D. SAINT-MARTIN

Comme pour la collectivité de Saint-Barthélemy, une consultation locale a abouti à l'adoption de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 qui a permis à la commune de Saint-Barthélemy d'accéder au statut d'une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution. La collectivité de Saint-Martin est donc désormais autonome du département de la Guadeloupe dont elle est distante de plus de 200 kilomètres.

1. Une situation financière toujours alarmante

Si la collectivité connaît une stabilité institutionnelle certaine, son fonctionnement est profondément miné par ses difficultés financières liées principalement à la question des recettes fiscales. Cette situation s'est traduite, comme en 2012, par la saisine de la chambre territoriale des comptes par le représentant de l'État sur le budget primitif 2013 adopté par le conseil territorial avec un déficit de 2,7 millions d'euros.

Si les dépenses d'investissement de la collectivité connaissent un rebond, l'encours de la dette progresse depuis 2009. En outre, parallèlement à la baisse du niveau d'épargne brute, la rigidité des dépenses de fonctionnement ne laisse entrevoir que peu de marges de manoeuvres budgétaires.

La principale difficulté qui met en cause l'autonomie fiscale de la collectivité est le faible rendement des impositions fiscales qui conduit à une sévère crise de trésorerie.

Les difficultés de la collectivité ont d'ailleurs été relevées par un rapport de gestion en date du 23 avril 2013 de la chambre territoriale des comptes de Saint-Martin qui a souhaité examiner la situation financière de la collectivité depuis sa création en juillet 2007.

Synthèse du rapport de gestion de la chambre territoriale e des comptes de Saint-Martin du 23 avril 2013

Dans son rapport sur la gestion de Saint-Martin, la chambre territoriale des comptes relève que la situation financière de la collectivité, déjà fragile avant qu'elle accède au statut de collectivité d'outre-mer, s'est aggravée depuis le changement de statut. Elle énumère les causes de cette situation financière qui s'est détériorée, à savoir :


• la perte de la recette d'octroi de mer et la fin du système des avances de fiscalité par douzième ;


• l'accroissement des dépenses générées par les transferts de compétences qui ne se sont pas accompagnées d'un surcroit de recettes fiscales et qui ont entraîné une crise de trésorerie ;


• les difficultés de recouvrement des diverses impositions pour partie liées à l'absence de période transitoire et à l'impréparation au plan fiscal du changement statutaire.

Le ministère des outre-mer partage ces constats qui, d'ailleurs, ont fondé l'intervention de l'État en faveur de Saint-Martin au travers du protocole de redressement financier, signé en décembre 2012.

La chambre territoriale des comptes considère que l'ampleur des difficultés auxquelles Saint-Martin est confrontée « commande l'adoption de mesures urgentes, associées à la mise en place de réformes structurelles étalées dans le temps ».

Sur le plan des dépenses, elle recommande des mesures d'économie, en particulier sur la masse salariale et un contrôle renforcé sur les bénéficiaires des aides sociales.

S'agissant de l'optimisation des ressources, la chambre territoriale des comptes préconise d'agir simultanément sur l'organisation du service fiscal, sur le recouvrement et le taux de certains impôts et enfin sur la simplification des dispositifs fiscaux.

La chambre territoriale des comptes conclut que le protocole d'accompagnement financier en date du 12 décembre 2012, signé entre l'État et la collectivité, formalise les engagements réciproques évoqués dans les diverses recommandations de la chambre. La chambre considère ainsi que l'intervention de l'État était nécessaire et que le protocole de redressement agit sur les bons leviers.

Source : ministère des outre-mer

Cette situation de détérioration continue des finances de la collectivité de Saint-Martin a également conduit à plusieurs mesures de la part de l'État en concertation avec la collectivité. Une mission a ainsi été constituée pour réaliser un diagnostic budgétaire et financier partagé visant à aboutir à un scénario de redressement de la situation budgétaire et financière de la collectivité. En février 2012, une mission commune entre les services du ministère chargé de l'outre-mer et l'agence française de développement (AFD) a proposé la mise en oeuvre d'un plan de redressement de la collectivité qui pourrait se traduire par un protocole financier liant les services de l'État et la collectivité.

Ce protocole financier prévoit la délivrance d'un prêt de restructuration de l'ordre de 15 millions d'euros, l'octroi d'une avance de trésorerie d'un montant de 18 millions d'euros remboursable progressivement sur une période 6 ans. Un autre volet envisage de remanier la structure de la fiscalité dévolue à la collectivité et d'en augmenter, selon l'intention du Gouvernement, fortement le rendement.

Une nouvelle étape s'est engagée avec la contestation des modalités d'établissement et de calcul de la dotation globale de compensation (DGC) calculée à l'issue du processus de création de la collectivité. Par une requête du 5 juillet 2011, la collectivité a introduit un recours devant le Conseil d'État aux fins d'annulation de l'arrêté du 22 avril 2011 établissant cette DGC. La collectivité soutient que l'État aurait dû abonder la DGC à due concurrence du produit de l'octroi de mer auparavant perçu par la commune de Saint-Martin. En effet, l'article LO 6314-1 du code général des collectivités territoriales énonce que « la collectivité exerce les compétences dévolues par les lois et règlements en vigueur aux communes » . Or, la collectivité de Saint-Martin ne bénéficie plus de la recette tirée de l'octroi de mer, près de 14 millions d'euros, qui est pour les communes des départements d'outre-mer qui la perçoivent une recette importante.

Votre rapporteur réitère que cette situation résulte surtout de difficultés structurelles de la collectivité , au premier chef desquelles figure la difficulté de recouvrement des impositions locales par l'État pour le compte de la collectivité.

Ce problème central repose sur une mauvaise connaissance du tissu fiscal qui conduit à mal apprécier le rendement fiscal prévisible d'une imposition. Comme l'ont indiqué à votre rapporteur les représentants de la direction générale des finances publiques, le nombre des entreprises n'est pas connu avec précision même s'il est estimé à plus de 4000. Or, seulement environ 3100 de ces entreprises sont connues des services fiscaux et 1200 s'acquittent de l'impôt. L'enjeu réside donc dans la constitution de fichiers fiables, une opération étant en cours sur les valeurs cadastrales afin d'établir avec justesse l'assiette des taxes foncières.

Un effort particulier de l'État est mené pour opérer, en cas de retour des avis d'imposition, des visites sur place et des mises en demeure. Les moyens conséquents engagés par l'administration fiscale invite, selon les personnes entendues, à un certain optimiste car il dénote une montée en puissance de l'administration fiscale face à des phénomènes d'opposition passive à l'impôt (prise de rendez-vous sans venue du contribuable, envoi d'un tiers au rendez-vous, etc.). Le civisme fiscal, c'est-à-dire l'accomplissement volontaire de ses obligations fiscales par le contribuable, n'est satisfait à Saint-Martin que par 50 % des contribuables contre une moyenne nationale de 98,5 %. Le contrôle fiscal est d'autant moins aisé que la frontière est propice à l'évasion fiscale.

Comme le relevait le ministre des outre-mer devant votre commission, la collectivité a ainsi décidé de fixer une imposition minimale de 100 euros pour tout habitant, ce qui correspond approximativement au coût des frais de gestion du dossier d'un contribuable non imposable.

2. Des avancées positives pour la coopération transfrontalière

À la différence de son homologue de Saint-Barthélemy, la collectivité de Saint-Martin est en proie à des difficultés plus importantes qui tiennent notamment à l'existence sur la même île, d'une superficie de 93 kilomètres carrés, de part et d'autre d'une frontière terrestre, largement théorique, non contrôlable en vertu du traité de Concordia de 1648, d'une partie française et d'une partie néerlandaise. Cette frontière est au demeurant une frontière extérieure de l'Union européenne dans la mesure où le statut de région ultrapériphérique (RUP) de Saint-Martin 16 ( * ) l'intègre au territoire de l'Union européenne auquel échappe la partie néerlandaise placée sous le régime des pays et territoires d'outre-mer (PTOM).

Cette partition de l'île pose la question de la coopération des autorités locales entre elles pour résoudre des difficultés qui concernent les deux parties et pour les décisions dont les effets rejaillissent sur les deux parties de l'île. La situation n'est pas facilitée par la différence de statut au regard du droit européen qui aboutit à des situations aberrantes s'agissant de la vie quotidienne des habitants de l'île. En effet, les produits vendus dans la partie française doivent respecter la règlementation européenne, ce dont peut s'exonérer la partie néerlandaise. À titre d'exemple, cette distorsion a pour effet un surenchérissement notable du prix du carburant du côté français qui doit s'approvisionner depuis les départements français où le carburant qui y est distribué respecte les normes européennes et non à partir de la partie néerlandaise de l'île

Votre rapporteur note cependant plusieurs évolutions dans les relations transfrontalières entre les deux parties de l'île qui a abouti à la négociation voire à la conclusion d'accords ponctuels.

Les modalités de cette coopération ont tiré les conséquences de l' évolution statutaire de Sint Marteen , devenu en 2010 un « pays » au sein du Royaume des Pays-Bas, lui donnant une plus grande autonomie, ce qui s'est traduit par de nouveaux interlocuteurs, plus proches, pour les autorités françaises. Comme le précisait, lors de son audition par votre rapporteur, l'ambassadeur des Pays-Bas en France M. Ed Kronenburg, cette réforme a conduit à ce que Sint Maarten, tout comme Aruba et Curaçao, ne soit plus un territoire d'outre-mer dépendant de la métropole mais, au même titre que les Pays-Bas stricto sensu , un partenaire à part entière au sein du Royaume. Dans ce cas, le Royaume ne conserve une compétence à Sint Maarten que pour les matières régaliennes (diplomatie, défense, police, etc. 17 ( * ) ). En revanche, le Royaume conserve la compétence de conclure les conventions internationales, même si elles n'ont pour objet et comme périmètre d'application que Sint Maarten.

Ce changement institutionnel a eu pour avantage de permettre aux autorités françaises de disposer, à demeure, d'interlocuteurs néerlandais à travers le gouvernement de Sint Maarten qui a son siège à Phillipsburg. En revanche, la répartition des compétences entre le niveau local et central peut être source d'interrogations lors des négociations sur le niveau pertinent d'interlocuteurs, cette remarque valant tout autant pour la partie française du point de vue des autorités néerlandaises. Il existe en effet ce que l'ambassadeur des Pays-Bas a qualifié devant votre rapporteur de « zones grises » de compétences : en effet, qui est compétent pour la partie néerlandaise lorsque la négociation d'une convention internationale, du ressort par nature du Royaume, porte sur des compétences relevant de Sint Maarten ?

Ce souci d'une coopération renforcée a donc conduit à la création, le 15 février 2012, d'une instance de dialogue régulier pour offrir un cadre formel aux échanges entre les autorités françaises et néerlandaises sur les sujets d'intérêt commun et ainsi dresser un bilan des négociations et de l'application des accords de coopération. Annonçant à votre rapporteur la tenue le 17 janvier 2014 aux Pays-Bas d'une réunion quadripartite réunissant les deux États et les deux collectivités concernées, l'ambassadeur des Pays-Bas a fait valoir que la répartition des compétences ne devait plus être un motif de report de ces discussions sur des aspects concrets de la coopération transfrontalière.

3. Le statut européen de Saint-Martin en question

Si Saint-Barthélemy a choisi d'opter pour le statut de pays et territoire d'outre-mer (PTOM), Saint-Martin a conservé son statut de région ultrapériphérique (RUP) qui maintient cette collectivité au sein du territoire de l'Union européenne.

À l'heure où Mayotte, désormais département d'outre-mer, parachève son basculement vers le statut de RUP, le passage de Saint-Martin au statut de PTOM pourrait se poser.

Ce basculement aurait l'avantage de placer la partie française de l'île sur le plan statutaire au regard de l'Union européenne sur le même plan que son homologue néerlandaise, évitant ainsi les distorsions en termes de contraintes normatives. En effet, un PTOM échappe aux règles de la législation et de la règlementation européennes.

Cependant, comme l'ont relevé devant votre rapporteur les représentants du secrétariat général aux affaires européennes, l'abandon du statut de RUP se traduirait parallèlement par la perte des financements européens au titre de la solidarité entre régions (FEDER, FSE, etc.). Un PTOM est seulement éligible au FED dont le montant des subventions est extrêmement moins important que celles des autres fonds européens. Cette conséquence de l'abandon de RUP présenterait pour Saint-Martin un inconvénient majeur.

Aussi, votre rapporteur souhaite qu'en cas de maintien au sein de la catégorie de RUP de Saint-Martin, des dérogations raisonnables soient accordées à Saint-Martin pour lui permettre de prendre en compte et de s'intégrer à son environnement immédiat. Ce faisant, la France ne ferait que solliciter l'application de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui prévoit explicitement, pour les outre-mer, « le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions de l'application des traités à ces régions, y compris les politiques communes » afin de tenir compte « de la situation économique et sociale structurelle [...] qui est aggravée par leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur développement ».


* 16 Contrairement à Saint-Barthélemy, Saint-Martin a conservé le statut de RUP qu'elle avait comme commune de la Guadeloupe.

* 17 Le ministre des affaires étrangères, tout comme le réseau consulaire et diplomatique, est unique pour l'ensemble du Royaume

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