Avis n° 170 (2015-2016) de M. Pierre-Yves COLLOMBAT , fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 novembre 2015

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N° 170

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2015

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 2016 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME I

ADMINISTRATION TERRITORIALE

Par M. Pierre-Yves COLLOMBAT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 3096, 3110 à 3117 et T.A. 602

Sénat : 163 et 164 à 169 (2015-2016)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le 18 novembre 2015, la commission des lois, sous la présidence de M. Philippe Bas, a examiné, sur le rapport pour avis de M. Pierre-Yves Collombat 1 ( * ) , les crédits alloués à la mission Administration générale et territoriale de l'État par le projet de loi de finances pour 2016.

Le rapporteur a tout d'abord noté que, globalement, les moyens financiers et en personnels de la mission continuent de baisser. À périmètre constant et en tenant compte de l'absence d'élections en 2016, les crédits baissent de 1,7 % et la mission perd 297 ETPT.

Pour faire face aux réductions de crédits, l'administration territoriale poursuit les réformes engagées, auxquelles s'est ajouté le plan « préfectures nouvelle génération », incluant une rationalisation de la délivrance des titres. Soulignant la bonne volonté et les capacités d'adaptation et d'innovation des personnels, le rapporteur s'est interrogé sur la capacité de l'État, au terme de ces réformes, à affirmer la présence de la République sur l'ensemble du territoire avec des moyens de plus en plus maigres.

Sur la réorganisation des services de l'État rendue nécessaire par le redécoupage des régions, le rapporteur a évoqué les difficultés potentielles pouvant apparaître du fait de la réorganisation postérieure des services des conseils régionaux. En outre, les choix faits dans le cadre de cette réorganisation (implantation d'un tiers des sièges des directions régionales dans les anciens chefs-lieux et organisation « multisites » avec des implantations spécialisées) impliquent une véritable révolution culturelle pour l'administration déconcentrée, bouleversant ses méthodes de travail et sa gouvernance.

S'agissant de la gestion du corps préfectoral, malgré les apparences - abandon de la tentation de remplacer le corps des préfets par un cadre d'emploi fonctionnel, suppression de la position hors cadre -, le rapporteur a noté peu d'évolution quant à l'affirmation de ce qui devrait être l'essence de ce corps : le lien avec les territoires, leurs problèmes, ceux qui y vivent et les font vivre. Aujourd'hui, on peut être nommé et titularisé préfet sans jamais avoir exercé de responsabilité territoriale ; en revanche, la part des sous-préfets dans les primo-nominations de préfets est insuffisante. Il a enfin relevé qu'aujourd'hui, la moitié des préfets n'a pas d'affectation territoriale.

Concernant le programme « Vie politique, cultuelle et associative », le rapporteur a noté qu'en l'état actuel des connaissances, les mouvements observés à l'occasion de la procédure exceptionnelle de réouverture des inscriptions sur les listes électorales s'apparentent à ceux observés ordinairement, sans constater d'afflux de demandes d'inscriptions.

Sur proposition du rapporteur, la commission des lois a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission Administration générale et territoriale de l'État figurant dans le projet de loi de finances pour 2016.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La mission « Administration générale et territoriale de l'État » retrace l'ensemble des actions du ministère de l'intérieur pour garantir la présence de l'État et sa continuité sur l'ensemble du territoire. Elle concerne en particulier l'ensemble des moyens des préfectures, sous-préfectures et des représentations de l'État dans les collectivités d'outre-mer, regroupés dans le programme « Administration territoriale » (programme 307). Les moyens consacrés à la garantie de l'exercice des droits des citoyens dans le domaine des élections, de la vie associative et de la liberté religieuse relève eux du programme « Vie politique, cultuelle et associative » (programme 232). Enfin, les crédits du programme « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » (programme 216) concernent les fonctions support (informatique, ressources humaines et affaires immobilières notamment) et la gestion des affaires juridiques et contentieuses du ministère.

S'agissant de la mission, ses moyens financiers ou en personnels continuent à baisser. À périmètre constant et en tenant compte de l'absence d'élections en 2016, les crédits baissent de 1,7 % et le schéma d'emploi est de - 297 ETPT.

Pour que l'administration territoriale puisse faire face à ces réductions de crédits, au train des réformes engagées, s'est ajouté un wagon ultra-moderne, le plan « préfectures nouvelles générations », et la rationalisation de la délivrance des titres. Rien de bien nouveau donc.

De ces réformes, doivent émerger des services préfectoraux réorganisés pour être plus efficaces, aux tâches resserrées autour des missions prioritaires de l'État, dont les relations avec les usagers sont simplifiées et modernisées grâce au numérique, des services qui apportent aux acteurs locaux l'expertise et le conseil dont ils ont besoin. Mais l'accumulation, depuis plusieurs années, de resserrement des missions des services de l'État, des bouleversements dans leur organisation, dans un contexte de constante restriction budgétaire, laisse sceptique sur le résultat final, malgré la bonne volonté et les capacités d'adaptation et d'innovation tout à fait remarquables des personnels.

Avec des régions et des intercommunalités renforcées par la réforme territoriale, il est essentiel de conserver la présence de l'État dans les territoires, de renforcer ses capacités d'action et de ne pas réduire le rôle de ses services à celui de simples prestataires pour les usagers.

Dans ce contexte, l'action des plus hauts fonctionnaires de l'administration territoriale, les préfets, est essentielle. Leur autorité et leur légitimité doivent rester fortes. Mais les travers de la gestion du corps préfectoral, entre éloignement des territoires et affectation à des missions bien éloignées de leurs compétences, ne vont pas dans ce sens.

L'examen du programme « Vie politique, cultuelle et associative » sera aussi l'occasion de revenir sur la réouverture exceptionnelle des inscriptions sur les listes électorales décidée par l'Assemblée nationale, dans l'attente de la réforme annoncée par le ministère de l'intérieur. Si 2016 ne devrait connaître aucune élection générale, la réflexion se poursuit au niveau ministériel pour réduire les coûts d'organisation des élections, ce qui n'est pas sans soulever des difficultés sur l'égal accès des électeurs au vote.

I. LES CRÉDITS POUR 2016 DE LA MISSION « ADMINISTRATION GÉNÉRALE ET TERRITORIALE DE L'ÉTAT »

A. LE PROGRAMME « ADMINISTRATION TERRITORIALE »

Doté pour 2016 de 1 647 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 1 638 millions en crédits de paiement, le programme « Administration territoriale » voit ses moyens baisser de 3,9 % en autorisations d'engagement et de 4,4 % en crédits de paiement par rapport à 2015. Cette baisse doit cependant être relativisée car le périmètre du programme évolue, notamment avec le transfert de 684 ETPT des services interministériels départementaux des systèmes d'information et de communication, représentant près de 43 millions d'euros, vers le programme 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées ».

Évolution des crédits du programme
Administration territoriale
(en millions d'euros)

LFI 2015

PLF 2016

Variation 2016/2015

Autorisations d'engagement

1 714

1 647

- 3,9 %

Crédits de paiement

1 714

1 638

- 4,4 %

Avant transfert, les crédits du programme s'élèvent à 1 692 millions en autorisations d'engagement et 1 658 en crédits de paiement, ce qui représente respectivement une baisse de 1,3 % et de 3,3 %.

B. LE PROGRAMME « VIE POLITIQUE CULTUELLE ET ASSOCIATIVE »

Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit 101 millions d'euros en autorisations d'engagement et 100,9 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui constitue une forte baisse pour ce programme.

Évolution des crédits du programme
« Vie politique, cultuelle et associative »
(en millions d'euros)

LFI 2015

PLF 2016

Variation 2016/2015

Autorisations d'engagement

438,4

101,0

- 77%

Crédits de paiement

439,1

100,9

- 77%

Cette diminution s'explique par l'absence d'élections générales l'an prochain, contrairement à 2015 qui a connu deux scrutins locaux en mars et décembre 2015. En revanche, contrairement à la baisse de près de 10 % en loi de finances pour 2013 et de 5 % en loi de finances pour 2012, le Gouvernement ne propose pas de réduire l'enveloppe 2016 consacrée au financement public des partis politiques et qui s'élève à 68,7 millions d'euros, soit son niveau finalement voté, après amendement parlementaire, en loi de finances pour 2014 et pour 2015.

Les crédits réservés au plan anti-terrorisme à l'action « Cultes » méritent qu'on s'y arrête. Pour leur montant qui reste faible et aussi pour l'attention insuffisante apportée à l'aspect psychologique et idéologique de la lutte contre le terrorisme. L'action se voit en effet dotée de 600 000 euros supplémentaires, qui seront consacrés au financement de diplômes universitaires (200 000 euros) et d'actions de recherche sur l'islam de France et l'islamologie (400 000 euros).

Le financement de diplômes universitaires répond à une demande croissante de formation des imams, cette formation étant aujourd'hui de qualité très variable. Ainsi le nombre d'universités proposant des diplômes de formation aux principes de la laïcité et de la République va doubler, passant de 6 à 12. Les 400 000 euros restants sont consacrés aux actions de recherche sur l'islam actuellement insuffisantes.

À titre de comparaison, les crédits supplémentaires accordés dans le cadre du plan anti-terrorisme au ministère de l'intérieur sont de 60 millions pour la police nationale, 20 millions pour la gendarmerie nationale, 18 millions pour la sécurisation et la modernisation des réseaux et des télécommunications, 1 million pour la protection des préfectures et l'amélioration des capacités opérationnelles de gestion de crise de ces dernières.

600 000 euros, c'est bien, mais c'est très insuffisant au regard des enjeux. Les réponses au terrorisme ne peuvent être seulement sécuritaires.

C. LE PROGRAMME « CONDUITE ET PILOTAGE DES POLITIQUES DE L'INTÉRIEUR »

Les crédits du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », affectés aux fonctions support du ministère de l'intérieur (ressources humaines, moyens informatiques, affaires immobilières) et à la gestion des affaires juridiques et contentieuses, sont, pour 2016, de 776 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 796 millions d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation respective de 6,9 % et 7 %.

II. UNE ADMINISTRATION TERRITORIALE EN PERPÉTUELLE RÉFORME : LES LIMITES DE L'EXERCICE ?

Depuis 2008, l'administration territoriale, en réforme permanente, doit sans cesse s'adapter. Le rythme de ces réformes, la remise en question des missions des administrations déconcentrées et le contexte de restriction budgétaire usent progressivement la motivation des agents. Notre rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2015 avait souligné les limites de ces réformes, qui, de modernisations en simplifications, de réorganisations en mutualisations, réduisent les moyens et la présence de l'État sur le territoire, en tentant en même temps d'améliorer l'efficacité des services.

Aujourd'hui, trois réformes, en cours ou sur le point de s'appliquer, vont transformer en profondeur l'administration territoriale :

- l'adaptation de l'administration imposée par les réformes territoriales (lois MAPTAM 2 ( * ) , de délimitation des régions 3 ( * ) et NOTRe 4 ( * ) ), tout particulièrement la réorganisation des services régionaux, suite à la réforme des régions ;

- la réforme de la carte des sous-préfectures ;

- le plan « préfectures nouvelle génération ».

Après le rappel des grandes lignes de ces trois réformes, nous nous attarderons sur la réorganisation des services régionaux déconcentrés dans les régions fusionnées.

A. TROIS RÉFORMES MAJEURES ET SIMULTANÉES

1. Les suites de la réforme territoriale

Le Gouvernement avait annoncé dès juillet 2014 qu'une nouvelle étape de la réforme de l'administration déconcentrée serait menée de manière complémentaire et avec le même calendrier que la réforme territoriale. L'objectif était de mettre en cohérence et de rendre plus efficace l'action de l'État dans le nouveau cadre défini par cette réforme. Elle vise notamment à l'approfondissement de la déconcentration, avec l'adoption d'une nouvelle charte de la déconcentration, et à la clarification des missions et des compétences des différents services de l'État, dans le cadre de la revue des missions.

Le décret portant charte de la déconcentration a été publié le 7 mai 2015, abrogeant la précédente charte, datant de 1992. Fixant les principes fondateurs de l'administration territoriale, elle se borne, pour l'essentiel, à réaffirmer ce que l'on savait déjà. Elle confirme les rôles et compétences des différents échelons de l'administration territoriale, en chargeant l'échelon régional de deux responsabilités supplémentaires pour l'ensemble des services : la conduite de leur modernisation et la définition de la stratégie en matière de politique immobilière.

Le seul apport concret de la nouvelle charte est la possibilité de délégation de pouvoir aux préfets s'agissant de la gestion des personnels et des actes relatifs à la situation individuelle des agents. Dans un contexte où les ministères continuaient de gérer et de répartir les agents et où une mutation entre deux directions ne relevant pas du même ministère s'avérait être une opération complexe, cette délégation de pouvoir devrait assouplir la gestion des ressources humaines, attendu par tous.

Lancée en septembre 2014, la revue de missions entend recentrer l'action de l'État sur ses missions fondamentales, et déterminer les missions qui peuvent être exercées différemment en continuant à répondre aux besoins et attentes des administrés. À l'issue de nombreuses réunions de concertation, le premier bilan de la revue des missions a décliné 45 mesures qui seront mises en oeuvre d'ici début 2016.

Certaines de ces mesures concernant l'administration préfectorale vont dans le sens d'un gain de temps (amplification du développement du numérique dans les relations entre usagers et services de l'État 5 ( * ) , systématisation de la transmission dématérialisée des actes soumis au contrôle de légalité 6 ( * ) ). D'autres, comme son retrait de tâches où son intervention n'apporte pas de réelle plus-value (délivrance du certificat de capacité professionnelle de conducteur de taxi 7 ( * ) , validation des sessions de formation du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur 8 ( * ) ), lui donnent quelques marges de manoeuvre. D'autres encore visent la simplification des procédures administratives pour les porteurs de projets 9 ( * ) , comme l'autorisation unique pour les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), dont nous avons eu un aperçu de l'expérimentation à Amiens : à terme, elle permettra de regrouper, autour de la procédure d'autorisation ICPE, les autres autorisations éventuellement nécessaires (permis de construire, autorisation de défrichement, dérogation au titre des espèces protégées, autorisation au titre du code de l'énergie). Enfin, le renforcement et l'amélioration « du conseil aux plus petites collectivités territoriales dans les domaines juridiques les plus complexes » fait également partie des mesures mises en avant dans la revue des missions. De l'aveu du ministre de l'intérieur lui-même, « en milieu rural, les collectivités locales sont effectivement désormais dans l'impossibilité de bénéficier de services d'ingénierie de l'administration préfectorale et sous préfectorale, alors que la complexité croissante des normes [...] rend un tel accompagnement indispensable » 10 ( * ) . On se félicite de cette prise de conscience, mais elle est bien tardive. Reste à passer à l'acte !

Si ces mesures procèdent d'une bonne intention, le fait que « la démarche de la revue des missions est continue et va donc se poursuivre avec de nouvelles mesures qui seront prochainement arrêtées 11 ( * ) » n'est pas rassurant. En effet, le caractère continu de la revue des missions entretient le flou sur le devenir de l'administration territoriale.

2. La réforme de la carte des sous-préfectures

La réforme de la carte des sous-préfectures progresse lentement. Initiée en 2013, la première étape en Alsace et dans la Moselle a abouti, au 1 er janvier 2015, à la suppression de huit arrondissements, la fermeture de six sous-préfectures 12 ( * ) et la création de quatre antennes, dont une Maison de l'État. Au printemps 2015, le processus a été lancé par le ministre de l'intérieur pour les régions Île-de-France, Pays-de-la-Loire, Centre-Val-de-Loire et la nouvelle région Bourgogne-Franche-Comté. À l'instar de l'Alsace et de la Moselle, il s'appuie sur un diagnostic territorial et une concertation élargie au niveau local. Par ailleurs, les propositions d'évolution du réseau des sous-préfectures doivent prendre en compte le développement des Maisons de l'État et Maisons de services au public, nouvelles formes d'implantation des services publics mutualisées.

Dans le même temps, le sous-préfet est en principe conforté dans son rôle de « facilitateur » de projets, d'interlocuteur privilégié des acteurs locaux. L'arrondissement est confirmé comme cadre territorial de l'animation du développement local et de l'action administrative locale de l'État 13 ( * ) . Et cette mission d'accompagnement serait un élément central de la future directive nationale d'orientation 14 ( * ) . Nous avions rappelé l'année dernière combien ce rôle est essentiel à la fois pour les petites collectivités locales et pour le dynamisme des territoires.

Si un tel témoignage de considération envers la mission d'ingénierie territoriale du sous-préfet est louable, constatons qu'elle est en contradiction avec une réforme de la carte des sous-préfectures, qui aboutit souvent à la suppression de sous-préfectures au profit d'implantations de services mutualisés. En effet, comment concevoir le rôle de « développeur » local du sous-préfet sans proximité ? La secrétaire générale adjointe du ministère de l'intérieur, lors de son audition, a évoqué une réflexion en cours sur le maintien des sous-préfets, même « seuls », à la tête de Maisons de l'État. De quoi s'interroger sur le rôle d'un sous-préfet sans administration !

3. Le plan « préfectures nouvelle génération »

Lancé par le ministre de l'intérieur le 9 juin dernier, le plan « préfectures nouvelle génération » a pour ambition de « moderniser les préfectures en réactualisant l'exercice de leurs missions, pour répondre aux nouvelles attentes de nos concitoyens, pour s'adapter à la révolution numérique et pour optimiser les moyens du service public ». Quatre missions prioritaires de l'administration déconcentrée ont été identifiées : la gestion locale des crises, la lutte contre les fraudes, la coordination territoriale des politiques publiques, l'expertise juridique et le contrôle de légalité.

Des groupes de travail conjoints, associant organisations syndicales et préfectures, doivent établir des propositions d'ici la fin de l'année 2015. La mise en oeuvre de ce plan est prévue dès 2016, mais il produira ses effets les plus importants à partir de 2017.

Le plan « préfectures nouvelle génération » n'en est donc qu'au stade de l'ébauche. Mais dans deux de ses quatre axes, les orientations marquent un nouveau rétrécissement du champ d'action de l'administration territoriale.

Dans le domaine du contrôle de légalité, sont prévues la réduction de la liste des actes transmissibles et surtout l'expérimentation de « modalités innovantes telles que l'autocontrôle par les collectivités dans le cadre d'une démarche conventionnelle reposant sur la confiance mutuelle »... Depuis la réforme du contrôle de légalité en 2009, tous les rapporteurs pour avis du programme « Administration territoriale » ont exprimé leur inquiétude de voir ainsi réduit le nombre des actes à contrôler pour faire face aux réductions de personnel (- 26,2 % depuis 2009). D'ailleurs, l'objectif de 100 % des actes prioritaires contrôlés - annoncé depuis 2013 - n'est toujours pas atteint. Quant à l'autocontrôle des collectivités, il fallait oser l'inventer, sauf à confondre conseil et contrôle !

Le plan « préfecture nouvelle génération » vise aussi à moderniser les modalités de délivrances des titres, en s'appuyant notamment sur les nouvelles technologies. Là encore, les contours de cette modernisation ne sont pas encore définis. Sont évoquées comme moyens de modernisation la numérisation et la télétransmission, pour réduire la fraude, et la mise en place de plateformes spécialisées pour l'instruction et la validation. Le recours à des tiers de confiance ou à des procédures externalisées sont aussi envisagés, marquant ainsi un nouveau recul dans les missions de l'administration territoriale. Il faut par ailleurs espérer que les leçons ont été tirées des difficultés connues en 2009 lors de la mise en place des premiers titres sécurisés (passeports et cartes grises issues du SIV 15 ( * ) ), et que cette réorganisation de la délivrance des titres, reposant sur de nouvelles applications informatiques, ne posera pas les mêmes problèmes (bugs, longue files d'attente...).

Au-delà de ces nouveaux abandons des prérogatives de l'administration déconcentrée, force est de constater que la mise en oeuvre de ce plan entraînera de nouveaux bouleversements des organisations et des méthodes de travail dans les préfectures et sous-préfectures. Malgré cela, nous avons pu constater, lors de notre déplacement à Amiens, que le plan « préfectures nouvelle génération » était plus attendu que craint par le personnel, en ce qu'il porte, enfin, un resserrement des missions qui leur sont affectées. Pour les agents, ce plan marque le retour à l'adéquation entre les moyens en personnel de l'administration préfectorale et ses missions. Sauf qu'on aurait souhaité que ce soit les moyens qui rejoignent les besoins, et non l'inverse.

Outre ces bouleversements permanents, dans les régions appelées à fusionner au 1 er janvier 2016, l'administration territoriale doit en outre affronter une réorganisation sans précédent.

B. LA RÉORGANISATION DES SERVICES DÉCONCENTRÉS DANS LES RÉGIONS FUSIONNÉES

1. Le calendrier décalé de la réorganisation des services régionaux de l'État
a) Une mise en oeuvre dès le 1er janvier 2016...

La préparation de la réorganisation des services régionaux de l'État a été lancée dès février 2015. Par une circulaire du 18 février, le Premier ministre a demandé à chaque préfet de région dont le périmètre est appelé à être modifié d'établir un diagnostic préparateur à cette réorganisation.

Le 22 avril, pour chacune des sept régions fusionnées, un préfet préfigurateur a été désigné, chargé d'établir un projet d'organisation régionale des administrations déconcentrées. Cette mission a été confiée aux préfets des futurs chefs-lieux des nouvelles régions.

Pour le Gouvernement, la démarche de ces préfets préfigurateurs devait s'inscrire dans un cadre local, les projets élaborés dans le dialogue avec les élus et la concertation menée avec les représentants du personnel. Lors de notre déplacement à Amiens, nous n'avons pas constaté que cette consigne avait été suivie dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Les contacts du préfet préfigurateur, celui de la région Nord, avec la préfète de la région Picardie ou avec Mme le maire d'Amiens ne semblent avoir été ni nombreux, ni étroits. D'où une impression de préfigurateurs laissant de côté les « préfigurés », que nous nous garderons de généraliser.

Quoi qu'il en soit, ces préfets préfigurateurs ont été chargés de proposer pour la fin juin des macro-organigrammes devant servir de base à la réorganisation des directions déconcentrées. Après un débat interministériel au mois de juillet, ces macro-organigrammes ont été validés en Conseil des ministres le 31 juillet. Le même jour, la liste des chefs-lieux provisoires des préfectures de région a été dévoilée.

Depuis septembre et jusque décembre, les préfets préfigurateurs travaillent sur les micro-organigrammes des services déconcentrés et la répartition précise des agents.

La mise en oeuvre de la réforme devrait s'étaler sur trois ans pour les directions régionales. Pour les secrétariats généraux aux affaires régionales (SGAR), les effets seront plus rapides puisque neuf préfectures de région disparaissent au 1 er janvier 2016. En termes d'effectifs, ceux affectés dans les SGAR fusionnés seront réduits d'environ 20 %, ce qui représente environ 80 ETPT.

b) ... en décalage avec la réorganisation des services de la région

Si l'organisation des services déconcentrés de l'État sera fixée, pour l'essentiel, le 1 er janvier 2016, il en sera autrement des services des conseils régionaux, renouvelés en décembre 2015.

Selon M. Jean-Luc Nevache, coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés de l'État, la question s'est posée de l'organisation des services de l'État en simultané avec celle des services des régions fusionnées. La volonté de ne pas laisser les personnels des administrations concernées dans l'incertitude a prévalu et incité au choix d'une réorganisation préalable. Afin de coordonner, malgré ce décalage, les deux réorganisations, le Gouvernement a procédé à des consultations quant à la localisation des préfets des nouvelles régions, ainsi que des futurs services régionaux de l'État.

Si des consultations préalables ont été menées avec les présidents des régions actuelles, la probabilité est forte que les conseils régionaux et les présidents de région en place au 1 er janvier 2016 soient différents de ceux avec lesquelles les discussions ont eu lieu. Les nouveaux présidents auront-ils la même position que ceux qui les ont précédés ? Interrogé sur ce point, M. Jean-Luc Nevache s'est montré confiant, dans la mesure où les deux réorganisations sont censées mettre en oeuvre les mêmes critères et viser les mêmes objectifs : l'efficacité des services. Reste donc à espérer que cette vision optimiste des choses sera la bonne.

L'organisation des nouvelles directions régionales, en sites spécialisés et répartis sur l'ensemble de la grande région et avec un tiers au moins des sièges hors des chefs-lieux, n'est pas, elle non plus, sans poser de questions.

2. Vers des directions multi-sites, ou comment organiser la complexité...

Dans ses instructions aux préfets préfigurateurs, le Gouvernement a indiqué que les organisations proposées pourraient différer selon les territoires, afin de prendre en compte leur diversité, selon les principes suivants :

- fusion des anciennes directions régionales en une direction unique, pas nécessairement implantée au chef-lieu de la future grande région ;

- à l'échelle de chaque direction, regroupement des fonctions de programmation stratégique sur le site d'implantation principal et organisation sur plusieurs sites d'implantations, dans une logique fonctionnelle ou au niveau départemental pour le compte d'un ou plusieurs départements.

Ainsi les sièges de toutes les directions régionales ne seront pas réunis au chef-lieu de la future grande région, et, dans la quasi-totalité des cas, chaque direction régionale conservera des effectifs sur les anciennes capitales régionales. Cette organisation permet au Gouvernement de montrer que la fusion des régions n'est pas en contradiction avec l'aménagement du territoire. On peut penser aussi qu'il s'agit de dispositions « anti-aigreur » destinées à répondre au sentiment d'abandon et au mécontentement des perdants de la réforme régionale.

Les implantations de directions régionales hors chefs-lieux

- Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine : siège de la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture, et de la forêt (DRAAF) à Châlons-en-Champagne et siège de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) à Metz ;

- Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes : sièges de la DREAL et de la direction régionale de l'INSEE à Poitiers, siège de DRAAF à Limoges ;

- Auvergne-Rhône-Alpes : siège de la DRAAF à Clermont-Ferrand ;

- Bourgogne-Franche-Comté : sièges de la DREAL, de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) et de la direction régionale de l'INSEE à Besançon ;

- Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées : siège de la DRAC et de la direction régionale de la jeunesse des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) à Montpellier ;

- Nord-Pas-de-Calais-Picardie : DRAAF et DRJSCS à Amiens ;

- Normandie : siège de la DRAF, de la DRAC et de la direction régionale de l'INSEE à Caen.

Source : compte-rendu du conseil des ministres du 31 juillet 2015

À Amiens, nous avons pu constater que les compensations à la perte du statut de capitale régionale sont très limitées. À Lille, seront regroupés les sièges de la DIRECCTE, de la DREAL, de la DRAC, l'Agence régionale de santé, la direction des finances publiques, le rectorat de région et la direction régionale de l'INSEE. La chambre régionale des comptes est maintenue à Arras. Amiens ne garde que deux sièges de directions, celles de la DRAAF et de la DRJSCS. Et encore, la partie « cohésion sociale » de cette direction, la plus importante, serait à Lille. Amiens conserve également son rectorat, mais le rectorat de région, créé afin de mettre en cohérence l'organisation des services académiques avec le cadre issu de la réforme territoriale, est aussi à Lille. Il est aisé, dans ce contexte, de comprendre l'impression de la maire d'Amiens, rencontrée lors de notre déplacement, selon laquelle sa ville est laissée de côté. Enfin, pour la préfecture de la Somme, la plate-forme nationale de gestion des titres, annoncée à titre de compensation, sera seulement inter-régionale et ne concernera qu'un seul titre, la carte nationale d'identité. Le maintien sur place, initialement annoncé, de 100 agents grâce à cette plate-forme, est donc loin d'être assuré.

Par ailleurs, l'organisation « multi-sites » a peu de sens au regard du rôle de coordinateur des services de l'État du préfet de région. Il est prévu qu'un tiers des directions régionales soit implanté hors chefs-lieux. Or le regroupement actuel de ces directions dans les chefs-lieux permet au préfet un contact aisé et une mobilisation plus rapide de ces dernières. Avec l'éloignement de certaines d'entre elles, le préfet de région pourra-t-il efficacement remplir sa mission de coordination des services de l'État ?

La crainte d'un « effet aspirateur »

Les principaux maires concernés, ceux des grandes villes de France, attirent l'attention sur un probable effet secondaire de la réforme, qui conduira différents acteurs locaux à déménager vers les nouvelles capitales régionales pour y suivre les services de l'État avec lesquels ils travaillent en lien étroit. Mme Brigitte Fouré, maire d'Amiens craint notamment le départ des associations sportives, qui souhaiteront se rapprocher du comité régional olympique et sportif (CROS).

Ces déménagements n'interviendront probablement qu'à moyen ou long terme, mais ils constitueront pour les villes qui les connaîtront un effet secondaire non négligeable, soulignant davantage encore leur statut de « perdantes » de la réforme territoriale.

a) Organisations différenciées et lisibilité de l'administration territoriale

Si la réforme de l'administration territoriale de l'État dans les régions fusionnées vise la simplification et la mise en cohérence de l'action de l'État sur l'ensemble du territoire, ces objectifs semblent difficilement compatibles avec une organisation « à la carte ».

La localisation différenciée, dans les nouvelles régions, des sièges des directions rend moins lisible l'organisation des services régionaux de l'État. D'autant que s'y ajoute une répartition par spécialisations, chaque partie de direction régionale implantée hors du siège se spécialisant par métier. Regrouper des compétences rares ou très spécifiques dans un pôle peut contribuer à renforcer l'efficacité des services de l'État. Mais cette logique de spécialisation pourrait rendre quasi incompréhensible la carte des implantations des directions régionales.

Ce à quoi M. Jean-Luc Nevache répond que les directions régionales n'ont pas vocation à être en contact direct avec les différents acteurs locaux. Le point d'entrée de ces derniers reste le niveau départemental, sur qui reposera la complexe tâche de s'orienter dans la nouvelle répartition des directions régionales.

Pour que la dispersion des sites ne soit pas un frein au bon fonctionnement des services régionaux déconcentrés, le Gouvernement compte une fois encore sur un bouleversement des méthodes de travail des agents.

b) Changer les méthodes de travail

Avec la répartition des directions régionales sur différents sites, des agents auparavant habitués à travailler ensemble dans le même bâtiment devront le faire aussi bien avec des collègues éloignés et éventuellement avec des supérieurs hiérarchiques absents. Ainsi, un courrier adressé à l'antenne de la DRAAF de Bordeaux mais concernant un sujet dont les fonctionnaires spécialisés sont affectés à Poitiers sera d'abord traité par ces derniers, transmis ensuite au chef de service, à Bordeaux, et le courrier de réponse finalement signé par le directeur, à Limoges. Heureusement que les messages électroniques voyagent à la vitesse de la lumière !

Pour permettre le bon fonctionnement de telles procédures, on entend mobiliser tous les moyens numériques. Pour le Gouvernement, cette réforme est « l'occasion de muter vers une administration 3.0 ». Le recours aux visio-conférences, aux réunions téléphoniques, à la dématérialisation des documents, et à un système de validation et de signature électronique sera largement développé. Ce qui nécessitera un renforcement significatif des moyens informatiques et de la formation des agents.

Au-delà des moyens numériques, c'est vers une nouvelle gouvernance que sont censés s'orienter les services déconcentrés de l'État. En effet, pour de nombreux agents, l'encadrement va évoluer : ils auront à la fois un chef « métier », qui continuera de contrôler leur travail, mais à distance, car il ne sera plus sur le même site, et un chef de site, dont le métier sera différent du leur mais qui sera chargé de superviser notamment leur présence et leurs horaires.

Tout cela correspond à une véritable révolution culturelle, notamment pour l'encadrement, comme l'a confirmé M. Nevache. Ce dernier convient que la mise en place de ces nouvelles méthodes de travail sera probablement difficile au début, mais on aimerait le croire sur parole et que trois années seront suffisantes pour accomplir cette mutation.

3. Un premier bilan satisfaisant, avec des nuances, pour le volet ressources humaines de la réforme
a) Un accompagnement des agents satisfaisant

Le Gouvernement s'est engagé sur l'accompagnement de la réforme régionale par un suivi individuel des agents concernés. Selon un recensement réalisé auprès des préfets et SGAR des chefs-lieux supprimés, 337 agents sont concernés par la réforme : 230 en SGAR, entités qui disparaissent au 1 er janvier 2016, et 107 en préfecture sur des missions de niveau régional, pour lesquelles l'orientation vers de nouvelles missions pourra se faire jusqu'en 2018.

Des cellules de suivi des situations individuelles ont été mises en place dès le printemps, avec pour objectif de permettre à l'ensemble des agents concernés de trouver une solution adaptée à leur situation professionnelle et familiale. Des dispositifs spécifiques d'incitation au départ à la retraite ont également été mis en place, et les compensations prévues dans le cadre des mobilités géographiques ont été jugées satisfaisantes. Le Gouvernement a tiré les conséquences d'une des erreurs de la RéATE et prévu un barème unique pour la prime d'accompagnement de la réforme des services régionaux de l'État.

Plus généralement, il paraît clair que le volet ressources humaines de la réforme des services régionaux de l'État fait partie intégrante de cette dernière, alors que de nombreux aspects de ce volet n'avaient été traités qu' a posteriori dans le cadre de la RéATE.

À Amiens, l'accompagnement des ressources humaines a été réel et apprécié. Les souhaits des agents ont été étudiés en fonction notamment des quatre grands domaines mis en avant dans le plan « préfectures nouvelle génération » 16 ( * ) . Aucun n'a été contraint à une mobilité géographique non voulue. À quelques exceptions près, les agents concernés ont trouvé une solution correspondant à leur souhait. On a cependant conscience que le cas de la Somme a été exemplaire par rapport à d'autres départements.

b) Des conséquences sur le long terme potentiellement dommageables

La réforme des services régionaux aura une très probable incidence sur l'évolution des catégories d'agents restant dans les anciens chefs-lieux. Les cadres, plus mobiles et désireux de faire évoluer leur carrière, partant plus facilement vers les nouveaux chefs-lieux de région, la part d'agents moins qualifiés augmentera dans les anciens chefs-lieux. Or les préfectures ont besoin de continuer à pouvoir compter sur des agents qualifiés pour exercer les missions les plus importantes, comme celles de conseil et d'expertise auprès des élus locaux. Certes, dans le cadre du plan « préfectures nouvelle génération », un important volet de formation et de mise à niveau est prévu et le Gouvernement envisage un repyramidage des effectifs. Reste à savoir s'il sera suffisant pour maintenir le niveau de qualification adapté au renforcement, annoncé par le plan « préfectures nouvelle génération », des missions historiques et régaliennes de l'État.

Par ailleurs, des solutions satisfaisantes à court terme ne signifient pas l'absence de problèmes futurs. Ainsi, à Amiens, les agents touchés par la suppression de postes des SGAR et des missions de niveau régional en préfecture sont venus renforcer les effectifs de la préfecture, ce qui a permis de compenser les pertes de ces dernières années. Toutefois, il est évident que ce sur-effectif est provisoire. Et il pourrait avoir un double effet pervers : d'une part, il risque d'être compensé par une réduction des effectifs à Saint-Quentin et Beauvais, les deux autres préfectures de Picardie ; d'autre part, il rendra difficile, dans les prochaines années, les recrutements par la préfecture d'Amiens, ce qui pourrait poser problème si des besoins en compétences spécifiques apparaissaient.

III. UNE ÉVOLUTION EN TROMPE-L'OEIL DE LA GESTION DU CORPS PRÉFECTORAL

À l'occasion d'un référé, la Cour des comptes avait relevé l'année dernière un certain nombre de dysfonctionnements de la gestion des préfets, recommandant de réfléchir à la possibilité de faire évoluer le corps de préfets vers un cadre d'emploi fonctionnel. Si cette dernière idée, qui nous avait parue constituer une erreur, semble avoir été abandonnée, la gestion du corps ne semble pas s'améliorer pour autant. Le décret du 15 mai 2015 est en effet loin de changer la donne.

A. L'ABANDON DE LA RÉFLEXION SUR LA FONCTIONNALISATION DES PRÉFETS

Pointant les dysfonctionnements de la gestion du corps préfectoral, notamment le nombre significatif de préfets sans affectation territoriale, la Cour des comptes avait évoqué la possibilité de créer un cadre d'emploi fonctionnel pour pourvoir les postes de préfet territorial. Si le premier ministre avait, dans un premier temps, envisagé d'engager la réflexion en ce sens, le ministre de l'intérieur, lors de son audition devant notre commission lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, avait indiqué qu'il était hors de question de remettre en cause le corps préfectoral.

Si la fonctionnalisation aurait permis de gérer avec plus de souplesse le corps des préfets, elle présentait des inconvénients en termes de gestion des compétences et des carrières des fonctionnaires appelés à exercer les fonctions de préfet. En outre, comme l'ont indiqué à votre rapporteur le ministère de l'intérieur 17 ( * ) et le préfet Jean-François Carenco, président de l'association du corps préfectoral 18 ( * ) , les nominations et carrières de ces préfets fonctionnels auraient été, par la force des choses, plus soumises encore que maintenant aux aléas politiques. Comme nous l'avions souligné dans le rapport de l'année dernière, elle aurait surtout remis en cause la spécificité du préfet, liée à son ancrage territorial, et affaibli sa légitimité de représentant de la République et du Gouvernement.

Le choix a finalement été fait d'une « évolution au sein du cadre général posé par le statut des préfets » 19 ( * ) .

B. UNE RÉFORME DE LA GESTION DES PRÉFETS A MINIMA

Pour rappel, la Cour des comptes avait, dans son référé, souligné le nombre important de préfets hors cadre (75 en juillet 2014), certains étant chargés de missions au contenu évanescent. Elle avait également évoqué le cas des préfets en mission de service public, dont la première affectation est, par dérogation, hors cadre et non territoriale, et qui pour la plupart ne sont pas appelés à exercer ensuite dans les territoires. Enfin, les critiques concernaient la minceur des missions d'une partie des préfets hors cadre, voire pour certains l'absence d'activité.

En réponse à ces critiques, le décret du 15 mai 2015 20 ( * ) a modifié le statut des préfets et notamment supprimé la position « hors cadre ». Plus exactement, cette fameuse position a été répartie en quatre catégories :

- membres du Conseil supérieur de l'appui territorial et de l'évaluation (CSATE), organe chargé d'évaluer les préfets et sous-préfets ;

- conseillers du Gouvernement ;

- préfets affectés en administration centrale ou en cabinet ministériel, dans la limite de 10 % des effectifs du corps ;

- préfets chargés d'une mission de service public 21 ( * ) .

Cette « ventilation » ne trompe personne : toutes ces catégories existaient auparavant, sauf celle de conseiller du Gouvernement, dont il ne fait aucun doute qu'elle ressuscite les préfets hors-cadre inclassables dans les trois autres catégories. Uns seule évolution : la nomination en tant que conseiller du Gouvernement est faite en conseil des ministres, pour une durée de deux ans renouvelable une fois. Aucune de ces deux conditions n'était requise pour la position hors-cadre. On reviendra sur le contenu des missions auxquelles sont affectés certains de ces conseillers.

Le Gouvernement a également souhaité mettre l'accent sur l'évaluation des préfets. Le décret du 15 mai 2015 a ainsi renforcé le rôle du CSATE, avec la systématisation de l'évaluation des préfets avant leur titularisation. Ce point met toutefois en exergue le fait que les préfets pouvaient auparavant être titularisés sans avoir été évalués. Et la précision selon laquelle les préfets sont évalués « en particulier sur leur aptitude à exercer des responsabilités d'encadrement » 22 ( * ) en dit long sur les critères pris en compte pour certaines titularisations passées... Enfin, le décret du 19 mai 2015 23 ( * ) a mis en place le principe d'une évaluation des préfets non plus seulement pour leur titularisation, mais à « intervalles réguliers » .

Malgré la disparition de la dénomination « hors cadre » et des améliorations en matière de titularisation et d'évaluation des préfets, la principale critique de la gestion du corps demeure : on peut être nommé et titularisé préfet sans jamais avoir exercé des responsabilités territoriales. Il suffit que le Prince en décide ainsi.

C. LE PRÉFET ET LE TERRITOIRE

Le ministère de l'intérieur a transmis les chiffres suivants, récapitulant le nombre de préfets par position :

Situation des préfets au 1 er octobre 2015

En poste territorial

127

Préfet chargé d'une mission de service public

9

Total hors poste territorial : 128

Membre du CSATE

8

Conseiller du Gouvernement

18

Affectés en administration centrale ou en cabinet ministériel

24

Mis à disposition (service extraordinaire...)

17

Détaché

37

En disponibilité ou hors cadres 24 ( * )

15

Source : réponse au questionnaire

Constatons donc que la moitié des préfets n'a pas d'affectation territoriale.

Certes, comme l'a relevé la secrétaire générale adjointe du ministère de l'intérieur, il est, dans certains cas, pertinent d'employer les compétences des préfets pour des missions d'envergure nationale. Leur capacité à mobiliser et coordonner les acteurs locaux, leur expérience du terrain, et l'autorité attachée à leur statut sont autant d'atouts pour exercer de telles missions. Ainsi, la nomination de préfets en tant que coordinateur national pour l'accueil des réfugiés, directeur de la mission de préfiguration de la métropole du Grand Paris ou de coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés de l'État 25 ( * ) a un sens. L'affectation de préfets à des postes à hautes responsabilités en administration centrale, et notamment au ministère de l'intérieur, peut aussi se justifier. Compte tenu de leur mission, il n'est pas choquant que les occupants actuels des postes de secrétaire général du ministère, de secrétaire générale adjointe ou de directeur général des collectivités territoriales appartiennent au corps préfectoral.

Mais pour d'autres affectations, c'est plus que discutable. Ainsi en est-il, à notre avis, des postes de chargé de la direction opérationnelle de la décentralisation du stationnement payant, de directeur de cabinet du médiateur des marchés publics, ou de chef de projet du plan industriel des bornes électriques de recharge et délégué ministériel au développement territorial de l'électromobilité auprès du ministre de l'économie... Ces trois postes sont actuellement occupés par des préfets récemment nommés conseillers du Gouvernement. Que ces préfets soient désormais appelés ainsi ne change rien à l'affaire.

Se voulant rassurant, M. Bernard Cazeneuve a affirmé que le ministère avait « arrêté un principe d'affectation des conseillers du Gouvernement dans des fonctions réelles » et émis le souhait qu'il n'y ait plus de préfets sans fonctions 26 ( * ) . Déclarations révélatrices des pratiques qui prévalaient jusque-là.

Mais le fond du problème n'est pas la nature ou même l'utilité de la fonction confiée à ces préfets, mais l'existence de carrières sans lien avec le territoire du seul fait de la décision du Prince. Ainsi, dans les trois mois précédant la suppression de la position « hors cadre », ont été nommés préfets « chargés d'une mission de service public » : le chef de cabinet et un conseiller spécial du président de la République, le chef de cabinet du Premier ministre et le directeur du service d'information du gouvernement, autre proche du Premier ministre. Le second personnage du cabinet du Premier ministre a, quant à lui, été titularisé en tant que préfet en début d'année. Si, en cas de changement de majorité, ces personnes sont assurées de la sécurité de leur emploi, question « République irréprochable », on devrait pouvoir mieux faire.

Restent ainsi des progrès à faire dans la gestion du corps des préfets pour leur donner toute leur légitimité, une légitimité fondée à la fois sur leur proximité avec le territoire et leur rôle de représentant de l'autorité de l'État. Une des solutions pourrait être d'imposer le passage par la fonction de sous-préfet pour être préfet 27 ( * ) . À cet égard, les 5 nominations de sous-préfets, sur les 14 primo-nominations de préfets intervenues depuis le 1 er janvier 2015, ne sont pas satisfaisantes.

IV. LA RÉOUVERTURE EXCEPTIONNELLE DES INSCRIPTIONS SUR LES LISTES ÉLECTORALES : UNE MISE EN oeUVRE EN COURS

La loi n° 2015-852 du 13 juillet 2015 visant à la réouverture exceptionnelle des délais d'inscription sur les listes électorales a anticipé leur ouverture annuelle pour 2016. Cette mesure d'exception suit le vote d'une proposition de loi de Mme Elisabeth Pochon par l'Assemblée nationale, contre l'avis du Sénat. Soutenue par le Gouvernement, cette initiative parlementaire reprenait la recommandation n° 1 du propre rapport d'information de Mme Elisabeth Pochon et M. Jean-Luc Warsmann, rapport présenté devant la commission des lois de l'Assemblée nationale le 17 décembre 2014 28 ( * ) . La publication du décret n° 2015-882 du 17 juillet 2015 a permis le lancement de cette procédure exceptionnelle dès l'été.

A. LE CHOIX D'UNE CHARGE SUPPLÉMENTAIRE POUR UN EFFET DISCUTABLE

Par la voix de votre rapporteur, le Sénat soutenait une proposition plus pragmatique et évitant le recours à une nouvelle loi d'exception, pour corriger les effets des lois électorales précédentes. Reprenant une alternative ouverte par le rapport Pochon-Warsmann précité, le Sénat avait préféré à une réouverture exceptionnelle des listes électorales l'élargissement des possibilités d'inscription déjà prévues à l'article L. 30 du code électoral. Réservée aux seules personnes ayant déménagé pour des raisons professionnelles, cette faculté aurait été étendue à toutes les personnes s'étant installées depuis le 1 er janvier sur le territoire de la commune.

La révision exceptionnelle des listes électorales a inévitablement entraîné des charges supplémentaires pour l'ensemble des communes quelques mois avant qu'elles aient à faire face à la révision ordinaire, maintenue pour le début d'année 2016. Alors que les commissions administratives de révision achèvent le traitement des demandes d'inscription déposées jusqu'au 30 septembre 2015, elles devront se plier une nouvelle fois à cet exercice pour les demandes présentées entre cette date et le 31 décembre 2015. Le coût réel de cette mesure pour les communes n'a jamais été sérieusement évalué, ni d'ailleurs le véritable effet de cette décision sur la participation électorale pour le scrutin régional de décembre prochain.

En effet, les promoteurs de la loi justifiaient cette procédure exceptionnelle par le décalage qui pouvait exister entre la liste électorale pour laquelle les inscriptions auraient été closes au 31 décembre 2014 et les électeurs potentiels aux régionales de décembre 2015. Lors de l'examen du texte, votre rapporteur n'avait pas manqué de relever qu'il était illusoire d'espérer que des électeurs qui n'ont pas fait usage de leur droit d'inscription voire de leur droit de vote pendant plusieurs années décident subitement de s'inscrire et de voter.

Quelques semaines après la mise en oeuvre de cette procédure exceptionnelle, son bilan apparaît en demi-teinte, empêchant toute conclusion définitive. Selon les premières estimations communiquées par le ministère de l'intérieur, 50 000 inscriptions en ligne ont été constatées, dont près d'un cinquième pour la seule journée du 30 septembre, ce pic de demandes d'inscription étant un phénomène classique lors de la journée de clôture des demandes d'inscription. Ces inscriptions en ligne représentant d'habitude environ un dixième des demandes d'inscription, le ministère de l'intérieur estime, à ce stade, que le niveau de demandes présentées s'apparente à celui constaté l'année précédant le renouvellement général des assemblées départementales. Lors de son audition, la représentante de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a confirmé à votre rapporteur, au regard des mouvements de demandes d'inscription et de radiation constatés à la suite de la réouverture exceptionnelles de la procédure d'inscription, que l'année 2015 ressemblait à l'heure actuelle à une année ordinaire.

L'afflux de demande d'inscriptions qui devait augurer le regain de participation électorale n'a donc pas eu lieu, et ce, d'autant plus que les demandes d'inscription traitées par les commissions administratives placées auprès de chaque commune rassemblent celles déposées depuis le 1 er janvier 2015, pour certaines donc avant l'examen et la promulgation de la loi. Ces inscriptions comportent les inscriptions d'office des jeunes électeurs ayant atteint l'âge de la majorité cette année ainsi que celles des électeurs qui auraient pu de toute manière s'inscrire par l'effet de l'article L. 30 du code électoral, a fortiori si son champ d'application avait été élargi selon le souhait du Sénat.

B. VERS UNE RÉFORME EN PROFONDEUR DE LA PROCÉDURE D'INSCRIPTION SUR LES LISTES ÉLECTORALES ?

Le 30 octobre 2014, le président de la République a fait part de son souhait de simplifier pour les électeurs la procédure d'inscription sur les listes électorales. Selon le chef de l'État, « plusieurs millions de nos concitoyens ont le droit de vote mais ne votent pas, parce qu'ils ne sont plus inscrits sur les listes électorales, parce qu'ils ont déménagé, parce qu'ils ont oublié de faire leur transfert » 29 ( * ) . S'il est exact que le nombre de citoyens, en droit de voter, mais qui n'exercent pas leur droit faute d'inscription sur les listes électorales est estimé à près de 3 millions de personnes, il est bien excessif d'en rendre responsable la seule procédure d'inscription. L'origine de la baisse des électeurs inscrits et plus encore d'électeurs votants est essentiellement politique. Pour autant, toute amélioration de cette procédure, notamment pour prendre en compte une plus forte mobilité géographique des électeurs, reste souhaitable.

La dématérialisation des procédures pour les électeurs qui le souhaitent peut être une piste d'amélioration. Les électeurs peuvent déjà recourir à la procédure en ligne qui leur permet de solliciter leur inscription par voie électronique sans se déplacer à la mairie. Mais le principal obstacle à une inscription tout au long de l'année, jusqu'à un mois d'un scrutin, reste le principe de l'annualité de la révision des listes électorales.

À la suite du rapport de nos collègues députés Elisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann, l'inspection générale de l'administration a rendu, en 2014, un rapport concluant à la création d'un répertoire national unique des électeurs. Actuellement, il existe un fichier général des électeurs tenu par l'INSEE mais qui ne concorde pas avec les différentes listes électorales conservées par les communes. L'INSEE estime ainsi qu'il existe environ 800 000 personnes inscrites en plus sur le fichier général par rapport à l'addition des listes électorales communales et 300 000 personnes en moins, aboutissant à un décalage net de l'ordre de 500 000 électeurs, reflet de doubles inscriptions. Ce nombre, important en valeur absolue, doit être relativisé car il représente moins d'1 % du corps électoral national, avec un effet d'autant plus dilué qu'il porte sur des milliers de communes et de bureaux de vote. En outre, ces révélateurs de doubles inscriptions ne préjugent pas de l'exercice effectif d'un double vote par un même électeur, qui demeure dans la pratique rare.

Refondre le système de procédure d'inscription des listes électorales aux seules fins de mettre fin aux doubles inscriptions serait certes louable mais entraînerait des coûts disproportionnés au regard de l'objectif. Le seul effet optique serait l'amélioration des chiffres de la participation électorale en réduisant l'assiette des électeurs. Cette réforme supposerait, en tous cas, que le répertoire national unique des électeurs serve de base de données centrale à partir de laquelle les listes électorales pourraient être constituées.

Les avantages en termes de simplification d'une telle réponse sont à mettre en balance avec les obstacles techniques et financiers.

Lors de son audition, Mme Caroline Escapa, cheffe du département de la démographie à l'INSEE, a souligné l'effort considérable que suppose l'initialisation d'un tel répertoire national. Cela nécessiterait la mobilisation des services déconcentrés de l'État, la force de travail n'existant pas au sein de l'INSEE. Fort de quelques expériences menées dans des communes volontaires de différentes tailles, Mme Caroline Escapa a indiqué à votre rapporteur que la refonte envisagée requerrait, selon les scénarii retenus, entre 30 et 45 personnes à temps plein sur une période de trois ans au sein de l'INSEE.

Une telle refonte nécessiterait aussi de prendre en compte la grande diversité et le nombre important des communes françaises. Elle supposerait notamment de prévoir une dématérialisation intégrale des échanges avec les administrations communales alors qu'aujourd'hui la correspondance demeure largement par voie postale.

En revanche, la gestion des listes électorales serait rendue plus aisée pour l'avenir, permettant d'envisager une simplification de l'établissement des listes électorales au niveau communal dans la mesure où une part de leur fiabilité reposerait sur un système national. Cette réforme mettrait aussi un terme au pic d'activité que connaissent les services de l'INSEE en janvier et février lorsqu'ils sont sollicités pour les inscriptions annuelles.

V. L'ORGANISATION DES ÉLECTIONS : UN ANGLE BUDGÉTAIRE PRIVILÉGIÉ

L'examen du budget de l'État est devenu l'occasion de s'interroger sur l'efficacité de la dépense publique dans le domaine de la vie politique et de proposer des changements radicaux dans les habitudes de vote des Français. Contrairement aux deux années précédentes, le Gouvernement s'est gardé, pour le présent projet de loi de finances, de proposer une nouvelle fois la dématérialisation de la propagande électorale, faute d'élections générales en 2016 et donc de lien avec le texte. Rappelons que cette mesure a été rejetée, par deux fois, par la commission des finances de l'Assemblée nationale, soutenue par le Sénat.

A. LA DÉMATÉRIALISATION DES DOCUMENTS ÉLECTORAUX : LA RECHERCHE DE L'ÉCONOMIE À TOUT PRIX

Le rapport de revue de dépenses annexé au présent projet de loi de finances fait état des conclusions de la mission conjointe confiée à l'inspection générale de l'administration (IGA) et au contrôle général économique et financier (CGEFI). Cette mission préconise une dématérialisation intégrale de la propagande électorale, la diffusion sur un site internet de cette propagande et un « plan de communication ambitieux ».

Les conclusions de la mission des inspections ministérielles

Confié à l'inspection générale de l'administration (IGA) et au contrôle général économique et financier (CGEFI), le rapport relatif à la revue des dépenses sur l'organisation des élections s'inscrit dans la réforme dite de « dématérialisation de la propagande électorale » qui permettrait de maîtriser et réduire les dépenses liées à l'organisation des élections.

S'agissant tant de l'envoi aux électeurs des bulletins de vote que de la propagande électorale, la mission recommande la mise en oeuvre de la réforme pour les prochains scrutins, présidentiel et législatif, de 2017. La diffusion sur un site internet dédié de la propagande électorale et non plus par envoi au domicile des électeurs pour ces deux scrutins génèrerait une économie estimée à environ 150 millions d'euros, sur une dépense évaluée à 215 millions d'euros, et alors que l'ensemble des dépenses liées à l'organisation de ces deux scrutins dépasserait 350 millions d'euros.

Après avoir souligné le caractère perfectible du système actuel d'envoi à domicile de la propagande, la mission recommande l'envoi, à chaque électeur, d'un courrier d'information sur le scrutin à venir et précisant les modalités d'accès à la propagande électorale. Elle recommande également un plan de communication ambitieux. Elle estime que, dans ces conditions, la dématérialisation de la propagande électorale préserverait les principes fondamentaux de bonne information de l'électeur et d'égalité entre les électeurs et entre les candidats.

Plus encore, une telle réforme, aujourd'hui techniquement réalisable, permettrait une meilleure information des électeurs et s'avèrerait utile pour améliorer le taux de participation, notamment auprès des jeunes électeurs. Le bénéfice environnemental est inévitablement invoqué. Enfin, la mission précise, qu'avec le Royaume-Uni, la France est le seul État qui, au sein de l'Union européenne, procède à l'envoi de la propagande officielle papier au domicile des électeurs. L'économie nette possible en 2017 serait de 150 millions d'euros (incluant l'envoi d'un courrier d'information civique et électoral, le système d'information et d'accès dématérialisé et la campagne d'information).

Source : Revue de dépenses, annexe au projet de loi de finances pour 2016, p. 12

Votre rapporteur s'oppose fermement à cette « modernisation », comme à la suppression de l'envoi à domicile des bulletins de vote ou de la carte d'électeur. Cette approche essentiellement comptable des élections, pour ne pas dire anti-démocratique, aurait, n'en doutons pas, un effet calamiteux en termes de participation électorale, particulièrement en zone rurale et dans les petites et moyennes communes qui sont celles où les électeurs votent le plus.

B. L'ORGANISATION DES ÉLECTIONS : LE COÛT DE LA DÉMOCRATIE

Selon notre collègue Hervé Marseille, rapporteur spécial des crédits de la mission, « l'organisation des élections représente un coût important mais difficilement pilotable » 30 ( * ) . L'évolution des crédits suit d'ailleurs celle des élections politiques. Ainsi, pour le présent projet de loi de finances, leur baisse s'explique par l'absence d'élections générales au cours de l'année 2016, ce qui permet de les réduire de près de 90 % par rapport à 2015, année des élections départementales en mars et régionales en décembre prochain. Lors de son audition pour votre rapporteur, la secrétaire générale adjointe du ministère de l'intérieur a d'ailleurs indiqué qu'une partie des crédits serait reportée sur l'exercice prochain puisque que les dépenses engagées par les candidats lors des élections régionales en décembre seront remboursées en 2016.

En matière électorale, la prévision budgétaire se révèle un exercice particulièrement délicat. Ainsi, le coût moyen de l'élection par électeur inscrit, pour les élections des sénateurs en septembre 2014, est actualisé à 0,16 euro, au lieu de 0,28 euro comme indiqué dans le projet annuel de performances pour 2014. En effet, le montant des dépenses électorales et donc, pour la première fois, des remboursements forfaitaires s'est avéré inférieur à la prévision : la dépense s'élève à 2 millions d'euros contre 5,9 millions d'euros estimés. À l'inverse, s'agissant de l'élection des conseillers départementaux en mars 2015, la prévision actualisée du coût moyen par électeur inscrit s'élève à 3,61 euros, contre 2,17 euros dans le projet annuel de performances pour 2015. De même, le coût moyen par électeur inscrit pour l'élection des conseillers régionaux en décembre 2015 est estimé à 3,96 euros contre 2,30 euros dans le projet annuel de performances pour 2015. La hausse du coût de cet indicateur s'explique essentiellement par l'abandon du projet de dématérialisation de la propagande électorale pour ces deux scrutins.

Dans ces conditions, il s'avère vain de vouloir mesurer, comme l'impose le modèle de la LOLF, la performance budgétaire des dépenses électorales puisque pour une large partie, elles dépendent du nombre de candidatures - que, par définition, l'État ne maîtrise pas - et du montant des dépenses engagées par ces candidats lors de la campagne et donc de leur remboursement - que l'État maîtrise encore moins.

Ce programme budgétaire contient des dépenses incontournables qu'il est difficile de réduire, à moins de porter atteinte à l'égal accès au vote. Ces réflexions doivent ramener le problème du coût des élections à la question fondamentale : quel est le coût de la démocratie ? Autrement dit, quels moyens l'État consent-il à consacrer à la vie démocratique dont la vitalité devrait être pour lui une ardente obligation ?

*

* *

Sur proposition du rapporteur, la commission des lois a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission Administration générale et territoriale de l'État figurant dans le projet de loi de finances pour 2016.

AUDITIONS ET DÉPLACEMENT EFFECTUÉS PAR LE RAPPORTEUR

AUDITIONS

Ministère de l'intérieur :

- Mme Sophie Thibault , secrétaire générale adjointe et directrice de la modernisation et de l'action territoriale

- M. Charles Moreau, chef du service des affaires financières ministériel

- Mme Sylvie Calves , cheffe du bureau des élections et des études politiques

- M. Charles Barbier , adjoint à la cheffe du bureau des élections et des études politiques

Secrétariat général du Gouvernement :

- M. Jean-Luc Nevache , coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés de l'État

Association du corps préfectoral

- M. Jean-François Carenco , préfet de la région Ile-de-France, président

INSEE

- Mme Caroline Escapa , cheffe du département de la démographie

DÉPLACEMENT À AMIENS (SOMME)
6 NOVEMBRE 2015

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Préfecture de la région Picardie, Préfecture de la Somme :

Entretiens avec :

- Mme Nicole Klein , préfète de la région Picardie, préfète de la Somme

- M. Jean-Charles Geray , secrétaire général de la préfecture de la Somme

- Mme Christiane Hosten , directrice des titres et de la citoyenneté (préfecture)

- Mme Marie-Line Pigeon , cheffe du bureau des élections et du conseil aux collectivités locales (préfecture)

- Mme Isabelle Cathelain , cheffe du bureau des ressources humaines (préfecture)

- M. Raphaël Ghys , chargé de mission de coordination générale, études et culture (SGAR)

- M. David Bajeux , responsable du pôle d'appui

- Mme Blandine Podsiadlo , cheffe de centre de services partagés (plate-forme régionale CHORUS)

- M. Yann Mysiak , secrétaire général de la sous-préfecture de Péronne (sous-préfecture/représentant du personnel)

Mairie d'Amiens :

Entretien avec Mme Brigitte Fouré , maire d'Amiens


* 1 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/lois.html

* 2 Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.

* 3 Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

* 4 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

* 5 Mesure n° 3 de la revue des missions.

* 6 Mesure n° 8 de la revue des missions.

* 7 Transférée aux Chambres de métier et de l'artisanat (mesure n° 4 de la revue des missions).

* 8 L'habilitation pour valider les sessions de formation est donnée aux organismes de formation associatifs (mesure n° 6 de la revue des missions).

* 9 Mesure n  27 de la revue des missions.

* 10 Compte-rendu de l'audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, le 27 octobre 2015 devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2016 n° 3117 tome 1 « Administration générale et territoriale de l'État ».

* 11 Source : réponse au questionnaire.

* 12 Excepté une sous-préfecture qui fermera au 1 er janvier 2016 après une phase intermédiaire de jumelage.

* 13 Décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration.

* 14 Document fixant les priorités du réseau des préfectures et des sous-préfectures, ayant valeur d'orientation stratégique et opérationnelle.

* 15 Système d'immatriculation des véhicules.

* 16 Voir supra.

* 17 Dans sa réponse au questionnaire.

* 18 Lors de son audition par votre rapporteur.

* 19 Source : réponse au questionnaire.

* 20 Décret n° 2015-535 modifiant le décret n°64-805 du 29 juillet 1964 fixant les dispositions réglementaires applicables aux préfets.

* 21 Art. 1 er et 10 du décret n°64-805 du 29 juillet 1964 fixant les dispositions réglementaires applicables aux préfets.

* 22 Art. 4 du décret n° 64-805 du 29 juillet 1964.

* 23 Décret n° 2015-547 du 19 mai 2015 modifiant le décret n° 2006-1482 du 29 novembre 2006 relatif au Conseil supérieur de l'administration territoriale de l'État.

* 24 La position « hors cadre s » doit être distinguée de la position, aujourd'hui supprimée, « hors cadre ». La position « hors cadres » permet un détachement au sein d'entreprises ou d'établissements publics.

* 25 Ces trois préfets ont été nommés à ces fonctions en tant que conseillers du Gouvernement.

* 26 Compte-rendu de l'audition de M. Bernard Cazeneuve précité.

* 27 Cette piste de réflexion avait été évoquée dans le rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2015.

* 28 Rapport d'information n° 2473 (A.N., XIV ème lég.) sur les modalités d'inscription sur les listes électorales, de Mme Elisabeth Pochon et M. Jean-Luc Warsmann.

* 29 Discours du Président de la République à l'occasion de la clôture du premier bilan d'étape de 18 mois de simplification.

* 30 Rapport d'information de M. Hervé Marseille, fait au nom de la commission des finances, sur le coût de l'organisation des élections (n° 123, 2015-2016).

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