II. EXAMEN DU RAPPORT
Réunie le mardi 25 novembre 2014, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, collectifs et fluviaux du projet de loi de finances pour 2015.
M. Hervé Maurey , président - Nous examinons le rapport pour avis sur les crédits « Transports ferroviaires, collectifs et fluviaux », pour lequel nous avons désigné Louis Nègre rapporteur pour avis. Louis Nègre est un vrai spécialiste de ces questions et je ne doute pas qu'il va pouvoir nous donner un éclairage intéressant sur ce budget.
M. Louis Nègre , rapporteur. - Je vais d'abord vous présenter rapidement les crédits du projet de loi de finances pour 2015 consacrés aux transports ferroviaires, collectifs et fluviaux. Je reviendrai ensuite sur deux sujets d'actualité : les conséquences de l'abandon de l'écotaxe sur le financement des infrastructures de transport et l'avenir de notre système ferroviaire - vous verrez que les défis à relever sont nombreux.
En ce qui concerne les crédits, nous examinons en fait trois séries de dispositions :
- une partie des crédits inscrits au programme budgétaire 203 intitulé « Infrastructures et services de transport » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ;
- les montants des fonds de concours attendus en 2015 pour les transports ferroviaires, collectifs et fluviaux, parmi lesquels figurent, au premier rang, les crédits de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ;
- le compte d'affectation spéciale « services nationaux de transport conventionné de voyageurs », qui concerne les trains d'équilibre du territoire (TET).
Je commence par les crédits et fonds de concours consacrés aux transports ferroviaires et collectifs. Nouveauté par rapport aux années précédentes, la subvention d'équilibre versée par l'État à l'AFITF, qui avait vocation à s'éteindre avec l'entrée en vigueur de l'écotaxe, et qui était encore de près de 660 millions d'euros en 2014, disparaît complètement en 2015. Cette suppression est plus que compensée par l'affectation de 1,1 milliard d'euros de recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), ainsi que le prévoit l'article 20 du projet de loi de finances.
À périmètre constant, l'enveloppe accordée à Réseau ferré de France - demain SNCF Réseau, avec l'entrée en vigueur de la réforme ferroviaire - est identique à celle votée en loi de finances pour 2014. Elle s'élève à 2,5 milliards d'euros et couvre la redevance d'accès facturée par le gestionnaire d'infrastructure pour l'exploitation des trains express régionaux, les TER, comme des trains d'équilibre du territoire, les TET, ainsi qu'une participation de l'État pour l'utilisation du réseau par les trains de fret.
Ce financement devrait être complété par 372 millions d'euros de fonds de concours provenant de l'AFITF, pour le financement d'opérations contractualisées dans les contrats de projet État-régions jusqu'en 2013. Il s'agit toutefois encore d'une évaluation, le budget de l'AFITF devant être arrêté en décembre.
En ce qui concerne les crédits consacrés au soutien et à la régulation des transports terrestres, 30 millions d'euros sont prévus, comme l'année dernière, pour compenser à la SNCF les tarifications sociales nationales imposées par l'État. 16 millions d'euros sont dédiés au soutien au transport combiné ferroviaire, un montant quasiment stable par rapport à l'année dernière. Enfin, 29 millions d'euros de fonds de concours de l'AFITF devront notamment servir à la mise en sécurité des passages à niveau et des tunnels.
J'en viens aux crédits octroyés aux transports fluviaux. La subvention versée à Voies navigables de France s'élève à 262 millions d'euros, en diminution de 1 % par rapport au projet de loi de finances pour 2014. Le montant consacré au soutien au transport combiné fluvial et maritime, de 8 millions d'euros, est préservé.
Enfin, je rappelle que 18 millions d'euros sont consacrés aux dépenses transversales du programme « infrastructures et services de transport », en diminution de 3,7 % par rapport à l'an dernier. Ils servent à financer les études et les dépenses de logistique de la direction générale des infrastructures de transports et de la mer (DGITM) ou des services qui lui sont rattachés.
Sur le papier, les crédits consacrés aux transports ferroviaires, collectifs et fluviaux sont donc globalement préservés par rapport à 2014. Mais les députés ont adopté, en seconde délibération, une réduction de 16,5 millions d'euros des crédits consacrés aux infrastructures et services de transport, tous modes confondus. Si la somme peut paraître limitée, on ignore quels crédits seront touchés par cette mesure. Le Gouvernement indique que cette baisse portera sur des « dépenses non obligatoires », mais il est des dépenses « non obligatoires » auxquelles l'on ne saurait renoncer, même si elles n'ont pas encore été engagées juridiquement. Je ne donnerai qu'un seul exemple : l'entretien du réseau ferroviaire.
Autre problème, beaucoup plus grave : il manque 840 millions d'euros. Un oubli majeur ! Je veux évidemment parler de l'indemnisation d'Écomouv', qui n'est provisionnée à aucun endroit dans ce budget. Dès lors, comment ne pas le considérer comme problématique ? Vous remarquerez que j'emploie un vocabulaire plus modéré que Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial de la commission des finances, qui l'a qualifié d'insincère.
J'en viens au compte d'affectation spéciale, qui retrace les recettes et dépenses affectées aux trains d'équilibre du territoire. Celui-ci n'évolue pas par rapport à l'année dernière. Il est doté de 309 millions d'euros, destinés à financer l'exploitation de ces services et la maintenance du matériel roulant. Ses recettes proviennent quasi-exclusivement de la SNCF, par le biais de la contribution de solidarité territoriale et de la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires. Seuls 19 millions d'euros sont issus du produit de la taxe d'aménagement du territoire imposée aux sociétés concessionnaires d'autoroutes. Je reviendrai dans un instant sur ce point.
Je voudrais, dans un deuxième temps, m'attarder sur la question du financement des infrastructures de transport.
Comme vous le savez, le Gouvernement s'est engagé à compenser intégralement le manque à gagner résultant de l'abandon de l'écotaxe pour 2015, ce qu'il a effectivement fait en prévoyant une augmentation de la fiscalité sur le gazole. L'AFITF devrait ainsi bénéficier de 2,24 milliards d'euros de recettes pour 2015, ce qui est positif.
Par ailleurs, devant la commission, le ministre Alain Vidalies a annoncé pour décembre la remise des résultats du troisième appel à projets dédié aux transports collectifs en site propre (TCSP). Je suis soulagé. S'y ajoutera le volet « mobilité multimodale » des contrats de plan État-régions, pour 6,7 milliards d'euros. C'est très bien.
Enfin, le Gouvernement a réitéré son engagement à financer le scénario 2 de la commission Mobilité 21, le plus ambitieux. Je ne peux que m'en réjouir.
Mais comment va-t-on y arriver, concrètement ? L'abandon de l'écotaxe est seulement compensé pour 2015. Il ne permet même pas à l'AFITF de rattraper tous les retards de paiement accumulés en 2013 et 2014, en raison de l'insuffisance de ses ressources. Cette insuffisance est due au fait que la subvention d'équilibre de l'État a été réduite avant même que les recettes de l'écotaxe commencent à être perçues ! L'AFITF a ainsi accumulé plus de 770 millions d'euros de dettes vis-à-vis de RFF.
D'après Philippe Duron, le président du conseil d'administration de l'AFITF, il lui faudrait un budget annuel de 2,5 milliards d'euros pour financer le scénario 2, auxquels s'ajoutent encore deux chantiers d'envergure, le tunnel Lyon-Turin et le canal Seine-Nord, qui ne sont pas comptabilisés dans ce scénario.
Autant dire que nous sommes très loin du compte ! Et au lieu de trouver des recettes pérennes pour le financement des transports, le Gouvernement en supprime ! Je ne reviens pas sur l'écotaxe, qui a été abandonnée moins de trois mois après avoir été modifiée par le Parlement et validée sous une nouvelle forme, le péage de transit poids lourds. Je fais ici référence à la taxe « Grenelle II », que j'avais fait adopter en tant que rapporteur dans la loi du même nom. Elle devait permettre aux autorités organisatrices des transports de récupérer une partie de la revalorisation foncière liée au développement de nouvelles infrastructures de transports ferroviaires ou collectifs. Le Gouvernement justifie sa suppression par le fait qu'elle n'a jamais été appliquée. Encore aurait-il fallu, pour cela, que son décret d'application soit pris ! Je ne veux pas m'attarder sur ce sujet, qui est mineur par rapport aux sommes que nous cherchons à obtenir, mais il s'ajoute au précédent.
Pour répondre à l'enjeu qui est posé, j'appelle de mes voeux la réunion d'un « Grenelle III » dédié au financement de la mobilité. Pourquoi réserver cette question cruciale à un groupe de travail restreint et confidentiel, dont on ignore, qui plus est, la composition exacte, mais dans lequel les fédérations de transport routiers ont la plus large place ? Car il faut non seulement compenser les 760 millions d'euros perdus avec l'abandon de l'écotaxe, mais aussi trouver les recettes supplémentaires permettant de financer la maintenance ou la modernisation des infrastructures de transport, le scénario 2 de la commission Mobilité 21, et s'attaquer à l'effet de ciseau catastrophique entre l'augmentation continue des charges et la baisse continue des recettes. Les transports sont le seul service public où les recettes diminuent. Et ce sont les collectivités territoriales qui doivent compenser le manque à gagner.
Je voudrais aussi réagir aux doutes exprimés par la commission des finances au sujet de l'utilité budgétaire de l'AFITF. Je comprends que cette agence dérange, sur le strict plan de l'orthodoxie budgétaire. Elle possède tout de même l'énorme avantage de sanctuariser les crédits consacrés aux transports suivant une logique vertueuse de report modal : ses recettes sont issues de la route, essentiellement des concessionnaires d'autoroutes, et sont affectées, pour plus de la moitié, à des modes plus respectueux de l'environnement - transports ferroviaires, collectifs et fluviaux. L'agence présente aussi l'avantage de réunir dans son conseil d'administration plusieurs acteurs du financement de ces infrastructures - des élus locaux, des parlementaires, les différentes administrations concernées -, qui sont ainsi associés au processus d'engagement des dépenses d'infrastructures. Ce serait, il me semble, une erreur et surtout un risque énorme de perdre ces crédits en les noyant dans la masse des dépenses budgétaires courantes.
Pour finir, je voudrais vous présenter les défis que doit relever notre système ferroviaire. Pour faire preuve d'honnêteté, je m'appuierai sur le point de vue de la gauche. Qu'ai-je vu dans les journaux d'hier ? Aujourd'hui en France évoque dans un titre le cri de colère des présidents de régions Haute-Normandie et Basse-Normandie contre la SNCF, en raison de retards de plus en plus fréquents, de pannes de matériel, du manque de chauffage, des toilettes fermées, d'une communication défaillante... Le catalogue des récriminations s'allonge dans ces régions présidées par des socialistes.
M. Hervé Maurey , président . - Je confirme !
M. Louis Nègre , rapporteur. - Toujours hier, le député de la Gironde Gilles Savary, qui a été rapporteur de la loi sur la réforme ferroviaire, signe un article intitulé « Chemins de fer : on va dans le mur ? Alors, on continue ! ». Ce n'est pas moi qui le dis ! Je termine avec un article des Échos qui nous informe que « L'industrie ferroviaire redoute 10 000 suppressions d'emplois ». D'après le journal, « les sites industriels du leader français, Alstom, encaisseraient l'essentiel de cette dégringolade, notamment à Belfort (plus d'activité à la fin du programme TGV en cours), à Aytré (agglomération de La Rochelle) et à Reischoffen, en Alsace. Le site de Bombardier de Crespin (Nord) ne serait pas non plus épargné, avec une charge en chute libre dès fin 2015?». Je rappelle que l'industrie ferroviaire française est la troisième industrie ferroviaire du monde, nous devons la défendre ! On s'évertue à créer de nouvelles filières, il faut aussi tout faire pour sauver celles qui ont bien fonctionné jusqu'à aujourd'hui !
Le Gouvernement a fait adopter cet été une réforme ferroviaire qui change en particulier la gouvernance du système. Mais la réforme ne répond pas à une question fondamentale, qui est celle de la dette. Celle du gestionnaire du réseau atteint aujourd'hui près de 34 milliards d'euros, et croît de 3 milliards par an ! Même si SNCF Réseau réalise des efforts de productivité, l'accroissement de sa dette pourra, dans le meilleur des cas, être réduit à 1 milliard d'euros par an à partir de 2020, mais on n'inverse pas encore la tendance !
Or, nous devons encore assumer des investissements importants pour l'entretien et la régénération du réseau. L'audit de l'école polytechnique de Lausanne nous a ouvert les yeux en 2005 et 2012. Nous avons commencé à rattraper notre retard dans ce domaine, mais nous n'avons pas encore réussi à arrêter le vieillissement du réseau ! Les besoins sont tout aussi importants pour le fret ferroviaire, qui, lui, est carrément menacé de disparition, alors qu'il reçoit la subvention la plus haute possible de la part des pouvoirs publics.
J'avais tenté d'apporter une première solution, en proposant, l'ouverture à la concurrence du rail, qui a déjà été mise en place dans d'autres pays européens. Les présidents de région étaient d'accord, mais je n'ai pas été suivi. Il faut que la maison SNCF évolue pour se préparer à cette ouverture à la concurrence, qui finira bien par arriver. En attendant, des promesses de gains de productivité ont été faites. Dont acte. À nous de suivre précisément leur réalisation. Mais pourrons-nous fermer les yeux longtemps sur le problème du surcoût de notre système national, qui peut aller jusqu'à 30% par rapport aux autres pays ? Nous verrons ce qui ressortira des négociations en cours sur le cadre social harmonisé applicable à l'ensemble du secteur, nouveaux entrants compris, mais je dois vous avouer que je suis inquiet.
Une autre piste de travail réside dans la lutte contre la fraude. Elle coûte chaque année 300 millions d'euros, rien que pour la SNCF. S'y ajoutent 100 millions pour la RATP, et certainement, pour les transports collectifs de province, une somme de l'ordre de 100 millions également. Nous arrivons ainsi à une perte de 500 millions d'euros environ - un demi-milliard -, soit plus que le montant du troisième appel à projets pour les transports collectifs en site propre !
La SNCF commence à réagir. Elle a par exemple réduit la durée de validité des billets sans réservation à 7 jours pour éviter l'utilisation multiple d'un billet non composté. Elle compte aussi réactualiser ses forfaits de régularisation, pour préserver leur caractère dissuasif. Mais c'est en fait l'ensemble du cadre juridique prévu pour lutter contre la fraude qui doit être revu. Savez-vous que pour être passible d'un délit de « fraude d'habitude », il faut avoir eu plus de dix contraventions en une année ? Je vous proposerai un amendement pour modifier ce système que j'estime en fait incitatif à la fraude.
Au-delà de ces éléments je voudrais mettre l'accent sur trois autres sujets qui constituent une vive préoccupation pour le secteur ferroviaire.
Premièrement, notre filière ferroviaire, la troisième du monde, est en grand danger. Après avoir été pendant longtemps l'un des atouts de la France, son plan de charge va nettement diminuer à partir de 2017, faute de commandes suffisantes, en France bien sûr, mais aussi à l'étranger, où la filière souffre d'une forte concurrence de la Chine, mais aussi de l'Europe de l'Est. Il y a une réelle inquiétude du secteur, menacé de devoir débaucher progressivement son personnel, avec pour conséquence, une perte de compétence évidente. Il faut absolument mettre un frein à cela. Il s'agit d'une industrie lourde, qui ne peut pas être relancée aisément, une fois que les compétences sont perdues. Une fois qu'un site industriel est fermé, il est quasiment impossible de le rouvrir.
L'organisme Fer de France, qui représente la filière et dont le président est Pierre Mongin, a réfléchi à plusieurs pistes de travail, que nous devons à mon sens encourager. Par exemple, il faudrait revoir notre modèle : à force de rechercher la sophistication, nous perdons en souplesse et notre offre, souvent plus chère, s'adapte ainsi moins bien à la demande étrangère, qui recherche davantage la sobriété.
De même, s'il faut évidemment prévoir le train à très grande vitesse du futur, la demande mondiale s'oriente plutôt vers la grande vitesse (200 - 250 km/h), à laquelle nous répondons mal. Comme j'avais réussi à l'introduire dans le projet de loi de réforme ferroviaire, j'insiste sur la nécessité pour notre pays d'imaginer des matériels exportables dès l'origine et pas uniquement franco-français.
Aujourd'hui, en France, un appel d'offres pour la sortie d'un nouveau matériel comporte près de 4 000 spécifications ! Et nous arrivons à créer un produit extrêmement performant, mais que nous sommes ensuite incapables de vendre à l'étranger. Nous devons réfléchir, au sein de notre commission, à l'avenir de cette filière. C'est pour ça que j'étais favorable à l'affirmation de l'État stratège. Je ne vois que l'État pour imposer à des groupes de pression, qui peuvent être très forts, une vision d'intérêt général.
Il faudrait aussi autoriser, sur le marché français, des expérimentations visant à regrouper la commande publique entre plusieurs donneurs d'ordre, afin d'éviter la démultiplication des coûts de développement des produits. L'État stratège, dont nous avons consacré l'existence dans la loi cet été, doit aider à mieux équilibrer les relations entre les donneurs d'ordre et l'industrie ferroviaire.
L'État stratège doit aussi être attentif à l'évolution de l'offre des trains d'équilibre du territoire, qui est un autre sujet de vive préoccupation. Il s'agit des trains Intercités qui assurent une diversité de services, avec un matériel souvent obsolète.
Ces trains étaient gérés et financés par la SNCF, avant que l'État en devienne l'autorité organisatrice en 2011, en signant une convention avec la SNCF. Mais cette convention, qui devait arriver à échéance fin 2013, a d'emblée été considérée comme provisoire, puisqu'elle ne faisait que geler la situation héritée du passée. Le Gouvernement a décidé l'année dernière de la prolonger d'un an, jusqu'à la fin 2014. Cette année, qu'apprend-on ? Qu'une convention similaire, une sorte de « convention-relais », va être signée pour laisser encore un an à l'Etat pour définir sa stratégie dans ce domaine. Où est donc cet Etat stratège que le Gouvernement revendique tant ?
Or, les problèmes à régler sont nombreux. Tout d'abord, l'architecture retenue pour assurer le financement des TET, via un compte d'affectation spéciale majoritairement abondé par la SNCF elle-même, a été qualifiée par la Cour des comptes d'« habillage juridique de la situation antérieure ». De fait, ce mécanisme n'est pas de nature à responsabiliser les deux parties concernées. La SNCF est censée recevoir des bonus si elle améliore la qualité de son service, mais ces mêmes bonus sont en fait financés par une augmentation de sa propre contribution au compte d'affectation spéciale ! Pour sa part, l'Etat n'assume pas le surcoût résultant de ses décisions, puisque c'est la SNCF qui est la variable d'ajustement budgétaire.
En ce qui concerne l'offre en elle-même, elle est très hétérogène, et crée une véritable confusion entre les services TER et TET. C'est un défaut connu depuis longtemps. Il faut que l'Etat définisse une stratégie claire dans ce domaine. C'est la raison pour laquelle il vient de créer une commission « Duron II », qui doit rendre ses conclusions d'ici six mois. Je ne peux que me réjouir de la méthode poursuivie, qui a porté ses fruits, à travers la Commission Mobilité 21, pour la hiérarchisation du schéma national des infrastructures de transport (SNIT). Mais il est vraiment dommage que l'État ait perdu deux ans sur ce dossier !
Et que dire du fait qu'après avoir refusé catégoriquement, en juillet, l'ouverture à la concurrence dans le rail, le Gouvernement nous annonce tout d'un coup, en octobre, l'ouverture à la concurrence du transport en autocar ! C'est contradictoire. Où est la cohérence ?
Par conviction, je suis favorable à ce type de mesure, qui permet de faire baisser les coûts et d'améliorer la qualité du service. Mais il y a un risque sérieux de report du train vers la route, qui est de fait la véritable concurrence ! Or, si nous n'améliorons pas la qualité de service dans nos trains, la libéralisation de l'autocar ne va pas seulement attirer de nouveaux utilisateurs, qui autrement ne voyageraient pas, elle va aussi capter le trafic ferroviaire, ce qui risque de créer une spirale de détérioration du service ferroviaire. Nous devrons être extrêmement vigilants pour que ces évolutions soient maîtrisées et favorables aux usagers.
Je vous remercie de votre attention et vous prie de m'excuser d'avoir été un peu long - mais les enjeux sont nombreux et de taille !
Comme vous l'aurez compris, je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption de ces crédits.
M. Jean-Jacques Filleul . - La concurrence viendra, mais il faut que la SNCF soit prête, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. L'ouverture à la concurrence ne va pas nécessairement régler tous les problèmes du système ferroviaire.
Le rapport de Louis Nègre a abordé nombre de défis du système ferroviaire français, qui ne résultent pas des problèmes de positionnement politique de la gauche ou de la droite, mais proviennent de la SNCF elle-même. Je ne suis pas marri des deux ans et demi qui se sont écoulés depuis l'élection du président de la République. Le Gouvernement est confronté à des problèmes très complexes.
Nous appellerons à voter pour le budget 2015. Non qu'il soit mirobolant, mais il est marqué par une certaine stabilité, ce qui est positif dans le contexte actuel et compte tenu des enjeux. Le Gouvernement a garanti les moyens de l'AFITF jusqu'en 2017. Elle bénéficiera d'un peu plus de deux milliards d'euros. Nous en sommes satisfaits, après une période de flottement qui nous a beaucoup agacés, à la suite de l'abandon de l'écotaxe. Nous ne sommes pas heureux de cette décision d'abandon, et aurions préféré disposer des moyens nécessaires à la réalisation du scénario 2 de la commission Mobilité 21.
Je me suis moi aussi inquiété des propos de la commission des finances au sujet du maintien de l'AFITF, créée en 2005 au moment de la privatisation des sociétés d'autoroutes. L'agence garantit en effet la sanctuarisation des crédits consacrés aux infrastructures.
Je suis aussi préoccupé, comme le rapporteur, sur les mises en chantier. Mais il faut rappeler qu'une partie de nos difficultés résulte du lancement simultané de quatre lignes à grande vitesse, alors que nous n'en avions pas les moyens. Si elle a satisfait les grands élus des régions concernées, cette décision a été prise sans étude. Elle a réduit à néant tous les moyens de RFF pour l'entretien du réseau, ce qui était une erreur. Dans son rapport, la Cour des comptes ne dit pas autre chose, en démontrant que la politique du tout-TGV n'est pas la bonne. On ne peut pas prendre de telles décisions à l'emporte-pièce, alors qu'elles engagent le pays sur autant d'années !
Je suis aussi inquiet, parce qu'il n'y a plus de moyens financiers pour les commandes de rames dont l'industrie a besoin. J'adhère aux recommandations de la Cour des comptes sur les TGV en fin de cycle. Pour les TER, les régions manquent de moyens. Les deux contrats-cadres signés par les régions permettaient la commande de 1 860 trains, sur lesquels 315 ont été effectivement demandés. Comme personne ne dispose de moyens financiers supplémentaires, il y aura des pertes d'emploi, ce qui est regrettable.
La réforme ferroviaire est un outil fantastique. Elle va entrer en vigueur en 2015, mais ne sera véritablement sur les rails qu'en juillet 2015. La SNCF nous l'a garanti. Elle crée un groupe public ferroviaire intégré, composé d'un EPIC de tête, la SNCF, et de deux EPIC « filles », SNCF Réseau et SNCF Mobilités. Nous allons la suivre de très près. Avec Louis Nègre, nous avons rencontré les dirigeants concernés, qui nous ont indiqué que la mise en oeuvre de la réforme se passait correctement pour l'instant.
Les trains d'équilibre du territoire sont un problème important. Le ministère a créé une commission ad hoc , dirigée par Philippe Duron, comme la commission Mobilité 21. Son objectif est de clarifier l'articulation entre les différents services, TGV, TET et TER, et de déterminer le type de matériel dont nous aurons besoin dans les années à venir, ce qui est d'autant plus important que la clientèle pourra choisir, en face, de prendre l'autocar.
Nous voterons ce budget. Notre système ferroviaire a besoin de votes positifs.
M. Hervé Maurey , président. - Je rappelle que nous entendrons la semaine prochaine la Cour des comptes, sur son rapport consacré à la grande vitesse ferroviaire, et que nous entendrons les présidents des trois EPIC du groupe public ferroviaire au tout début de l'année prochaine.
M. Gérard Cornu . - Ce que nous avons vu pour les budgets ferroviaires et routiers est affligeant, sans même parler de l'indemnisation d'Écomouv'. On va dans le mur, soit en klaxonnant, si l'on approuve tout, même l'absence des 800 millions d'euros, soit en disant stop. Lorsque la majorité du Sénat était la même que celle du Gouvernement, il lui est déjà arrivé de s'y opposer ! Affirmer qu'il y a des incertitudes et rejeter l'adoption de ces budgets nous grandirait. Nous savons que l'ensemble des infrastructures va être pénalisé, ce qui est extrêmement grave. Nous mesurons là l'inconséquence d'un Gouvernement qui ne sait plus où l'on va.
M. Rémy Pointereau . - Les arguments du rapporteur sont objectifs, puisqu'il cite Gilles Savary et les présidents de régions. Je suis inquiet de l'absence de provision pour l'indemnisation d'Écomouv', qui risque de poser problème. Je constate un manque de cohérence par rapport à la volonté de favoriser des modes de transport plus respectueux de l'environnement. Nous faisons l'inverse. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre ces crédits.
Les propositions du rapporteur, ainsi que son amendement, sont tout à fait intéressants. Je reconnais que la situation du système ferroviaire vient de loin, ce qui octroie à l'actuel Gouvernement des circonstances atténuantes.
Mme Évelyne Didier . - Même si les tendances politiques avaient été inversées, nous aurions entendu le même constat. Les gouvernements qui se sont succédé ces trente dernières années sont tous responsables, ce qui n'exonère pas le Gouvernement actuel de ses responsabilités dans ce domaine.
Si l'ouverture à la concurrence permettait de faire baisser les coûts, cela se saurait ! Je vous renvoie à l'exemple de l'ouverture à la concurrence dans le domaine de l'énergie. Cette proposition n'est pas à la hauteur des problèmes auxquels nous sommes confrontés s'agissant du financement des infrastructures.
Je suis favorable à la sanctuarisation des crédits permise par l'AFITF. Cette idée d'une suppression doit venir de Bercy, qui a tendance à préférer tout mélanger dans un pot commun, pour décider ensuite de sa répartition.
Il faut trouver des moyens pour l'AFITF. Dans mon groupe, nous avons proposé de nous intéresser à la rente des autoroutes.
Nous sommes devant une série de décisions qui, dans le temps, sont assez incompréhensibles et incohérentes, ce qui est vraiment inquiétant, pour notre industrie surtout, qui était un fleuron. J'ignore pour quelle raison elle n'a pas voulu, su ou pu s'adapter, mais je confirme, après avoir visité l'usine de Reischoffen, que c'est préoccupant. Il est donc important d'essayer de trouver des solutions.
Je ne suis pas opposée à la lutte contre la fraude. Je voudrais même qu'on aille beaucoup plus loin. Si on arrivait à être efficace contre l'évasion fiscale, la fraude aux cotisations sociales, etc., on récupérerait une cinquantaine de milliards d'euros. Je vous invite donc à faire preuve d'audace dans ce domaine et à combattre la fraude là où elle est élevée. A défaut, nous n'y arriverons pas sur le plan budgétaire.
Mme Annick Billon . - On voit bien que la priorité est donnée à l'entretien et à la maintenance, pour assurer l'efficacité et la sécurité du système ferroviaire. Le rapporteur peut-il nous préciser les crédits qui y sont affectés dans ce projet de loi de finances ? Y a-t-il un plan pluriannuel, qui donne de la visibilité dans ce domaine ?
Je suis tout à fait favorable à l'amendement du rapporteur. La fraude dans les transports n'est pas du tout du même ordre que celle évoquée à l'instant par notre collègue. Il faut éviter de stigmatiser les entreprises, qui ne sont pas les seules à frauder, loin de là.
Mme Odette Herviaux . - Tant que les négociations avec Écomouv' n'ont pas abouti, je ne vois pas en quoi il serait nécessaire d'inclure 800 millions d'euros dans ce budget. On ne sait pas encore quand, ni sous quelle forme cette indemnité devra être payée.
Je partage l'inquiétude exprimée sur les industries ferroviaires. Les TGV mériteraient parfois d'être remplacés, mais les moyens ne sont pas là. Les TER ont été victimes de leur succès. En raison de l'abondance des besoins, le matériel s'est usé plus vite que ce qui avait été prévu au départ. Il faudrait pouvoir remplacer ce matériel en confortant la filière française.
Nous voterons cet amendement sur la fraude. Les fraudes ne sont pas nécessairement là où on pourrait le croire, puisque je vois très souvent des personnes en première classe qui essaient de frauder, et sont en plus très désagréables avec le personnel de la SNCF.
M. Hervé Maurey , président. - MM. Dantec, Bignon et Mandelli ont demandé la parole, mais le rapporteur doit bientôt nous quitter...
M. Louis Nègre , rapporteur. - Je m'engage à leur répondre à une autre occasion.
Notre débat n'est pas superficiel, c'est un débat de fond. Que fait-on pour sauver notre pays, ses performances, ses compétences, ses emplois ?
Le budget n'est pas mirobolant, et je vous remercie de l'avoir reconnu, Jean-Jacques Filleul. Mon interrogation ne porte pas sur le montant des crédits, car je connais les difficultés actuelles de notre pays. Comme je l'ai dit, il y a une stabilité des ressources. Le problème est que je ne suis pas sûr qu'en face de ces ressources théoriques, l'argent soit, en pratique, disponible. Il y a un doute sur les engagements financiers qui ont été pris. Pour répondre à Odette Herviaux, à la place du Gouvernement, j'aurais provisionné de l'agent pour l'indemnisation d'Écomouv'. Les portiques sont installés, les salaires ont été payés. Il faut au moins provisionner ces dépenses, qui sont inéluctables. Je ne parle pas du calcul des indemnités, parfois évaluées à 1,5 milliard d'euros. Je reproche au Gouvernement de reculer devant ses problèmes financiers, au lieu de les anticiper et de les mettre sur la table.
De la même façon, je me suis prononcé contre la réforme ferroviaire, qui n'a pas abordé de front le problème de la dette qui plombe le système.
M. Jean-Jacques Filleul . - Cela fait quarante ans...
M. Louis Nègre , rapporteur . - Ce n'est pas une raison pour reculer ce problème encore de deux ans, comme un répit qu'on demande à un bourreau...
La loi sur la réforme ferroviaire a prévu la remise, dans deux ans, d'un rapport pour savoir ce qu'on va faire. Il y a le feu au lac. Il faudrait avoir une vision à plus long terme.
Je conviens que l'ouverture à la concurrence ne résoudrait pas tous les problèmes. Je regarde tout simplement de l'autre côté du Rhin, où le coût de production du kilomètre de train est de 20 à 40 % moins cher ! Je voudrais que nous fassions aussi bien que l'Allemagne - et nous en sommes tout à fait capables - sans qu'il y ait de troubles sociaux.
M. Jean-Jacques Filleul . - La SNCF n'est pas prête.
M. Louis Nègre , rapporteur . - Depuis la première directive européenne d'ouverture à la concurrence, au début des années 2000, nous avons eu le temps de nous préparer ! Or, nous ne sommes pas prêts...
M. Jean-Jacques Filleul . - C'est la SNCF qui est en cause, pas nous...
M. Louis Nègre , rapporteur . - Effectivement. C'est pour cela que je suis favorable à l'État stratège. C'est l'établissement historique de la SNCF qui a conduit à un manque d'État stratège ou de Parlement stratège. Lorsque j'étais rapporteur de la loi Grenelle, je n'ai pas réussi à obtenir la présentation du schéma national des infrastructures de transports (SNIT) devant le Parlement, alors que cela me paraissait une bonne idée. On sent bien que tout le monde est un peu fautif.
Il est vrai que les quatre lignes à grande vitesse ont entraîné des dépenses considérables. Mais, à l'époque, la droite a fait ce choix avec le soutien de la gauche. Nous avons tous réagi de la même façon.
Ce n'est pas seulement Bercy qui est à l'origine de la remise en cause de l'AFITF, mais aussi la Cour des comptes. L'orthodoxie budgétaire, c'est beau, mais c'est, à l'arrivée, une catastrophe pour nos infrastructures.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits « transports ferroviaires, collectifs et fluviaux » du projet de loi de finances pour 2015.
M. Hervé Maurey , président . - Nous étudions l'amendement du rapporteur.
M. Ronan Dantec . - Je le trouve excessif, car on peut oublier deux fois sa carte dans l'année lorsqu'on prend tous les jours les transports en commun. Il faut trouver un juste milieu entre 2 et 10. On crée un contentieux exagéré.
M. Louis Nègre , rapporteur . - Le pays va dans le mur avec ce type de raisonnement. Ce discours conforte l'idée que la fraude peut être tolérée. J'essaie de comprendre pourquoi notre pays fonctionne mal, sur un certain nombre de points. À partir du moment où l'on donne des excuses, on arrive vite à dix cas de fraude par an ! Ce n'est pas ma philosophie.
En outre, lorsque la contravention donne lieu à une transaction, c'est-à-dire lorsque l'usager s'acquitte de l'indemnité forfaitaire, elle n'est pas comptabilisée. Cet amendement s'attaque donc bien à la fraude pure.
M. Hervé Maurey , président . - Je constate une large majorité de la commission sur cet amendement...
L'amendement est adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.