B. UN RECOURS EXCESSIF À LA PROCÉDURE PRIORITAIRE

Le recours à la procédure prioritaire constitue également un moyen d'accélérer le délai moyen d'examen des demandes d'asile et de limiter la charge budgétaire induite par la mise en oeuvre des conditions d'accueil prévues par la loi.

Rappelons qu'en principe, le dépôt d'une demande d'asile se déroule en deux temps :

- dans un premier temps, le demandeur est admis provisoirement au séjour afin de pouvoir formuler sa demande : s'il n'a pas déjà été autorisé à résider en France, le préfet doit lui délivrer une autorisation provisoire de séjour (APS) ;

- une fois admis au séjour, il doit saisir l'OFPRA dans un délai de 21 jours. En cas de rejet de sa demande par ce dernier, il dispose d'un délai d'un mois pour saisir la CNDA d'un recours en annulation de ce refus. Son autorisation provisoire de séjour est renouvelée jusqu'à la notification de la décision de la CNDA.

Afin de prévenir le dépôt de demandes d'asile considérées a priori comme infondées, le préfet peut toutefois décider que ces dernières seront examinées selon la procédure prioritaire , qui déroge aux principes précités :

- le demandeur d'asile ne bénéficie pas d'un droit au séjour , c'est-à-dire qu'il demeure en situation irrégulière pendant l'instruction de sa demande ;

- il dispose certes de la possibilité de saisir l'OFPRA, mais celui-ci est tenu de statuer dans un délai de quinze jours - ou 96 heures lorsque le demandeur d'asile est placé en centre de rétention administrative. En pratique, le délai médian pour les premières demandes en procédure prioritaire se situe aux alentours de 20 jours, - quatre jours pour les demandeurs placés en centre de rétention. Pour les demandes de réexamen en procédure prioritaire, ces délais médians sont respectivement de cinq et deux jours ;

- enfin, le recours devant la CNDA n'a pas d'effet suspensif , ce qui signifie que l'étranger peut être reconduit à la frontière dès la notification de la décision de rejet de l'OFPRA.

A l'heure actuelle, un demandeur d'asile peut faire l'objet d'une procédure prioritaire dans trois hypothèses :

- soit il a la nationalité d'un « pays d'origine sûr » ;

- soit sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat ;

- soit, enfin, sa demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile, ou n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente.

A ce titre, est notamment considérée comme un recours abusif aux procédures d'asile la présentation frauduleuse de plusieurs demandes d'asile sous des identités différentes. La loi n°2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité a par ailleurs précisé que la demande présentée par un étranger qui fournit de fausses indications, dissimule des informations concernant son identité, sa nationalité ou les modalités de son entrée en France afin d'induire en erreur les autorités devait également être regardée comme constituant une demande d'asile reposant sur une fraude délibérée. Les préfectures font notamment usage de ces dispositions lorsque le demandeur d'asile a altéré ses empreintes digitales de façon à empêcher son identification par le système EURODAC (voir infra ) : dans un tel cas, une circulaire en date du 2 avril 2010 demande aux préfectures de procéder à un second relevé d'empreintes dans le délai d'un mois. Si celles-ci s'avèrent toujours inexploitables, le demandeur d'asile n'est pas admis au séjour et sa demande est examinée selon la procédure prioritaire. Le taux d'empreintes inexploitables s'est élevé en 2010 à 14,5%, contre 10,49% en 2009.

Le principe de la procédure prioritaire, validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°93-325 DC du 13 août 1993, est désormais reconnu par le droit communautaire (article 23 de la directive 2005/85/CE précitée).

Aujourd'hui, les préfectures recourent massivement à la procédure prioritaire, qui a concerné 24% des demandes d'asile en 2010 et 25,93% de celles déposées au cours des neuf premiers mois de l'année 2011 . Une circulaire datée du 1 er avril 2011 encourage ainsi les préfectures « à mettre très largement en oeuvre les cas de placement en procédure prioritaire, même s'il ne saurait y avoir d'automaticité au placement en procédure prioritaire, chaque cas devant faire l'objet d'un examen attentif et circonstancié » 7 ( * ) .

Dans ce total, il convient de distinguer les demandes d'asile initiales et les demandes de réexamen :

- les demandes de réexamen sont dans plus de 80% des cas examinées selon la procédure prioritaire ;

- la part des demandes initiales examinées en procédure prioritaire oscille quant à elle autour de 17 à 19%.

En 2010, la part des demandes initiales a représenté 62,59% de l'ensemble des procédures prioritaires.

Ofpra / Demandes de protection internationale depuis 2008 par type de procédure

DEMANDES

2008

2009

2010

2011(*)

Premières demandes

27 063

33 235

36 931

30 020

dont procédures prioritaires

4 584

4 383

6 242

5 507

dont procédure normales

22 479

28 852

30 689

24 513

Réexamens

7 195

5 568

4 688

3 972

dont procédures prioritaires

5 943

4 249

3 731

3 309

dont procédures normales

1 252

1 319

957

663

Total demandes

34 258

38 803

41 619

33 992

dont total procédures prioritaires

10 527

8 632

9 973

8 816

dont total procédure normales

23 731

30 171

31 646

25 176

(*) données provisoires 9 mois au 07.10.2011

Source : OFPRA

Ainsi que l'indique le rapport annuel de l'OFPRA pour 2010, « parmi les premières demandes placées en procédure prioritaire, les principales nationalités sont les Turcs (11,3 %), les Arméniens (8,1 %), les Erythréens (6,6 %), les Macédoniens (5,6 %) et les Soudanais (5,4 %). La part des ressortissants de Turquie et d'Arménie dans les demandes en procédure prioritaire s'explique par le fait que ces deux Etats se trouvaient sur la liste des pays d'origine sûrs au cours des sept premiers mois de l'année 2010, ces deux pays générant par ailleurs un flux important de demandes. S'agissant des Erythréens et des Soudanais, les procédures prioritaires font suite à une pratique de plus en plus répandue chez les demandeurs en provenance de ces deux pays consistant à mutiler l'extrémité de leurs doigts afin de rendre leurs empreintes digitales inexploitables. Les préfectures, assimilant cette pratique à une volonté de fraude à l'identité, placent systématiquement ces demandes en procédure prioritaire » 8 ( * ) .

Outre les difficultés de gestion qu'elle fait peser sur l'OFPRA, la procédure prioritaire a des conséquences très importantes sur la situation des demandeurs d'asile : non admis au séjour, ceux-ci ne peuvent être accueillis en centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) et ne sont pas éligibles à la couverture maladie universelle de base (CMU) . Par ailleurs, ils ne peuvent bénéficier d'un hébergement d'urgence ni de l'allocation temporaire d'attente (ATA) après le rejet de leur demande d'asile par l'OFPRA , y compris s'ils ont saisi la CNDA d'un recours contre ce refus, en raison du caractère non suspensif de ce dernier.

Or les demandes d'asile présentées par ces personnes sont loin d'être systématiquement dénuées de fondement, comme en témoigne un taux non négligeable d'accord de ces demandes par l'OFPRA ou par la CNDA.

Ainsi, devant l'OFPRA, le taux d'accord relatif aux procédures prioritaires toutes catégories s'est élevé à 9,2% en 2011 , pour un taux d'accord moyen global de 13,5%. La CNDA n'est quant à elle pas en mesure pour l'instant d'indiquer le taux d'annulation des refus de l'OFPRA opposés à des demandeurs d'asile placés en procédure prioritaire, toutes catégories confondues.

Toutefois, en ce qui concerne uniquement les ressortissants de pays d'origine sûrs , le taux d'accord de l'OFPRA s'est élevé en 2010 à 11,5% , et le taux d'annulation par la CNDA à près de 20% .

Au premier semestre 2011, ces taux ont diminué, s'établissant respectivement à 6,6% et 17,9% .

Précisions sur les taux d'accord pour les ressortissants de pays d'origine sûrs

Total pays d'origine sûrs (POS)

2ème sem. 2005

année 2006

année 2007

année 2008

année 2009

année 2010

premier semestre 2011

1ères demandes d'asile (DA)

1 264

1 085

1 116

2 283

1 726

2 974

1 403

% PP

65,9%

79,6%

85,0%

81,7%

76,2%

86,2%

82,3%

% POS sur total DA

6,8%

4,1%

4,7%

8,4%

5,2%

8,1%

6,8%

réexamens

438

706

407

956

247

727

194

% PPR

80,1%

88,5%

84,8%

95,8%

90,7%

90,1%

90,2%

% POS sur total réexamens

8,6%

8,2%

6,6%

13,3%

4,4%

15,5%

7,0%

DA globale

1 702

1 791

1 523

3 239

1 973

3 701

1 597

% PP

69,6%

83,1%

85,0%

85,9%

78,1%

86,9%

83,2%

% POS sur total DA globale

7,2%

5,1%

5,1%

9,5%

5,1%

8,9%

6,8%

Taux de convocation

63,9%

43,0%

72,4%

71,7%

74,8%

89,5%

89,2%

Taux d'admission Ofpra

3,9%

6,3%

19,9%

34,8%

32,9%

11,5%

6,6%

Taux d'annulation

14,4%

15,9%

21,9%

21,7%

28,0%

19,8%

17,9%

NB : On observe de fortes variations en 2008 et 2009 avec une forte hausse de ce taux consécutive à l'augmentation de la demande d'asile malienne. Cette demande, essentiellement motivée par la problématique de l'excision, a généré un grand nombre de décisions d'admission prises au titre de la protection subsidiaire. En 2011, pour les mêmes raisons, seuls deux pays d'origine sûrs génèrent des taux d'admission supérieurs à la moyenne : le Mali et le Sénégal.

Source : OFPRA

Un tel constat conduit votre commission à s'interroger :

- d'une part, sur les critères permettant de qualifier un pays de « sûr » , au regard de ces taux d'admission et des décisions rendues à plusieurs reprises par le Conseil d'Etat sur ce sujet (voir encadré ci-dessous) ;

- d'autre part, compte-tenu d'un taux d'annulation significatif par la CNDA de décisions de rejet de l'OFPRA portant sur des demandes placées en procédure prioritaire, sur la conformité à nos engagements internationaux de l'absence de caractère suspensif du recours formé devant la CNDA en procédure prioritaire . La Cour européenne des droits de l'homme devrait d'ailleurs se prononcer sur ce sujet dans les mois à venir.

Les pays d'origine sûrs

Développée dans le cadre des travaux communautaires visant à établir des normes minimales concernant l'accès au statut de réfugié dans les Etats membres, la notion de pays d'origine sûr - et l'application de la procédure prioritaire aux demandes d'asile formulées par des ressortissants de ces pays - a été validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2003-485 DC du 4 décembre 2003.

Aux termes de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, « un pays est considéré comme [sûr] s'il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'État de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La prise en compte du caractère sûr du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande ». L'établissement de la liste des pays d'origine sûrs relève de la compétence du conseil d'administration de l'OFPRA (article L. 722-1 de ce même code).

La liste des pays d'origine sûrs se caractérise depuis 2005 par son instabilité, conséquence notamment de plusieurs décisions d'annulation du Conseil d'Etat.

Ainsi, le 30 juin 2005, le conseil d'administration de l'OFPRA a adopté une première liste de douze pays d'origine sûrs, composée du Bénin, de la Bosnie-Herzégovine, du Cap-Vert, de la Croatie, de la Géorgie, du Ghana, de l'Inde, du Mali, de l'île Maurice, de la Mongolie, du Sénégal et de l'Ukraine. Cette liste a été complétée le 16 mai 2006 par l'Albanie, la Macédoine, Madagascar, le Niger et la Tanzanie.

Dans un arrêt Association Forum Réfugiés du 13 février 2008, le Conseil d'Etat a annulé l'inscription de l'Albanie et du Niger en raison de l'instabilité du contexte politique et social propre à ces deux pays au moment de l'adoption de la liste.

Le 13 novembre 2009, le conseil d'administration de l'OFPRA a révisé cette dernière, en retirant la Géorgie et y ajoutant l'Arménie, la Serbie et la Turquie.

Par un arrêt Amnesty International et autres du 23 juillet 2010, le Conseil d'Etat a annulé l'inscription de l'Arménie, de Madagascar et de la Turquie, ainsi que du Mali en ce qui concerne les femmes uniquement (en raison de la prévalence de l'excision dans ce pays).

Le 18 mars 2011, le conseil d'administration de l'OFPRA a une nouvelle fois modifié la liste des pays d'origine sûrs afin d'y ajouter l'Albanie et le Kosovo.

A ce jour, la liste des pays d'origine sûrs est composée de seize pays : Albanie, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Croatie, Ghana, Inde, Kosovo, Macédoine, Mali (pour les hommes uniquement), île Maurice, Mongolie, Sénégal, Serbie, Tanzanie et Ukraine.

Depuis l'entrée en vigueur de la première liste de pays d'origine sûrs en juillet 2005, la part de la demande d'asile en provenance de ces pays demeure relativement constante, comprise entre 5% et 10% de la demande d'asile globale. Près de 90% des demandes formulées par des ressortissants de ces pays sont placées par les préfectures en procédure prioritaire.

On observe néanmoins que l'inscription ou le retrait d'un pays a des conséquences rapides et importantes sur le flux de demandes. Ainsi la demande d'asile émanant de ressortissants du Kosovo a-t-elle baissé de 30% entre son inscription sur la liste en mars 2011 et le 1 er juillet 2011. A contrario , postérieurement à la décision du Conseil d'Etat retirant l'Arménie de la liste, la demande d'asile arménienne a augmenté de 100%, retrouvant à l'issue du premier semestre 2011 le niveau antérieur à son inscription.


* 7 Circulaire n° NOR IOCL1107084C du 1 er avril 2011.

* 8 OFPRA, Rapport annuel pour 2010, page 15.

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