B. LA RÉORGANISATION DES SERVICES DÉCONCENTRÉS DANS LES RÉGIONS FUSIONNÉES

1. Le calendrier décalé de la réorganisation des services régionaux de l'État
a) Une mise en oeuvre dès le 1er janvier 2016...

La préparation de la réorganisation des services régionaux de l'État a été lancée dès février 2015. Par une circulaire du 18 février, le Premier ministre a demandé à chaque préfet de région dont le périmètre est appelé à être modifié d'établir un diagnostic préparateur à cette réorganisation.

Le 22 avril, pour chacune des sept régions fusionnées, un préfet préfigurateur a été désigné, chargé d'établir un projet d'organisation régionale des administrations déconcentrées. Cette mission a été confiée aux préfets des futurs chefs-lieux des nouvelles régions.

Pour le Gouvernement, la démarche de ces préfets préfigurateurs devait s'inscrire dans un cadre local, les projets élaborés dans le dialogue avec les élus et la concertation menée avec les représentants du personnel. Lors de notre déplacement à Amiens, nous n'avons pas constaté que cette consigne avait été suivie dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Les contacts du préfet préfigurateur, celui de la région Nord, avec la préfète de la région Picardie ou avec Mme le maire d'Amiens ne semblent avoir été ni nombreux, ni étroits. D'où une impression de préfigurateurs laissant de côté les « préfigurés », que nous nous garderons de généraliser.

Quoi qu'il en soit, ces préfets préfigurateurs ont été chargés de proposer pour la fin juin des macro-organigrammes devant servir de base à la réorganisation des directions déconcentrées. Après un débat interministériel au mois de juillet, ces macro-organigrammes ont été validés en Conseil des ministres le 31 juillet. Le même jour, la liste des chefs-lieux provisoires des préfectures de région a été dévoilée.

Depuis septembre et jusque décembre, les préfets préfigurateurs travaillent sur les micro-organigrammes des services déconcentrés et la répartition précise des agents.

La mise en oeuvre de la réforme devrait s'étaler sur trois ans pour les directions régionales. Pour les secrétariats généraux aux affaires régionales (SGAR), les effets seront plus rapides puisque neuf préfectures de région disparaissent au 1 er janvier 2016. En termes d'effectifs, ceux affectés dans les SGAR fusionnés seront réduits d'environ 20 %, ce qui représente environ 80 ETPT.

b) ... en décalage avec la réorganisation des services de la région

Si l'organisation des services déconcentrés de l'État sera fixée, pour l'essentiel, le 1 er janvier 2016, il en sera autrement des services des conseils régionaux, renouvelés en décembre 2015.

Selon M. Jean-Luc Nevache, coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés de l'État, la question s'est posée de l'organisation des services de l'État en simultané avec celle des services des régions fusionnées. La volonté de ne pas laisser les personnels des administrations concernées dans l'incertitude a prévalu et incité au choix d'une réorganisation préalable. Afin de coordonner, malgré ce décalage, les deux réorganisations, le Gouvernement a procédé à des consultations quant à la localisation des préfets des nouvelles régions, ainsi que des futurs services régionaux de l'État.

Si des consultations préalables ont été menées avec les présidents des régions actuelles, la probabilité est forte que les conseils régionaux et les présidents de région en place au 1 er janvier 2016 soient différents de ceux avec lesquelles les discussions ont eu lieu. Les nouveaux présidents auront-ils la même position que ceux qui les ont précédés ? Interrogé sur ce point, M. Jean-Luc Nevache s'est montré confiant, dans la mesure où les deux réorganisations sont censées mettre en oeuvre les mêmes critères et viser les mêmes objectifs : l'efficacité des services. Reste donc à espérer que cette vision optimiste des choses sera la bonne.

L'organisation des nouvelles directions régionales, en sites spécialisés et répartis sur l'ensemble de la grande région et avec un tiers au moins des sièges hors des chefs-lieux, n'est pas, elle non plus, sans poser de questions.

2. Vers des directions multi-sites, ou comment organiser la complexité...

Dans ses instructions aux préfets préfigurateurs, le Gouvernement a indiqué que les organisations proposées pourraient différer selon les territoires, afin de prendre en compte leur diversité, selon les principes suivants :

- fusion des anciennes directions régionales en une direction unique, pas nécessairement implantée au chef-lieu de la future grande région ;

- à l'échelle de chaque direction, regroupement des fonctions de programmation stratégique sur le site d'implantation principal et organisation sur plusieurs sites d'implantations, dans une logique fonctionnelle ou au niveau départemental pour le compte d'un ou plusieurs départements.

Ainsi les sièges de toutes les directions régionales ne seront pas réunis au chef-lieu de la future grande région, et, dans la quasi-totalité des cas, chaque direction régionale conservera des effectifs sur les anciennes capitales régionales. Cette organisation permet au Gouvernement de montrer que la fusion des régions n'est pas en contradiction avec l'aménagement du territoire. On peut penser aussi qu'il s'agit de dispositions « anti-aigreur » destinées à répondre au sentiment d'abandon et au mécontentement des perdants de la réforme régionale.

Les implantations de directions régionales hors chefs-lieux

- Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine : siège de la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture, et de la forêt (DRAAF) à Châlons-en-Champagne et siège de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) à Metz ;

- Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes : sièges de la DREAL et de la direction régionale de l'INSEE à Poitiers, siège de DRAAF à Limoges ;

- Auvergne-Rhône-Alpes : siège de la DRAAF à Clermont-Ferrand ;

- Bourgogne-Franche-Comté : sièges de la DREAL, de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) et de la direction régionale de l'INSEE à Besançon ;

- Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées : siège de la DRAC et de la direction régionale de la jeunesse des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) à Montpellier ;

- Nord-Pas-de-Calais-Picardie : DRAAF et DRJSCS à Amiens ;

- Normandie : siège de la DRAF, de la DRAC et de la direction régionale de l'INSEE à Caen.

Source : compte-rendu du conseil des ministres du 31 juillet 2015

À Amiens, nous avons pu constater que les compensations à la perte du statut de capitale régionale sont très limitées. À Lille, seront regroupés les sièges de la DIRECCTE, de la DREAL, de la DRAC, l'Agence régionale de santé, la direction des finances publiques, le rectorat de région et la direction régionale de l'INSEE. La chambre régionale des comptes est maintenue à Arras. Amiens ne garde que deux sièges de directions, celles de la DRAAF et de la DRJSCS. Et encore, la partie « cohésion sociale » de cette direction, la plus importante, serait à Lille. Amiens conserve également son rectorat, mais le rectorat de région, créé afin de mettre en cohérence l'organisation des services académiques avec le cadre issu de la réforme territoriale, est aussi à Lille. Il est aisé, dans ce contexte, de comprendre l'impression de la maire d'Amiens, rencontrée lors de notre déplacement, selon laquelle sa ville est laissée de côté. Enfin, pour la préfecture de la Somme, la plate-forme nationale de gestion des titres, annoncée à titre de compensation, sera seulement inter-régionale et ne concernera qu'un seul titre, la carte nationale d'identité. Le maintien sur place, initialement annoncé, de 100 agents grâce à cette plate-forme, est donc loin d'être assuré.

Par ailleurs, l'organisation « multi-sites » a peu de sens au regard du rôle de coordinateur des services de l'État du préfet de région. Il est prévu qu'un tiers des directions régionales soit implanté hors chefs-lieux. Or le regroupement actuel de ces directions dans les chefs-lieux permet au préfet un contact aisé et une mobilisation plus rapide de ces dernières. Avec l'éloignement de certaines d'entre elles, le préfet de région pourra-t-il efficacement remplir sa mission de coordination des services de l'État ?

La crainte d'un « effet aspirateur »

Les principaux maires concernés, ceux des grandes villes de France, attirent l'attention sur un probable effet secondaire de la réforme, qui conduira différents acteurs locaux à déménager vers les nouvelles capitales régionales pour y suivre les services de l'État avec lesquels ils travaillent en lien étroit. Mme Brigitte Fouré, maire d'Amiens craint notamment le départ des associations sportives, qui souhaiteront se rapprocher du comité régional olympique et sportif (CROS).

Ces déménagements n'interviendront probablement qu'à moyen ou long terme, mais ils constitueront pour les villes qui les connaîtront un effet secondaire non négligeable, soulignant davantage encore leur statut de « perdantes » de la réforme territoriale.

a) Organisations différenciées et lisibilité de l'administration territoriale

Si la réforme de l'administration territoriale de l'État dans les régions fusionnées vise la simplification et la mise en cohérence de l'action de l'État sur l'ensemble du territoire, ces objectifs semblent difficilement compatibles avec une organisation « à la carte ».

La localisation différenciée, dans les nouvelles régions, des sièges des directions rend moins lisible l'organisation des services régionaux de l'État. D'autant que s'y ajoute une répartition par spécialisations, chaque partie de direction régionale implantée hors du siège se spécialisant par métier. Regrouper des compétences rares ou très spécifiques dans un pôle peut contribuer à renforcer l'efficacité des services de l'État. Mais cette logique de spécialisation pourrait rendre quasi incompréhensible la carte des implantations des directions régionales.

Ce à quoi M. Jean-Luc Nevache répond que les directions régionales n'ont pas vocation à être en contact direct avec les différents acteurs locaux. Le point d'entrée de ces derniers reste le niveau départemental, sur qui reposera la complexe tâche de s'orienter dans la nouvelle répartition des directions régionales.

Pour que la dispersion des sites ne soit pas un frein au bon fonctionnement des services régionaux déconcentrés, le Gouvernement compte une fois encore sur un bouleversement des méthodes de travail des agents.

b) Changer les méthodes de travail

Avec la répartition des directions régionales sur différents sites, des agents auparavant habitués à travailler ensemble dans le même bâtiment devront le faire aussi bien avec des collègues éloignés et éventuellement avec des supérieurs hiérarchiques absents. Ainsi, un courrier adressé à l'antenne de la DRAAF de Bordeaux mais concernant un sujet dont les fonctionnaires spécialisés sont affectés à Poitiers sera d'abord traité par ces derniers, transmis ensuite au chef de service, à Bordeaux, et le courrier de réponse finalement signé par le directeur, à Limoges. Heureusement que les messages électroniques voyagent à la vitesse de la lumière !

Pour permettre le bon fonctionnement de telles procédures, on entend mobiliser tous les moyens numériques. Pour le Gouvernement, cette réforme est « l'occasion de muter vers une administration 3.0 ». Le recours aux visio-conférences, aux réunions téléphoniques, à la dématérialisation des documents, et à un système de validation et de signature électronique sera largement développé. Ce qui nécessitera un renforcement significatif des moyens informatiques et de la formation des agents.

Au-delà des moyens numériques, c'est vers une nouvelle gouvernance que sont censés s'orienter les services déconcentrés de l'État. En effet, pour de nombreux agents, l'encadrement va évoluer : ils auront à la fois un chef « métier », qui continuera de contrôler leur travail, mais à distance, car il ne sera plus sur le même site, et un chef de site, dont le métier sera différent du leur mais qui sera chargé de superviser notamment leur présence et leurs horaires.

Tout cela correspond à une véritable révolution culturelle, notamment pour l'encadrement, comme l'a confirmé M. Nevache. Ce dernier convient que la mise en place de ces nouvelles méthodes de travail sera probablement difficile au début, mais on aimerait le croire sur parole et que trois années seront suffisantes pour accomplir cette mutation.

3. Un premier bilan satisfaisant, avec des nuances, pour le volet ressources humaines de la réforme
a) Un accompagnement des agents satisfaisant

Le Gouvernement s'est engagé sur l'accompagnement de la réforme régionale par un suivi individuel des agents concernés. Selon un recensement réalisé auprès des préfets et SGAR des chefs-lieux supprimés, 337 agents sont concernés par la réforme : 230 en SGAR, entités qui disparaissent au 1 er janvier 2016, et 107 en préfecture sur des missions de niveau régional, pour lesquelles l'orientation vers de nouvelles missions pourra se faire jusqu'en 2018.

Des cellules de suivi des situations individuelles ont été mises en place dès le printemps, avec pour objectif de permettre à l'ensemble des agents concernés de trouver une solution adaptée à leur situation professionnelle et familiale. Des dispositifs spécifiques d'incitation au départ à la retraite ont également été mis en place, et les compensations prévues dans le cadre des mobilités géographiques ont été jugées satisfaisantes. Le Gouvernement a tiré les conséquences d'une des erreurs de la RéATE et prévu un barème unique pour la prime d'accompagnement de la réforme des services régionaux de l'État.

Plus généralement, il paraît clair que le volet ressources humaines de la réforme des services régionaux de l'État fait partie intégrante de cette dernière, alors que de nombreux aspects de ce volet n'avaient été traités qu' a posteriori dans le cadre de la RéATE.

À Amiens, l'accompagnement des ressources humaines a été réel et apprécié. Les souhaits des agents ont été étudiés en fonction notamment des quatre grands domaines mis en avant dans le plan « préfectures nouvelle génération » 16 ( * ) . Aucun n'a été contraint à une mobilité géographique non voulue. À quelques exceptions près, les agents concernés ont trouvé une solution correspondant à leur souhait. On a cependant conscience que le cas de la Somme a été exemplaire par rapport à d'autres départements.

b) Des conséquences sur le long terme potentiellement dommageables

La réforme des services régionaux aura une très probable incidence sur l'évolution des catégories d'agents restant dans les anciens chefs-lieux. Les cadres, plus mobiles et désireux de faire évoluer leur carrière, partant plus facilement vers les nouveaux chefs-lieux de région, la part d'agents moins qualifiés augmentera dans les anciens chefs-lieux. Or les préfectures ont besoin de continuer à pouvoir compter sur des agents qualifiés pour exercer les missions les plus importantes, comme celles de conseil et d'expertise auprès des élus locaux. Certes, dans le cadre du plan « préfectures nouvelle génération », un important volet de formation et de mise à niveau est prévu et le Gouvernement envisage un repyramidage des effectifs. Reste à savoir s'il sera suffisant pour maintenir le niveau de qualification adapté au renforcement, annoncé par le plan « préfectures nouvelle génération », des missions historiques et régaliennes de l'État.

Par ailleurs, des solutions satisfaisantes à court terme ne signifient pas l'absence de problèmes futurs. Ainsi, à Amiens, les agents touchés par la suppression de postes des SGAR et des missions de niveau régional en préfecture sont venus renforcer les effectifs de la préfecture, ce qui a permis de compenser les pertes de ces dernières années. Toutefois, il est évident que ce sur-effectif est provisoire. Et il pourrait avoir un double effet pervers : d'une part, il risque d'être compensé par une réduction des effectifs à Saint-Quentin et Beauvais, les deux autres préfectures de Picardie ; d'autre part, il rendra difficile, dans les prochaines années, les recrutements par la préfecture d'Amiens, ce qui pourrait poser problème si des besoins en compétences spécifiques apparaissaient.


* 16 Voir supra.

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