B. LES INCITATIONS FISCALES ULTRAMARINES  DANS LE PROJET DE BUDGET POUR 2016 : DONNER UNE PRIORITÉ ABSOLUE À LEUR PRÉVISIBILITÉ POUR QU'ILS PUISSENT ETRE PRIS EN COMPTE DANS LES PLANS DE FINANCEMENT

Deux mesures prévues par le projet de loi de finances pour 2016 appellent un commentaire particulier.

Votre rapporteur pour avis souligne avant tout la nécessité de stabiliser le cadre fiscal, juridique pour lui donner plus de visibilité et de crédibilité aux yeux des investisseurs.

De plus, votre rapporteur pour avis suit attentivement les mesures tendant à limiter la complexité et, parfois, la lenteur excessive des procédures d'agrément, le but étant de garantir l'efficacité des contrôles tout en permettant aux opérateurs de mieux se concentrer sur leur coeur de métier : « le temps, c'est de l'argent » et on en perd trop dans les outre-mer, selon les remontées de terrain.

1. Un assouplissement en faveur de la construction de logements sociaux (article 42 bis du projet de loi de finances pour 2016).

L' article 42 bis du projet de loi de finances pour 2016 résulte de l'adoption par les députés d'un amendement du Gouvernement qui, comme l'avait annoncé la ministre lors de son audition par notre commission des affaires économiques, vise à favoriser la construction de logements sociaux .

Cet article :

- supprime une disposition de l'article 21 de la loi de finances pour 2014 qui a introduit une obligation minimale de financement par subvention publique de 5 % pour que les logements sociaux outre-mer puissent bénéficier de l'aide fiscale à l'investissement outre-mer ;

- remplace cette condition légale par un agrément délivré par le représentant de l'État ;

- limite à 15 % du nombre total de logements sociaux livrés l'année précédente la proportion de logements PLS pouvant être agréés et ainsi bénéficier de l'aide fiscale à l'investissement outre-mer afin de maintenir la priorité à la construction de logements sociaux ;

- et prévoit enfin un rapport annuel au Parlement sera établi par le ministre chargé des outre-mer précisant, par territoire, le bilan de construction des différentes catégories de logements.

Votre rapporteur pour avis approuve la suppression d'une condition légale qui est apparue sur le terrain comme un obstacle à la construction de logements sociaux dont les outre-mer ont tant besoin.

La limitation du nombre d'agréments avec le recours à un seuil fixé à 15 % pourrait cependant susciter, comme toute fixation rigide d'un nouveau seuil, des effets pervers ou inattendus. La règle d'or, dans ce domaine, consiste à tenir compte de la diversité des situations et des besoins selon les territoires.

2. Le réaménagement des régimes d'aide fiscale à l'investissement outre-mer (article 43 du projet de loi de finances pour 2016).

Constatant que l'aide fiscale à l'investissement ultramarin est un enjeu majeur, le Gouvernement a souhaité pérenniser et réaménager les dispositifs en privilégiant une évolution vers la technique du crédit d'impôt dans le secteur du logement social et, plus progressivement, dans le domaine de l'investissement productif. Pour les petits investissements dans les DOM et pour les territoires dotés de l'autonomie fiscale dans lesquels le crédit d'impôt ne peut pas s'appliquer, le mécanisme de la défiscalisation doit être maintenu.

L'article 43 vise à aménager les régimes d'aide fiscale à l'investissement outre-mer.

Dans sa version initiale, le texte du projet de loi de finances comporte trois volets.

- Tout d'abord, il étend le régime de crédit d'impôt en faveur du logement social outre-mer - prévu à l'article 244 quater X du code général des impôts (CGI) - aux travaux de réhabilitation de logements âgés de plus de vingt ans et situés dans les quartiers du « nouveau programme national de rénovation urbaine » (NPNRU) pour rénover le parc social des organismes de logements sociaux (OLS). Le parc de logements sociaux des OLS ultra-marins souffre en effet de vieillissement et il est donc important, en complément du soutien à l'offre de logements neufs, de remettre aux normes le parc existant afin de diminuer les risques sanitaires et sismiques. Le coût de cette extension du crédit d'impôt est financé par la suppression de la réduction d'impôt accordée au titre des travaux de réhabilitation de logements (prévu au e du 2 de l'article 199 undecies A du CGI).

- Ensuite, il aménage l'extinction de certains régimes d'aide fiscale à l'investissement outre-mer, dont le terme est fixé au 31 décembre 2017. Pour assurer la sécurité juridique des opérateurs et des projets il clarifie le fait générateur de l'avantage fiscal.

- Enfin, conformément à l'engagement pris par la France pour assurer la mise en conformité de l'aide avec le droit de l'Union européenne, le bénéfice de la réduction d'impôt, prévue au f du 2 de l'article 199 undecies A du CGI, au titre de la souscription au capital de certaines sociétés ultramarines (sociétés de développement régional ou sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés effectuant des investissements productifs outre-mer dans certains secteurs d'activité) est subordonné au respect du règlement général d'exemption par catégorie (RGEC).

Au stade de l'examen en commission des finances, les députés ont adopté un amendement de M. Joël Giraud visant à proroger le terme du dispositif d'aide fiscale à l'investissement à 2020 pour les DOM , afin d'envoyer un signal fort aux entreprises et d'encourager la création d'emplois.

En séance publique, les députés ont adopté, outre des modifications rédactionnelles, plusieurs amendements de fond.

- Le premier, de Mme Maina Sage a pour but de préserver le dispositif actuel de défiscalisation pour la réhabilitation des logements privés anciens dans les COM . En effet, le texte du projet de loi de finances initial vise à supprimer le e du 2 de l'article 199 undecies A qui porte sur la réhabilitation des logements privés anciens à la fois dans les DOM et les COM. Pour les seuls DOM, une nouvelle disposition du projet de loi prévoit la possibilité de mobiliser le crédit d'impôt pour la rénovation des logements locatifs sociaux de plus de 20 ans. Afin de remédier au « vide fiscal » ainsi créé pour les COM, le texte adopté par les députés propose le maintien des dispositions actuelles pour ces collectivités à autonomie fiscale.

Opposé à cette modification, le Gouvernement a indiqué qu'il avait choisi d'axer la dépense fiscale sur les bailleurs sociaux par un crédit d'impôt, plutôt que par les anciens dispositifs de défiscalisation.

- Le second, présenté par le Gouvernement, propose une nouvelle rédaction de l'article 43 pour répondre aux préoccupations des opérateurs ultra-marins.

Il maintient la proposition d' extension du crédit d'impôt prévu à l'article 244 quater X du code général des impôts (CGI) aux travaux de réhabilitation de logements de plus de vingt ans situés dans les quartiers du « nouveau programme national de rénovation urbaine » (NPNRU) en contrepartie de la suppression progressive de la réduction d'impôt accordée au titre des travaux de réhabilitation de logements prévu au e du 2 de l'article 199 undecies A du CGI.

Il prolonge également les mesures transitoires aménageant la fin du régime de la réduction d'impôt en faveur du logement social (article 199 undecies C) en clarifiant le fait générateur de l'avantage fiscal prévu en matière de travaux de réhabilitation hôtelière.

Par ailleurs, conformément aux annonces du Gouvernement, il vise à proroger les régimes d'aides en faveur du logement social jusqu'en 2020 , à savoir le crédit d'impôt prévu à l'article 244 quater X du CGI pour les départements d'outre-mer (DOM), et la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies C du CGI pour les collectivités (COM) dans lesquelles le crédit d'impôt ne s'applique pas.

S'agissant des régimes d' aide à l'investissement productif , il prévoit également une prorogation jusqu'en 2020 avec, pour les départements d'outre-mer, une obligation progressive de recourir au crédit d'impôt . En effet, le seuil de chiffre d'affaires interdisant le recours à la défiscalisation en matière d'impôt sur le revenu (réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies B du CGI) est abaissé progressivement de sorte qu'en 2020, seules les petites entreprises des DOM (moins de cinq millions d'euros de chiffre d'affaires) pourront encore bénéficier de ce régime.

- Les députés ont ensuite adopté quatre sous-amendements de M. Serge Letchimy à l'amendement du Gouvernement qui ont un but commun : conditionner l'extinction du dispositif de défiscalisation des investissements productifs à la mise en place d'un mécanisme institutionnalisé de préfinancement du crédit d'impôt ou d'avance remboursable à taux zéro en complément.

S'agissant des conséquences pratiques, pour les opérateurs, du remplacement de la défiscalisation traditionnelle par le crédit d'impôt, le Gouvernement a estimé que dans le secteur du logement social, la Caisse des dépôts et consignations pourra assurer le préfinancement dans des conditions satisfaisantes recours à des sociétés intermédiaires. En ce qui concerne l'investissement productif, il a estimé que les grandes entreprises, parviendraient assez aisément à trouver des solutions de préfinancement tout en convenant que les plus petites entreprises risquent de rencontrer de sérieuses difficultés. Le principal argument du Gouvernement en faveur du choix du crédit d'impôt reste cependant qu'il permet d'éviter aux entreprises de supporter le coût de l'intermédiation qui rémunère l'important travail de collecte de fonds et de montage de sociétés de défiscalisation.

Votre rapporteur pour avis souligne que les petites entreprises ultramarines ont effectivement besoin d'un mécanisme permettant de mobiliser la créance sur le Trésor public que constitue le crédit d'impôt pour disposer des fonds nécessaires à leur projet d'investissement. Rien n'empêche, en principe, à tout banquier de répondre à ce besoin de préfinancement, mais en pratique, les banques exigent des garanties importantes et facturent ce crédit à des taux élevés. Interrogée sur ce point en commission sénatoriale des affaires économiques, la ministre a signalé, dans les outre-mer, les difficultés de préfinancement du crédit d'impôt par la Banque Publique d'Investissement et exprimé sa volonté de trouver une solution adéquate.

- L'Assemblée nationale a enfin adopté deux sous-amendement identiques, l'un de M. Patrick Ollier et l'autre de MM. Victorin Lurel et Jean-Paul Tuaiva qui vise à proroger les dispositifs de défiscalisation (art. 199 undecies B et C) dans les collectivités d'outre-mer jusqu'au 31 décembre 2025 . En effet, l'autonomie fiscale des collectivités d'outre-mer empêche celles-ci de bénéficier des dispositifs nouveaux de crédit d'impôt. Le texte adopté par les députés limite cependant à 2020 prorogation de la défiscalisation à Saint-Martin car son statut de région ultrapériphérique (RUP) entraine l'application des règles communautaires.

Votre rapporteur pour avis souligne, tout d'abord, avec force que c'est surtout en travaillant à rendre plus stable et plus lisible le cadre juridique et fiscal que nous pourrons faciliter l'offensive économique dans nos outre-mer. Comme le rappelle le Conseil d'État, l'instabilité plus encore que l'inflation est le principal défaut de notre législation. Plus précisément, le doute récurrent qui plane sur la pérennité des dispositifs handicape l'attractivité des territoires car elle crée de l'incertitude sur la viabilité économique des projets d'investissement.

En second lieu, s'agissant des contraintes européennes , il convient de rappeler que les aides publiques aux entreprises sont strictement encadrées par les articles 107 et suivants du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Les aides doivent, en règle générale, faire l'objet d'une notification à la Commission européenne et elles ne peuvent être octroyées qu'après approbation de la Commission.

Cependant, depuis 2001, par souci de simplification, la Commission a adopté des règlements qui permettent aux États membres d'accorder certaines catégories d'aides aux entreprises sans notification préalable lorsque celles-ci remplissent les critères prescrits. C'est dans ce cadre que l'État, les collectivités territoriales et les organismes publics peuvent utiliser le règlement général d'exemption par catégorie (RGEC) n° 651/2014, publié le 26 juin 2014. Ce règlement permet aux États membres d'adopter des régimes d'aides aux entreprises, sous réserve qu'ils contiennent une référence expresse au règlement et soient publiés sur internet. Depuis le 1 er janvier 2015, le système d'autorisation des aides d'État pour les outre-mer est adossé à ce RGEC. Par la suite, en juin 2015 le plafond des aides prévu par le RGEC a été modifié pour que les dispositifs l'outre-mer soit couvertes par ce règlement et la Commission a émis plusieurs lettres de confort pour sécuriser le versement de ces aides.

C'est dans ce contexte qui dénote une certaine fragilité juridique du RGEC, qu'une révision de ce règlement est programmée à l'horizon 2020. Sur la base de cette analyse, votre rapporteur pour avis ne voit aucun empêchement pour le législateur de porter à 2025 plutôt qu'à 2020 la limite temporelle des incitations fiscales envisagées pour les DOM par le projet de loi de finances pour 2016.

Enfin, en ce qui concerne plus particulièrement le logement social, il convient par ailleurs de veiller à ce que l'article 43 du projet de loi de finances permette de calibrer les opérations de réhabilitation de logements de façon aussi réaliste que possible.

3. L'amélioration de la fluidité dans les procédures d'agrément.

Comme en témoignent les remontées de terrain, les difficultés relatives à la construction de logement ne sont pas seulement budgétaires mais tiennent aussi à des difficultés et lenteurs juridiques et administratives.

Votre rapporteur pour avis se félicite que le Gouvernement, tout à fait conscient de ces risques d'enlisement des projets, ait pris deux initiatives.

D'une part, une instance de concertation entre l'État et les représentants de bailleurs sociaux a été réunie et formulera des propositions opérationnelles pour fluidifier les agréments. En particulier, la ministre des outre-mer a indiqué que l'obligation de présenter un permis de construire purgé de tout recours sera supprimée.

D'autre part, comme cela a été mentionné plus haut, l'article 42 bis du présent projet de loi de finances prévoit l'abrogation, à compter de 2016, du frein législatif que constituait l'obligation minimale de financement par subvention publique de 5 % pour que les logements sociaux outre-mer puissent bénéficier de l'aide fiscale à l'investissement.

Rappels sur les procédures d'agrément

Selon la nature des investissements - productifs ou dans le logement social - et leur montant, différents acteurs interviennent dans le processus d'agrément nécessaire avant la mise en oeuvre d'un projet.

S'agissant des investissements dans le domaine productif, l'avantage fiscal est soumis à un agrément préalable du ministre du budget, après avis du ministre de l'outre-mer lorsque le montant des investissements par programme est supérieur à un million d'euros dans le cadre d'un investissement direct ou à 250 000 euros dans le cadre d'un investissement financé et donné en location par un tiers. En outre, l'agrément préalable de l'administration fiscale est requis dès le premier euro pour les investissements réalisés dans les secteurs des transports, la navigation de plaisance, l'agriculture, la pêche maritime et l'aquaculture, l'industrie charbonnière et la sidérurgie, la construction navale, les fibres synthétiques, l'industrie automobile, la rénovation et la réhabilitation d'hôtel, de résidences de tourisme et de villages de vacances classés. Les investissements qui sont nécessaires à l'exploitation d'une concession de service public local à caractère industriel ou commercial sont également soumis à un agrément au premier euro.

Dans le secteur du logement social, les projets de moins de deux millions d'euros ne nécessitent pas d'agrément, à l'exception des opérations réalisées par des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés.

Lorsque le montant du programme d'investissement est compris entre deux et 20 millions d'euros, l'agrément est délivré par la direction régionale des finances publiques du département dans lequel les logements sont réalisés. Au-delà de 20 millions d'euros, l'agrément est délivré par le ministre du budget après avis du ministre des outre-mer chargé de se prononcer sur les aspects économiques et environnementaux du projet.

Conformément aux dispositions de l'article 1649 nonies du code général des impôts, toute demande d'agrément auquel est subordonnée l'application d'un régime fiscal particulier doit être déposée préalablement à la réalisation de l'opération qui la motive. Dans le cas contraire, la demande d'agrément est irrecevable, car frappée de forclusion et aucune aide ne peut être accordée.

L'agrément est accordé si le programme présente un intérêt économique pour le département, s'il s'intègre dans la politique d'aménagement du territoire et de l'environnement et s'il garantit la protection des investisseurs et des tiers. En outre, l'un des buts principaux de l'investissement doit être la création ou le maintien d'emplois dans le département où il est réalisé. L'impact sur l'emploi est systématiquement vérifié lors de l'instruction des demandes et fait l'objet d'un suivi annuel après la réalisation du projet.

Le contrôle du respect de la condition légale d'octroi de l'agrément relative à l'emploi s'effectue au travers des engagements que souscrivent les bénéficiaires d'agréments fiscaux et qui sont repris dans les décisions d'agrément.

En outre, les investissements ne doivent pas porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou laisser présumer l'existence de blanchiment d'argent. Ils doivent s'intégrer dans la politique de développement durable du territoire dans lequel ils sont réalisés. Les bénéficiaires de l'agrément doivent respecter leurs obligations fiscales et sociales et s'engager à autoriser la vérification sur place des modalités de réalisation et d'exploitation des investissements aidés.

Par ailleurs, une commission consultative interministérielle, centrale ou locale, peut être saisie par l'investisseur lorsque l'administration envisage un refus d'agrément. Enfin, l'organe exécutif des collectivités d'outre-mer compétent en matière de développement économique doit être tenu informé des opérations réalisées sur son territoire.

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