D. QUELLES MISSIONS ?

Une fois dit que l'existence d'une autorité de régulation transversale dédiée à la protection des droits d'auteur contre leur violation par les dispositifs numériques obéit au simple bon sens, il faut admettre que des débats pourraient se dérouler sur les missions de La Hadopi et sur ses résultats.

1. Des missions unifiées avec l'objectif d'une lutte proportionnée contre les usages illicites

La Hadopi doit mettre en oeuvre plusieurs missions combinées pour aboutir à une conciliation entre la protection du droit d'auteur et le développement des technologies numériques susceptible d'y porter atteinte.

Elle a charge de favoriser l'essor de l'offre légale vue comme une alternative aux usages illégaux et dont le défaut serait comme une sorte d'excuse absolutoire à ceux-ci.

Elle remplit un rôle de régulation des mesures techniques de protection en recherchant une conciliation entre protection des oeuvres et protection des usages. Elle a une mission de recherche sur les usages.

Enfin, bien sûr, elle met en oeuvre le volet répressif ou pédagogique si l'on préfère des usages illégaux via la procédure de réponse graduée.

Plus précisément, la procédure de réponse graduée est mise en oeuvre par la Commission de protection des droits de la Hadopi, qui est en soi une autorité indépendante, afin de satisfaire aux exigences constitutionnelles de séparation organique des instances d'instruction et de sanctions.

2. La réponse graduée à l'épreuve des faits

La réponse riposte graduée comprend quatre phases distinctes : l'envoi d'une première recommandation, puis d'une deuxième et enfin, après délibération et notification, la saisine ou l'absence de saisine du procureur de la République. Après ce stade, qui est quasi judiciaire, s'applique encore le principe d'appréciation de l'opportunité des poursuites.

Lors de son audition par votre commission au mois de juillet 2014, la Présidente de la Commission a dressé un bilan de la procédure. Trois millions de premiers avertissements avaient été adressés et 300 000 deuxièmes recommandations après récidive. 1 500 dossiers avaient été constitués au titre de la troisième phase de la riposte graduée, dont une centaine avait été suivie par une saisine du Parquet. Depuis, ce bilan qui s'appuie sur des données cumulées n'a que peu évolué.

Le rapport d'activité de la Hadopi 2013-2014 mentionne au 1 er juin 2014 :

3 249 481 premières recommandations,

333 723 secondes recommandations,

1 289 délibérations,

116 transmissions au Parquet.

On peut apprécier très diversement ces données.

Une lecture favorable fait valoir l'écart considérable entre le nombre des premières recommandations et celui des secondes qui témoignent d'un effet dissuasif de l'intervention de la Commission.

Pourtant, la forte croissance des premières notifications, passées d'environ 1,9 million à fin 2013 aux 3 millions, évoquée lors de l'audition de votre commission, invite à un constat moins favorable. La réponse serait éventuellement efficace individuellement mais ne le serait guère macroscopiquement.

Quant à l'écart entre la constitution de dossiers de troisième phase et les transmissions assurées au Parquet, il témoigne d'une forme de déperdition de l'action et suscite quelques interrogations relatives à la motivation des décisions de saisine.

Le pouvoir d'appréciation de la Commission paraît mobilisé très largement, si bien que la lecture de sa « jurisprudence » n'est pas aisée. Il est vrai que l'encombrement des juridictions peut faire naître quelques doutes sur les suites concrètement réservées aux saisines du Procureur, de sorte qu'un filtrage répondant à des considérations réalistes, plutôt que de principe, puisse être pratiqué par la Commission. De fait, à la date de l'audition de votre commission, la Présidente de la Commission n'avait connaissance que de vingt-et-une décisions de justice et de treize condamnations.

Les dernières phases de la réponse graduée ressortent ainsi comme assez largement virtuelles. Aux 300 000 secondes recommandations correspondent treize condamnations, ratio particulièrement modeste et qui le reste lorsqu'on compare les condamnations intervenues avec les dossiers (1 500) constitués par la Commission 13 ( * ) .

Il faut ajouter que le taux de poursuite des dossiers transmis au Parquet apparaît lui-même assez faible.

En bref, la réponse graduée semble s'arrêter aux deux premières phases de son processus sans qu'on puisse en tirer la conclusion, qui serait réconfortante, de son efficacité dissuasive (et encore moins pédagogique). Plus encore, cet état de fait pose problème au regard des exigences d'équité de la procédure. Seule une formalisation très claire des motivations des décisions de la Commission et de l'appareil judiciaire permettrait d'écarter le soupçon d'un fonctionnement trop « existentiel » de celle-ci.

Il est possible que l'orientation, désormais envisagée, visant à privilégier la lutte contre la contrefaçon commerciale plutôt qu'individuelle soit, de longue date, à l'oeuvre dans l'application de la réponse graduée, mécanisme dont on sait qu'il fut particulièrement ardu à conceptualiser et plus encore à imposer aux publics d'un « net » vu comme espace libertaire de gratuité.

La question que pose l'orientation consistant à s'attaquer à la contrefaçon commerciale, qui, remarque incidente, démasque avec bonheur la vision par trop « mythifiante » de la logique de gratuité du « net », est celle de son efficacité.

Un rapport a été confié à la Présidente de la Commission sur la prévention et la lutte contre la contrefaçon commerciale en ligne comme axe complémentaire d'action.

Quatre orientations ont été envisagées dans ce cadre : la formulation d'outils pédagogiques simples d'usage, la confirmation du rôle déclencheur des ayants droit, la distinction des sites contrefaisants d'avec les sites légaux dans la procédure, la promotion de l'autorégulation et de la régulation plutôt que de la sanction.

Une liste des sites massivement contrefaisants pourrait être publiée (une sorte de « liste noire » comme il en fleurit tant sous l'influence de la soft-law anglo-saxonne), une injonction prolongée en cas de notification de retrait des oeuvres par les ayants droit non suivie d'effets pourrait être prononcée, la lutte contre les « sites miroirs » serait renforcée .

Ces orientations s'inspirent du processus lancé par « les 13 engagements pour la musique en ligne » pour leur volet d'autorégulation. Or, le bilan des « 13 engagements » ressort comme mitigé du fait de désaccords persistants entre les acteurs de la chaîne de la musique en ligne.

Par ailleurs, un certain nombre d'orientations affichées dans certains pays ne font pas l'objet d'une mention particulière. Il s'agit des mesures destinées à peser sur les financeurs des sites contrevenants.

Les concepteurs de la régulation peuvent avoir une conscience aigüe des possibilités d'arbitrage réglementaire accessibles aux entités subissant la régulation. Dans un monde où les distances sont réduites, sinon annulées, le numérique permet de situer les centres de production de la valeur dans des espaces de souveraineté étrangers à celui où la régulation élaborée par une autorité nationale s'applique. Autrement dit, des considérations de « compétitivité réglementaire » peuvent intervenir dans le cadre de processus comparables à ceux à l'oeuvre dans la concurrence fiscale. À noter que cette dimension du problème vaut autant pour les règles que pour leur application.

Du côté des contributeurs à la régulation, le système Hadopi laisse aux ayants droit le monopole du déclenchement de la procédure, à défaut de celui des poursuites. Sans doute la Hadopi a-t-elle déployé ses efforts pour mieux donner à connaître les situations litigieuses afin que les ayants droit soient mieux à même de faire valoir leurs droits, il n'en reste pas moins que sans une intervention initiale de ceux-ci, la puissance publique demeure désarmée dans la lutte contre la contrefaçon et le piratage dans la procédure Hadopi.

En matière de droits de propriété, l'ordre privé l'emporte sur une considération d'ordre public qui pourrait être mieux défendue dans le cadre de cette procédure. Deux observations s'imposent :

- il semble que l'empressement des ayants droit à saisir la Hadopi soit variable selon la conception qu'ils se font de leurs intérêts ; certaines situations contrevenantes semblent être tolérées quand d'autres, peut-être jugées moins « porteuses », ne le sont pas. De toute façon, la Hadopi n'a déjà pas les moyens de traiter les signalements adressés par les ayants droit qui s'élèveraient à 125 000 par jour (le taux de traitement étant bien supérieur à 50 % selon des sources internes).

- la puissance publique a des intérêts légitimes à défendre en ce domaine dans la mesure où le droit d'auteur est aussi la garantie d'une diversité culturelle qui dépend de la protection des créateurs et où les activités illicites s'accompagnent fréquemment d'autres infractions liées, par exemple dans le domaine fiscal, directement attentatoire à l'ordre public.

Dans ces conditions, des propositions plus fermes pourraient être bienvenues, passant par un renforcement des prérogatives de la puissance publique dans le cadre de la procédure de réponse graduée et par une pénalisation des « facilitateurs » des fraudes.

Des considérations pratiques doivent également être mentionnées : la lutte contre la contrefaçon se doit d'être très réactive ; le temps joue contre elle. Il faut se donner les moyens de stopper très vite la diffusion des objets contrefaits sans quoi le mal est irrémédiable.

Par ailleurs, on pourrait imaginer de compléter les responsabilités de la Hadopi en lui confiant une compétence semblable à celle confiée au « Médiateur du livre ».

Il n'en reste pas moins que la question de la coopération internationale dans la lutte contre le piratage est essentielle.

À ce titre, on doit déplorer le défaut d'une « Europe de la protection des droits de propriété » .

La diversité des régimes à l'oeuvre (voir l'encadré ci-dessous), l'existence de failles dans les législations connexes d'intérêt, comme les législations fiscale ou sociale, témoignent d'une absence d'unité qui semble opposer deux visions polaires. D'un côté, la défense du droit d'auteur comme variable essentielle de « l'externalité culturelle » ; de l'autre, une forme de libertarisme numérique qui couvre parfois des intérêts plus prosaïques.

Quelques régimes étrangers de lutte contre le téléchargement illégal

La lutte contre le piratage du droit d'auteur est une affaire domestique mais elle réclame aussi une coopération internationale sans laquelle les efforts d'un pays sont appelés à manquer leur cible. C'est donc une affaire d'intérêt mondial. À ce jour, la communauté internationale ne paraît pas près d'aboutir à une communauté d'action au vu des différences observées dans la sensibilité au problème et dans les dispositifs concrètement mis en oeuvre par chaque pays.

Il serait souhaitable qu'une convention internationale de protection du droit d'auteur vienne compléter les coordinations entreprises au niveau régional, dont la directive DAVDSI (droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information) constitue un exemple intéressant mais encore trop limité.

Les régimes de protection contre le piratage numérique dans quelques pays étrangers significatifs ressortent comme très variés avec quelques points saillants de différenciation : l'existence ou non d'une autorité spécialisée du type Hadopi, le recours au droit commun ou, au contraire, la mise en oeuvre d'une procédure particulière, la plus ou moins forte judiciarisation du dispositif, la prise en compte plus ou moins grande des délais, le type d'actions accessibles, autrement dit les choix de stratégie, avec plus ou moins une orientation économique ou des sanctions plus classiques, l'équilibre entre la protection des droits lésés et les principes qui peuvent gouverner le recours à l'Internet.

L'Australie

Le piratage par Internet semble important dans le pays malgré le frein qu'y constitue la quasi-inexistence d'offres Internet illimitées.

Une étude limitée au secteur du cinéma et de l'audiovisuel évalue les enjeux à 1,37 milliard de dollars australiens avec un manque à gagner fiscal de 193 millions de dollars et des pertes directes pour le circuit légal de 575 millions.

Les actions conduites contre le piratage sont jusqu'à présent principalement issues de l'initiative privée ou découlent de la jurisprudence. Une association a été créée (l'AFACT) par les industriels du film et de la télévision qui a conduit une action judiciaire contre les fournisseurs d'accès pour leur responsabilité dans le piratage. La Haute Cour, qui est la juridiction suprême du pays, a débouté l'AFACT de sa demande.

Mais certains fournisseurs d'accès ont accepté d'entrer dans une logique coopérative en collaborant à un système de riposte graduée qui doit encore trouver un prolongement concret.

Par ailleurs, des mesures techniques sont mises en place pour généraliser l'utilisation du HDCP ( High-bandwidth Digital Content Protection ) encodé qui limite les possibilités de téléchargement.

Enfin, une commission a été réunie afin d'engager un processus du Copyright Act de 1968 qui règle dans le pays les questions de propriété intellectuelle.

Sa proposition principale est d'introduire une exception de copyright autour de la notion de « fair use », utilisation équitable s'inspirant de la coutume prévalant dans certains pays dont les États-Unis.

L'Allemagne

En Allemagne, la lutte contre le piratage s'inscrit dans le cadre de la jurisprudence sur la protection du droit d'auteur. Comme d'habitude cette approche conduit à une conciliation entre cette préoccupation et d'autres principes susceptibles d'en limiter la portée.

Le tribunal de Hambourg dans l'affaire Rapidshare a jugé en mars 2012 que ce service était légal mais qu'il était pénalement responsable dès lors que des liens étaient accueillis dirigeant vers des contenus illégaux. Cependant, pour le tribunal, la mise en ligne d'oeuvres n'est pas constitutive en soi d'une contrefaçon dès lors qu'elle peut être réalisée à des fins privées. Dans ce contexte, les fournisseurs d'accès n'ont pas d'obligation de filtrage a priori des contenus mais ils doivent les retirer suite à une notification des ayants droit et prendre toutes dispositions afin d'en empêcher la réapparition.

Une décision originale de la Cour fédérale du 11 mai 2010 contraint les internautes à sécuriser leur réseau WI FI pour éviter que leur réseau ne soit utilisé pour des téléchargements illégaux. La sanction est une amende de 100 euros. En 2012, la Cour fédérale a par ailleurs prescrit que les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) délivrent l'identité de leurs clients à la demande des ayants droit que la contrefaçon alléguée soit à des fins commerciales ou non.

Le Canada

Le Canada a adopté le 29 juin 2012 un projet de loi sur le droit d'auteur. Celui-ci encadre la mise en place des mesures techniques de protection, élargit les exceptions au droit d'auteur et précise les contours du régime de la rémunération pour copie privée.

Une exception au titre du mash up (c'est-à-dire de la créativité des internautes fondée sur des oeuvres existantes) a été introduite qui permet l'exploitation des contenus non commerciaux ainsi créés par les utilisateurs. Une condition d'absence de préjudice anormal à l'exploitation de l'oeuvre originale a été posée. Elle demandera une construction jurisprudentielle qui en déterminera la portée. En toute hypothèse, cette exception est susceptible de couvrir des accès comme You Tube en raison des caractéristiques de l'utilisation de cette plateforme. La loi paraît ne pas avoir réellement considéré la totalité des enjeux économiques en cause et, en particulier, le gain des propriétaires de ce type de sites.

S'agissant de la copie privée, la loi a élargi un peu le périmètre des dispositifs techniques qui en constituent l'assiette. Mais les dispositifs d'enregistrement interne sont toujours exempts de contribuer au mécanisme.

À noter également que la protection opérationnelle du droit d'auteur a été renforcée par l'attribution d'une autorité en la matière aux fonctionnaires des douanes, dans un pays où déjà la surveillance du piratage est prise en charge par des sociétés privées.

Reste que la loi C-ll y limite à 5 000 dollars canadiens les pénalités pour violation non commerciale d'un droit.

L'Espagne

Selon les enquêtes, le téléchargement illégal est très répandu en Espagne.

L'Espagne a pourtant durci sa législation en 2011 avec la loi SINDE relative à l'économie durable adoptée le 4 mars 2011 qui permet de bloquer ou de suspendre rapidement l'accès aux sites depuis lesquels des contenus protégés peuvent être téléchargés illégalement. Elle institue une procédure accélérée qui permet aux ayants droit de saisir la Commission de la propriété intellectuelle du ministère de la culture aux fins que celle-ci saisisse le juge pour autoriser le FAI à dévoiler l'identité de l'internaute contrevenant. Si cette autorisation est donnée la Commission demande au site de bloquer l'accès au contenu et, en cas de non-exécution de la demande, elle peut saisir le juge pour qu'il ordonne la fermeture du site sous deux jours.

Toutefois, la procédure n'est pas applicable aux sites de pair-à-pair et sa conformité à la directive européenne est discutée, notamment, sous l'angle de la responsabilité des FAI.

Cependant, un nouveau durcissement visant les sites de liens, qui à proprement parler n'hébergent pas de contenus, est en cours de même qu'une réflexion sur les rétorsions à exercer contre les facilitateurs des sites incriminés (publicitaires, banquiers, sociétés de cartes de crédit...).

La voie d'une asphyxie économique des sites contrevenants est clairement privilégiée dans le projet de loi sur la contrefaçon présenté en conseil des ministres en avril 2014. S'y ajouterait le recours à des sanctions administratives avec des amendes alourdies (entre 30 000 et 300 000 euros).

Dans le même temps, une réforme du système de la copie privée et de la gestion collective des droits est envisagée.

Les États-Unis

Aux États-Unis, c'est le Digital Millenium Copyright Act de 1998 qui gouverne la lutte contre la violation de la propriété intellectuelle sur Internet.

Celle-ci est organisée à travers une réponse graduée, le Copyright Alert System. Les industries de production culturelle ont signé un accord avec les principaux FAI prévoyant l'envoi de messages pédagogiques aux internautes. Après 5 ou 6 messages ceux-ci s'exposent à l'une des mesures suivantes :

- limitation temporaire du débit ;

- redirection vers une page invitant à entrer en contact avec son FAI ;

- ou toute autre mesure jugée nécessaire par le FAI.

Il n'existe pas de disposition contraignant les FAI à suspendre l'accès Internet et ceux-ci ont déclaré refuser de couper l'accès aux services de téléphonie, aux messageries et autres services essentiels (santé ou sécurité).

La lutte contre les sites de téléchargement

La lutte contre les sites de téléchargement prend des formes variées qui connaissent des fortunes diverses.

Le train législatif est fourni, mais les diverses propositions qui ont pu être formulées ces dernières années n'ont pas prospéré. Le Stop Online Piracy Act (SOPA) n'a pas dépassé le stade de la commission juridique de la Chambre des représentants : elle regroupait la criminalisation du visionnage en continu de contenus à des fins commerciales de contenus en streaming illégal et la possibilité de bloquer par nom de domaine des sites reconnus porter atteinte au droit d'auteur.

Sur le terrain judiciaire, les poursuites pénales se multiplient contre des créateurs-administrateurs de sites de streaming , 150 sites ayant été impliqués par une vaste enquête coordonnée. Les enquêtes peuvent concerner des sites situés à l'étranger avec la coopération des justices partenaires et un cas d'extradition peut être cité. Le cas le plus retentissant a été celui de MegaUpload . Ces actions ont généralement impliqué plusieurs services dont le National Intellectual Property Rights Coordination Center (IPR Center).

Enfin, sur le plan des initiatives décentralisées, mi-juillet 2013 les plus grandes sociétés de l'Internet ont annoncé une série de bonnes pratiques visant à priver de leurs revenus publicitaires les sites proposant du contenu piraté. Il s'agit, lorsqu'un ayant droit identifie une publicité sur un site pirate et notifié cette situation au réseau publicitaire en cause, de contraindre celui-ci à enquêter, en prévoyant que, postérieurement à son enquête, celui-ci puisse refuser de vendre de la publicité au site à moins que celui-ci n'ait régularisé sa situation.

L'annonce des géants du Net n'a pas réellement convaincu puisqu'aussi bien la question de la responsabilité des agences publicitaires n'est pas résolue tandis que le dispositif leur offre des marges de manoeuvre considérables, si tant est que les ayant droit soient en mesure de les toucher concrètement. Par ailleurs, le mécanisme semble exonérer les sites légaux abritant du piratage et ne concerner que les sites exclusivement voués au piratage. De là à s'interroger sur l'intention réelle des GAFA à lutter contre le piratage il n'y a qu'un pas.

Le Royaume-Uni

Le Digital Economy Act (DEA) adopté le 8 avril 2010 a mis en place un mécanisme à deux temps pour lutter contre le piratage. Toutefois, à défaut de l'adoption du code de bonne conduite qui est une condition suspensive à l'entrée en vigueur du dispositif, celui-ci n'est nullement contraignant, tradition des pays de soft law. La responsabilité de l'établissement de ce code a été confiée à l'organe de régulation des communications, l'OFCOM.

Une première phase exclusivement pédagogique passe par l'obligation faite aux FAI d'envoyer sur demande des ayants droit des messages d'avertissement au titulaire de l'adresse IP. Au bout de 12 mois et de trois lettres reçues le nom de l'internaute peut être communiqué aux ayants droit après autorisation d'un juge. Les ayants droit peuvent alors engager des poursuites.

Une seconde phase est envisagée mais elle n'est pas encore adoptée par le Parlement. Des mesures supplémentaires pourraient accorder aux FAI la possibilité d'imposer des sanctions à l'abonné (suspension d'accès, ralentissement du débit).

Le DEA prévoit d'ores et déjà des mesures de filtrage ou de blocage de sites contrevenant. Dans les faits, leur dimension opérationnelle paraît faible. En particulier, la nécessité d'emprunter la voie judiciaire ménage aux contrevenants des délais leur permettant de délocaliser leur activité ou d'en modifier les caractéristiques techniques.

Cependant, la décision rendue par la Haute Cour le 28 juillet 2011 visant à bloquer l'accès de 6 millions de clients de British Telecom à un moteur de recherche référençant des sites de téléchargement illégal semble avoir eu quelque efficacité.

Par ailleurs, la lutte contre le piratage emprunte les voies plus traditionnelles de la lutte contre la contrefaçon et le Royaume-Uni a créé une entité de police spécialisée, la « Police Intellectual Property Crime Unit », la PIPCU. Elle peut demander la neutralisation des noms de domaine des sites incriminés et engager des actions visant à tarir les recettes publicitaires par des procédures de naming and shaming , consistant en la stigmatisation des sites contrevenants.

L'Italie

Le 31 mars 2014 une nouvelle loi sur la lutte contre la contrefaçon est entrée en vigueur en Italie. Elle s'appuie sur une autorité indépendante (l'autorité pour les garanties dans les communications- AGCOM) créée en 1997.

La procédure est confiée à l'initiative de l'ayant droit et passe par un recours à l'AGCOM en cas de poursuite de l'infraction. Elle implique l'utilisateur, le gestionnaire de la page Internet et les prestataires de services. L'autorité peut exiger le retrait des oeuvres, la désactivation de l'accès à ces dernières mais doit respecter les principes de proportionnalité et de gradualité.

La procédure est plus ou moins longue selon la gravité des infractions : de 45 à 10 jours, élément évidemment essentiel de la capacité à répondre aux atteintes aux droits d'auteur. L'autorité peut prononcer des sanctions pécuniaires allant jusqu'à 258 000 euros.

Enfin, le dossier de l'européanisation de la protection des droits d'auteur dans la société numérique appelle une vigilance particulière.

3. La promotion de l'offre légale, une activité utile ?

La promotion de l'offre légale a progressé. Elle consiste essentiellement à signaler les sites sur lesquels les différentes oeuvres culturelles peuvent être trouvées et consultées ou acquises légalement. Par ailleurs, la Hadopi entreprend d'inviter les sites à compléter leurs catalogues lorsque lui est notifié un manque.

Cette action est justifiée par la volonté de communiquer au public l'existence de ressources légales et, ainsi, de contribuer à créer un contexte favorable à l'essor d'une demande respectueuse des droits.

La procédure de labellisation mise en oeuvre a été complétée par l'application de critères moins exigeants. Elle tendait à plafonner tant en nombre de plateformes labellisées (autour d'une soixantaine depuis 2 ans) que du point de vue de sa notoriété (autour de 6 % des internautes). Le nouveau site offrelegale.fr est plus riche.

Source : Hadopi

Il est intéressant de relever la structure des domaines concernés. En contraste avec la structure des usages, le livre numérique ressort comme le champ privilégié des sites légaux. Le crible de la Hadopi aboutit à mettre en évidence des secteurs qui ne sont pas les plus utilisés.

De même, la catégorisation par les modes d'accès, selon qu'ils sont gratuits ou payants, montre que le recensement réalisé par la Hadopi n'a pas pour effet de faire reculer la gratuité des usages. Dans près de 60 % des cas, les contenus sont accessibles gratuitement, les sites mentionnés se finançant, sans doute, par des ressources publicitaires.

Source : Hadopi

Pour autant, la Hadopi n'est évidemment pas à l'initiative du développement de l'offre légale et, au vu de la stabilité des usages illicites, qu'elle indique dans son rapport d'activité, il est difficile de peser sa contribution d'autant que d'autres intervenants (les sites eux-mêmes mais aussi des régulateurs sectoriels) s'efforcent de la promouvoir.

Enfin, il ne faut pas négliger les risques juridiques et de réputation pris dans cette activité.

Le monde de l'Internet particulièrement mouvant et des incertitudes entourent systématiquement certains aspects de sa conformité avec les lois, fiscales notamment. Il serait particulièrement dommageable pour la réputation de la Hadopi qu'elle puisse mettre en valeur des opérateurs indélicats sur d'autres points que la conformité avec la protection des droits d'auteur. Ajoutons que, même en ce domaine, le développement de pratiques innovantes (« les market places » par exemple) peut rendre caducs des « classements » un temps justifiés.

Ainsi, malgré son utilité présumée, cet axe de travail appelle une réévaluation.

4. La mission de régulation des MTP

La mission de régulation des mesures techniques de protection (MTP) consiste quant à elle à concilier la protection du droit d'auteur avec l'exercice des exceptions à ce droit ménagées par le législateur. Le droit national assure la protection des MTP aux articles L.331-5 à L.331-11 du CPI, les sanctions pénales encourues étant définies aux articles L.335-3-1 et suivants du même code. Une attention particulière est portée à l'interopérabilité et à l'exercice de l'exception pour copie privée. La BnF a ainsi pu recevoir le soutien de la Hadopi contre des MTP qui dénaturaient le dépôt légal.

Il faut espérer que les restrictions considérables apportées à la copie privée des programmes télévisés passant par un FAI soient enfin surmontées. Elles sont d'autant plus choquantes que la copie privée est en France rémunérée.

Plus largement, on peut attendre de la Hadopi qu'elle contribue pleinement à prévenir les situations de capture des consommateurs par segmentation des offres réalisée avec le concours des MTP, qui constituent une composante importante de la stratégie commerciale des firmes du numérique.

Cette action difficile pourrait passer par une analyse systématique des contrats proposés par ces firmes afin d'en éliminer les clauses les plus léonines. La Hadopi démontrerait par là qu'elle peut aussi être, pleinement, un bras armé du consumérisme numérique.

*

* *

Votre commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2015.


* 13 Le plafond des dossiers pré-juridictionnels « traitables » par la Hadopi serait de toute façon limité à 250 par an.

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