B. FRANCOPHONIE ET EXCEPTION CULTURELLE

1. Poursuivre le combat en faveur de l'exception culturelle

Si les moyens accordés à la défense de la francophonie ne lui semblent décidément guère à la hauteur des ambitions affichées, votre rapporteur pour avis tient cependant à saluer l'action menée par le Gouvernement en cette année 2013 en faveur de la défense de l'exception culturelle , dont la langue française constitue, à n'en pas douter, un élément majeur, tant il est vrai qu'il n'est point de diversité culturelle sans diversité linguistique.

Dans le cadre des discussions relatives au « Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique », le mandat de négociation adopté le 12 mars 2013 par la Commission européenne n'excluait en effet pas, dans sa rédaction initiale, explicitement du champ de la négociation les biens, services et investissements en matière culturelle . Il était seulement indiqué que l'accord « ne devra contenir aucune disposition risquant de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union européenne, notamment dans le secteur audiovisuel » , celui-ci incluant la musique aux termes de la nomenclature de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

La France ne pouvait se satisfaire d'une telle ambiguïté, d'autant que l'Union européenne avait toujours pris soin d'exclure la culture de toute négociation commerciale, qu'elle soit bilatérale ou multilatérale, comme elle l'a encore fait avec le Japon au début de l'année 2013.

La France en a, en effet, toujours défendu le principe avec ardeur. Elle avait ainsi fait reculer le Parlement européen après le vote, en 1993, du principe de spécificité culturelle, qui incluait de facto les biens et services culturels dans les négociations commerciales internationales. À l'issue de ce combat, les accords de Marrakech ont, en 1994, admis que la culture, porteuse d'identité, pouvait faire l'objet de dérogations dans le cadre des négociations de l'OMC. Ce compromis demeurait toutefois en-deçà des espérances de la France, qui appelait alors de ses voeux une exclusion totale et définitive du champ des négociations.

Face à la proposition inquiétante de la Commission européenne, artistes, industries culturelles et parlementaires se sont mobilisés. À l'Assemblée nationale et au Sénat, plusieurs propositions de résolution européenne ont ainsi été déposées pour inciter le Gouvernement à négocier la modification du mandat de négociation adopté.

Votre rapporteur pour avis s'est joint au texte proposé par Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, considérant, comme ses collègues membres de la commission que « la culture ne peut être considérée comme une marchandise comme les autres, sauf à accepter la disparition de la diversité culturelle. Le caractère d'universalité qui s'attache aux biens culturels ne saurait, dès lors, être remis en cause ».

Ces initiatives parlementaires avaient comme objectif commun d'inviter le Gouvernement à menacer de faire usage de son droit de véto sur un tel accord, en application de l'article 207 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne selon lequel il est possible de déroger au principe de la majorité qualifiée, lors du vote au Conseil qui entérinera le mandat de négociation de la Commission, si les accords commerciaux risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union européenne.

Si la France, usant effectivement de cette menace, a obtenu gain de cause au mois de juin 2013, ce dont votre rapporteur pour avis se réjouit, il conviendra, à l'avenir, d'être attentif à toute nouvelle tentative qui viserait à affaiblir l'exception culturelle française dans le monde.

Plus largement, il convient, pour en assurer le respect, d' améliorer la visibilité de la Convention de l'Organisation des Nations-Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles , élaborée à l'initiative de la France, du Canada et du Québec et adoptée à la quasi-unanimité (exception faite d'Israël et des États-Unis) en 2005, mais par trop méconnue encore, y compris au sein du réseau culturel.

2. L'extension des exceptions au principe de l'enseignement en langue française : un débat complexe

Tout en reconnaissant la nécessité, pour l'enseignement supérieur français, de demeurer attractif pour les étudiants étrangers , votre rapporteur pour avis est beaucoup plus prudent s'agissant des dispositions votées dans le cadre de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et la recherche, dont l'article 2 introduit à l'article L. 121-3 du code de l'éducation de nouvelles dérogations au principe de l'enseignement en langue française.

Pour mémoire, en application de l'article 11 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, dite « loi Toubon », seules deux catégories d'exceptions étaient autrefois prévues : celles justifiées par les nécessités de l'enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères, d'une part, et lorsque les enseignants étaient des professeurs associés ou invités étrangers, d'autre part. Cependant, les écoles étrangères ou spécialement ouvertes pour accueillir des élèves de nationalité étrangère, ainsi que les établissements dispensant un enseignement à caractère international, n'étaient pas soumis à cette obligation.

Dominique Gillot, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, rappelait toutefois que cette disposition semblait avoir été largement contournée , indiquant que « d'après les informations fournies par Campus France, il existe aujourd'hui en France 795 programmes proposant des enseignements en anglais, dont 165 sont des formations proposées exclusivement dans cette langue ».

Finalement , aux termes de débats parlementaires passionnés, il est désormais possible de déroger à l'obligation d'enseigner en français dans deux nouveaux cas :

- lorsque les enseignements sont dispensés dans le cadre d'un accord avec une institution étrangère ou internationale ou dans le cadre d'un programme européen ;

- pour des cursus et diplômes transfrontaliers multilingues.

Votre rapporteur pour avis demeure très partagé sur les conséquences que pourrait avoir le nouveau dispositif sur l'apprentissage du français par les étudiants étrangers . Il considère, à cet égard, que l'essentiel demeure, quelle que soit la langue d'enseignement, de conserver les méthodes françaises d'apprentissage et de ne pas renoncer à la promotion de nos valeurs et de notre culture . Il se penchera avec intérêt sur les conclusions du rapport sur l'impact des modifications apportées au principe de l'enseignement en français, qui sera transmis au Parlement dans un délai de trois ans, conformément à la loi du 22 juillet 2013 susmentionnée.

Quoiqu'il en soit, et pour reprendre l'analyse d'Alain-Gérard Slama 4 ( * ) : « Sauf à considérer qu'une loi n'a pas plus de portée symbolique qu'une note de service, a-t-on mesuré à quel point peut être perçu comme humiliant le fait, unique en Europe, de donner un caractère officiel à l'organisation, jusqu'à présent informelle, de cours dispensés en anglais au sein même de notre université. C'est un étrange projet de prétendre renforcer la diffusion de notre langue en organisant par la loi la possibilité d'y renoncer . »

S'agissant des écoles de commerce, dont l'enseignement dispensé se rapproche continument du modèle anglo-saxon -à cet égard, le cursus ouvert par l'ESSEC à Singapour ne se différencie pas vraiment de ces concurrents étrangers-, votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux le maintien, en leur sein, d'une singularité culturelle et éducative « à la française ».

Dans le domaine de l'enseignement supérieur, la France ne cesse d'ailleurs de subir la concurrence acharnée des établissements anglo-saxons, notamment avec le développement des Massive open online courses (MOOC) diffusés par les universités américaines à l'aide de millions de dollars d'investissement. Or, plus encore que la langue, ces enseignements véhiculent des valeurs et une culture qui en font un instrument de « soft power » , un outil de pénétration numérique de l'enseignement supérieur.

Votre rapporteur pour avis estime qu'il est urgent de réagir à cette offensive, notamment grâce à la diffusion et à la promotion des contenus de formation supérieurs produits par le CNED . À la différence des MOOC, ceux-ci sont interactifs et offrent la possibilité d'être corrigés, exemple concret et positif de la singularité éducative française.

Il est temps, à cet égard, que le ministère des affaires étrangères considère l'opérateur, sur lequel, certes, il n'exerce pas de tutelle, comme un outil au service du rayonnement de la France ou, pour reprendre l'expression utilisée par Marc-Antoine Jamet, président du conseil d'administration du CNED et secrétaire général du groupe LVMH, lors de son audition : « un instrument de conquête pour une politique de conquête ».

Pour mettre fin aux affrontements stériles et aux arguments à l'emporte-pièce, votre rapporteur pour avis souscrit aux propos du recteur Michel Guillou de l'Institut pour l'étude de la francophonie et de la mondialisation à l'Université Jean Moulin/Lyon III : « Il faut au plus vite disposer d'un rapport-type Rapport Gallois sur la compétitivité concernant la problématique des langues dans l'éducation et dans l'enseignement supérieur et la recherche en France . »

DEUXIÈME PARTIE :


* 4 Le Figaro du 28 mai 2013.

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