II. LES JEUX VIDÉO : UNE INDUSTRIE CULTURELLE EN MAL DE RECONNAISSANCE

A. LE PREMIER LOISIR CULTUREL DES FRANÇAIS ENCORE DÉCONSIDÉRÉ

1. La France : un pays de joueurs

Les jeux vidéo constituent l'industrie culturelle la plus récente. Née aux États-Unis en 1962 avec l'invention du jeu Space War au Massachusetts Institute of Technology (MIT), elle revient populaire dix ans plus tard avec le jeu d'arcade Pong . Le succès est immédiat et, progressivement, la production de jeux s'industrialise, donnant naissance à de puissants studios et à des jeux mythiques ( Pac-Man en 1980, Tetris en 1984, Super Mario en 1989, Tomb Raider en 1996, Les Sims en 1999 ou encore Call of Duty en 2003) de plus en plus performants grâce à l' apparition de nouvelles technologies , notamment la 3D et Internet à la fin des années 90.

La multiplication des supports (PC, consoles de salons, consoles portables, mobiles et tablettes) et la popularisation du jeu vidéo comme loisir ont conduit les industriels à diversifier à l'extrême leur offre de produits : jeux d'aventure, de course, de tir, de stratégie, de rôle, de simulation, de sport ou encore de réflexion.

Désormais, à chacun son jeu et son support de jeu : la pratique du jeu vidéo, autrefois réservé à un public d'initiés et de passionnés s'est élargie et démocratisée . On estime, en France, à environ 60 % la proportion de joueurs 2 ( * ) , ce qui en fait la première pratique culturelle des Français.

De fait, des catégories de population, fort peu consommatrices de jeux il y a encore quelques années, en constituent aujourd`hui un public privilégié : il s'agit notamment des séniors -pour un âge moyen des joueurs établi à 34,7 ans, près de 23 % sont âgés de plus de cinquante ans -, et des femmes (46 % des joueurs). L'apparition des jeux de mémoire et des jeux de cartes a attiré des joueurs plus âgés, tandis que le développement des pratiques féminines du jeu vidéo s'explique par celui des jeux sur réseaux sociaux popularisés par Facebook et le succès de l'iPhone.

2. Un mépris du monde culturel ?

Le jeu vidéo est, à n'en pas douter, une industrie à mi-chemin entre culture et technologie . Ce constat a d'ailleurs conduit les commissions de la culture et des affaires économiques du Sénat à en traiter conjointement les problématiques dans le cadre d'un groupe de travail confié à nos collègues André Gattolin, pour la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et Bruno Retailleau pour la commission des affaires économiques, dont les conclusions ont été rendues publiques en septembre 3 ( * ) . Une stratégie identique a été adoptée par le Gouvernement avec l'installation, le 4 avril 2013, d'un groupe de travail commun aux ministères de la culture et de l'économie numérique et comprenant des représentants du secteur. Cinq thèmes de travail ont été identifiés : le financement de la production, celui des entreprises, les moyens donnés à l'innovation, l'emploi et la formation, enfin, l'attractivité et la promotion de l'industrie française du jeu.

Exception faite de ce groupe de travail, dont on ne sait encore combien son action sera ou non décisive, la double tutelle à laquelle est soumise l'industrie du jeu vidéo conduit à ce qu' aucun ministère responsable ne la considère finalement comme une priorité . Il est notamment visible que le ministère de la culture ne l'envisage pas au même niveau que les autres industries culturelles.

Philippe Chantepie, dans son étude sur « La création dans l'industrie du jeu vidéo » réalisée pour le ministère de la culture et de la communication en 2009 4 ( * ) , remarquait ainsi le contraste « entre la maturité économique du jeu vidéo, la croissance de ses marchés mondiaux et la méconnaissance dont il souffre au plan culturel. »

Si certains pays, comme le Royaume-Uni ou la Finlande, limitent, dans leurs politiques publiques, le jeu vidéo à sa définition industrielle, d'autres lui offrent une reconnaissance institutionnelle comme produit culturel . Ainsi, le Museum of Modern Art (MoMA) de New York a-t-il récemment acquis plusieurs succès historiques de l'industrie du jeu, à l'instar de Pac-Man , Tetris, Super Mario Bros et Donkey Kong , exposés au sein de la collection permanente de son département de design. Les jeux vidéo possèdent, en outre, un musée dédié à Londres et à Berlin.

En raison du peu d'appétence des instances culturelles pour le jeu vidéo, la France entame à peine une démarche de patrimonialisation des jeux . La première marque d'intérêt officielle est à porter au crédit du musée des Arts et Métiers en 2010, avec son exposition Museogames , suivi par le Grand Palais à la fin de l'année 2011 avec Game Story , qui a retracé quarante ans d'histoire du jeu vidéo en développant une approche « esthétique et culturelle » . Enfin, a été inaugurée, le 22 octobre dernier, une exposition sur les jeux à la Cité des Sciences et de l'Industrie.

Fort de la généralisation de sa pratique et de la qualité artistique croissante de ses contenus, le jeu vidéo gagne progressivement en légitimité culturelle. Dans quelques universités, il est même devenu un objet de recherche sociologique et philosophique. La Cour de cassation elle-même semble se ranger à cette approche en considérant, dans son arrêt Cryo du 25 juin 2009, que le jeu vidéo « est une oeuvre complexe, qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l'importance de celle-ci » et reconnaissant, à cette occasion, la dimension graphique, narrative et musicale - c'est-à-dire artistique - du produit .


* 2 Les pratiques de consommation des jeux vidéo des Français (2 e semestre 2011) - Les études du CNC - Octobre 2012.

* 3 Jeux vidéo : une industrie culturelle innovante pour nos territoires - Rapport d'information n° 852 (2012-2013)

* 4 La création dans l'industrie du jeu vidéo - Culture études n° 2009-1 - Janvier 2009.

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