III. LA CRÉATION DU REGISTRE NATIONAL DES CRÉDITS AUX PARTICULIERS (ARTICLES 22 BIS À 22 SEXIES)

Adopté, à l'initiative du Gouvernement, par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, le présent article vise à créer le registre national des crédits aux particuliers. Connu sous le nom de « fichier positif », le registre constitue non seulement l'une des mesures phares du présent projet de loi, mais aussi l'un des dispositifs les plus attendus de ces dernières années.

A. UN OBJECTIF DE PRÉVENTION DU SURENDETTEMENT ET DE RENFORCEMENT DE LA CONCURRENCE

1. Un fichier « négatif » qui a montré ses limites

Créé par l'article 23 de la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 dite « Neiertz », le fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) a pour objet de recenser les informations sur les incidents de paiement caractérisés liés aux crédits accordés aux particuliers . Géré par la Banque de France, le fichier est alimenté par les établissements de crédit qui sont tenus de lui déclarer tout incident de paiement. Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 26 octobre 2010, un incident de paiement est caractérisé, pour un crédit à échéance mensuelle, lorsque l'on constate un défaut de paiement sur les deux dernières échéances dues.

Sont également enregistrées les informations relatives aux procédures de surendettement.

Le fichier a été réformé par la loi du 1 er juillet 2010 de manière à le rendre plus réactif, en prévoyant une mise à jour en temps réel, alors que les établissements déclaraient jusque là les incidents sur une base mensuelle.

De plus, la loi du 1 er juillet 2010 oblige les établissements de crédit à consulter le fichier avant tout octroi de crédit, dans le cadre de la vérification de la solvabilité , sans que l'inscription d'un emprunteur au FICP interdise à l'établissement de lui accorder un crédit. Outre ces consultations individuelles, le fichier fait également l'objet de consultations « de masse », par les établissements de crédit, dans le cadre de l'évaluation prudentielle de leurs risques .

Le FICP recense 2,6 millions de personnes , dont environ 30 % au titre des procédures de surendettement 19 ( * ) . Son coût est estimé à près de 16 millions d'euros par an .

Le FICP se caractérise par un important taux d'erreur, de l'ordre de 7 % , défini comme le taux des réponses à des consultations qui donnent lieu à des réponses multiples. D'après le Gouvernement, ce taux est « lié à la clé de consultation utilisée pour le FICP, qui est relativement sommaire (date de naissance et cinq premières lettres du nom) et pourrait aisément être affinée ».

Surtout, en raison de son format, limité aux incidents de paiement caractérisés, le FICP ne donne aucune information sur la situation d'endettement des personnes : utilisé lors de l'octroi du prêt, le FICP ne fournit en réalité pas d'information sur la solvabilité des personnes, mais seulement sur l'absence de défaut de paiement. En conséquence, il ne permet pas de prévenir cette mécanique du surendettement consistant, pour les emprunteurs, à souscrire un nouveau crédit pour en rembourser un autre .

2. Un long débat en vue de la création du registre national

La création d'un fichier positif est présente dans les débats parlementaires depuis l'adoption de la loi Neiertz de 1989, à travers des rapports parlementaires 20 ( * ) et des propositions de loi.

Le sujet est revenu au premier plan du débat parlementaire à l'occasion de l'examen, en 2009 et 2010, de la loi portant réforme du crédit à la consommation. Dans ce cadre, le Sénat avait adopté un article additionnel demandant au Gouvernement un rapport sur la création d'un tel fichier . Au fur et à mesure des débats, Christine Lagarde, alors ministre de l'économie, a affirmé que ce rapport visait à préfigurer une création dont le principe était acté 21 ( * ) .

En définitive, l'article 49 de la loi du 1 er juillet 2010 prévoit que « la création d'un registre national des crédits aux particuliers, placé sous la responsabilité de la Banque de France, fait l'objet d'un rapport remis au Gouvernement et au Parlement, dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, élaboré par un comité chargé de préfigurer cette création et dont la composition est fixée par décret ».

Le comité de préfiguration , présidé par Emmanuel Constans, président du Comité consultatif du secteur financier (CCSF), et comprenant notamment des représentants des établissements de crédit et des représentants des consommateurs et des associations familiales, a rendu ses conclusions en juillet 2011. Le rapport du comité fournit une base de travail précieuse et très complète pour la constitution du fichier.

Synthèse du rapport du comité chargé de préfigurer
la création d'un registre national des crédits aux particuliers

Le comité préconise que le registre des crédits présente les principales caractéristiques suivantes :

- un système d'identification au sein du registre des crédits reposant sur la création d'un identifiant sécurisé dérivé du NIR ;

- l'enregistrement des seules données relatives aux crédits consentis par les établissements de crédit et les organismes de microcrédit habilités, à l'exclusion des autres dettes et charges et des autorisations de découvert remboursables dans un délai inférieur à trois mois ;

- l'enregistrement des informations relatives aux crédits suivantes :

Informations générales enregistrées pour toutes les catégories de crédit :


• informations permettant d'identifier le crédit : numéro de référence du crédit au sein de l'établissement de crédit, nom et code de l'établissement, code guichet concerné ;


• catégorie de crédit : prêt personnel, crédit renouvelable, prêt affecté ou lié, autorisation de découvert remboursable dans un délai supérieur à trois mois, crédits immobiliers ou regroupements de crédits ;


• date de la dernière mise à jour effectuée pour chaque crédit.

Les éléments permettant d'identifier l'établissement prêteur ne seront pas restitués lors des consultations.

Informations enregistrées concernant chaque crédit amortissable : montant emprunté et date de la dernière échéance.

Informations enregistrées concernant chaque crédit renouvelable : montant du plafond de l'autorisation consenti et activité ou inactivité du crédit.

Informations enregistrées pour chaque autorisation de découvert remboursable dans un délai supérieur à trois mois : montant de l'autorisation consentie.

- une restitution des données lors des consultations du registre sur une base agrégée et non détaillée « ligne de crédit par ligne de crédit » ;

- la mise en place d'une certaine profondeur historique des données permettant de suivre l'évolution de la situation de la personne concernée au cours d'une période de quelques mois précédant la date de la consultation ;

- s'agissant de la situation personnelle, l'enregistrement des données d'état civil suivantes : nom de famille, nom d'usage, prénom(s), date et lieu de naissance, sexe ;

- une amélioration des données négatives recensées actuellement dans le FICP :


• afin de compléter les informations actuelles concernant les incidents de paiement constituant des signaux d'alerte sur une dégradation de la situation financière ;


• afin de permettre de différencier les personnes qui sont inscrites pour un incident de paiement ponctuel ou qui sont à l'origine d'impayés répétés ;


• en mettant en place une profondeur historique pour les informations négatives.

- la mise en place à terme d'un fichier unique, qui comporterait un module spécifique pour les informations négatives, et la suppression à terme du FICP ;

- l'autorisation de consulter les données positives et négatives du registre des crédits par les établissements de crédit uniquement avant l'octroi d'un crédit, cette consultation préalable étant obligatoire pour l'ensemble des crédits ;

- la traçabilité aux fins de preuve, permettant aux établissements de crédit de prouver qu'ils ont bien rempli leurs obligations de consultation du registre, assurée par les établissements de crédits ;

- la traçabilité aux fins de contrôle, qui a pour objectif de permettre, outre la bonne gestion du registre, le contrôle du respect de ses finalités, assurée par la Banque de France ;

- la délivrance de l'information aux personnes concernées requise par la loi « Informatique et Libertés » au même moment que l'information précontractuelle fournie préalablement à la conclusion du contrat de crédit ;

- la mise en place et le développement privilégié d'une modalité d'exercice par internet du droit d'accès des personnes aux données les concernant ;

- la création d'un comité de gouvernance du registre , présidé par le Gouverneur de la Banque de France, et composé de représentants de toutes les parties prenantes (établissements de crédit, associations familiales et de consommateurs notamment).

Le comité a estimé qu'un délai de mise en oeuvre technique d'environ 24 mois serait nécessaire à compter de l'adoption de la loi et de la fourniture d'un cahier des charges détaillé . Au-delà de ce délai, la mise en oeuvre opérationnelle du registre pourra être envisagée lorsqu'une partie suffisamment importante des données du stock des crédits existants aura été reprise.

Source : rapport n° 273 (2012-2013) du groupe de travail sur le répertoire national des crédits aux particuliers, d'après le rapport du comité chargé de préfigurer la création d'un registre national des crédits aux particuliers

3. Les principaux objectifs du registre national

Le registre national a deux principaux objectifs.

Le premier objectif est de contribuer à prévenir l'apparition du surendettement . En effet, le fichier fournirait une information essentielle sur la situation des emprunteurs qui permet aux prêteurs de mieux apprécier leur capacité de remboursement. En pratique, l'idée, développée notamment par certains établissements de crédit auditionnés par votre rapporteure pour avis, est que le registre permettrait d'éviter d'accorder le « crédit de trop », contracté par l'emprunteur dans l'espoir d'améliorer une situation déjà fragile .

De ce point de vue, la vérification de la solvabilité aujourd'hui mise en oeuvre semble en effet insuffisante. Cette vérification consiste essentiellement en la consultation du FICP et de la fiche de dialogue, rendue obligatoire par la loi du 1 er juillet 2010, au moyen de laquelle l'emprunteur doit indiquer au prêteur ses ressources et ses charges, en particulier les crédits et leurs échéances. Cette fiche de dialogue, qui est établie sur une base déclarative, n'est corroborée par des justificatifs de revenus qu'à partir d'un crédit de 1 000 euros.

Ainsi, les charges des emprunteurs ne sont, en l'état actuel, renseignées que sur une base déclarative . Outre la possibilité, pour un emprunteur, de ne pas dévoiler certaines charges et, en particulier, de cacher les crédits déjà contractés, il est très fréquent que certains emprunteurs oublient de bonne foi (ou renseignent de façon incorrecte) certaines de leurs charges ou crédits.

Dans ce contexte, le registre positif permettrait de donner une vision objective et précise de la situation d'endettement des emprunteurs . A cet égard, la distinction entre surendettement « actif », résultant d'une accumulation de crédits, et surendettement « passif », résultant d'un accident de la vie, ne semble guère appropriée : l'accident de la vie, qui se traduit par une chute brutale des ressources, peut conduire à un endettement actif et une accumulation de crédits pour y faire face. En ce sens, le registre pourrait également permettre de prévenir ce type de phénomènes.

Par ailleurs, le registre positif a un autre objectif, plus économique, qui est la stimulation de la concurrence et, partant, la baisse des prix et l'élargissement de l'accès au crédit . Comme l'avait déjà souligné notre collègue Philippe Dominati, alors rapporteur du projet de loi de réforme du crédit à la consommation, l'impact du registre sur la concurrence du secteur du crédit à la consommation serait, sans doute, son apport le plus incontestable 22 ( * ) .

En effet, le registre, par l'information qu'il donne lors de la consultation individuelle, permet aux petits établissements ou nouveaux entrants de compenser la faiblesse de leur « scoring » interne , liée à leur manque de connaissance exhaustive de la clientèle française. Cette situation explique que les établissements qui s'opposent au registre soient les mieux établis, dont la base de clientèle et, partant, la connaissance de cette dernière sont suffisamment importantes pour pallier l'absence de registre. A l'inverse, les établissements en faveur du registre sont les établissements plus petits ou mettant en oeuvre des modalités de distribution, notamment à distance, qui réduisent la possibilité de connaître la clientèle.


* 19 Rapport n° 273 (2012-2013) fait par le groupe de travail sur le répertoire national des crédits aux particuliers, janvier 2013.

* 20 Rapport de Roger Léron sur l'application de la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, 7 janvier 1992 ; rapport d'information n° 60 (1997-1998) de Jean-Jacques Hyest et Paul Loridant « Surendettement : prévenir et guérir » ; rapport d'information n° 261 (2005-2006) de Joël Bourdin au nom de la délégation du Sénat pour la planification sur l'accès des ménages au crédit en France.

* 21 Voir notamment le compte-rendu de la deuxième séance de l'Assemblée nationale du 9 avril 2010.

* 22 Rapport n° 447 (2009-2010) de Philippe Dominati, pp. 129 et sqq.

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