C. DES DOSSIERS OCCULTÉS ET DES RÉFORMES INABOUTIES

Ces avancées notables ne doivent pas masquer le refus du Gouvernement de corriger certaines des injustices nées de l'application du droit à réparation et le caractère inachevé de certaines réformes qu'il a conduites.

Il en va ainsi de la situation des anciens combattants ayant été stationnés en Algérie entre le 3 juillet 1962 et le 1 er juillet 1964 , date de retrait des dernières troupes françaises 8 ( * ) en application des accords d'Evian, qui ne peuvent pas, en l'état actuel du droit, bénéficier de la carte du combattant. Le secrétaire d'État a réitéré devant votre commission son opposition à cette mesure 9 ( * ) . Selon les informations dont dispose votre rapporteur pour avis, environ 100 000 hommes , dont 80 000 appelés , ont été amenés à servir en Algérie durant cette période. Plusieurs dizaines de militaires français , voire plusieurs centaines selon certaines sources, y sont décédés et ont été reconnus morts pour la France .

Depuis 2001 10 ( * ) , les anciens combattants ayant séjourné en Algérie entre le 2 juillet 1962 et le 1 er juillet 1964 peuvent bénéficier du titre de reconnaissance de la Nation (TRN). A ce jour, plus de 35 000 ont été accordés à ce titre. Par ailleurs, le statut de victime de la captivité en Algérie est attribué aux personnes ayant été capturées après le 2 juillet 1962 et détenues pendant au moins trois mois en Algérie, en raison des services rendus à la France.

Il est incontestable qu'un régime identique à celui en vigueur pour les anciens combattants ayant participé à la guerre d'Algérie, qui s'étend du 1 er novembre 1954 au 2 juillet 1962, ne peut être appliqué. L'état de guerre a en effet cessé à partir de cette date, et l'indépendance de l'Algérie en a fait un État souverain. En revanche, les circonstances s'apparentent bien à celles d'une Opex , notamment l'exposition au danger et la présence sur un territoire étranger en application d'un accord bilatéral.

Dans ces conditions, il appartient au Gouvernement de reconnaître le caractère d'Opex au maintien temporaire des forces françaises dans l'Algérie nouvellement indépendante . Une intervention du législateur n'est pas requise : il suffit de modifier l'arrêté du 12 janvier 1994 11 ( * ) qui fixe la liste des Opex ouvrant droit au bénéfice de la carte du combattant. Ce ne serait pas la plus ancienne , puisque ce texte prend déjà en compte les opérations conduites à Madagascar entre 1947 et 1949 , au Cameroun entre 1956 et 1958 et en Mauritanie entre 1957 et 1959 . De plus, ces territoires étaient alors sous souveraineté française , ce qui les éloigne davantage de la définition d'une Opex que l'action des forces présentes en Algérie après le 2 juillet 1962.

En conséquence, la carte du combattant serait attribuée à tous les anciens militaires y ayant séjourné au moins quatre mois durant ces deux années au cours desquelles a été effectué le retrait des troupes françaises d'Algérie. Selon les informations fournies à votre rapporteur pour avis, le Gouvernement estime à 60 000 personnes le nombre maximal d'hommes qui seraient éligibles à une telle mesure, tandis que les calculs des associations qui la soutiennent font état d'un nombre plus réduit de bénéficiaires, de l'ordre de 24 000 . Son coût , principalement lié aux retraites du combattant qui devraient être versées à ces personnes, serait compris entre 16 et 40 millions d'euros par an . Son financement pourrait donc être assuré par les économies réalisées grâce à la diminution , constatée chaque année, du nombre de bénéficiaires de la retraite du combattant : - 50 000 entre 2015 et 2016 et - 51 000 attendus entre 2016 et 2017.

Par ailleurs, la situation des anciens supplétifs de statut civil de droit commun , les harkis « européens », mériterait d'être réexaminée à l'aune de l'exigence d'égalité entre frères d'armes dans l'application du droit à réparation . Au côté des supplétifs de statut civil de droit local, issus de la population musulmane, un nombre réduit de pieds noirs ont servi dans les harkas et les autres formations supplétives. Toutefois, le bénéfice des différentes mesures de réparation mises en place au profit des harkis, notamment l'allocation de reconnaissance, leur a toujours été refusé.

Cette injustice a donné lieu à un contentieux administratif et constitutionnel fourni. Dans une décision du 4 février 2011 12 ( * ) , le Conseil constitutionnel a par renvoi supprimé le critère du statut civil de droit local, en déclarant contraire à la Constitution la condition de nationalité alors en vigueur pour bénéficier de l'allocation de reconnaissance. En conséquence, le Conseil d'État a, dans une décision du 20 mars 2013 13 ( * ) , jugé que cette dernière ne pouvait plus être réservée par le pouvoir réglementaire aux seuls anciens harkis de statut civil de droit local.

Le Parlement a réagi en restaurant ce critère par la loi du 18 décembre 2013 14 ( * ) . Dans une décision du 4 décembre 2015 15 ( * ) , le Conseil constitutionnel a estimé que les anciens harkis de statut civil de droit commun ne se trouvent pas dans la même situation que les anciens harkis de droit local, point de vue qui mériterait d'être nuancé au regard des situations particulières présentées à votre rapporteur pour avis. Néanmoins, dans une autre décision du 19 février 2016 16 ( * ) , le Conseil constitutionnel a censuré la portée rétroactive de la loi de 2013 et a considéré qu'elle n'était pas animée d'un « motif impérieux d'intérêt général suffisant » justifiant de priver de leur droit d'exercer un tel recours les personnes qui, pendant 34 mois, étaient éligibles à l'allocation de reconnaissance et avaient, à la suite d'un refus de l'administration, engagé une procédure contentieuse non jugée définitivement pour l'obtenir.

Votre rapporteur pour avis a interrogé le Gouvernement sur les conséquences de cette décision. Dans sa réponse 17 ( * ) , celui-ci a précisé que sur 300 dossiers examinés par le service central des rapatriés (SCR), seuls quatre répondaient à ces critères et étaient e n cours d'examen par les juridictions administratives , qui pourraient leur accorder l'allocation de reconnaissance. Le risque financier pour l'État s'élèverait à 150 000 euros .

Il convient de mieux prendre en compte la situation de cette population aux effectifs très réduits, très âgée et qui a servi la France dans des conditions très difficiles, comme leurs représentants l'ont expliqué à votre rapporteur pour avis lors de leur audition. Ces derniers ont par ailleurs eu l'impression de faire face à une véritable obstruction de la part de l'administration dans le traitement de ce dossier. Si l'allocation de reconnaissance était accordée à chacun des 300 anciens supplétifs de statut civil de droit commun en ayant fait la demande, le coût annuel pour l'État serait d'environ un million d'euros 18 ( * ) . Alors que le nombre de bénéficiaires de l'allocation de reconnaissance diminue d'environ 100 par an (- 98 entre 2016 et 2017), cette mesure d'équité et de justice pourrait être très facilement prise en charge.

S'agissant de l'efficience du service offert aux anciens combattants, la procédure de traitement des demandes de PMI , dont les réformes semblent ininterrompues depuis le début des années 2010, reste perfectible . Dans ce domaine, plusieurs chantiers restent ouverts pour moderniser la sous-direction des pensions (SDP) de la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD), certains étant d'ailleurs marqués par les hésitations et les imprécisions de l'administration.

C'est le cas notamment de l'architecture et de l'organisation territoriale des commissions de réforme . Un arrêté du 12 février 2016 19 ( * ) avait prévu la création, au 1 er avril 2016, d'une commission de réforme nationale , chargée d'instruire les recours contre les constats provisoires sur le droit à pension reconnus aux demandeurs établis par la SDP. Les dix centres d'expertise médicale et commissions de réforme (CEM-CR) 20 ( * ) , qui remplissaient cette mission et avaient été créés en 2010-2011, avaient été fermés au 31 décembre 2014.

Toutefois, un arrêté du 25 mars 2016 21 ( * ) est venu retirer ce premier arrêté, qui n'est donc jamais entré en vigueur. Il avait en effet été constaté, selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis, que ses dispositions concernant l'exercice du droit de recours étaient plus restrictives que celles figurant dans le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre (CPMIVG). Désormais, la création de cette commission de réforme des PMI (CRPMI) nationale devrait être prochainement effectuée par décret en Conseil d'État.

De même, toutes les conséquences de la réorganisation de la SDP en 2014, qui a entrainé de forts retards dans le traitement des dossiers, n'ont pas encore été pleinement corrigées. Le délai moyen envisagé pour 2016, 300 jours , ne sera pas atteint et a été réévalué à 330 jours dans le cadre du PLF pour 2017. L'administration reconnaît aujourd'hui que la réforme menée n'a pas suffisamment tenu compte des capacités et des initiatives des agents de la SDP. D'importants efforts de productivité et de rationalisation des structures ont été réalisés à partir de 2015, mais ils tardent à produire pleinement leurs effets pour le monde combattant.

Enfin, la situation des conjoints survivants des grands invalides de guerre n'est toujours pas satisfaisante , malgré les mesures ponctuelles adoptées par le Parlement depuis 2010. Ceux-ci se retrouvent dans une grande précarité au décès du pensionné dont ils ont, dans la plupart des cas, pris soin pendant plusieurs années, en raison du caractère forfaitaire de leur pension de réversion .

Malgré les divers compléments et majorations de pension mis en place ces dernières années, le Gouvernement semble impuissant à améliorer véritablement les conditions de vie matérielle de ces personnes. Le ministère est incapable de les recenser , et donc de cibler son action en leur faveur. Ainsi, la réforme de la majoration versée aux conjoints survivants des grands invalides justifiant d'une durée de mariage et de soins constants d'au moins cinq ans, adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2016 22 ( * ) , n'a à ce jour bénéficié qu'à une personne, cinq autres demandes étant en cours d'examen. Il est donc urgent d'engager une réflexion avec les associations pour apporter une solution définitive à leurs difficultés.


* 8 A l'exception de la base de Mers el-Kébir ainsi que les bases d'expérimentation du Sahara utilisées pour les essais nucléaires.

* 9 Alors qu'il avait été le troisième signataire en 2008 de la proposition de loi n° 294 (2007-2008) visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d'Evian du 2 juillet 1962 au 1 er juillet 1964.

* 10 Et le décret n° 2001-362 du 25 avril 2001 modifiant l'article D. 266-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.

* 11 Arrêté du 12 janvier 1994 fixant la liste des opérations ouvrant droit au bénéfice de la carte du combattant au titre de l'article L. 253 ter du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; NOR : ACVP9320062A.

* 12 Conseil constitutionnel, décision n° 2010-93 QPC du 4 février 2011, Comité Harkis et vérité.

* 13 Conseil d'État, 20 mars 2013, n° 342957.

* 14 Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, art. 52.

* 15 Conseil constitutionnel, décision n° 2015-204/505 QPC du 4 décembre 2015, Mme Nicole B. veuve B. et autre.

* 16 Conseil constitutionnel, décision n° 2015-522 QPC du 19 février 2016, Mme Josette B.-M.

* 17 Question écrite n° 21 281, JO Sénat 15/09/2016, p. 3 930.

* 18 Le montant annuel de l'allocation de reconnaissance étant revalorisé à 3 515 euros par l'article 54 du présent PLF.

* 19 Arrêté du 12 février 2016 relatif à la saisine, l'organisation et au fonctionnement des commissions de réforme des pensions militaires d'invalidité ; NOR : DEFH1524642A.

* 20 A Ajaccio, Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Metz, Paris, Rennes, Toulouse et Tours.

* 21 Arrêté du 25 mars 2016 portant retrait de l'arrêté du 12 février 2016 relatif à la saisine, l'organisation et au fonctionnement des commissions de réforme des pensions militaires d'invalidité ; NOR : DEFH1608315A.

* 22 Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, art. 131.

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