B. LE RISQUE D'UNE MARGINALISATION AU SEIN DU SYSTÈME ÉDUCATIF

1. Le rendez-vous manqué de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt

Votre rapporteur pour avis regrette que la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt constitue à beaucoup d'égards un rendez-vous manqué avec l'enseignement agricole.

Pourtant, l'Observatoire national de l'enseignement agricole (ONEA) avait remis en 2013 un rapport ambitieux, intitulé L'enseignement agricole face aux défis de l'agriculture à l'horizon 2025 , et comportant sept recommandations :

- faciliter et valoriser l'implication des professionnels ;

- refonder le schéma prévisionnel national des formations ;

- prendre en compte les dynamiques de déconcentration et de décentralisation ;

- donner la priorité à la formation des enseignants, des formateurs et des cadres ;

- assurer la réussite de tous ;

- bâtir la maison des savoirs ;

- reconstruire la relation entre enseignements technique et supérieur.

Ces recommandations sont globalement absentes du texte de la loi d'avenir. En ce qui concerne l'enseignement technique agricole, le titre IV de la loi porte diverses dispositions tendant à :

- réécrire les missions de l'enseignement agricole et d'étendre les missions de l'enseignement public agricole à la promotion de la diversité des systèmes de production et à la lutte contre les stéréotypes sexués ;

- consacrer au niveau législatif la fonction de médiateur de l'enseignement agricole ;

- ouvrir la possibilité d'une acquisition progressive des diplômes de l'enseignement agricole, sanctionnée par une attestation ;

- instaurer un comité national d'expertise de l'innovation pédagogique chargé « d'accompagner les innovations pédagogiques et les expérimentations » ;

- autoriser le ministère à préciser par arrêté le montant des droits de scolarité, les conditions d'attribution des bourses et des aides à la mobilité internationale ;

- permettre, pour l'accès aux sections préparatoires au BTSA, la fixation d'un quota minimal d'élèves titulaires d'un baccalauréat professionnel agricole ;

- apporter diverses précisions quant au fonctionnement des EPLEFPA et permettre leur association en groupement d'établissements ;

- substituer au schéma prévisionnel national des formations un « projet stratégique national pour l'enseignement agricole » ;

- permettre l'indemnisation des exploitations agricoles pédagogiques victimes de calamités agricoles ;

- permettre l'instauration d'un dispositif spécifique de préparation à l'accès aux formations d'ingénieur agronome au sein des établissements d'enseignement supérieur agricole publics au profit des titulaires d'un baccalauréat professionnel agricole ;

- permettre l'accréditation de l'école nationale de formation agronomique (ENFA) afin de délivrer le diplôme national de master dans les domaines des métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation (MEEF) et d'assurer ainsi la formation initiale des enseignants de l'enseignement technique agricole.

Si la loi d'avenir contient des dispositifs non dénués d'intérêt, notamment en matière de promotion des diplômés de l'enseignement technique agricole ou de groupement des EPLEFPA, votre rapporteur pour avis déplore l'insuffisante ambition de ce texte, l'ampleur de ses délégations au pouvoir réglementaire ainsi que le peu de moyens alloués pour mettre en oeuvre ses dispositions.

Des questions demeurent ouvertes, notamment quant aux modalités de formation des enseignants de l'enseignement technique agricole , dont la mise en oeuvre est prévue par le ministère dès 2015.

La loi d'avenir prévoit l'établissement d'un partenariat entre l'ENFA et l'ÉSPÉ de Toulouse. Ce partenariat doit assurer la cohérence de la formation des enseignants de l'enseignement agricole avec celle des enseignants de l'éducation nationale, dans une démarche d'efficience et de mutualisation, qui prend tout son sens pour les enseignants des disciplines générales.

En ce qui concerne les disciplines spécifiques à l'enseignement agricole et à faibles contingents, votre rapporteur pour avis insiste sur la nécessité de mettre en oeuvre des coopérations avec les organismes de formation des enseignants du privé temps plein.

Surtout, votre rapporteur pour avis souligne l'absence de vision stratégique pour l'enseignement agricole , dont témoigne la confusion qui règne quant aux nouvelles orientations pluriannuelles . En effet, le cinquième schéma prévisionnel national des formations 2009-2014 touche à sa fin. Ce schéma, dont l'application a été variable, n'a pas fait l'objet du rapport d'étape ni du bilan qu'il prévoyait pourtant. Aucune annonce n'a été effectuée quant à un sixième schéma prévisionnel, auquel la loi d'avenir substitue le « projet stratégique national ». Cependant, avant même la promulgation de la loi d'avenir, un projet stratégique pour l'enseignement agricole a été présenté au conseil national de l'enseignement agricole (CNEA) à l'automne 2013. Ce projet n'ayant pas fait l'objet d'un vote, sa valeur comme son devenir demeurent incertains.

De plus, votre rapporteur pour avis déplore la censure par le Conseil constitutionnel, pour des motifs de procédure, des dispositions relatives à l'observatoire de l'enseignement technique agricole contenues dans le texte adopté par le Parlement.

Compte tenu du rôle important tenu par l'ONEA et la qualité de ses travaux, votre rapporteur exprime le voeu que cette instance soit remise en ordre de marche par voie réglementaire dans les plus brefs délais. Sa composition étant déterminée par le pouvoir réglementaire, il est essentiel que son indépendance vis-à-vis du ministère soit garantie, afin de préserver la qualité de ses travaux.

Enfin, votre rapporteur regrette qu'en se concentrant sur la production, qui ne concerne qu'un cinquième environ des élèves de l'enseignement agricole, la loi d'avenir véhicule une image stéréotypée et dépassée de ce qu'est aujourd'hui l'enseignement agricole . Or tout indique que l'enseignement agricole souffre d'un problème d'image, qui constitue une des causes de l'orientation insuffisante vers ses formations.

2. Une filière à promouvoir dans le cadre du service public régional d'orientation

Confronté à une baisse de ses effectifs, notamment dans les classes d'« appel », l'orientation constitue un enjeu crucial, voire existentiel, pour l'enseignement agricole.

Or il ressort des auditions menées par votre rapporteur pour avis que la place donnée à l'enseignement agricole dans le système d'orientation est largement insuffisante et tend à diminuer.

Ainsi, dans certaines académies, les formations proposées par les établissements privés de l'enseignement agricole ne sont pas proposées dans la procédure d'affectation en ligne « Affelnet » qui concerne l'ensemble des élèves sortant du collège.

La baisse observée des effectifs de l'enseignement agricole dans le premier cycle et en classe de seconde est due en grande partie au choix de retarder jusqu'au lycée, voire à la classe de première, l'orientation des élèves.

Votre rapporteur pour avis regrette qu'une logique de concurrence semble s'être instillée parmi certains acteurs de l'éducation nationale, en particulier dans les régions qui connaissent une diminution du nombre d'étudiants, comme en Champagne-Ardenne. Au contraire, dans un contexte budgétaire difficile, il importe de développer la coopération entre l'enseignement agricole et l'éducation nationale, notamment au niveau déconcentré.

Ainsi, en Champagne-Ardenne, des actions locales de partenariat sont mises en oeuvre. Il peut s'agir de mettre en commun les moyens et les compétences, à l'instar de la halle technologique du lycée de la nature et du vivant de Somme-Vesle qui fait l'objet d'un partenariat avec le lycée polyvalent Les Lombards de Troyes, qui dépend de l'éducation nationale. En matière d'orientation, des stages de découverte des établissements de l'enseignement agricole et des exploitations sont également organisés au profit des collégiens.

L'état des coopérations entre l'enseignement agricole
et l'éducation nationale au niveau déconcentré

Malgré les bonnes volontés affichées, les partenariats locaux restent difficiles à mettre en oeuvre. La création d'EPLEFPA départementaux comme en Aquitaine est une étape possible pour bénéficier d'une meilleure visibilité par les rectorats de l'enseignement technique agricole.

Pour l'instant, les partenariats reposent surtout sur les responsables des deux autorités académiques et leur volonté d'avancer. À titre d'exemples, il peut être souligné :

- la situation du lycée Le Rheu de Rennes, qui devient lycée de secteur pour l'éducation nationale. À terme, dix-huit classes de l'éducation nationale seront présentes dans cet établissement, contre six classes de seconde générale et technologique à ce jour ;

- en Aquitaine, un partenariat a été élaboré avec le rectorat pour l'affectation des élèves dans les classes de quatrième et de troisième ;

- en Auvergne, certaines classes de filière S sont partagées en termes de moyens entre l'enseignement technique agricole et l'éducation nationale au sein des EPLEFPA ;

- en Poitou-Charentes, au moins un EPLEFPA périurbain permet de prendre en charge des élèves de seconde générale et technologique qui ne pouvaient pas trouver de place dans les lycées de secteur de l'éducation nationale. Dans cette même région, deux EPLEFPA sont dirigés conjointement par un personnel de direction issu du MEN, l'autre du MAAF ;

- en Midi-Pyrénées, un établissement de l'éducation nationale disposant d'un BTS technico--commercial met en place une option « agroéquipements » avec un recrutement privilégié de titulaires d'un baccalauréat professionnel agricole.

- en Provence-Alpes-Côte d'Azur, des échanges d'enseignants ont été organisés et plusieurs actions partenariales sont à l'étude.

Le niveau national incite ces partenariats et ces initiatives qui, dans tous les cas, relèvent de l'échelon régional.

Enfin, le partenariat a été actif en octobre 2013 suite à la mise en place des emplois d'avenir professeurs (EAP) : une procédure de recrutement identique à celle du ministère de l'éducation nationale a été mise en oeuvre. DRAAF et recteurs ont dû s'associer pour définir l'affectation de candidats aux EAP.

Source : Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt

Il s'agit également, pour tous les acteurs de l'orientation, de lutter contre la vision étriquée et dépassée qui tend à considérer l'enseignement technique agricole comme une filière de remédiation pour élèves en grande difficulté , vers laquelle il convient de les orienter le plus tard possible.

Il importe de rappeler que l'enseignement agricole constitue une filière d'excellence aux résultats très satisfaisants en matière d'insertion professionnelle et qui présente un modèle original de coopération entre le système productif et le système éducatif.

En région Champagne-Ardenne, la DRAAF a engagé une démarche prospective afin d'identifier les filières et les métiers d'avenir. Cette démarche prend la forme d'une enquête menée auprès des professionnels et vise à déterminer les métiers dont ils estimeraient avoir besoin ainsi que le niveau de qualification associé. Grâce à sa souplesse et sa réactivité, l'enseignement technique agricole est en mesure de s'adapter rapidement aux besoins ainsi identifiés.

Votre rapporteur pour avis salue ces initiatives et souhaite qu'elles soient confortées par l'échelon central, notamment par une incitation financière. Le développement de l'enseignement technique agricole passe par l'orientation de ses formations vers des spécialisations et des filières d'excellence, s'inscrivant dans un territoire et dans un réseau et d'entreprises.

Enfin, l'orientation vers les formations proposées par l'enseignement agricole se fait dans le cadre du service public régional de l'orientation (SPRO), dont le pilotage a été confié aux régions par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale. Ceci s'inscrit dans la continuité de la loi de refondation de l'école de la République du 8 juillet 2013 qui a confié aux régions l'élaboration de la carte des formations, en concertation avec les autorités académiques.

Dans ces instances de concertation, les DRAAF sont appelées à jouer un rôle majeur dans la mise en oeuvre de ce service, notamment dans la négociation des ouvertures et des fermetures de filières.

Si votre rapporteur pour avis est personnellement favorable à l' implication des régions dans l'enseignement agricole, la nécessité d'un cadrage national doit être rappelée, afin de garantir une égalité de traitement entre les régions.

En effet, à défaut d'une régulation nationale, certaines formations ou certaines familles de l'enseignement agricole risquent de pâtir de la régionalisation, dès lors que les DRAAF et les structures privées n'ont pas le même pouvoir de négociation que les recteurs.

Comme votre rapporteur pour avis l'a défendu lors des débats relatifs à la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, la mise en oeuvre de partenariats formalisés entre les DRAAF, les régions et les rectorats semble plus que jamais nécessaire .

Ces conventions tripartites permettraient de donner un cadre pluriannuel stable aux acteurs de l'enseignement agricole et de mettre fin à des différences flagrantes d'une région à l'autre en matière de prise en compte de l'enseignement agricole.

Là encore, une impulsion forte de la part du ministère se révèle nécessaire afin de surmonter l'inertie et d'assurer la pérennité de l'enseignement agricole dans nos régions.

*

* *

Sous réserve de l'adoption de cet amendement, votre rapporteur pour avis propose à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Enseignement technique agricole » .

*

* *

Sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle a adoptés, la commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits inscrits dans la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances pour 2015 .

La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 55 du projet de loi de finances pour 2015 .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page