II. ÉTAT DES LIEUX DES CHANTIERS MIS EN oeUVRE DANS LE CADRE DE LA MODERNISATION DE L'ACTION PUBLIQUE

Le bilan de la révision générale des politiques publiques 3 ( * ) , dressé par les trois inspections générales interministérielles (Inspection générale des finances, Inspection générale de l'administration et Inspection générale des affaires sociales) à la demande du Premier ministre, a mis en évidence l'important travail mené par la direction générale pour la modernisation de l'État, puisque celle-ci a « conduit des actions intéressantes de simplification, avec des approches innovantes de la relation entre l'État et les usagers » . Si les structures ont évolué, force est de constater que l'approche de la modernisation de l'appareil administratif comporte de nombreux points de continuité.

L'instance décisionnelle en matière de modernisation de l'État est désormais le comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (CIMAP), créé par le décret du 30 octobre 2012.

Le CIMAP est présidé par le Premier ministre et réunit l'ensemble des ministres, ainsi que le ministre délégué chargé du budget. Selon l'article 1 er du décret qui a institué le CIMAP, celui-ci fixe « les orientations de la politique gouvernementale tendant à améliorer l'organisation et le fonctionnement des services et des établissements publics de l'État, et veiller à l'articulation de leurs missions avec celles des autres administrations publiques ; (...) améliorer le service rendu par les administrations publiques en prenant mieux en compte les attentes des usagers et partenaires de l'administration, développer la simplification des normes et des procédures et évaluer la qualité du service ; mieux associer les agents publics à la modernisation de l'action publique et à la qualité du service rendu » .

Trois réunions du CIMAP ont eu lieu à ce jour depuis sa création.

Lors la première réunion du CIMAP, le 18 décembre 2012, ont été arrêtées les grandes orientations de la modernisation de l'action publique. Celles-ci s'articulent autour de plusieurs axes :

- Un chantier de simplification des normes et des démarches administratives ;

- Un renforcement de l'administration numérique ;

- La détermination d'une nouvelle méthode d'évaluation des politiques publiques.

En outre, ce premier CIMAP a décidé que chaque ministère devrait présenter un programme ministériel de modernisation et de simplification (PMMS) destiné à simplifier chaque administration au niveau ministériel. La circulaire du Premier Ministre du 7 janvier 2013 indique que ces PMMS se composeront de deux volets, l'un centré sur l'amélioration du service aux citoyens et aux usagers, l'autre relatif à l'amélioration de l'organisation et du fonctionnement des administrations.

Le premier volet concernant l'amélioration du service aux citoyens et aux usagers traduit les décisions relatives à la simplification des relations avec l'administration prises dans le cadre du premier CIMAP. Le second volet relatif à l'organisation interne des administrations complète l'évaluation des politiques publiques menée dans le cadre de la modernisation de l'action publique et doit s'attacher en particulier à une rénovation des conditions de gestion des ressources humaines et du dialogue social, en plaçant la promotion de l'innovation et de la participation des agents publics à la modernisation du service public au coeur de cette démarche.

L'exemple du programme ministériel de modernisation et de simplification du Ministère de la justice

Le PMMS du Ministère de la justice s'articule conformément aux recommandations de la circulaire du Premier ministre.

Une première partie fait état des chantiers du ministère qui concernent l'amélioration du service aux citoyens et aux usagers . Il s'agit d'une part, de la réforme de la justice commerciale, lancée par la Ministre le 5 mars 2013 lors d'une rencontre de l'ensemble des acteurs concernés. Les principaux axes de cette réforme ont donné lieu à la constitution de deux groupes de travail, l'un portant sur l'amélioration de la prévention et le traitement des difficultés des entreprises, et l'autre sur la déontologie, le statut et la formation des acteurs de la justice commerciale. D'autre part, le second chantier retracé par le PMMS est une réflexion plus théorique sur l'évolution de l'office du juge, avec en particulier la mission confiée au Premier président de la cour d'appel d'Angers sur le « Juge du XXI ème siècle ». Enfin, le programme du ministère de la justice rappelle les actions plus concrètes destinées à améliorer le service aux usagers, telles que la dématérialisation des actes de l'état civil, la suppression de la nécessité de demander un certificat d'hérédité, ou encore l'accès des greffiers à certaines informations fiscales de la direction générale des finances publiques (DGFiP) pour simplifier la vérification de l'éligibilité à l'aide juridictionnelle.

La seconde partie du programme ministériel s'attache aux améliorations du fonctionnement et de l'organisation du ministère . Ce volet repose sur un programme de modernisation informatique, qui permet à la fois de sécuriser des procédures, de redéployer des emplois et d'économiser des crédits. Le PMMS rappelle également la réflexion actuellement en cours sur les écoles de Justice, sous l'égide de la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), ainsi que les travaux menés sur les tribunaux de première instance.

À la suite de la troisième réunion du CIMAP le 17 juillet 2013 a été publiée une synthèse de ces programmes ministériels.

Au total, les trois réunions du CIMAP ont donné lieu à un ensemble de décisions constituant autant de chantiers de modernisation et de travaux d'évaluation des politiques publiques.

A. LES CHANTIERS DE MODERNISATION DE L'ÉTAT EN COURS

Plutôt que de présenter une liste exhaustive des chantiers de la modernisation actuellement engagés, votre rapporteur a choisi d'apporter un éclairage particulier sur certains de ces projets, soit parce qu'ils lui ont paru intéressants dans leur finalité, soit en raison des difficultés théoriques ou pratiques qu'ils soulèvent.

1. La suppression de commissions consultatives

Parmi les chantiers de la modernisation de l'action publique, la suppression des commissions consultatives dont l'existence n'apparaissait pas absolument nécessaire ou dont les moyens de fonctionnement peuvent être opportunément mutualisés a fait partie des premières actions engagées dans le cadre de la MAP.

Cependant, votre rapporteur tient à rappeler que cette volonté de rationalisation des procédures de consultation n'est pas entièrement nouvelle, puisque celle-ci animait déjà l'esprit du décret du 8 juin 2006 et de la circulaire du Premier ministre du 8 décembre 2008.

Le décret n° 2006-672 du 8 juin 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de commissions administratives à caractère consultatif avait déjà prévu que les commissions placées auprès des autorités de l'État et de ses établissements publics à caractère administratif, lorsqu'elles avaient été créées par des dispositions réglementaires, seraient abrogées dans un délai de trois ans. Le Premier ministre François Fillon a précisé cet objectif dans la circulaire du 8 décembre 2008 relative à la modernisation de la consultation. La circulaire rappelait qu'il convient de « moderniser l'organisation et la concertation afin de la soustraire aux pesanteurs du formalisme » et de remédier à l'accumulation et à la stratification des organismes consultatifs.

Obligation introduite par l'article 112 de la loi de finances pour 1996, la publication en annexe du projet de loi de finances de la liste des commissions et instances consultatives ou délibératives, placées directement auprès du Premier ministre, des ministres ou de la Banque de France et prévues par les textes législatifs et réglementaires permet de faire le bilan des suppressions engagées. L'annexe au projet de loi de finances pour 2012, qui constitue un « jaune budgétaire », rappelait que 225 suppressions sont intervenues en 2009, suivies de 51 suppressions supplémentaires en 2010 et 48 en 2011.

Cette entreprise de modernisation des procédures de consultation s'est prolongée dans le cadre de la MAP, puisque la circulaire du 30 novembre 2012 relative à la réduction du nombre des instances consultatives a déterminé une nouvelle politique de consultation. Trois principes ont ainsi été dégagés. La consultation doit être conçue au niveau ministériel ; elle ne doit pas nécessairement entraîner la création d'une structure permanente ; le fonctionnement des organismes existants doit être allégé et simplifié.

Le CIMAP du 18 décembre 2012 a ensuite fait le bilan des suppressions de commissions qui découlaient de cette nouvelle politique. La suppression d'une centaine de commissions a ainsi été annoncée à l'issue de cette réunion. 68 commissions ont alors été fusionnées ou supprimées en juillet 2013 afin de parvenir à l'objectif de 25 % de diminution du nombre total de ces instances.

À titre d'illustration, votre rapporteur a relevé dans la liste des commissions administratives supprimées depuis 2011 quelques instances dont l'intitulé pouvait laisser l'usager perplexe sur les fonctions de la commission concernée :

- Le comité supérieur des musiques actuelles ;

- Le comité national de facilitation ;

- Le comité stratégique du calcul intensif ;

- Le comité de pilotage des événements indésirables graves ;

- Le comité consultatif placé auprès des ministres responsables d'une grande catégorie de ressources ;

- La commission consultative relative à la réception des betteraves dans les sucreries et les distilleries ;

- L'observatoire des distorsions.

L'impact budgétaire de ce mouvement de suppressions de commissions consultatives est cependant assez réduit. Mme Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l'État, de la Décentralisation et de la Fonction publique, rappelait lors de son audition par votre commission que ces suppressions permettent de gagner du « temps agent », par le redéploiement des personnels de la fonction publique.

2. L'ouverture et le partage de données publiques

Chantier prioritaire du Gouvernement en matière de modernisation de l'action publique, l'ouverture et le partage des données publiques trouve ses fondements dans la législation française bien avant la mise en place de la MAP.

En effet, la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public constituent le socle juridique de la protection des données personnelles et du droit d'accès aux documents administratifs.

Dès 1997, le Gouvernement a décidé la mise en ligne gratuite des données publiques essentielles dans le cadre de son programme d'action « Préparer l'entrée de la France dans la société de l'information ». Par la suite, dans un arrêt 4 ( * ) rendu le 29 avril 2002, le Conseil d'État a affirmé que le droit d'accès aux documents administratifs constituait une liberté publique, considérant que des « dispositions (...) relatives à l'étendue du droit d'accès aux documents administratifs, concernent les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » .

L'influence du droit communautaire a également contribué à favoriser le développement de l'ouverture des données publiques, puisque la directive 2003/98/CE du Parlement et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public a été transposée en droit français par deux textes. D'une part, l'ordonnance du 6 juin 2005 a complété la loi du 17 juillet 1978 en énonçant le principe de réutilisation des informations publiques selon lequel : « Les informations figurant dans des documents élaborés ou détenus par les administrations mentionnées à l'article 1 er , quel que soit le support, peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d'autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été élaborés ou sont détenus » 5 ( * ) . D'autre part, le décret du 30 décembre 2005 affirme que « les conditions de réutilisation des informations publiques sont équitables, proportionnées et non discriminatoires pour des catégories comparables de réutilisation » 6 ( * ) .

Conformément à la décision prise du conseil de modernisation des politiques publiques du 30 juin 2010 de créer un portail unique interministériel destiné à rassembler et à mettre à disposition librement l'ensemble des informations publiques, le décret 7 ( * ) du 21 février 2011 a créé la mission Etalab et par là-même donné un nouvel élan à la politique d'ouverture des données publiques en France. Etalab est ainsi chargé de la création du portail unique « data.gouv.fr », ainsi que de coordonner l'action des administrations pour faciliter la réutilisation des données publiques 8 ( * ) . Le lancement de la « licence ouverte » par Etalab le 18 octobre 2011 s'inscrit dans ce mouvement lancé par le gouvernement de François Fillon.

LICENCE OUVERTE

Vous pouvez réutiliser « l'Information » rendue disponible par le « Producteur » dans les libertés et les conditions prévues par la présente licence.

La réutilisation de l'Information diffusée sous cette licence

Le « Producteur » garantit au « Réutilisateur » le droit personnel, non exclusif et gratuit, de réutilisation de « l'Information » soumise à la présente licence, dans le monde entier et pour une durée illimitée, dans les libertés et les conditions exprimées ci-dessous.

Vous êtes libre de réutiliser « l'Information » :


• Reproduire, copier, publier et transmettre « l'Information » ;


• Diffuser et redistribuer « l'Information » ;


• Adapter, modifier, extraire et transformer à partir de « l'Information », notamment pour créer des « Informations dérivées » ;


• Exploiter « l'Information » à titre commercial, par exemple en la combinant avec d'autres « Informations », ou en l'incluant dans votre propre produit ou application.

Sous réserve de :


• Mentionner la paternité de « l'Information » : sa source (a minima le nom du « Producteur ») et la date de sa dernière mise à jour.

Le « Réutilisateur » peut notamment s'acquitter de cette condition en indiquant un ou des liens hypertextes (URL) renvoyant vers « l'Information » et assurant une mention effective de sa paternité.

Cette mention de paternité ne doit ni conférer un caractère officiel à la réutilisation de « l'Information », ni suggérer une quelconque reconnaissance ou caution par le « Producteur », ou par toute autre entité publique, du « Réutilisateur » ou de sa réutilisation.

(Source : http://www.etalab.gouv.fr/pages/licence-ouverte-open-licence-5899923.html )

Le Gouvernement a poursuivi le mouvement engagé au cours du précédent quinquennat. Tout d'abord, la Charte de déontologie signée par l'ensemble des membres du Gouvernement le 17 mai 2012 indique que le Gouvernement « mène une action déterminée pour la mise à disposition gratuite et commode sur internet d'un grand nombre de données publiques. »

La MAP s'est saisie de la question de l'ouverture et du partage des données publiques. Comme indiqué précédemment, la mission Etalab a été intégrée au Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique après sa création en octobre 2012. En 2013, le Gouvernement a publié deux documents explicitant sa politique concernant l'ouverture et le partage des données publiques : une feuille de route, présentée le 28 février à la suite du séminaire gouvernemental sur le numérique, et un vade-mecum, adressé par voie de circulaire du Premier ministre à l'ensemble des agents publics.

Enfin, la démarche d'ouverture et de partage des données publiques engagée par la France a trouvé un écho lors du sommet du G8 qui s'est tenu les 17 et 18 juin 2013. En effet, la question de l' open-data a été l'un des sujets traités par ce sommet et a donné lieu à l'adoption d'une Charte du G8 pour l'ouverture des données publiques. Celle-ci précise en particulier que : « Nous convenons par conséquent de nous conformer à un ensemble de principes qui régiront l'accès aux données mises à disposition par les gouvernements du G8 ainsi que leur diffusion et leur réutilisation. Ces principes sont les suivants :

- - Données ouvertes par défaut,

- - De qualité et en quantité,

- - Accessibles et réutilisables par tous,

- - Ouvrir les données pour améliorer la gouvernance,

- - Ouvrir les données pour encourager l'innovation.

Dans le respect de nos cadres politiques et juridiques nationaux, nous mettrons ces principes en oeuvre conformément aux meilleures pratiques techniques et aux échéances établies dans nos plans d'action nationaux. »

Conformément aux termes de cette charte, un plan d'action pour la France 9 ( * ) a été publié par Etalab le 6 novembre 2013.

Votre commission, traditionnellement attentive à la protection des libertés publiques, s'est inquiétée de la conciliation de l'ouverture et du partage des données publiques avec la nécessaire protection des données personnelles. Elle a ainsi décidé la création d'une mission d'information de la commission des lois sur le sujet et désigné le 30 octobre 2013 MM. Gorce et Pillet co-rapporteurs.

Exemples de fichiers très téléchargés sur data.gouv.fr

Statistique générale


• Recensement de la population 2008


• Statistiques régionales et départementales du commerce extérieur

Information géographique


• Fonds de carte IGN France et Régions


• Correspondances stations/lignes sur le réseau ferré RATP


• Trafic annuel entrant par station RATP


• Répertoire géographique des communes métropole


• Coordonnées des représentations diplomatiques


• Liste des gares de voyageurs du RFN avec coordonnées

Transparence sur l'action de l'État


• Loi de finances initiale - budget général


• PLF Budget général par ministère


• Financement et dépenses de la sécurité sociale


• Liste des subventions versées par l'État aux associations


• Liste des marchés conclus en 2011


• Effort financier de l'État en faveur des PME

Information de sécurité


• Informations sur la localisation des accidents corporels de la circulation


• Faits de délinquance et de criminalité constatés par département de 1996-2011


• Avis de rappel de produits 2011


• Liste des 150 infractions les plus fréquentes dans les condamnations pénales

Santé et sécurité alimentaire et environnementale


• Dépenses de santé remboursées par l'assurance maladie par région (soins de ville, établissements de santé publics et privés, établissements médico-sociaux)


• Table Ciqual de composition nutritionnelle des aliments

Efficacité et accessibilité des services publics


• Les réseaux de réussite scolaire (RRS)


• Associations reconnues d'utilité publique


• Statistiques pôles de compétitivité


• Indicateurs de résultat des lycées d'enseignement général et technologique


• Recensement des équipements sportifs


• Statistiques trimestrielles de la population prise en charge en milieu fermé

Information culturelle et patrimoniale


• Données complètes du contenu de la BNF


• Liste des événements culturels de l'année


• Fréquentation des musées et expositions évolution 1973-2008


• Listes des musées de France

Ressources pour l'économie et les entreprises


• Plans de fréquences de télévision numérique terrestre


• Cotations des fruits et légumes par marché et par produit

Vie démocratique


• Élection présidentielle 2012 résultats


• Élections municipales 2008 résultats


• Élections européennes 2009 résultats

Source : Vade-mecum sur l'ouverture et le partage des données publiques - Septembre 2013.

3. Le principe de l'accord tacite

Lors de sa conférence de presse du 16 mai 2013, le Président de la République François Hollande a annoncé que : « pour les particuliers, je propose une forme de révolution. Dans de nombreux domaines, pas tous, le silence de l'administration vaudra désormais autorisation et non plus rejet. Ce sera effectivement un changement considérable. Il doit être limité à des domaines. D'autres, forcément, exigent des délais d'instruction. Eh bien, ces délais sont eux-mêmes limitatifs, connus à l'avance. Lorsqu'ils ne sont pas respectés, l'autorisation sera donnée. »

Traditionnellement en droit administratif, l'adage « qui ne dit mot consent » n'était pas applicable à l'action de l'administration, le silence gardé par elle à la suite d'une demande d'un usager valant refus. Cette règle de la décision implicite présente deux avantages, protecteurs des droits des administrés. D'une part, elle leur donne droit à l'obtention d'une décision administrative malgré le silence de l'administration ; d'autre part, elle permet l'exercice du droit à un recours juridictionnel qui nécessite une décision faisant grief.

Cette règle, dont on trouve les origines concernant les demandes adressées à un ministre dans un décret du 2 novembre 1864, a été posée pour toutes les demandes formées devant toutes les autorités administratives par le décret n° 65-29 du 11 janvier 1965 relatif aux délais de recours contentieux en matière administrative.

Après avoir longtemps refusé d'accorder à ce principe la valeur d'un principe général du droit, le Conseil d'État s'est rallié 10 ( * ) en 2001 à l'interprétation du Conseil constitutionnel qui considère que seul le législateur est compétent pour y déroger en instaurant un régime d'approbation implicite, à l'exclusion du pouvoir réglementaire qui ne peut pas renverser le principe du rejet implicite en dehors d'une habilitation législative préalable 11 ( * ) .

La loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations a clarifié le régime des décisions implicites en posant le principe selon lequel le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut rejet. Le législateur a également admis qu'un décret en Conseil d'État puisse prévoir des exceptions au délai de deux mois, mais également des cas dans lesquels le principe est inversé. Cette clarification législative a cependant été brouillée par la multiplication des décrets prévoyant des délais dérogatoires, soit en réaffirmant le délai ancien de quatre mois, soit en créant des délais particuliers. Même si l'accusé de réception de la demande doit en principe indiquer le délai dans lequel la demande sera considérée comme acceptée ou rejetée en raison du silence gardé par l'administration, le système reste complexe pour l'usager.

Il existe donc déjà, en droit positif, la possibilité à titre exceptionnel que le silence de l'administration fasse naître une décision implicite d'acceptation. Cependant, le second alinéa de l'article 22 de la loi du 12 avril 2000 prévoit des cas dans lesquels l'instauration d'un tel régime est impossible : « Toutefois, ces décrets ne peuvent instituer un régime de décision implicite d'acceptation lorsque les engagements internationaux de la France, l'ordre public, la protection des libertés ou la sauvegarde des autres principes de valeur constitutionnelle s'y opposent. De même, sauf dans le domaine de la sécurité sociale, ils ne peuvent instituer aucun régime d'acceptation implicite d'une demande présentant un caractère financier. »

Votre rapporteur craint que la solution voulue par le Président de la République, derrière son apparente simplicité, n'entraîne en réalité encore plus de confusion en la matière.

Néanmoins, lors de la discussion au Sénat du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens, le Gouvernement a introduit par voie d'amendement une disposition traduisant cette promesse présidentielle. L'article 1 er de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens pose ainsi le principe selon lequel « le silence gardé pendant deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision d'acceptation » .

Le texte prévoit qu'un site internet mentionne les procédures concernées, alors que cette règle devrait être le principe de droit commun. Par ailleurs, les exceptions législatives sont nombreuses. Les cas dans lesquels le silence de l'administration gardé pendant deux mois vaut rejet sont les suivants :

- Lorsque la demande ne tend pas à l'adoption d'une décision présentant le caractère d'une décision individuelle ;

- Lorsque la demande ne s'inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif ;

- Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;

- Dans les cas, précisés par décret en Conseil d'État, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l'ordre public ;

- Dans les relations entre les autorités administratives et leurs agents ;

- Dans les cas prévus par décrets en Conseil d'État et en Conseil des ministres pour certaines décisions, pour des motifs de bonne administration.

Enfin, le délai de deux mois fixé par le premier et le troisième alinéa peut être modifié par décret en Conseil d'État « lorsque l'urgence ou la complexité de la procédure le justifie » .

Votre rapporteur regrette qu'à ce stade, le SGMAP ne dispose pas d'évaluation du coût de la mesure ou des conséquences pratiques liées à sa mise en oeuvre. La loi prévoit un délai pour que les administrations se préparent à l'entrée en vigueur de cette nouvelle règle : les actes relevant de la compétence des administrations de l'État et des établissements publics administratifs de l'État seront concernés à l'issue d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi, tandis que ceux des collectivités territoriales et de leurs établissements publics ainsi que des organismes de sécurité sociale ne se verront appliquer le nouveau dispositif qu'après un délai de deux ans.

4. Le programme « Dites-le nous une fois »

Le programme « Dites-le nous une fois » lancé dans le cadre de la modernisation de l'action publique a pour objectif de réduire la redondance des demandes d'informations aux entreprises, qui constitue souvent une source d'irritations pour les chefs d'entreprise. Cette démarche s'inscrit dans le prolongement du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, adopté le 6 novembre 2012 à la suite de la remise du rapport de Louis Gallois au Premier ministre.

Le Secrétaire général pour la modernisation de l'action publique, M. Julien Rencki, rappelait lors de son audition par votre rapporteur que ce chantier très lourd devait être abordé progressivement. Plutôt que de vouloir atteindre en une seule fois une simplification directe des démarches demandées aux entreprises, il lui apparaît nécessaire de procéder par paliers, avec des progrès concrets immédiats. L'objectif du SGMAP est donc de réduire la redondance de ces demandes en plusieurs temps :

- réduction de 30% de la redondance en 2015 ;

- réduction de 50% en 2017 ;

- réduction de 100% à horizon de 10 ans.

D'ores et déjà, certaines démarches ont été supprimées. Par exemple, l'obligation de notification du montant du chiffres d'affaire des entreprises qui doivent s'acquitter de la contribution sociale de solidarité des entreprises 12 ( * ) a été supprimée et les 250 000 entreprises concernées bénéficieront d'une déclaration pré-remplie.

L'un des leviers principaux de mise en oeuvre de ce programme est l'échange des données entre administrations. Il s'agit de ne plus solliciter les entreprises sur des informations déjà détenues par une autre administration, tout en sécurisant la qualité des informations reçues par les administrations. À cette fin, deux types de chantiers sont nécessaires.

Il convient d'une part de lever les obstacles juridiques concernant le partage des données entre les administrations. C'est l'objet de l'article 4 de la loi du 12 novembre 2013 précitée, qui habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de dix-huit mois, les mesures nécessaires afin de permettre ces échanges d'informations. Le travail du Gouvernement portera notamment sur une harmonisation des définitions des différents documents que doivent fournir les demandeurs à l'administration et sur certains ajustements des textes relatifs aux secrets protégés par la loi, en particulier en matière fiscale.

D'autre part, l'échange de données entre administrations nécessite des investissements matériels importants pour que les serveurs des principales directions qui reçoivent des données (la DGFiP, l'INSEE et la direction de la sécurité sociale) soient rendus compatibles entre eux et avec les serveurs des nombreuses administrations qui pourraient bénéficier de ces informations. Les importants investissements en termes de systèmes d'information pourraient, selon le Secrétaire général pour la modernisation de l'action publique, être financés par le programme d'investissements d'avenir. Ce programme peut désormais financer non seulement des investissements productifs ou de recherche mais également des investissements de l'État, dans la mesure où ceux-ci ont un caractère innovant et une dimension interministérielle. Tel est l'objet du programme 401 Transition numérique de l'État et modernisation de l'action publique , également inclus dans la mission Direction de l'action du Gouvernement . Le projet annuel de performance précise que la finalité de ces crédits est « de soutenir et d'accélérer la réalisation de projets particulièrement innovants, qui transformeront en profondeur les modalités de l'action publique et faciliteront la vie des entreprises, des particuliers et des agents publics ». Le programme doit donc contribuer au financement des projets au côté des administrations porteuses des projets.

Attentive aux demandes des entreprises françaises qui réclament un allègement des nombreuses démarches administratives auxquelles elles sont soumises, votre rapporteur sera vigilant quant à la conduite de ce chantier dans les mois à venir, considérant qu'il constitue à ses yeux un axe pertinent de modernisation de l'État.


* 3 Rapport de l'IGA, de l'IGF et de l'IGAS - Bilan de la RGPP et conditions de réussite d'une nouvelle politique de réforme de l'État, septembre 2012
(http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/fichiers_joints/2012-m-058-01_bilan_rgpp.pdf).

* 4 CE, 29 avril 2002, U., n° 228830.

* 5 Ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 relative à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, article 10.

* 6 Décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, pris pour l'application de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978.

* 7 Décret n° 2011-194 du 21 février 2011 portant création d'une mission « Etalab » chargée de la création d'un portail unique interministériel des données publiques.

* 8 Circulaire du 26 mai 2011 relative à la création du portail unique des informations publiques de l'État « data.gouv.fr » par la mission « Etalab » et l'application des dispositions régissant le droit de réutilisation des informations publiques.

* 9 http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/fichiers_joints/plan-action-france_version_francaise.pdf

* 10 CE, 14 février 2001, n° 202830, Min. Emploi et Solidarité C/ Bouraïb : Rec. CE 2001, p. 793.

* 11 Cons. Const. ; déc. N° 69-55 L, 26 juin 1969, Protection des sites.

* 12 La contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) est due par les entreprises réalisant un chiffre d'affaires d'au moins 760 000 €. Elle finance le régime de protection sociale des travailleurs indépendants (artisans, commerçants, exploitants agricoles, etc.).

Page mise à jour le

Partager cette page