Conseil constitutionnel

Depuis l'édiction de l'ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, la justice pénale des mineurs est fondée sur l'idée que tout mineur délinquant doit avant tout être protégé et éduqué.

Clé de voûte de la justice des mineurs, le juge des enfants dispose ainsi d'une double compétence en matière de protection de l'enfance en danger (article 375 du code civil) ainsi qu'en matière de droit pénal des mineurs (ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante), lui permettant de mettre en oeuvre un véritable suivi éducatif du mineur, tenant compte de sa personnalité et des difficultés sociales et familiales qu'il rencontre.

En outre, le législateur a permis à ce magistrat de cumuler, de façon dérogatoire avec les règles applicables en matière de justice pénale des majeurs, les fonctions de magistrat instructeur, de juge du fond et de juge d'application des peines :

- en concurrence avec le juge d'instruction 9 ( * ) , le juge des enfants instruit sur les délits et contraventions de cinquième classe, en procédant à « toutes diligences et investigations utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et à la connaissance de la personnalité du mineur ainsi que des moyens appropriés à sa rééducation » (article 8 de l'ordonnance du 2 février 1945) ;

- il est également compétent pour juger le mineur, soit seul en audience de cabinet 10 ( * ) , soit au sein du tribunal pour enfants ou du tribunal correctionnel pour mineurs dont il est le président ;

- enfin, le juge des enfants s'est vu reconnaître, à partir de la loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, des fonctions de juge de l'application des peines jusqu'à ce que le condamné ait atteint l'âge de 21 ans.

Au total, le même juge des enfants pouvait, jusqu'à récemment, instruire une affaire, juger le mineur et suivre ce dernier dans le cadre de l'application des peines - contribuant ainsi à mettre en oeuvre un suivi éducatif dans la durée.

Une telle dérogation aux principes posés par le code de procédure pénale 11 ( * ) avait été validée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, qui, dans un arrêt du 7 avril 1993, avait considéré que « l'ordonnance du 2 février 1945, en permettant pour les mineurs délinquants, dans un souci éducatif, une dérogation à la règle de procédure interne selon laquelle un même magistrat ne peut exercer successivement, dans une même affaire, les fonctions d'instruction et de jugement, ne méconnait aucune disposition de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'une telle dérogation entre dans les prévisions de l'article 14 du Pacte international de New York, relatif aux droits civils et politiques, comme aussi dans celles des règles de Beijing, approuvées par les Nations Unies le 6 septembre 1985, qui reconnaissent la spécificité du droit pénal des mineurs ;

« Que si la décision, par le juge des enfants, de saisir le tribunal pour enfants et non de prononcer lui-même une mesure éducative, implique qu'une sanction pénale puisse être envisagée à l'égard du mineur, le risque objectif de partialité qui pourrait en résulter est compensé par la présence de deux assesseurs délibérant collégialement en première instance et par la possibilité d'un appel, déféré à une juridiction supérieure composée de magistrats n'ayant pas connu de l'affaire et dont l'un des membres est délégué à la protection de l'enfance » 12 ( * ) .

C'est cette position que le Conseil constitutionnel a partiellement remise en cause dans sa décision n°2011-147 QPC du 8 juillet 2011.

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a estimé que si « aucune disposition de l'ordonnance du 2 février 1945 ou du code de procédure pénale ne [faisait] obstacle à ce que le juge des enfants participe au jugement des affaires pénales qu'il a instruites » et que « le principe d'impartialité des juridictions ne [s'opposait] pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l'issue de cette instruction, prononcer des mesures d'assistance, de surveillance ou d'éducation », en revanche, « en permettant au juge des enfants qui a été chargé d'accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées portent au principe d'impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution ». Le Conseil constitutionnel a fixé au législateur jusqu'au 1 er janvier 2013 pour adapter l'organisation de la justice pénale des mineurs à ces exigences.

En interdisant ainsi au juge des enfants ayant instruit une affaire de présider la juridiction de jugement chargée de juger le mineur mis en cause, la décision du Conseil constitutionnel va modifier profondément l'organisation des juridictions pour mineurs - en particulier celle des 34 tribunaux pour enfants ne comprenant qu'un seul juge des enfants .

Sans attendre l'entrée en vigueur de ces modifications, le ministère de la justice et des libertés a souhaité procéder à des expérimentations avec les juridictions afin de déterminer le mode d'organisation le plus adapté au sein des tribunaux pour enfants.

Le Gouvernement a par ailleurs introduit des dispositions au sein de la proposition de loi visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants afin de prévoir qu'en cas de nombre insuffisant de juges des enfants, il serait possible de faire appel à un juge des enfants d'un tribunal pour enfants situé dans le ressort de la cour d'appel.

Cette solution suscite l'inquiétude des juges des enfants, qui font valoir que la mise en oeuvre de cette réforme se traduira inévitablement par une charge de travail accrue (délais de route pour se rendre d'une juridiction à une autre, délais nécessaires pour prendre connaissance des dossiers, etc.).

Cette proposition de loi a été rejetée dans son ensemble par le Sénat le 25 octobre 2011 - votre commission ayant notamment souligné la nécessité de procéder à une concertation avec les représentants des magistrats et des professionnels concernés avant de légiférer sur ce sujet. Cette proposition de loi est toujours en cours d'examen par le Parlement.


* 9 Obligatoirement compétent en matière criminelle.

* 10 Où il peut alors soit relaxer le mineur, soit le dispenser de mesure, soit le condamner à une mesure éducative. En revanche, seul le tribunal pour enfants ainsi que, désormais, le tribunal correctionnel pour mineurs, peuvent prononcer une sanction éducative ou une peine.

* 11 Rappelons que l'article 49 du code de procédure pénale dispose que « [le juge d'instruction] ne peut, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales dont il a connu en sa qualité de juge d'instruction ».

* 12 Cour de cassation, chambre criminelle, 7 avril 1993, pourvoi n°92-84725.

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