B. UN PROJET DE LOI MODIFIÉ PAR LE SÉNAT

Le Président de la République a chargé M. Bernard Pêcheur, président de la section de l'administration du Conseil d'Etat 5 ( * ) , de réaliser une étude sur les conséquences de ces deux arrêts au regard du droit interne . Le rapport de M. Pêcheur a été remis au Président de la République le 18 décembre dernier et comporte un avant-projet de loi tendant à insérer dans le code de la défense un régime d'associations professionnelles adapté à l'état militaire, très largement repris dans le projet de loi d'actualisation de la programmation militaire adopté le 28 juillet dernier .

Il s'agissait, par cette réforme, de renforcer le dialogue au sein de la communauté militaire sans affaiblir nos forces armées ni dénaturer l'état militaire.

Afin d'assurer la conciliation de ces deux objectifs, le projet de loi faisait usage de la marge de manoeuvre ménagée par la CEDH. Celle-ci autorise en effet des restrictions, « mêmes significatives », aux modes d'action et d'expression que pourraient avoir des associations professionnelles militaires, compte tenu de la « spécificité des missions incombant aux forces armées ». Selon la convention européenne des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour, ces restrictions doivent toutefois rester légitimes, c'est-à-dire prévues par la loi, justifiées et proportionnées, et ne doivent pas porter atteinte aux « éléments essentiels de la liberté syndicale » cités ci-dessus.

Dès lors, le principe de la réforme suggérée par le rapport Pêcheur était simple : effectuer une modification circonscrite de notre législation, suffisante pour assurer sa conformité à la jurisprudence de la CEDH mais qui évite d'aller trop loin afin de ne pas porter atteinte aux autres exigences constitutionnelles qui prévalent en la matière (intérêts fondamentaux de la Nation, impératifs de la défense nationale, préservation de l'ordre public et nécessaire libre disposition de la force armée).

Pour autant, il ne s'agit pas d'une réforme au rabais . En effet, le rapport souligne, fort justement selon vos rapporteurs, que, dans une période où l'armée française est très engagée dans le monde et soumise à des contraintes budgétaires parfois douloureuses, « l'Etat gagnerait à transformer la contrainte que constituent les arrêts de la Cour en une opportunité de consolider et revivifier le dialogue interne ».

Concrètement, la réforme proposée a consisté à autoriser la création d'associations professionnelles au sein de l'armée et des formations rattachées . Il ne s'agit pas de simples associations régies par la loi du 1 er juillet 1901, mais d'« associations professionnelles nationales de militaires (APNM) » soumises à un régime juridique spécifique.

La création et l'adhésion à des syndicats au sens du code du travail restent en revanche interdites.

En effet, rien n'obligeait à doter les nouveaux organismes du statut de « syndicat » tel que le code du travail le définit . Cela aurait d'ailleurs été incompatible avec les autres principes constitutionnels évoqués ci-dessus. A titre d'exemple, la possibilité reconnue à un syndicat militaire de se fédérer avec un syndicat civil aurait ouvert la voie, selon le rapport Pêcheur, à « une importation dans la sphère militaire de débats et de thèmes syndicaux qui lui sont étrangers ».

La loi du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire précitée a ainsi prévu que ces associations, exclusivement nationales pour éviter un émiettement excessif, auront pour objet exclusif la préservation et la promotion des intérêts des militaires en ce qui concerne la « condition militaire » , telle que précisément définie en des termes excluant notamment les questions d'organisation des armées.

Chacune de ces associations est ouverte à tout militaire , quel que soit son grade, ses fonctions ou son sexe, appartenant au moins à l'une des trois armées ou service de soutien interarmées ou formation rattachée. Y seront admis les réservistes, les personnels civils détachés dans les forces armées mais non les anciens militaires , qui risqueraient de peser d'un poids trop important dans ces associations par rapport aux personnels en fonction.

L'activité des APNM est étroitement encadrée par la loi : ainsi, elles ne peuvent porter atteinte aux valeurs républicaines ni aux principes fondamentaux de l'état militaire ni à l'ensemble des obligations s'imposant aux militaires (disponibilité, loyalisme, neutralité, discipline...) et ne doivent pas s'immiscer dans la définition de la politique de défense et les choix opérationnels. Les associations sont également tenues à une obligation d'indépendance et ne peuvent constituer des unions ou fédérations qu'entre elles.

Les APNM disposent par ailleurs d'un certain nombre de moyens d'action et d'expression :

- le droit d'agir en justice pour demander l'annulation d'actes réglementaires relatifs à la condition militaire et de décisions individuelles dans la mesure où elles portent atteinte aux intérêts collectifs de la profession, à l'exclusion des mesures d'organisation des services afin de prévenir tout risque de déstabilisation ;

- le droit de se constituer partie civile dans le cas où les APNM subiront un préjudice direct ;

- le droit de se réunir et de s'exprimer publiquement et en interne ;

- le droit de faire valoir leur position auprès des autorités ministérielles et du commandement et de saisir l'inspection générale des armées.

Restent bien entendu interdites la grève, les manifestations sur la voie publique et les pétitions.

Certaines des APNM peuvent en outre être reconnues représentatives afin de participer au dialogue institutionnel. Cette représentativité est conditionnée au respect de certaines conditions de transparence financière et d'ancienneté (un an minimum) et de certains critères d'influence et d'audience (nombre et diversité des adhérents, niveau des cotisations).

Les APNM représentatives se voient ainsi accorder des droits et facilités supplémentaires :

- être reçues périodiquement par le chef d'état-major ou le directeur compétent (ou par le ministre et le chef d'état-major des armées pour les associations représentatives au niveau interarmées) ;

- siéger dans les organes délibérants des établissements publics et organismes nationaux intervenant dans le champ de la condition militaire (Caisse nationale militaire de sécurité sociale, IGESA...) ;

- être entendues par le Haut conseil d'évaluation de la condition militaire ;

- disposer d'un local propre ;

- bénéficier d'un crédit de temps majoré pour leur président ;

- bénéficier d'un crédit d'impôt sur le revenu pour les adhérents au titre des cotisations versées (article 8 du projet de loi).

Les APNM représentatives au niveau interarmées peuvent en outre participer au CSFM. Pour ce faire, les APNM devront être représentatives d'au moins trois forces armées et de deux formations rattachées.


* 5 Cf compte rendu de son audition par la commission : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20150112/etr.html#toc2

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