B. PRIVILÉGIER LES ACQUISITIONS OFFENSIVES

Une des principales urgences économiques est de soutenir le changement d'échelle de nos ETI pour accompagner leur internationalisation. Dans un tel contexte, il conviendrait d'assouplir la « doctrine d'investissement » de l'État actionnaire selon laquelle les prises de participations minoritaires dans des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire relèvent de Bpifrance.

Concrètement, et dans l'immédiat, il faut se demander si l'acquisition de 20 % du capital d'Alstom correspond à une stratégie suffisamment offensive.

? Rappelons qu'à l'heure actuelle, l'État n'a acheté aucune action Alstom. Il bénéficie simplement d'un prêt de titres par le groupe Bouygues en vertu d'un accord qui prévoit également la possibilité mais pas l'obligation pour l'État d'acheter un volume de titres pouvant représenter jusqu'à 20 % du capital d'Alstom. Au passage, on peut observer que ce mécanisme assez complexe présente des avantages pour chaque partie au contrat : d'une part, Bouygues, en continuant à détenir les titres a conservé son droit au dividende et, d'autre part, l'État s'est donné un temps de réflexion.

? Dans ce contexte, une interrogation simple mérite d'être soulevée.

Le 5 novembre 2014, Emmanuel Macron, Ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, a accordé son autorisation à General Electric (GE) pour son projet d'investissement en France avec Alstom et la constitution d'une alliance industrielle dans le secteur de l'énergie. Cette décision apporte la preuve de l'effectivité du décret du 14 mai 2014 2 ( * ) , par lequel la France soumet l'acquisition d'entreprises nationales exerçant des activités stratégiques (défense nationale, transports, approvisionnement énergétique...) à l'engagement formel par l'acquéreur d'assurer la pérennité de ces activités, sous peine de sanctions.

Ce bouclier réglementaire ne peut-il pas permettre de dispenser l'État de procéder à tout ou partie d'un achat défensif de titres dont le montant avoisinerait 1,6 milliard au cours actuel ? On peut également signaler que certains observateurs ont jugé quasiment inutile l'entrée de l'État au capital d'Alstom compte tenu des joint-ventures dans lesquels General Electric a accepté d'entrer pour gérer le nucléaire, les turbines à gaz et les énergies renouvelables.

Compte tenu de la situation de nos finances publiques et de notre tissu industriel, il est opportun de réfléchir aux investissements alternatifs qui permettraient à des entreprises en pleine croissance de changer d'échelle et de s'internationaliser. Il est en effet nécessaire d'éviter que nos « fleurons » disparaissent ou fassent l'objet d'un rachat partiel mais le problème vital de notre pays est de favoriser l'émergence de nouveaux champions. Or il ne s'en crée pas suffisamment en France depuis des décennies.

? Pour prendre un peu de recul, on peut rappeler que l'histoire d'Alcatel-Alstom est un révélateur de la relation État-industrie en France 3 ( * ) et de la difficulté de notre pays à faire émerger de nouveaux champions nationaux. D'une part, nous n'avons pas la culture des grands conglomérats technologiques au même degré que les Allemands, les Coréens ou les Japonais. La France a eu tendance à démanteler les siens dans les années 1990-2000, succombant à une mode, qui voulait que l'on privilégie les « pure players ». C'est d'ailleurs les conditions de ce démantèlement qui expliquent en partie les difficultés d'Alstom. Deuxièmement, il n'y a pas en France suffisamment d'actionnaires de long terme. Notre industrie est passée d'un modèle colbertiste de financement administré à un système de marchés financiers ouvert mais trop dépourvu de fonds de pension ou d'investisseurs institutionnels nationaux capables de gérer leurs portefeuilles dans la durée. Dans ce contexte, il ne faut pas s'étonner que la logique des « hedge funds » tende à s'imposer.


* 2 Décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.

* 3 C.f. les travaux de M. Elie Cohen et, en particulier : De la CGE à Alstom : une histoire bien française - Sociétal, janvier 2004 - N °43.

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