III. PLUSIEURS SUJETS QUI DEVRONT ÊTRE TRAITÉS DANS LE CADRE D'AUTRES TEXTES LÉGISLATIFS

Les nombreuses auditions menées par les rapporteurs ont permis de soulever plusieurs sujets qui dépassent le champ du présent projet de loi car ils n'ont pas directement trait au mariage ou ne concernent pas uniquement les couples de même sexe. C'est le cas notamment des questions liées à l'adoption, à la filiation et à l'assistance médicale à la procréation.

Certains d'entre eux seront traités dans le cadre du prochain projet de loi sur la famille, d'autres nécessiteront sans doute un véhicule législatif spécifique.

A. L'INDISPENSABLE RÉFORME DE L'ADOPTION

Votre rapporteure souhaite tout d'abord insister sur l'urgence d'une réforme globale du système de l'adoption , que tous les acteurs du secteur appellent de leurs voeux. Cette réforme devra s'inscrire dans le cadre de l'indispensable évaluation de la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance. Car, rappelons-le, l'adoption est avant tout une mesure de protection de l'enfance qui offre une nouvelle filiation à un enfant - né en France ou à l'étranger - durablement privé de famille.

1. La crise de l'adoption internationale

Malgré la réforme engagée par la loi n° 2005-744 du 4 juillet 2005 portant réforme de l'adoption, l'organisation de l'adoption internationale en France manque d'efficacité et de lisibilité dans un contexte international de plus en plus défavorable.

a) Un contexte international très tendu

A l'échelle mondiale, le nombre d'adoptions internationales n'a cessé de croître depuis les années 1980 : selon les estimations, environ 17 000 enfants étaient adoptés à l'international chaque année dans la décennie 1980, près de 24 000 dans les années 1990, et plus de 40 000 aujourd'hui.

La France a bénéficié de ce mouvement général, les adoptions à l'international ayant été multipliées par quatre en vingt-cinq ans.

Cependant, depuis 2005, l'ensemble des pays d'accueil enregistre une diminution continue des adoptions internationales . En France, alors que le nombre de ces adoptions avait atteint le chiffre record de 4 136 en 2005, il n'était plus que de 1 569 en 2012.

Deux raisons principales expliquent cette baisse générale.

Tout d'abord, l'environnement socio-économique de nombreux pays d'origine, combiné à une meilleure maîtrise de la natalité, a évolué favorablement, conduisant logiquement à la diminution du nombre d'enfants délaissés et au développement de l'adoption à l'échelle nationale par les classes moyennes émergentes.

Ensuite, la ratification progressive par de nombreux Etats de la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale a eu pour conséquences :

- la fermeture temporaire aux adoptions internationales de pays d'origine, le temps de leur mise en conformité avec la convention (Madagascar, par exemple) ;

- l'application du principe de subsidiarité, en vertu duquel l'adoption internationale vient après l'adoption nationale et, par voie de conséquence, la fixation par les pays d'origine de critères plus restrictifs pour la première (Brésil, Inde, Bulgarie) ;

- la recommandation voire l'imposition aux pays d'accueil de passer par des organismes autorisés par l'adoption (OAA) et de supprimer la voie individuelle, qui représentait les deux tiers des adoptions jusqu'en 2006 ;

- la plus grande attention portée par les pays d'accueil aux pays d'origine n'ayant pas ratifié la convention, voire l'interruption des adoptions dans les pays où les règles éthiques ne sont pas respectées.

Ces évolutions constituent, bien sûr, une avancée majeure pour la protection des enfants. Toutefois, on peut craindre que le nombre d'enfants adoptables soit sous-évalué du fait de la mauvaise tenue voire l'absence d'état civil dans certains pays très pauvres.

Par ailleurs, même si le nombre d'enfants à adopter à l'international demeure important, force est de constater que leur profil a évolué. Il est de plus en plus difficile d'adopter des nouveau-nés ; ce sont le plus souvent des enfants âgés d'au moins six ou sept ans, des fratries, des enfants à besoins spécifiques, atteints de maladies parfois bénignes (bec de lièvre, par exemple) ou d'affections plus lourdes (cardiopathie, par exemple) , qui n'ont pas été adoptés dans leur pays d'origine.

Ces mutations obligent les pays d'accueil à s'adapter à ce contexte international devenu très « concurrentiel » et très évolutif.

b) Une organisation institutionnelle inefficiente

Ainsi que l'a montré le rapport de la mission confiée à Jean-Marie Colombani sur l'adoption 13 ( * ) , le système français d'adoption internationale souffre de nombreuses lacunes, parmi lesquelles :

- le manque de lisibilité pour les pays d'origine du fait de la coexistence de trois « voies » d'accès à l'adoption internationale : l'adoption individuelle - devenue de plus en plus rare -, l'adoption accompagnée par les organismes autorisés et habilités pour l'adoption (OAA), l'adoption accompagnée par l'Agence française de l'adoption (AFA) ;

- le manque de lisibilité pour les familles adoptantes : le processus d'agrément par le département est perçu comme trop complexe et inégal d'un département à l'autre, l'information sur les circuits de l'adoption internationale est insuffisante, etc. ;

- l'absence de pilotage du système par une autorité centrale forte définissant une stratégie, des objectifs, un plan d'action : contrairement à tous les autres pays européens, l'autorité centrale française n'est ni une direction d'administration, ni une agence. C'est une instance non permanente, composée de représentants des ministères et des conseils généraux, et dont le secrétariat est assuré par une sous-direction du ministère des affaires étrangères. Sa nature et son action sont restées floues, si bien que certains pays d'origine ont pu croire que l'AFA était l'autorité centrale.

Pour votre rapporteure, la France manque cruellement d'un véritable service diplomatique dédié à la protection internationale de l'enfance ;

- l'insuffisante professionnalisation des OAA : les OAA français sont, sauf exception, de petite taille et peu professionnalisés, ce qui les empêche de déployer une véritable stratégie à l'international ;

- le défaut d'accompagnement des familles avant et après l'adoption.

Tous ces éléments ont été confirmés par les associations de parents adoptants et d'enfants adoptés auditionnées par les rapporteurs.

2. Le déclin de l'adoption nationale
a) La diminution continue des adoptions nationales

Les adoptions d'enfants nationaux, environ 800 par an, sont aujourd'hui dans la proportion de un pour cinq adoptions internationales , alors que les premières étaient sensiblement égales aux secondes en 1985.

Cette tendance s'explique par la baisse du nombre des pupilles de l'Etat et par celle des pupilles présentés à l'adoption .

La diminution du nombre de pupilles de l'Etat, constante depuis 1987, est due à la fois à une baisse du nombre des enfants pupilles sans filiation ou orphelins (enfants abandonnés, enfants remis à l'aide sociale à l'enfance à la naissance, enfants dont la mère a accouché sous le secret) et à une baisse des déclarations judiciaires d'abandon. Seuls les retraits d'autorité parentale demeurent stables.

Le nombre de pupilles présentés à l'adoption est également en diminution depuis 2007. Ce sont essentiellement l'âge des pupilles, leur état de santé, leur handicap ou leur situation en fratrie, qui expliquent aujourd'hui leur non-placement en vue de leur adoption.

b) La question de l'enfance délaissée en débat

Le rapport Colombani invite, à juste titre, à s'interroger sur le sens de ces évolutions : « la baisse du nombre des pupilles et celle des adoptions nationales traduisent-elles le succès des politiques de protection de l'enfance qui auraient réussi à prévenir les séparations des enfants de leurs familles ou, à l'inverse, témoignent-elles d'une incapacité ou d'une impuissance collectives à envisager l'adoption dans l'intérêt de l'enfant ? »

La réponse n'est sans doute pas univoque.

D'un côté, avec la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007, la France a profondément amélioré son système de protection de l'enfance en plaçant au coeur du dispositif l'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux et le respect de ses droits . Trois objectifs ont alors été fixés : renforcer la prévention, mieux repérer les enfants en danger ou en risque de l'être, améliorer les interventions auprès des enfants et de leurs familles. Cette loi a également permis au dispositif de gagner en cohérence en renforçant le rôle de chef de file du département.

De l'autre, il est vrai que la protection de l'enfance en France accorde une place prépondérante à la famille naturelle et à la filiation biologique . Ainsi, le placement en famille d'accueil ou en établissement est considéré comme provisoire et a le plus souvent comme objectif le retour de l'enfant dans sa famille. Dans ce contexte, l'admission au titre de pupille de l'Etat signe l'impossible restauration des liens nécessaires entre un enfant et sa famille. Comme le note rapport Colombani, « en France, l'adoption peine à s'inscrire comme une modalité de protection de l'enfance parce qu'elle signifie d'abord son échec » . La diminution du recours, par les services sociaux départementaux, à l'article 350 du code civil relatif à la déclaration judiciaire d'abandon en est l'illustration.

Il existe pourtant des cas de maltraitance ou de délaissement pour lesquels le maintien des liens avec la famille est contraire à l'intérêt de l'enfant.

Aussi, votre rapporteure plaide pour une évaluation complète de la loi du 5 mars 2007 qui serait l'occasion d'étudier les différentes solutions permettant une meilleure prise en compte de l'enfance délaissée à l'échelle nationale. Un placement, même satisfaisant, ne remplacera jamais l'inscription d'un enfant dans une filiation pour la vie.

3. Vers une évolution du droit de l'adoption
a) Ouvrir l'adoption aux couples non mariés

Actuellement, la loi interdit à un couple non marié d'adopter. Cette exigence de vie maritale s'explique par le fait qu'historiquement, le mariage était la seule source de filiation légitime.

Cette conception paraît aujourd'hui anachronique, sachant que plus de la moitié des premières naissances ont lieu hors mariage.

Votre rapporteure est donc favorable à l'accès à l'adoption pour tous les couples, indépendamment du régime juridique de leur union . Ainsi, tous les couples, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels, pourraient recourir à l'adoption, tout en ayant le choix entre le concubinage, le Pacs et le mariage.

b) Maintenir l'adoption plénière et l'adoption simple, mais réfléchir à de nouvelles modalités d'adoption pour les enfants relevant de la protection de l'enfance

Le droit français connaît, depuis la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966 portant réforme de l'adoption, deux types d'adoption dont les effets diffèrent nettement (cf. supra ) : l'adoption plénière , qui substitue une filiation à une autre, et emporte rupture des liens du sang entre l'enfant et ses parents biologiques, et l'adoption simple , qui adjoint une nouvelle filiation à la précédente, et n'entraîne donc pas cette conséquence.

En 2007, les tribunaux de grande instance ont prononcé l'adoption de 13 400 personnes, 3 964 en adoption plénière et 9 412 en adoption simple. Ces deux procédures répondent chacune à des projets d'adoption très différents :

- l'adoption plénière est principalement employée dans le cadre des adoptions internationales : 71 % des adoptions plénières sont des adoptions internationales ;

- l'adoption simple concerne essentiellement des adoptions intrafamiliales : 95 % des adoptions simples sont des adoptions intrafamiliales, la personne adoptée étant le plus souvent l'enfant du conjoint de l'adoptant.

A l'occasion des débats sur le présent projet de loi, la question du maintien ou non de ces deux formes d'adoption a resurgi, certains plaidant pour la suppression de l'adoption plénière au motif qu'elle effacerait et interdirait l'accès des enfants adoptés à leurs origines.

Votre rapporteure tient à rappeler que l'adoption plénière est la forme la plus adaptée à l'adoption internationale : elle sécurise juridiquement l'enfant et l'installe définitivement dans sa nouvelle filiation. Ainsi que l'ont expliqué à la fois les représentants des parents adoptants et des enfants adoptés lors de leur audition, la rupture juridique avec la famille d'origine n'est pas synonyme de négation de l'histoire personnelle de ces enfants . Rien ne leur interdit d'entamer, s'ils le décident, des démarches pour retrouver leurs origines ; d'ailleurs, certains le font, y compris accompagnés de leurs parents.

La meilleure façon d'aborder la question de la recherche des origines n'est donc pas la remise en cause de l'adoption plénière, mais l'organisation et la facilitation de cette recherche. Ainsi, certaines associations entendues par les rapporteurs proposent :

- d'une part, que les missions du conseil national pour l'accès aux origines personnelles (Cnaop), actuellement circonscrites aux enfants nés sous X en France, soient étendues à la centralisation et à la conservation des dossiers de tous les enfants adoptés, y compris de ceux nés à l'étranger ;

- d'autre part, que soit mis en place un véritable accompagnement de chaque adopté adulte qui souhaiterait remonter le fil de son histoire pré-adoptive.

S'agissant de l'adoption nationale, votre rapporteure estime que l'adoption simple est une bonne réponse aux cas d'adoption intrafamiliale . Elle permet en effet de transcrire juridiquement une situation familiale préexistante et d'offrir une reconnaissance du lien qui unit l'adoptant et l'adopté.

Elle s'interroge toutefois sur la possibilité d'envisager une nouvelle forme d'adoption pour les enfants relevant de la protection de l'enfance et se trouvant dans une situation d'errance éducative et affective et pour lesquels les adoptions simple et plénière ne sont pas adaptées.

En l'état actuel du droit, ces enfants ne sont pas adoptables, alors même que certaines familles seraient prêtes à leur apporter toute l'affection et toute l'éducation dont ils ont besoin pour se construire durablement.

Lors de son audition, la présidente du conseil supérieur l'adoption (CSA) a convenu qu'il était nécessaire de réfléchir à une évolution de la notion de délaissement parental et d'envisager d'autres formes d'adoption compte tenu de l'évolution du profil des enfants adoptables en France.


* 13 Rapport sur l'adoption, mission présidée par Jean-Marie Colombani, mars 2008.

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