B. UNE RÉORIENTATION INDISPENSABLE DE LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION CLANDESTINE

1. L'inefficacité de la politique de conduite à la frontière

En 2011, la Cour des Comptes relevait que « les flux migratoires irréguliers présentent (...) des spécificités qui rendent leur maîtrise difficile », de sorte que « les résultats sont peu satisfaisants ».

Afin d'endiguer l'immigration clandestine, a été mise en place une politique active de reconduite à la frontière. Toutefois, la situation apparaît hétérogène selon les départements d'outre-mer.

En 2010-2011, la Guadeloupe a connu une diminution de près de 50 % de ses reconduites à la frontière, en raison de la suspension des reconduites en direction d'Haïti à la suite du séisme ayant affecté ce pays en janvier 2010. Depuis juin 2011, selon les informations fournies par le Gouvernement, les éloignements à destination d'Haïti ont repris, ce qui a contribué à relever le niveau des reconduites à la frontière, les reconduites vers Haïti représentant à elles-seules entre 50 et 60 % du total des reconduites à partir de la Guadeloupe.

Comme l'avaient souligné notre collègue Christian Cointat et notre ancien collègue Bernard Frimat, la lutte contre l'immigration clandestine en Guyane représente une priorité de l'action de l'État. Le nombre de reconduites à la frontière dans ce département a atteint, en 2010, le record de 9 000, à comparer aux 4 000 réalisés en 2002.

Le même constat est applicable à Mayotte . Comme l'avaient montré Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et votre rapporteur, 26 405 reconduites à la frontière ont été opérées, représentant 50 % de l'objectif national, pour l'année 2011. En dix ans, l'équivalent de la population mahoraise aurait été expulsé. Or, le coût des reconduites à la frontière est estimé entre 50 millions et 70 millions d'euros par an.

Les trois nationalités dominantes (comorienne, brésilienne et surinamaise) représentent plus de 92 % du volume des éloignements en outre-mer. Mayotte et la Guyane totalisent à elles-seules 95,94 % du total des reconduites.

Toutefois, le problème des « réitérants » a pour effet de fausser les chiffres officiels de reconduites à la frontière. Est qualifiée de réitérante toute personne qui, après avoir été reconduite à la frontière, revient ensuite sur le territoire duquel elle a été expulsée. En Guyane, par exemple, les chiffres sont à relativiser, compte-tenu de la facilité avec laquelle peut revenir un étranger reconduit simplement de l'autre côté du fleuve, à Albina s'il est surinamien ou à Oiapoque s'il est brésilien.

La Cour des comptes, dont votre commission a, à maintes reprises, partagé les conclusions, juge que l'augmentation du nombre de reconduites à la frontière à Mayotte et en Guyane notamment « traduit les difficultés persistantes à maîtriser les entrées irrégulières sur le territoire plus que l'efficacité de la politique menée ; celle-ci, essentiellement fondée sur le renforcement des moyens des forces de sécurité, finit par atteindre ses limites ». En effet, le relèvement des objectifs de reconduite à la frontière et le renforcement des moyens humains de la gendarmerie, de la police et de la police aux frontières n'ont pas entraîné, au cours des dernières années, un tassement des flux migratoires. Au contraire, votre rapporteur estime, à l'instar de la Cour des comptes, que la persistance des flux migratoires clandestins reflète les limites atteintes par cette politique, ce qui nécessite la réorientation de la politique de lutte contre l'immigration clandestine dans les départements d'outre-mer.

Le renforcement des moyens de contrôle de l'immigration clandestine

A Mayotte, la surveillance de l'immigration clandestine par voie maritime est assurée par quatre radars fixes assurant la couverture de près de 100 % du territoire, un cône d'ombre subsistant toutefois dans le sud de l'île. Toutefois, un radar mobile de la Gendarmerie Nationale complète ce dispositif. La police aux frontières de Mayotte dispose également d'un bateau de marine et d'un bateau des douanes. Elle n'a pas pu disposer de ces moyens nautiques pendant plusieurs mois, en raison de leur réparation. Par ailleurs, le nombre d'interceptions marines est fortement corrélé aux conditions météorologiques, ce qui rend plus aléatoire la surveillance des côtes, notamment la nuit et en temps de pluie ou de tempêtes. Un hélicoptère de la Gendarmerie Nationale complète efficacement l'ensemble de ce dispositif.

Par ailleurs, depuis 2008, sous l'autorité du Préfet et en concertation avec les autres services, la PAF a mis en place une cellule de coordination opérationnelle zonale qui permet de mutualiser les renseignements, de définir les stratégies, et d'établir un planning rationnel des moyens nautiques (Gendarmerie, Douanes, PAF, Marine). Le guide d'exécution des Opérations de lutte contre l'immigration irrégulière a été revu en Novembre 2011.

En Guyane, les effectifs de la PAF ont été également renforcés : ils ont augmenté de près de 46 % entre 2004 et 2010. La PAF a en parallèle fait évoluer ses structures. Une nouvelle antenne a été créée à Saint-Georges de l'Oyapock, en prévision de l'achèvement de la construction du pont frontière entre le Brésil et la France qui sera ouvert en 2013. En décembre 2010, toujours en Guyane, 61 fonctionnaires de la PAF ont été affectés au poste frontalier.

Source : Ministère des Outre-mer

2. Le renforcement de la coopération interrégionale

Votre rapporteur estime que la politique de lutte contre l'immigration illégale, consistant à renforcer les moyens de répression, doit être révisée au profit d'un politique de coopération régionale . L'objectif n'est pas de renoncer à toute politique de régulation de l'immigration mais de la coupler avec de nouvelles politiques de coopération, qui sont aujourd'hui trop peu développées. En effet, il s'agit d'aider les pays de départ des immigrés irréguliers à disposer des moyens de surveillance pour lutter contre l'immigration illégale mais également de bénéficier des savoir-faire de notre pays afin d'aider leurs populations à améliorer leur niveau de vie. Votre rapporteur souligne que l'amélioration concrète des conditions de vie des pays voisins des départements d'outre-mer pourrait permettre de réduire considérablement les flux d'immigration illégale, et conduire à une normalisation des relations avec ces États.

Ainsi, Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et votre rapporteur ont estimé, dans le cadre de leur mission à Mayotte, que « la question de l'immigration clandestine à Mayotte ne trouvera pas de solution pérenne sans une normalisation préalable des relations entre la France et les Comores ». Cette conclusion est également applicable à la Guyane, et à la normalisation de ses relations avec le Brésil et le Suriname principalement.

Selon les informations fournies par le Gouvernement, plusieurs actions de coopération sont actuellement menées en Guyane avec ses pays voisins, afin de lutter contre l'immigration clandestine. Sans entrer dans le détail des différents dispositifs, on retiendra :

- les actions de formation pour lutter contre la fraude documentaire au profit des services d'émigration et des personnels des compagnies aériennes (avec la République Dominicaine, et Haïti notamment) ;

- les actions de formation pour lutter contre les filières (avec le Guyana) ;

- les audits de gestion des frontières terrestres, maritimes et aériennes (avec Haïti) ;

- et les échanges de bonnes pratiques (avec le Brésil) ;

Pour Mayotte , au-delà de la faiblesse des crédits investis dans la coopération avec les Comores qui s'élèvent à 300 000 euros contre 50 millions d'euros pour la politique active de reconduite à la frontière, peu d'initiatives ont vu le jour entre la France, ou Mayotte, et les Comores. Toutefois, grâce aux travaux d'un Groupe de Travail à Haut Niveau (GTHN), réunissant des experts des deux pays, mis en place en 2008, quelques actions ont pu être mises en place, telles que la réouverture de l'antenne consulaire d'Anjouan, des opérations d'importations de fruits et de légumes ou des missions plus spécifique (comme, en matière sanitaire, celle de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales au profit des hôpitaux d'Anjouan). Votre rapporteur regrette cependant qu'aucune action de coopération policière n'existe encore entre Mayotte et les Comores. Face à ce constat, il appelle, à l'instar de ses deux collègues Jean-Pierre Sueur et Christian Cointat, à oeuvrer activement à la conclusion d'accords bilatéraux entre la France et les Comores dans le domaine de l'immigration. L'Union des Comores a déclaré son souhait d'une coopération franco-comorienne pour faire face à la recrudescence des naufrages mortels liés aux kwassas kwassas . Il est envisagé la mise en place d'une flotille de gardes-côtes, sillonnant à bord de vedettes les eaux territoriales, afin de sécuriser le bras de mer entre Anjouan et Mayotte.

En revanche, votre rapporteur se félicite de la récente initiative du conseil général de Mayotte qui a entamé un partenariat avec l'île de Ngazidja (Grande Comore), dans le cadre d'une meilleure gestion des déchets et du service d'état civil de Moroni. Il est également envisagé d'instaurer un partenariat touristique entre Mayotte et la Grande Comore, autour de la liaison d'Air Austral, pour mettre en place une coopération économique stratégique.

M. Victorin Lurel, lors de son audition devant votre commission, a indiqué la volonté politique de M. Ikililou Dhoinine, président de l'Union des Comores depuis 2010, pour une politique de coopération avec la France, notamment en matière de défense, militaire et économique. En revanche, le président Ikililou s'est montré plus réticent s'agissant de Mayotte ce que regrette votre rapporteur.

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Sous le bénéfice de ces observations, votre commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la mission « outre-mer » dans le projet de loi de finances pour 2013.

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