II. LA QUESTION RÉCURRENTE DE L'INDÉPENDANCE DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES À L'AUNE DU CHANGEMENT DE STATUT DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL

À la suite de l'adoption de la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public, le Conseil supérieur de l'audiovisuel change de statut : d'autorité administrative indépendante, il devient autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale.

Souhaité par le CSA, ce changement de statut trouve son origine pour partie dans l'attribution par les lois successives de nouvelles missions à cette autorité. Il s'explique également par des enjeux budgétaires. Aussi est-il nécessaire d'examiner si le statut d'autorité publique indépendante assure effectivement une meilleure autonomie budgétaire.

A. UN CHANGEMENT DE STATUT EN RÉPONSE À UNE SITUATION BUDGÉTAIRE JUGÉE INSATISFAISANTE AU REGARD DE L'ACCROISSEMENT DE SES MISSIONS

Le changement de statut du CSA est motivé au premier chef par la mise en exergue de sa fonction de régulation d'un secteur économique. Pour autant, les arguments budgétaires sont loin d'être absents du raisonnement comme en atteste le rapport sur la loi relative à l'indépendance de l'audiovisuel public de M. Marcel Rogemont, à l'origine de cette disposition.

1. L'accroissement des missions du CSA

Créé par la loi n° 89-25 du 17 janvier 1989, le CSA est chargé de garantir l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle dans les conditions fixée par la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. À ce titre, lui ont été confiées trois missions principales :

- l'attribution et la gestion des fréquences destinées à la radio et à la télévision ;

- la régulation du secteur audiovisuel, tant sous l'angle du respect des droits et libertés que dans ses dimensions économique et commerciale ;

- la formulation d'avis sur l'ensemble des activités relevant de sa compétence.

Le CSA a vu ses compétences encore accrues par la loi organique n° 2013-1026 et la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relatives à l'indépendance de l'audiovisuel public. Ces textes restituent au CSA le pouvoir de nomination des présidents des sociétés nationales de programme - France Télévisions, Radio France et France Médias Monde - qu'il détenait avant la loi de 2009. En outre, la loi n° 2013-1028 fait désormais obligation au CSA d'effectuer une étude d'impact préalablement à la délivrance d'une autorisation d'usage de la ressource radioélectrique susceptible d'avoir un impact significatif sur le marché ainsi qu'à la délivrance d'une autorisation de modification d'une convention d'usage de cette ressource.

Ces lois poursuivent un mouvement de renforcement des prérogatives du CSA initié dès 2009. La loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision avait ainsi étendu la compétence du CSA à la régulation du secteur des services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), soit essentiellement la télévision de rattrapage et la vidéo à la demande. Elle lui avait également octroyé des prérogatives en matière de fixation des règles dans le domaine du placement de produit et d'assignation de fréquences aux collectivités territoriales. Elle l'avait en outre habilité à saisir pour avis l'Autorité de la concurrence et doté d'un pouvoir de consultation sur les projets de loi et d'actes réglementaire relatifs au secteur de la communication audiovisuelle. Cette loi avait au surplus renforcé son rôle en matière de représentation de la diversité de la société française, de protection de l'enfance, de contrôle des contrats d'objectifs et de moyens.

Par la suite, d'autres lois ont attribué ponctuellement au CSA de nouvelles missions telles la garantie d'une desserte minimale de la population de chaque département par la TNT (loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique), la fixation des conditions de diffusion par le services de communication audiovisuelle des communications commerciales dans le cadre de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, ou encore la régulation des contenus sportifs à la télévision (loi n° 2012-158 du 1 er février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs). Le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes en cours de navette prévoit quant à lui que le CSA veille au respect des droits des femmes dans le domaine de la communication audiovisuelle.

2. Une baisse continue des ressources sur la même période

Malgré l'extension conséquente de son champ d'intervention et de ses compétences, le CSA a vu dans le même temps ses moyens réduits , le projet de loi de finances pour 2014 accentuant encore cette tendance. Si les crédits de titre 2 sont relativement stables sur la période 2010-2014, les crédits hors titre 2 ont connu une baisse de près de 20 % en cinq ans , passant de 18,3 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2010 à 14,7 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2014.

Il convient de noter que sur la même période, les crédits de paiement inscrits en loi de finances pour l'ensemble du programme n° 308 connaissaient une tendance inverse, à l'exception de l'exercice 2013.

Évolution des crédits de paiement alloués au CSA
inscrits en loi de finances initiale

Source : commission des lois à partir des données fournies par le CSA

Le directeur général du CSA a indiqué lors de son audition que les lois adoptées en cette fin d'année et les conséquences de l'arbitrage gouvernemental sur la « bande des 700 MHz » emporteraient en 2014 des dépenses nouvelles chiffrées à environ 1,4 million d'euros :

- l'obligation de procéder à des études d'impact de manière systématique nécessiterait de budgéter 650 000 euros, à raison d'une vingtaine d'études à 30 ou 40 000 euros chacune ;

- la compression et le réaménagement des fréquences à la suite de la réduction du spectre hertzien de 30 % en cas d'affectation de la « bande des 700 MHz » aux opérateurs de télécom pour la 4G sont estimés à 600 000 euros, coût du passage à la Télévision Numérique Terrestre en 2005 ;

- enfin, l'autonomie budgétaire impliquerait l'achat d'un logiciel de gestion pour un montant compris entre 50 et 100 000 euros.

Or, si les crédits de titre 3 accordés au CSA par la lettre-plafond pour 2014 permettaient de faire face à ces dépenses nouvelles, le montant de 14 735 814 euros prévu en crédits de paiement après pré-arbitrage sera probablement insuffisant.

C'est pourquoi, à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un sous-amendement à l'amendement de M. Philippe Dominati, rapporteur spécial de la commission des finances, afin de réaffecter au CSA une partie des crédits de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique supprimés par la commission des finances. Il lui est en effet apparu que si la proposition de M. Dominati d'amputer le budget de la Haute autorité d'un million d'euros devait être adoptée par le Sénat, il serait regrettable que les autres autorités du programme n° 308 soient privées de cette somme. Aussi le sous-amendement diminue-t-il la minoration de crédits du programme de 200 000 euros tout en suggérant au Secrétaire général du Gouvernement, gestionnaire du programme, de réallouer 800 000 euros au CSA.

Cet exemple illustre les limites du « dialogue de gestion » entre les services du Premier ministre et le responsable du budget opérationnel de programme.

Le dialogue de gestion avec les autorités indépendantes

Les règles présidant au dialogue de gestion au sein du programme n° 308 sont définies dans une charte de gestion, validée le 20 avril 2009, tant sous l'angle de la prévision et de l'exécution budgétaires que du point de vue de la démarche de performance.

En vertu de cette charte, la direction des services administratifs et financiers (DSAF) du Premier ministre assure l'ensemble des activités de gestion financière et administrative et de soutien au bénéfice des acteurs du programme. Elle met notamment à disposition des services des informations homogènes et des outils d'analyse communs, afin de leur permettre d'assurer le pilotage opérationnel de leurs budgets. Réciproquement, les responsables de budget opérationnel de programme (BOP) lui transmettent les informations nécessaires pour produire une vision consolidée de l'exécution financière et comptable du programme.

La nature particulière des BOP constitués par des autorités indépendantes implique qu'aucune décision les concernant ne peut être prise sans leur accord, tant dans la préparation du budget et le suivi de la gestion que dans le pilotage par la performance.

Des conventions bilatérales entre les responsables de BOP et la Direction des services administratifs et financiers précisent les modalités pratiques d'application des moyens transversaux de gestion, qui diffèrent d'une autorité à l'autre. Par ailleurs, la DSAF rencontre régulièrement les responsables de BOP du programme afin d'effectuer un point de situation sur tous les aspects de la gestion comptable et financière des autorités indépendantes, ainsi que sur le soutien apporté en la matière par la DSAF.

Enfin, des comités de pilotage ont lieu au moins deux fois par an afin d'étudier le rapport annuel de performance de l'année précédente et les orientations du projet annuel de performance suivant. L'exécution budgétaire du programme et les travaux en cours ou en projet font également l'objet d'un examen lors de ces comités.

Source : réponse au questionnaire budgétaire (DASF)

Cette baisse des ressources du CSA est encore renforcée par les mesures de régulation budgétaire, ainsi que l'indique le tableau ci-dessous.

Évolution des mesures de gels et annulations de crédits
(en millions d'euros)

2011

2012

2013

Titre 2

Titre 3

Titre 2

Titre 3

Titre 2

Titre 3

AE = CP

AE

CP

AE = CP

AE

CP

AE = CP

AE

CP

Loi de finances initiale

21,04

50,22

17,27

21,82

11,68

16,88

21,20

10,80

15,80

Gels et annulations de crédits

0,11

2,52

0,90

0,11

1,08

1,39

0,11

1,15

1,45

Part de gels et annulations de crédits

0,5 %

5,01 %

5,19 %

0,49 %

9,24 %

8,24 %

0,50 %

10,62 %

9,16 %

Source : CSA

3. Les arguments budgétaires avancés en faveur du changement de statut

Si le statut d'autorité publique indépendante n'exonère pas le CSA de la contrainte budgétaire globale, le directeur général du CSA a fait valoir différents types d'arguments auprès de votre rapporteur.

Du point de vue budgétaire, ce statut lui assurerait une plus grande autonomie financière dans la mesure où il bénéficierait d'une dotation annuelle négociée annuellement avec l'État. Il pourrait en outre disposer d'un fonds de roulement lui permettant de conduire des actions pluriannuelles. Enfin, il pourrait se voir affecter, le moment venu, des ressources propres afin de diversifier ses ressources budgétaires dans un contexte de réduction des moyens de l'État et d'extension des compétences du CSA.

Par ailleurs, une autorité publique indépendante jouirait d'une meilleure maîtrise de ses moyens financiers et humains en gestion . Outre les facilités accordées en matière de ressources humaines et de passation des marchés publics, ce statut permettrait une fongibilité totale des crédits entre titre 2 et titres 3 et 5. Les décisions reviendraient dans tous ces domaines au collège du CSA érigé en véritable conseil d'administration.

L'objectif poursuivi est une meilleure réactivité du CSA face aux mutations de l'audiovisuel dans l'allocation de ses moyens avec la liberté d'engager des études et des missions d'expertise, de faire appel à des personnalités qualifiées externes et des compétences rares, enfin de financer des projets techniques et informatiques.

Le corollaire de ce nouveau statut est une sortie du programme n° 308, - ce qui mettra fin à la possibilité d'abondement entre les actions du programme, y compris au détriment du CSA -, ainsi que la nomination d'un agent comptable.

En revanche, le CSA a indiqué à votre rapporteur qu'il souhaitait conserver l'aide des services de l'État pour certaines tâches, par exemple de la direction générale des finances publiques pour la gestion de la paye.

Si le changement de statut du CSA paraît amplement justifié par ses missions, en particulier celle de régulateur d'un secteur économique au même titre que l'Autorité des marchés financiers, votre rapporteur est plus dubitative s'agissant de son intérêt budgétaire au regard des expériences existantes.

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