III. COMMENT EXPLIQUER LE DÉCALAGE CROISSANT ENTRE LES AMBITIONS AFFICHÉES ET LES MOYENS MIS EN oeUVRE ?

L'examen des sommes dépensées dans le cadre des différents engagements internationaux de la France ces dernières années explique le décalage entre les chiffres officiels et les moyens effectivement disponibles sur le terrain.

Par-delà les majorités politiques, ce décalage s'explique par l'écart croissant entre les ambitions des gouvernants et la réalité de nos moyens financiers.

Cette situation conduit dans les pays que l'on considère traditionnellement comme prioritaires, c'est-à-dire les pays pauvres de l'Afrique subsaharienne, à un hiatus croissant entre les ambitions affichées et les moyens dont disposent les acteurs de terrain pour poursuivre leur action en faveur du développement.

Vos rapporteurs ont souhaité s'attarder sur ce point en considérant la situation des 14 pays prioritaires de la coopération française pour bien comprendre les processus en cours.

A. SUR LE TERRAIN : UN SENTIMENT DE DÉCLIN DE LA COOPÉRATION FRANÇAISE

Un des paradoxes de la situation actuelle est le fait que l'Afrique subsaharienne est la zone dans laquelle les acteurs de terrain ont le sentiment le plus fort d'une diminution de leurs moyens, alors même que jamais auparavant cette zone n'a fait l'objet de tant d'indicateurs de concentration.

En effet, le document-cadre de coopération comme le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD indiquent que « l'Afrique subsaharienne est la première des priorités de la politique de coopération ». Il est ainsi prévu que « dans cette géographie, les interventions les plus concessionnelles se concentreront préférentiellement sur les pays pauvres prioritaires » 27 ( * ) .

Cette priorité se traduit par un objectif de consacrer 60 % de l'effort financier de l'Etat à l'ensemble de l'Afrique subsaharienne, 50 % des dons consacrés aux pays pauvres prioritaires définis par le CICID à cette même région et au sein des dons aux pays pauvres prioritaires, 50 % aux pays sahéliens (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad).

Or en dépit de cette volonté de concentration, que l'on considère l'APD dans son ensemble, ou seulement l'aide programmable, voire les seuls dons programmables destinés à l'Afrique subsaharienne, on constate que les derniers chiffres disponibles sont bien à la baisse ces 5 dernières années.

Dons programmables, en millions $

2006

2007

2008

2009

2010

Bénin

55

36

48

38

38

Burkina Faso

120

104

130

71

58

Centrafricaine, Rép.

20

43

18

18

12

Tchad

28

27

26

33

31

Comores

10

7

11

14

12

Congo, Rép. dém.

11

13

16

19

17

Ghana

30

49

54

61

45

Guinée

16

28

23

17

19

Madagascar

80

115

71

76

71

Mali

65

79

68

62

65

Mauritanie

26

31

24

26

32

Niger

73

45

54

47

37

Sénégal

222

106

136

93

111

Togo

21

19

26

30

18

Total 14 PPP 28 ( * )

776

702

705

605

566

Si l'on poursuit plus loin l'analyse en se concentrant sur l'effort financier de l'État qui comprend à la fois le coût des bonifications des prêts et le coût des subventions ou si l'on considère les seules subventions, le constat est identique : une diminution des moyens en valeur absolue.

Dons, en millions $

2006

2007

2008

2009

2010

Total France

7 926

8 691

9 292

9 677

9 512

Pays pauvres prioritaires (14 PPP)

996

925

824

724

688

Part dons 14 PPP/total dons France

13%

11%

9%

7%

7%

Pays pauvres prioritaires (17 PPP) 29 ( * )

1 089

1 006

897

782

755

Source : CAD de l'OCDE

En effet, malgré des taux de concentration croissant vers l'Afrique avantageux, on ne peut que constater la diminution des moyens en subventions.

Si on considère maintenant plus avant les subventions issues des programmes 209 et 110, consacrées aux 14 pays pauvres prioritaires, celles-ci passent de 219 millions en 2005 à 158 millions en 2009.

Évolution de l'aide bilatérale française consacrée aux 14 pays pauvres prioritaires et octroyée sous formes de subventions sur la période 2005-2009 30 ( * )

2005

2006

2007

2008

2009

Subventions projets

161

176

145

71

112

FSP

29

23

31

25

9

Aide budgétaire globale

29

57

24

10

37

TOTAL 14 pays pauvres prioritaires

219

256

200

106

158

En % du total des subventions

49%

48%

39%

32%

52%

Pour rappel : total subventions

443

538

519

331

306

Source : MAEE

Votre commission estime que les montants actuels de crédits pour les dons-projets ne sont plus cohérents avec les ambitions en matière de périmètre géographique.

L'AFD continue à la demande des pouvoirs publics d'intervenir dans un nombre important de pays avec des moyens de plus en plus limités.

La situation est criante dans les 14 pays dit prioritaires qui ne sont pas en mesure de s'endetter et dans lesquels la faiblesse des montants disponibles en subvention pose un problème de crédibilité.

Ainsi, en Guinée-Conakry, au Bénin, au Burundi, en RCA, les engagements de l'AFD se situent entre 1 et 3 millions d'euros.

Le sentiment de décalage entre nos ambitions et nos moyens vient sans doute de ce chiffre : 150 millions de subventions pour 14 pays prioritaires revient à consacrer en moyenne 10 millions d'euros de subvention par an à chaque pays et ce, alors même que nous affichons une aide au développement d'un montant supérieur à 10 milliards d'euros.

A l'origine d'une expression souvent entendue par vos rapporteurs selon laquelle la France continue d'avoir les ambitions des Etats-Unis avec le budget du Danemark, il y a ce chiffre 150 millions d'euros de subventions aux 14 pays prioritaires sur 10 milliards d'APD déclarés, soit un millième : une priorité toute relative.

Comme le souligne la revue à mi-parcours de l'aide au développement française par le CAD, il y a une contradiction entre les objectifs de la coopération française et l'évolution des dons de plus en plus préoccupante : « Les cinq secteurs sur lesquels la France veut se concentrer, d'après la décision du CICID, sont des secteurs dont la plupart sont susceptibles d'être appuyés par des dons, et ne se prêtent pas facilement aux prêts, puisqu'ils ne sont pas des secteurs productifs. Pourtant, la France a réduit ses dons. Ceci pose un défi pour la mise en oeuvre de la nouvelle stratégie de la France et le ciblage sur les PMA qu'elle a proposé . »

M. Serge Michailof, consultant international, enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris, ancien directeur régional à la Banque mondiale, a estimé devant la commission que « nous sommes sans moyens d'action effectifs pour répondre à nos préoccupations propres, qu'il s'agisse d'intervenir dans des pays pauvres où nous avons des enjeux géopolitiques, comme ceux du Sahel, ou sur des thématiques importantes, comme le développement rural pour lequel nous avons une expertise ancienne avérée ».

Il s'agit moins d'interroger le volume global du budget de l'aide au développement qui est relativement stable, que de s'inquiéter de voir que sur une mission de 3,5 milliards d'euros, l'allocation des ressources soit à ce point en contradiction avec les priorités.

Ce constat que votre commission a effectué depuis quelques années a été confirmé par les travaux du bilan évaluatif de la politique de coopération française au développement entre 1998 et 2010 que votre rapporteur a suivis. L'équipe en charge de l'évaluation a souligné en effet qu' « au-delà des objectifs en termes de moyens, le respect de la priorité africaine pose questions en termes d'adéquation entre les instruments mobilisés et la recherche de concentration vers les pays pauvres prioritaires retenus dans le document-cadre (DCCD). »

L'effet conjugué du maintien de la priorité à l'Afrique subsaharienne et de la baisse importante de l'enveloppe de crédits de subvention alloués à l'AFD (dons projets, ABG, conversion de dette sous forme des C2D) oblige à un recours croissant à l'instrument de prêts dans cette zone. Or, à l'exception du Ghana pour lequel la plupart des engagements sont opérés sous forme de prêts, les autres pays pauvres prioritaires de la coopération française sortent d'un processus de désendettement et sont inéligibles aux prêts, conduisant à réorienter l'aide française, accordée sous forme de prêts, vers des pays africains « non prioritaires », tels que l'Afrique du Sud, le Kenya ou la Côte d'Ivoire.

En effet, si l'AFD a réussi à concentrer 60 % de l'effort financier de l'AFD en Afrique subsaharienne en 2010, les pays pauvres prioritaires n'en concentrent que 25 %.

B. UN SENTIMENT DE DÉCLIN RENFORCÉ PAR LA PRÉSENCE CROISSANTE DES PAYS ÉMERGENTS

Votre commission souhaite souligner que les difficultés qu'éprouve la France à financer une coopération à la hauteur de ses ambitions arrivent à un moment où l'Afrique fait l'objet de toutes les convoitises de la part de nouveaux acteurs que sont les pays émergents.

Si la France n'est plus depuis longtemps seule en Afrique Francophone, il est frappant de constater ces dernières années la croissance du partenariat qui est en train de se nouer entre les pays émergents et les pays africains.

La coopération française en Afrique est en effet depuis longtemps habituée à la présence d'une coopération britannique active, à une intervention très massive des États-Unis, à des coopérations très sélectives des pays européens du Nord.

Mais aujourd'hui, la coopération française doit faire face à des acteurs nouveaux qui ont parfois des liens historiques forts avec l'Afrique comme la Chine ou l'Inde ainsi qu'avec des nouveaux acteurs de la coopération internationale que sont le Brésil, les pays du golfe ou la Turquie.

1. La coopération française doit faire face en Afrique à des pays qui ont des liens historiques forts avec l'Afrique, comme la Chine ou l'Inde, ainsi qu'avec des nouveaux acteurs de la coopération internationale que sont le Brésil, les pays du Golfe ou la Turquie.

Les pays émergents sont en passe de devenir des partenaires économiques majeurs de l'Afrique. C'est le cas en matière de commerce. Entre 2000 et 2009, les échanges de l'Afrique (les importations et les exportations) ont plus que doublé, passant de 247 à 629 milliards. Au début de la décennie, les partenaires « traditionnels » de l'Afrique, principalement l'Amérique du Nord et l'Europe, représentaient 77 % de ces échanges ; en 2009, leur part était tombée à 61,5 %. Au cours de la même période, celle des partenaires « émergents » est passée de 23 % à 38,5 %.

L'Afrique est en train ainsi d'accroître son intégration dans l'économie mondiale et de diversifier ses partenariats à une vitesse sans précédent.

En 2009, la Chine a dépassé les États-Unis et est devenue le principal partenaire commercial de l'Afrique ; la part des échanges de l'Afrique avec les pays émergents a sensiblement augmenté au cours des dix dernières années, passant de 23 % à 39 %. Les cinq pays émergents partenaires de l'Afrique les plus importants sont dorénavant la Chine (38 %), l'Inde (14 %), la Corée (7,2 %), le Brésil (7,1 %) et la Turquie (6,5 %).

Les pays émergents sont également en train de devenir des partenaires majeurs de l'Afrique en matière de coopération.

Ainsi, dans ses perspectives économiques en Afrique, « L'Afrique et ses partenaires émergents », l'OCDE considère que l'aide au développement de la Chine en Afrique subsaharienne est aujourd'hui supérieure à celle de la France.

Sur l'ensemble du continent, les engagements financiers de la Chine seraient passés de moins de 1 milliard de dollars en 2004 à plus de 8 milliards de dollars en 2008.

Les partenariats que nouent la Chine ou l'Inde avec les pays africains associent une aide traditionnelle avec un soutien aux exportations sans s'imposer les mêmes règles que celles qui prévalent dans le cadre du CAD.

Cette situation présente un intérêt financier important pour les pays africains mais suscite des difficultés, notamment pour les entreprises françaises qui sont tenues par des engagements en matière de responsabilité environnementale et sociale, et parfois également pour les entreprises locales.

Pour la France, cette évolution doit être appréciée au regard de nos objectifs de solidarité mais aussi d'influence.

Les intérêts stratégiques français aujourd'hui en jeu en Afrique sont nombreux en termes d'indépendance énergétique, de conquête de marchés par nos entreprises, de promotion de la pratique de la langue française, de préservation de notre influence, de lutte contre le crime organisé et le terrorisme ou de protection de nos ressortissants expatriés.

Un relâchement de notre effort de coopération laisserait pleinement la voie à ses nouveaux partenaires pour « sortir la France et l'Europe du continent africain » alors même que nous avons une intimité forte avec ce continent et des atouts remarquables.

2. Des opportunités pour des coopérations triangulaires ?

Dans un contexte financier tendu, il convient de développer des échanges et des collaborations bilatérales sur l'Afrique avec le maximum d'Etats, européens ou non.

Bien qu'elles soient difficiles à mettre en oeuvre, des coopérations triangulaires devraient être favorisées en collaboration avec des partenaires sans passé colonial (Canada, Australie...) et avec les émergents démocratiques (Afrique du Sud, Brésil, Inde).

La présence accrue des pays émergents en Afrique constitue une opportunité pour développer des coopérations triangulaires.

On peut espérer que les pays émergents augmentent progressivement le pourcentage du revenu national qu'ils consacrent à l'aide au développement, à l'image de la Corée du Sud qui s'est distinguée en s'engageant à tripler le pourcentage du RNB réservé à l'aide publique au développement d'ici 2015.

Outre ces aides financières toujours plus importantes, ces pays peuvent apporter une précieuse contribution, grâce à leur expérience et à leurs compétences pour résoudre les problèmes les plus complexes liés à la pauvreté. Ayant suivi le processus de développement avec succès, ces pays ont une connaissance approfondie des besoins des pays pauvres et les capacités techniques d'innovation pour répondre à ces besoins.

L'adhésion de la Corée au Comité d'aide au développement de l'OCDE est, à cet égard, un événement significatif. En quelques décennies, un pays dévasté et appauvri par la guerre est passé du statut de bénéficiaire de l'aide à celui de donneur après avoir reçu 13 milliards de dollars d'aide. Elle est aujourd'hui un des plus fervents soutiens à la coopération Sud-Sud mais aussi à des coopérations triangulaires.

Le rapport de M. Bill Gates aux membres du G20 en 2011 cite à cet égard de nombreux exemples de coopération triangulaire réussis : « le Serum Institute of India a récemment mis au point un vaccin pour la méningite A, le tout premier vaccin créé spécialement pour les pays pauvres. Pour le fabriquer au prix cible de 50 cents la dose, l'institut s'est procuré les matières premières auprès d'une société biotechnologique néerlandaise et a organisé un transfert de technologie à partir de la Food and Drug Administration des États-Unis. Ce processus a commencé lorsque des responsables africains ont demandé un moyen plus efficace pour lutter contre les épidémies de méningite. Les secteurs privé et public dans les pays industrialisés et à croissance rapide ont négocié une solution mutuellement avantageuse pour faire face à ce défi ».

De ce point de vue, il existe des opportunités pour des partenariats triangulaires entre les pays émergents, des donateurs traditionnels comme la France et des pays pauvres.

Jusqu'à présent, ces partenariats triangulaires ont concerné des transferts de ressources relativement modestes, mais à long terme, ils offrent des opportunités pour une coopération coordonnée au bénéfice des plus pauvres et ouvrent la voie vers un meilleur partage du financement de l'aide au développement. Aujourd'hui, en effet, l'Europe représente 60 % de l'APD mondial pour 30 % du PIB mondial.

C. UN SENTIMENT DE DÉCALAGE QUI S'EXPLIQUE EN PARTIE PAR LA FAIBLE VISIBILITÉ DES CONTRIBUTIONS FRANÇAISES AUX INSTITUTIONS MULTILATÉRALES ET UNE FORTE DISPERSION DE L'AIDE BILATÉRALE

Lorsque vos rapporteurs évoquent ce sentiment de décalage entre les ambitions de coopération et la réalité de ses moyens, il leur a souvent été répondu qu'il fallait intégrer dans l'effort français la part des interventions multilatérales imputables à la France au titre de ses contributions dans chaque pays.

Nul doute que le poids croissant des crédits de ce budget qui transite par des opérateurs multilatéraux a limité les moyens sur le terrain laissés à l'aide bilatérale.

1. Le choix du multilatéral suppose de renoncer à une forme de visibilité de l'aide française

Une des évolutions structurant de ces dix dernières années est en effet l'accroissement de la part de l'aide française passant par des canaux multilatéraux que cela soit en pourcentage de l'aide ou en valeur absolue.

Or sur le terrain, les crédits que la France attribue aux organisations multilatérales, que cela soit la Banque mondiale, le Fonds Européen de Développement ou tout autre organisme, ne sont pas perçus par nos partenaires comme participant à l'effort français d'aide au développement.

Vos rapporteurs ont pu constater sur le terrain, au Mali ou à Madagascar, que jamais, lors de l'inauguration de projets financés par la Banque mondiale ou par un opérateur communautaire, il n'est rappelé que ces institutions sont financées par des contributions nationales et que la contribution de la France est parmi les plus importantes.

Le choix du multilatéral qui a été fait pendant de nombreuses années s'est donc mécaniquement traduit par une moindre lisibilité de la France dans les projets de coopération.

Le graphique suivant illustre aisément, dans un pays comme le Mali qui peut être considéré comme un pays emblématique de l'Afrique subsaharienne, la diminution, au cours des dix dernières années, de l'APD bilatérale française et l'augmentation parallèle des crédits multilatéraux que l'on peut imputer à la France au regard de ses contributions aux différents institutions multilatérales.

On constate alors que l'effort global de la France au Mali augmente de 2002 à 2009. Malgré cela, la perception que les acteurs locaux peuvent avoir de cette aide est en diminution, car la seule aide visible, c'est-à-dire l'aide bilatérale, est elle-même en diminution.

Source OCDE chiffre hors allégement de dette en millions de dollars US

Le cas du Mali est à l'image des 14 pays prioritaires. Dans l'ensemble des pays prioritaires, l'aide multilatérale imputable à la France est égale à l'aide bilatérale et trois fois supérieure aux subventions.

Répartition des instruments d'APD par zones d'intervention (DPT 2013)

APD nette, en millions d'euros dans les 14 pays prioritaires.

2006

2007

2008

2009

2010

Aide multilatérale imputée

418

352

425

556

619

APD bilatérale totale nette

814

787

710

592

643

Subventions.

271

246

243

205

199

2. La France pèse-t-elle sur la programmation des institutions multilatérales ?

On peut certes considérer que la visibilité de l'aide française est secondaire par rapport à l'efficacité des actions menées.

La visibilité de la coopération française correspond à un objectif politique de rayonnement et d'influence qui est, après tout, secondaire par rapport aux objectifs qui relèvent à proprement parler du développement.

Dans cette perspective, le choix de l'instrument multilatéral présente les avantages que l'on connaît en matière d'économie d'échelle, d'expertise et de neutralité politique.

Dès lors se pose la question de l'évaluation de l'efficacité des différentes contributions multilatérales françaises. Pourquoi donner telle somme à telle institution et une autre somme à une autre institution. Selon quels critères les pouvoirs publics font-ils leur choix ?

La récente évaluation de la coopération sur les dix années passées souligne que « La France ne dispose pas d'une stratégie générale de coopération multilatérale formalisée et ne précise pas selon quels critères sont définis les niveaux de dotations aux différentes institutions ».

Il est vrai que seules deux stratégies spécifiques sur les relations de la France avec la Banque mondiale et avec l'Union européenne ont été récemment élaborées à la suite des préconisations de la RGPP, du CAD de l'OCDE et du CICID du 5 juin 2009.

L'évaluation estime que « Le positionnement de la France vis-à-vis des différents acteurs multilatéraux semble peu ciblé, et il n'existe pas de liste de critères bien établie permettant d'avoir une grille d'analyse de cohérence des contributions multilatérales de la France . ».

Il est vrai que la définition de ces critères n'a rien d'évident. On peut toutefois distinguer trois types de critères : des critères d'efficacité liés à la capacité de ces organismes à atteindre les objectifs de développement, des critères d'efficience mesurant le niveau des dépenses utilisées pour atteindre ces objectifs et notamment des dépenses d'administration, et enfin des critères relatifs à la cohérence de la programmation de ces organismes avec les objectifs géographiques et sectoriels de la politique française de coopération.

Votre commission constate au regard des documents budgétaires qui lui sont fournis et les réponses au questionnaire budgétaire qui lui ont été envoyées que c'est le critère relatif à la cohérence des programmations avec les priorités géographiques de l'aide française qui semble guider les décisions d'attribution des dotations aux institutions multilatérales.

Les documents budgétaires relatifs à la mission « aide au développement » ne retiennent que ce dernier critère relatif à la cohérence des programmations avec les objectifs français.

Comme le souligne le projet annuel de performance « S'assurer que les crédits affectés aux banques et aux fonds multilatéraux soient utilisés en cohérence avec les priorités géographiques françaises est un sujet central pour la mise en oeuvre du programme ».

L'indicateur retenu pour cet objectif permet d'apprécier la sélectivité géographique de l'aide multilatérale sur les périmètres qui ont une importance particulière pour la France : l'Afrique subsaharienne et les Pays les moins avancés (PMA). Dans certaines instances comme la Banque mondiale, l'Afrique en tant que destinataire de l'aide est, en effet, en concurrence avec d'autres continents, comme l'Amérique du Sud, qui sont moins stratégiques pour la France.

Part des ressources subventionnées des banques multilatérales de développement et des fonds multilatéraux qui sont affectées aux zones géographiques prioritaires

Unité

2009
Réalisation

2010
Réalisation

2011
Prévision PAP 2011

2011
Prévision actualisée

2012
Prévision

2013
Cible

Afrique subsaharienne

%

57,1

56,6

53

53

54

55

PMA

%

52,3

58,4

52

52

54

54

Même si la détermination de cibles pour cet indicateur est rendue délicate par le fait que son évolution est principalement déterminée par les décisions stratégiques des différentes institutions que la France, par définition, ne maîtrise pas totalement, le projet annuel de performance définit un objectif de ciblage géographique de l'aide qui a été fixé, pour 2013, à 55 % sur l'Afrique subsaharienne et 54 % sur les PMA.

Ces chiffres relativement positifs laissent à penser que la stratégie française d'investissement dans les fonds multilatéraux afin d'orienter leur programmation vers l'Afrique porte ses fruits, même si le niveau de développement de nombre de pays africains en fait naturellement des cibles de la solidarité internationale. L'AID a pour objet principal d'aider les PMA. L'Afrique concentre la majorité des PMA. Le fait que la programmation de l'AID soit orientée vers l'Afrique constitue de ce fait moins le produit d'une stratégie française que le résultat mécanique de ces deux facteurs.

Afrique subsaharienne

Pays les moins avancés

Institution

Année

Montant en M€

%

Montant en M€

%

Agence internationale de développement

(Banque mondiale)

2009

4 195,50

57,81%

3 582,50

49,36%

2010

3 803,30

57,69%

3 813,90

57,85%

Fonds africain de développement

(Banque africaine de développement)

2009

1 064,97

100,00%

797,58

74,89%

2010

1 085,66

100,00%

825,85

76,07%

Fonds asiatique de développement

(Banque asiatique de développement)

2009

-

870,48

53,09%

2010

-

897,00

49,39%

Fonds des opérations spéciales et Facilités de financement intermédiaire (Banque interaméricaine de développement)

2009

-

87,61

61,12%

2010

-

189,51

69,41%

Fonds international de développement agricole

2009

161,22

54,35%

207,83

70,06%

2010

231,98

58,57%

247,71

62,54%

Fonds pour l'environnement mondial

2009

38,62

7,99%

61,47

12,71%

2010

17,43

5,36%

24,37

7,49%

Fonds multilatéral du protocole de Montréal

2009

6,76

10,61%

5,51

8,65%

2010

5,23

7,68%

5,79

8,50%

Il reste que la priorité française pour l'Afrique francophone n'est pas partagée par l'ensemble des actionnaires de la Banque mondiale. D'une part, certains actionnaires comme les Etats-Unis n'ont pas cette proximité géographique avec l'Afrique et s'orientent plus volontiers vers l'Amérique du Sud. D'autre part, même des actionnaires européens comme l'Allemagne ou la Grande-Bretagne peuvent avoir des préférences pour d'autres régions comme les Balkans ou l'Afrique anglophone.

Le résultat évoqué est donc positif, mais il contraste cependant avec de nombreux témoignages d'acteurs de la coopération qui soulignent la difficulté pour les Français de faire valoir leur position en faveur de l'Afrique francophone dans les institutions multilatérales qu'elles financent. De ce point de vue, l'indicateur utilisé ne permet pas de savoir vers quelle Afrique s'orientent ces flux.

3. La coopération européenne est-elle encore l'avenir de la coopération française ?

En termes de visibilité et de coordination, un sort particulier semble devoir être fait à l'aide transitant par les canaux européens. En effet, contrairement à l'action menée, par exemple, par la Banque mondiale, l'action menée par l'Union européenne participe d'une politique étrangère de l'Union qui constitue une communauté politique avant d'être une entité administrative.

À ce titre, la politique de coopération européenne aurait vocation à porter une part de l'action de la France. C'est tout du moins la vision qu'on peut avoir de la construction européenne.

De ce point de vue, l'Union européenne a longtemps constitué un horizon souhaitable de mise en commun des moyens des différentes politiques de coopération.

D'un point de vue quantitatif, l'Union Européenne, à travers la commission et le FED constitue 20 % de notre aide au développement et plus 50 % de l'aide multilatérale.

Prévision d'APD part de l'Europe

Principaux types d'activités d'aide au développement

2011

2012

2013

2014

2015

Aide bilatérale

6 130

6 676

6 634

6 484

7 262

Aide multilatérale

3 254

3 029

3 192

4 048

3 654

aide européenne

1 742

1 554

1 662

2 526

2 076

aide multilatérale (hors UE)

1 512

1 475

1 530

1 522

1 578

Total

9 384

9 705

9 826

10 531

10 916

Part de l'aide européenne dans l'APD

19%

16%

17%

24%

19%

L'Union et les Etats membres 31 ( * ) assurent ensemble près de 55 % de l'APD mondiale alors qu'ils ne représentent que 30 % du PIB mondial. C'est un engagement majeur de l'Europe qui représente chaque année 52 milliards d'euros (source : CAD de l'OCDE) sur les 96 milliards totaux de l'APD mondiale ce qui fait de l'Union le premier bailleur de fonds aux pays en développement.

Avec un tel poids, l'Europe pourrait devenir un acteur incontournable du développement et un acteur politique majeur du dialogue Nord Sud.

Parce que les gouvernements successifs, depuis dix ans, ont été convaincus de l'opportunité et de la valeur ajoutée d'une action européenne en matière de développement, la France a fait le choix d'inscrire sa politique d'aide au développement dans un cadre européen et a toujours oeuvré pour l'affirmation de cette compétence de l'Union. Le quart de son aide publique au développement transite par le canal européen et la Commission européenne met aujourd'hui en oeuvre près de la moitié de ses dons programmables.

L'aide française transitant par un canal européen correspond à deux contributions de grandeurs voisines, financées par des mécanismes différents :

- la contribution au Fonds Européen de Développement (FED) ;

- la contribution française au budget communautaire.

Principales contributions nettes de la France aux organisations multilatérales, comptabilisées en APD

en millions d'euros

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

(LFI)

PLF

Union européenne

FED

698

777

837

909

686

576

694

Budget communautaire

877

975

1 245

1 100

1 056

978

968

Total

1 575

1 753

2 083

2 009

1 742

1 554

1 662

Banque mondiale (BM)

395

379

454

658

493

462

468

Banque Africaine de Développement (BAfD)

126

137

129

132

141

141

141

Banque Asiatique de Développement (BAsD)

30

30

24

24

36

24

23

Banque interaméricaine de développement

8

7

7

Fonds Monétaire International (FMI)

-23

28

587

247

-5

196

198

Organisations des Nations unies (ONU)

172

190

188

192

153

163

169

Fond Mondial pour la Lutte contre le Sida, la Tuberculose, et le Paludisme (FMLSTP)

286

300

300

300

360

360

360

Facilité Internationale pour le Financement de la vaccination (IFFIm)

20

41

43

45

48

51

54

Fonds pour l'Environnement Mondial (FEM)

34

34

35

34

64

64

34

Sources : Versements déclarés au titre de l'APD brute au CAD de l'OCDE pour les années 2006-2011 (versements nets pour le FMI). Montants inscrits en loi de finances pour 2012 et en prévision du PLF 2013.

Vos rapporteurs aspireraient à ce que ces sommes conjuguées à celles des autres membres puissent être gérées de façon conjointe dans des programmations concertées.

Chacun peut rêver d'une Europe qui offre à la France la possibilité d'exercer, dans les pays où du fait de son histoire une valeur ajoutée lui est reconnue, un effet démultiplicateur lié à la capacité financière de l'Union européenne et de ses Etats membres, quitte à déléguer à d'autres le soin de gérer des actions financées conjointement dans d'autres pays.

Or, ce que vos rapporteurs constatent aussi bien à Bruxelles que sur le terrain ne correspond pas pour l'instant à ces attentes.

A Bruxelles, les montants mis en oeuvre par la Commission au titre de l'aide sont répartis entre onze instruments dont le Fonds européen de développement (FED), l'instrument de coopération au développement (ICD), l'instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP). Les actions en matière d'aide au développement étant une compétence partagée entre la Commission et les Etats membres, chacun continue d'intervenir à titre bilatéral parallèlement à leur action commune mise en oeuvre par la Commission européenne, sans que la cohérence de l'ensemble soit assurée.

Certes le traité de l'Union consacre pour la première fois l'objectif de réduire la pauvreté et inscrit cet objectif au coeur de l'action étrangère de l'Union.

Il précise que l'Union et ses Etats membres « coordonnent leurs politiques en matière de coopération au développement et se concertent sur leurs programmes d'aide, y compris dans les organisations internationales et lors des conférences internationales ». Il confie enfin à la Commission le soin de prendre toute initiative utile pour promouvoir cette coordination.

Mais force est de constater que, sur le terrain, les représentations de l'Union agissent encore très largement comme un bailleur de fonds additionnel qui est quelque part étranger aux Etats qui pourtant les financent. De ce point de vue, nos pays partenaires ont bien du mal à comprendre que l'action financée par l'Union européenne est en partie imputable à la France.

Nous attendons toujours l'avènement d'une politique étrangère européenne avec son corollaire, une coopération internationale puissante innovatrice et efficace.

Vos rapporteurs n'ignorent cependant pas les progrès importants qui ont été menés récemment pour accroître la division du travail, mettre en place des programmations conjointes, ainsi qu'instaurer des délégations de gestion. Ils s'en félicitent.

Les cinq dernières années ont permis de progresser dans la constitution d'une politique européenne de développement plus intégrée. Deux textes fondamentaux ont été adoptés : le Consensus européen (2005) et le Code de conduite sur la complémentarité et la division du travail (2007). Le Consensus constitue une avancée majeure dans l'affirmation d'une stratégie européenne en s'adressant pour la première fois aux politiques bilatérales et à la politique de l'Union en matière de coopération au développement. La « programmation conjointe » des interventions de la Commission et des Etats membres, actuellement privilégiée par la Commission, ne fait cependant l'objet que d'un début d'expérimentation depuis 2011 en Haïti et au Sud-Soudan.

Aussi, pour l'instant, sur le terrain, les actions concertées sont-elles avant tout le fruit d'initiatives individuelles plus que de procédures bien instituées.

Vos rapporteurs ont constaté au Mali que les déjeuners mensuels des chefs d'agence avaient une efficacité bien plus élevée que toutes les déclarations de principe. En revanche, à Madagascar, la France et l'Union européenne ont mené des politiques parfois contradictoires dans un pays qui s'enfonce dans la misère.

L'Afrique est la première région de la coopération européenne . Elle bénéficie de 43% de l'APD totale (4,2 Mds€, dont 86% pour l'Afrique sub-saharienne) et 77% du FED en 2010.

Mais force est de constater que les 17 pays pauvres prioritaires (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Djibouti, Ghana, Guinée, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Tchad, Togo) de la coopération française , pour leur part, n'ont bénéficié que de 30% des décaissements du FED en 2010, soit 13% de l'aide au développement totale de l'UE.

A bien des égards, le Consensus européen doit être précisé et élargi dans son contenu, qu'il soit décliné en stratégies sectorielles et régionales partagées pour répondre aux défis qui peuvent dépasser l'échelle des politiques bilatérales et qui nécessitent une action consolidée et coordonnée.

Il est probable qu'à l'avenir la politique européenne de développement devienne un instrument de coordination et de complémentarité entre l'ensemble des politiques de coopération des Etats membres.

En cela, la politique européenne de coopération constitue bien toujours un horizon de la politique française de développement. Il semble en revanche qu'il est inenvisageable qu'elle s'y substitue.

Des stratégies communes et une répartition du travail en fonction des avantages comparatifs de chacun devrait à terme se mettre en place entre la Commission européenne et les agences des différents états membres.

In fine , au fur et à mesure que la politique étrangère de l'Union s'affirmera comme porteuse d'un message commun à ses membres et visible sur la scène internationale, vos rapporteurs souhaitent que cette politique européenne d'aide au développement puisse être également perçue comme un des éléments de la politique française de coopération.

Vos rapporteurs souscrivent à l'idée évoquée par le ministre du développement « il faut assumer le fait que nous sommes aussi représentés par le drapeau européen » 32 ( * ) . Encore faut-il que ce drapeau puisse être l'étendard d'une politique affirmée cohérente et lisible.

4. Le prochain CICID devrait revoir l'articulation entre les différentes zones d'intervention de la coopération française

Une des raisons du décalage entre les chiffres de l'APD annoncés au niveau mondial et la perception qu'en ont les acteurs de terrain est liée à la dispersion de notre action sur un nombre important de pays.

Si l'on considère en effet l'AFD, on observe que l'opérateur pivot de la coopération française intervient dans une soixantaine de pays.

Alors, certes, de nombreux indicateurs de concentration insérés, aussi bien dans le document-cadre de développement que dans le contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence française de développement, ont permis de définir le cadre d'intervention cohérent avec les priorités géographiques de la coopération française.

C'est notamment le sens de la définition des 14 pays prioritaires et des agrégats de concentration sur l'Afrique subsaharienne.

Cibles de répartition de l'aide bilatérale française par partenariats différenciés

Afrique

Pays

Méditerranéens

Pays

Émergents

Pays en crise

(gestion des crises et post-crise, hors prévention)

Afrique subsaharienne

14 PPP 33 ( * ) b

Subventions

Cibles

> 50 %

10 %

Effort financier

Cibles

> 60 %

20 %

<10 %

Contrat d'objectif et de moyens de l'AFD

Indicateurs

Réalisé
2005

Réalisé
2006

Réalisé
2007

Réalisé
2008

Réalisé 2009

Cible 2013

1) Part de l'effort financier de l'Etat (subventions, coût-Etat des prêts, C2D, ABG) consacrée à l'ensemble de l'Afrique subsaharienne

59%

74%

63%

54%

57%

> 60%

2) Part des dons (subventions et ABG) consacrée aux pays pauvres prioritaires définis par le CICID

59%

57%

42%

33%

55%

> 50%

3) Au sein des dons (subventions et ABG) aux pays pauvres prioritaires, part consacrée aux pays sahéliens

57%

63%

57%

62%

61%

> 50%(de l'indicateur 2)

Ces agrégats de concentration n'ont pas la même signification si l'on considère les autorisations d'engagement général qui comportent des prêts sans bonification ou l'effort budgétaire.

La stratégie annoncée par le gouvernement déclinée dans le document cadre de coopération est de concentrer l'effort budgétaire sur les zones prioritaires et de développer l'activité de l'AFD dans des zones périphériques sans coût État.

Dans un contexte de restrictions budgétaires, on peut être tenté de réduire encore la concentration des efforts de la coopération française afin d'éviter l'effet de saupoudrage de plus en plus sensible sur les subventions. La question porte alors sur la nature des dépenses qui devraient faire l'objet de cette concentration.

Faut-il réduire encore la liste des pays prioritaires ? Quand on aboutit à consacrer 10 millions de subventions bilatérales par pays prioritaires, il faut sans doute renforcer la concentration.

C'est bien le contraire qui a été effectué puisque le nombre des pays prioritaires est passé de 14 à 17 sans que la pertinence de cette ouverture ne semble manifeste.

Votre commission regrette cet élargissement à un moment où les budgets de la coopération ne permettent pas d'élargir nos priorités.

Là encore, la mise en place de programmation conjointe avec nos partenaires européens et la commission prendra tout son sens et permettrait de renforcer la concentration sur des pays où la France a une expertise particulière.

Comme l'a souligné le ministre du développement « Dans un pays aussi grand que l'Ethiopie, la France seule ne peut pas faire concurrence à la Chine. Seule l'Europe a la dimension suffisante pour être un acteur comparable à la Chine. ».

Faut-il de nouveau limiter le nombre de pays dans lequel l'AFD peut intervenir ?

La zone d'intervention de l'AFD, à laquelle font directement référence ses statuts (art. 516-5 du code monétaire et financier), est la Zone de solidarité prioritaire (ZSP), dont la composition est déterminée par le CICID et qui comprend 55 pays, dont 40 situés en Afrique subsaharienne. Mais au cours des dernières années, le champ d'intervention de l'AFD s'est progressivement étendu au-delà de la ZSP. Suite aux CICID de 2002, 2006 et 2009 ainsi qu'aux réunions du Conseil d'orientation stratégique de l'AFD de juin 2011 et mars 2012, l'AFD a progressivement été autorisée à intervenir dans l'ensemble des pays africains (y compris la Libye), dans quatre pays de la Méditerranée hors Afrique (Égypte, Jordanie, Syrie, Turquie), quatorze pays d'Asie (Chine, Indonésie, Thaïlande, Inde, Pakistan, Sri Lanka, Philippines, Kazakhstan, Ouzbékistan, Bangladesh, Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan et Birmanie) et trois pays d'Amérique latine (Mexique, Colombie, Brésil).

On peut en effet estimer que la diversification géographique de l'AFD conduit l'agence, d'une part, à disperser ses moyens de fonctionnement et, d'autre part, a inévitablement utiliser des moyens budgétaires pour bonifier certains de ces concours dans les pays qui ne seraient pas autrement considérés comme prioritaires.

On peut, à l'inverse, estimer qu'encadrées comme elles le sont, les interventions de l'AFD ont un coût budgétaire limité par rapport aux avantages qu'elles procurent en termes de rayonnement et que, de surcroît, elles permettent à l'AFD de diversifier ses risques et de dégager une marge bancaire appréciable pour financer les activités non rentables de l'agence.

Il est aujourd'hui très difficile de comprendre dans quelle mesure le développement de ses activités en Asie constitue une charge supplémentaire pour l'agence ou une source de revenus ? Certains éléments d'appréciation seront discutés dans la partie consacrée à l'AFD.

A l'heure où deux évaluations successives soulignent « une capacité de plus en plus limitée à orienter les crédits vers les axes prioritaires de la politique d'aide française » 34 ( * ) , la question des périmètres d'intervention de chaque instrument doit être posée.

Le prochain CICID devrait revenir sur la définition des pays prioritaires, de la ZSP 35 ( * ) des partenariats différenciés et du champ d'intervention de l'AFD, pour d'une part, introduire plus de cohérence et de lisibilité dans l'articulation entre les différents zonages et d'autre part s'interroger sur le degré de concentration optimal en fonction des instruments. Il devrait pour se faire s'appuyer sur un bilan de l'extension du champ géographique d'intervention de l'AFD.

On observe en effet par exemple, que des pays comme le Vietnam, le Laos ou Cuba figurent dans la ZSP, mais ne sont plus pris en compte dans l'une ou l'autre des catégories du partenariat différencié.

Que des pays comme l'Égypte ne font pas partie de la ZSP, mais font partie des pays de la Méditerranée en transition qui sont intégrés au partenariat de Deauville et partie prenante du partenariat différencié en direction de la zone Méditerranée.

Il ne s'agit pas seulement de catégories abstraites sans réelle conséquence et d'un problème de pure logique. Ces délimitations ont des conséquences financières et pratiques puisque par exemple les crédits d'études du programme 209 ne concernent que les pays de la ZSP, autrement dit aucune étude préalable à des projets ne peut être financée en Égypte sur les crédits du 209.


* 27 Liste arrêtée par le CICID du 5 juin 2009 : Bénin, Burkina Faso, Comores, Ghana, Guinée Conakry, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République Démocratique du Congo, République Centrafricaine, Sénégal, Tchad, Togo. Cette liste nominative est révisable par décision conjointe des ministres de tutelle, sur proposition du co-secrétariat du CICID.

* 28 La RIM du 20 janvier 2012 a décidé de faire passer le nombre de pays pauvres prioritaires de 14 à 17, incluant désormais le Burundi, Djibouti et le Rwanda.

* 29 En 2012, le gouvernement a décidé de faire passer le nombre de pays pauvres prioritaires de 14 à 17, incluant désormais le Burundi, Djibouti et le Rwanda.

* 30 Subventions projets de l'AFD, fonds de solidarité prioritaires (instrument d'aide-projet du ministère des affaires étrangères) et aides budgétaires globales. Les montants sont exprimés en engagements, en millions d'euros et couvrent les programmes 209 et 110. Les montants octroyés sous forme de C2D (contrats de désendettement et développement) ne sont pas pris en compte dans les subventions. Les montants FSP n'incluent pas les engagements de FSP mobilisateurs dont bénéficient en partie certains des 14 pays pauvres prioritaires ; ces montants sont respectivement de 40 ; 62 ; 48 ; 33 et 9 millions d'euros en 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009.

* 31 Pour mémoire, les premiers bailleurs européens, hors Commission européenne, sont les suivants : Allemagne (10,452 milliards d'euros en 2011 - selon les chiffres préliminaires du CAD de l'OCDE), Royaume-Uni (9,881 milliards d'euros), France (9,345 milliards d'euros), Pays-Bas (4,547 milliards d'euros), Suède (4,032 milliards d'euros).

* 32 Audition du 24 juillet de M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères chargé du développement, cf :http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/

20120723/etr.html#toc6

* 33 Bénin, Burkina Faso, Comores, Tchad, République démocratique du Congo, Ghana, Guinée, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, Sénégal, Togo. Cette liste est révisable par décision conjointe des ministres de tutelle, sur proposition du co-secrétariat du CICID.

* 34 Bilan évaluatif de la politique française de coopération au développement entre 1998 et 2010

* 35 Le concept de ZSP, regroupant 54 pays ayant vocation à recevoir l'aide bilatérale française (à l'exception de la coopération culturelle, scientifique et technique

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