C. LA HAUSSE GLOBALE DES CRÉDITS DU PROGRAMME 123 : « CONDITIONS DE VIE OUTRE-MER » S'ACCOMPAGNE D'UNE BAISSE DE 9 MILLIONS D'EUROS DE L'ACTION LOGEMENT

Alors que les crédits de paiement du programme 138 « Emploi outre-mer » prévus pour 2016 baissent de 17,3 millions d'euros (- 1,3 %), ceux du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » augmentent d'un montant à peu près similaire (+ 18,4 millions d'euros, soit + 2,7 %) pour atteindre 718,6 millions d'euros en AP et 702 millions en CP.

Comme son nom l'indique, le programme 123 a pour finalité d'améliorer les conditions de vie des populations outre-mer en facilitant leur accès au logement, à la santé et à l'éducation, en contribuant avec les collectivités territoriales à l'aménagement des territoires ultramarins ainsi qu'en mettant en oeuvre le principe de continuité territoriale.

Pour justifier la nécessité de ces actions, il convient ici de rappeler que le produit intérieur brut moyen par ultramarin reste inférieur de près de 40 % à celui de l'Hexagone et que la proportion de bénéficiaires des minima sociaux est quatre fois plus élevée, avec 12 % de la population des quatre DOM initiaux contre 3 % en métropole en 2014.

Évolution des crédits du programme 123

« Conditions de vie outre-mer »

(en millions d'euros)

Autorisations d'engagements

Crédits de paiement

ï Exécutée
en 2014

LFI 2015

Demandées pour 2016

Exécutés
en 2014

LFI 2015

PLF 2016

Évolution

2016-2015

123

Conditions de vie outre-mer

665,9

701,0

718,6

667,4

683,5

702,0

18,5

1

Logement

194,3

247,7

247,6

228,6

243,7

234,7

-9

2

Aménagement du territoire

119,8

142,9

144,2

153,5

170,7

176,7

6

3

Continuité territoriale

64,4

41,1

42,5

68,5

41,2

43,2

2,1

4

Sanitaire, social, culture, jeunesse et sport

10,6

9,0

17,8

10,4

9,0

17,8

8,8

6

Collectivités territoriales

200,1

191,7

199,0

174,3

182,7

189,1

6,4

7

Insertions économiques et coopérations régionales

1,1

1,0

1,0

1,0

1,0

1,0

0

8

Fonds exceptionnel d'investissement

51,0

39,3

40,0

24,4

25,7

27,9

2,2

9

Appui à l'accès aux financements bancaires

24,5

28,3

26,6

6,7

9,6

11,7

2,1

Source : projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2016.

Trois évolutions se singularisent pour 2016 dans ce programme .

La principale augmentation concerne l'action 04 « Sanitaire, social, culture, jeunesse et sports » dont les crédits doublent pour atteindre 17,8 millions d'euros en 2016. Cette hausse résulte d'une reprise de la participation de l'État au financement du régime de solidarité territorial de Polynésie française .

Il convient de rappeler que, dans le prolongement des conclusions du rapport de la Cour des comptes de février 2011 sur le système de santé de Polynésie française, l'État avait suspendu ses financements en subordonnant la reprise de cette aide à l'engagement d'actions par cette collectivité d'outre-mer pour contenir les dépenses sociales. À la suite des engagements pris par la Polynésie française, le Gouvernement a décidé de verser à nouveau une dotation.

Contrastant avec la hausse globale des crédits du programme 123, on constate une baisse de 9 millions d'euros des crédits de paiement de l'action 1 consacrée au logement qui passent de 243,7 à 237,7 millions d'euros, alors que cette politique demeure une priorité gouvernementale et que 2016 est l'année du premier budget de mise en oeuvre concrète du plan logement outre-mer . Ce dernier doit s'étaler sur cinq ans avec un minimum de 10 000 logements sociaux par an devant être créés. Votre rapporteur pour avis rappelle ici que le soutien budgétaire est fondamental pour compléter l'aide fiscale à l'investissement et le crédit d'impôt en faveur du logement social dont le terme a été porté à 2020, dans le texte du projet de loi de finances pour 2016 adopté par les députés.

Malgré son montant limité, il convient de souligner la mesure nouvelle incluse dans l'action 3 relative à la « Continuité territoriale » : il s'agit de la création d'un nouveau dispositif d'aide à la continuité funéraire visant à faciliter le rapatriement du corps des ultramarins et à permettre aux familles d'assister aux obsèques. Il y a là un symbole très fort car nos outre-mer restent marqués par le souvenir du déracinement d'un certain nombre de jeunes.

1. Une politique du logement fragilisée par la baisse des crédits dédiés à la ligne budgétaire unique (LBU)

Afin de mieux prendre en compte les particularités des outre-mer, l'action de l'État dans le domaine du logement et de la résorption de l'habitat insalubre relève, depuis 1997, de la responsabilité du ministère des outre-mer .

Dans les DOM les besoins en logements sociaux sont très importants pour des raisons démographiques et parce que la proportion des ménages à bas salaires est élevée. Concrètement, en Martinique, on recense aujourd'hui près de 11 500 demandes de logement social et, selon l'INSEE, il faudrait construire pour la période 2010-2040, 2 500 à 3 000 logements neufs par an. Or en moyenne depuis 2006, 489 logements sociaux ont été financés tandis que 403 ont été livrés par an. De plus, le nombre de logements classés comme insalubres par l'État est d'environ 68 000 et concerne plus de 150 000 personnes. Les cinq DOM à travers des situations différentes ont cependant en commun une urbanisation rapide et mal maîtrisée.

Besoins en logements dans les départements d'outre-mer

DOM

Nombre de demandeurs

de logements sociaux

Besoins par an en logements dont sociaux et en accession

Besoins sur le secteur libre et intermédiaire

Nombre de logements insalubres

Guadeloupe

9 357

3 120 à 4 100 logements par an dont 1 900 à 2 240 logements aidés

2 200

15 000

Martinique

11 457

2 300 à 3 000 logements par an dont 1 200 logements sociaux

2 700 à 3 300

6 à 8 000

Guyane

6 760

4 500 à 5 150 par an dont 1 465 logements sociaux et 870 en accession

2 244

12 000

La Réunion

28 607

9 000 logements dont 4 000 logements sociaux et 1 000 en accession

4 000

16 235

Mayotte

2 120

2 300 logements dont 500 logements sociaux et 300 en accession

1 800

20 000

Total DOM

58 301

De 21 000 à 24 000 logements neufs dont près de 11 600 logements sociaux et en accession

de 12 300 à environ 13 600

de 68 à 71 240

Source : réponse au questionnaire budgétaire, ministère des outre-mer.

Pour le financement de la politique du logement, la ligne budgétaire unique (LBU) représente un tiers des crédits du programme. Stables en autorisations d'engagement (247,6 millions d'euros) les allocations prévues pour 2016 sont en retrait de 3,5 % en crédits de paiement (234,6 millions d'euros) par rapport à l'année précédente, avec la décomposition suivante :

- 50,3 millions d'euros de crédits de paiement en faveur des ménages , dont 20,1 millions en faveur de l'accession à la propriété et 29,7 millions d'euros destinés à l'amélioration de l'habitat privé. Ces deux postes sont les principaux impactés par la baisse des subventions en faveur du logement ;

- 140,5 millions d'euros en crédits de paiement en faveur des opérateurs, dont 125,8 destinés au logement locatif social et 6 à l'amélioration du parc locatif social ;

- et 54 millions d'euros de crédits de paiement sont destinés aux fonds régionaux d'aménagement foncier urbain (FRAFU) ainsi qu'à la résorption de l'habitat insalubre dans les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

La construction de logements locatifs sociaux constitue la priorité absolue , ce qui comprend non seulement le logement locatif social (LLS) et très social (LLTS), mais aussi les logements spécifiques comme les établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD), les logements étudiants et l'hébergement d'urgence.

Rappelons qu'on distingue deux grandes catégories de logements sociaux suivant les prêts et subventions accordés aux organismes pour leur production : les PLAI - prêt locatif aidé d'intégration - destinés aux personnes en difficulté et les PLUS - prêt locatif à usage social - dont les loyers maximaux sont un peu supérieurs à ceux des PLAI. Les logements PLS - prêt locatif social - correspondent, quant à eux, au logement dit intermédiaire destiné aux classes moyennes : ce ne sont pas stricto sensu des logements sociaux et le plafond de ressources exigé du locataire est supérieur de 30 % au plafond demandé pour un logement social classique.

Le but fixé pour 2016 est de financer 6 953 logements locatifs, en retrait de 12,5 % par rapport à l'année précédente , puisque l'objectif était de 7 950 logements en 2015. Pour l'instant, nous sommes donc encore éloignés des objectifs fixés par le plan logement outre-mer, qui vise un minimum de 10 000 logements sociaux par an.

Parallèlement, le nombre de logements sociaux financés par les incitations fiscales dans les DOM en 2014 s'élève à 5 764, dont plus de la moitié à la Réunion, contre 6 603 en 2013, ce qui confirme la tendance baissière en matière de logement social. Il convient de préciser que le dispositif relevant de l'article 199 undecies C du code général des impôts est l'outil le plus utilisé avec 73 % du total des demandes d'agrément. Le régime prévu par l'article 217 undecies représente 27 % des demandes d'agrément et concerne, pour sa part, toutes les catégories de logements sociaux.

Dans le cadre budgétaire et fiscal actuel, l'agrandissement du parc de logements intermédiaires ultramarins ne fait pas l'objet de subventions. Il est cependant encouragé par le dispositif dit de défiscalisation « Duflot -Pinel » mis en place au 1 er janvier 2013 qui prévoit un avantage d'impôt attractif dans les outre-mer.

Quelques précisions sur le dispositif « Duflot-Pinel » dans les DOM et les COM - L'article 80 de la loi de finances pour 2013 a institué une réduction d'impôt sur le revenu, dite « Duflot », en faveur de l'investissement locatif intermédiaire. Afin d'en accroître l'attractivité auprès d'un plus grand nombre d'investisseurs, l'article 5 de la loi de finances pour 2015 a réformé cette réduction d'impôt, renommée « Pinel », applicable aux investissements réalisés à compter du 1 er septembre 2014. Codifié à l'article 199 novovicies du code général des impôts (CGI), ce mécanisme s'applique à l'acquisition ou à la construction de logements neufs ou assimilés.

Par rapport au dispositif « Duflot », dont la durée de location a été fixée à 9 ans, le dispositif « Pinel » a introduit la possibilité de réduire à 6 ans ou d'allonger cette durée à 12 ans. L'écart entre la métropole et les collectivités ultramarines dans le taux de réduction d'impôt sur le revenu, qui est de 11 % de plus pour les outre-mer, a été reconduit en fonction de la durée de location : cette réduction est de 23 % pour un engagement de six ans, 29 % pour un engagement de neuf ans et 32 % pour un engagement de douze ans. Le niveau de cette réduction d'impôt doit permettre d'ouvrir ces investissements à une nouvelle catégorie de contribuables non éligible au dispositif de la loi LODEOM.

2. La hausse des crédits consacrés à l'aménagement du territoire et le financement des contrats de plan avec l'État

L'action n° 2 « Aménagement du territoire » soutient l'investissement public et l'action des collectivités territoriales. Cette action est dotée, pour 2016, de 144,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et 176,6 millions d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 3,5 % de ces derniers par rapport à 2015.

94 % des crédits de cette action financent les projets d'investissements par le canal de la politique contractuelle :

- 42,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 57,5 millions d'euros en crédits de paiement sont prévus pour 2016 pour les opérations engagées au titre des contrats de plan État-régions conclus avec les cinq DOM ;

- 94,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 103,1 millions en crédits de paiement sont destinés pour les investissements relevant des contrats de projets et de développement dans les collectivités d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie .

5,7 millions d'euros sont également alloués à des interventions spécifiques comme le Plan séisme Antilles ou le Plan d'accompagnement du parc amazonien.

La nouvelle génération de contrats de plan État-régions (CPER) couvre la période 2015-2020 et vise à créer des emplois dans plusieurs domaines prioritaires comme l'amélioration des infrastructures ultramarines, la transition énergétique, l'innovation et la cohésion sociale, conformément aux objectifs définis par une circulaire du Premier ministre du 2 août 2013. Pour ces contrats 2015-2020, le montant de l'engagement de l'État s'établit à 865,9 millions d'euros, en nette augmentation par rapport à la génération 2007-2014.

Pour sa part, la nouvelle génération de contrats de projets entre l'État et la Polynésie française bénéficie d'une enveloppe totale de 360 millions d'euros sur 6 ans, de 2015 à 2020, à parité entre l'État et le Pays. 22,7 millions d'euros en autorisations d'engagement et 25,5 millions d'euros en crédits de paiement sont prévus à ce titre pour 2016 contre respectivement 20 et 20,3 millions d'euros en 2015.

3. Les crédits en faveur de la continuité territoriale en hausse mais dont le niveau est insuffisant.

La politique nationale de continuité territoriale est définie par l'article L. 1803-1 du code des transports : elle tend « à rapprocher les conditions d'accès de la population aux services publics de transport, de formation, de santé et de communication de celles de la métropole, en tenant compte de la situation géographique, économique et sociale particulière de chaque collectivité territoriale d'outre-mer ».

Elle se traduit par le versement d'aides aux résidents des outre-mer pour des déplacements en métropole et, pour les personnes en formation professionnelle en mobilité, de prestations de vie quotidienne et pédagogiques.

L'action n° 3 « Continuité territoriale » finance cette politique au moyen de plusieurs outils :

- l' aide à la continuité territoriale pour tous publics (9,8 millions d'euros en AE et CP pour 2016) ;

- le passeport mobilité études pour les étudiants et les lycéens (16 millions d'euros en AE et CP pour 2016) ;

- et le passeport mobilité formation professionnelle pour les personnes ayant un projet d'insertion professionnelle (7 millions d'euros en AE et CP pour 2016).

En 2015, les crédits de cette action 3 ont baissé de 20 %, l'aide à la continuité territoriale ayant principalement subi cette restriction budgétaire. Afin de contenir l'augmentation des dépenses, la loi de finances pour 2015 a, en effet, modifié les critères d'éligibilité de l'aide à la continuité territoriale en instituant un délai d'au moins trois années entre le versement de deux aides et en divisant son montant par deux pour les foyers dont le quotient familial annuel est supérieur à 6 000 euros.

Pour 2016, avec 43,2 millions d'euros en crédits de paiement et 42,5 millions d'euros en autorisations d'engagement, les dotations augmentent légèrement à partir du plancher atteint en 2015 (+ 2 millions d'euros en CP et + 1,5 millions d'euros en AE).

Certes, le rééquilibrage ainsi intervenu entre les aides a permis d'améliorer le passeport mobilité mais la baisse des crédits par rapport à 2014 ne favorise pas le désenclavement des territoires ultramarins.

Par ailleurs, votre rapporteur pour avis se félicite de la création d'un nouveau dispositif d' aide à la continuité funéraire visant, d'une part, à faciliter le rapatriement du corps des ultramarins ayant leur résidence outre-mer et décédés dans l'hexagone, et d'autre part de participer aux frais de déplacement des membres de la famille pour assister aux obsèques. On ne peut comprendre l'importance de cette mesure qu'en évoquant la création, dans les années 1960, du « Bumidom » - Bureau des Migrations pour les Départements d'Outre-Mer - qui avait pour objectif de fournir des emplois aux jeunes ultramarins tout en répondant aux besoins de main-d'oeuvre de la métropole pendant les années de croissance des Trente Glorieuses. Dans la réalité concrète, cette idée s'est traduite par un déplacement massif de population , dont on trouve peu de traces dans les livres d'histoire , avec 160 000 personnes entre 1963 et 1983, et une désillusion qui a souvent laissé des traces indélébiles dans la mémoire des ultramarins.

4. Une dotation au fonds exceptionnel d'investissement qui n'est pas à la hauteur des ambitions ni des annonces.

Créé par l'article 31 de la loi pour le développement économique des outre-mer, le Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) finance le plan de rattrapage en matière d'équipements publics outre-mer.

Un appel à projets a été lancé en janvier 2013 dans chacun des territoires pour sélectionner, par exemple, des opérations d'adduction d'eau potable, de gestion des déchets, de désenclavement et de création d'infrastructures numériques. Depuis 2013, 108 projets ont été sélectionnés pour un volume d'investissement s'élevant à 365 millions d'euros.

Pour 2016, les autorisations d'engagement sont prévues pour un montant de 40 millions d'euros (+ 1,8 % par rapport à 2015), et les crédits de paiement s'élèvent à 27,9 millions d'euros (+ 8,6 %). Malgré cette hausse, l'objectif fixé par le président de la République de doter le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) de 500 millions d'euros entre 2013 et 2017 semble désormais difficile à atteindre . En effet, le total cumulé des AP s'établit à 412 millions d'euros entre 2009 et 2016 et il faudrait donc ajouter, en loi de finances, pour 2017, 88 millions d'euros à cette somme pour parvenir aux 500 millions annoncés. Votre rapporteur pour avis souligne que ces crédits ont un effet de levier considérable pour l'investissement : leur augmentation favoriserait l'offensive économique dont nos outre-mer ont besoin.

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