B. PPE ET RSA-ACTIVITÉ : DES DISPOSITIFS AUX OBJECTIFS ANTAGONIQUES ET À L'ARTICULATION IMPRÉCISE

1. La prime pour l'emploi, un outil peu redistributif mais surtout trop éparpillé
a) L'incitation au retour à l'emploi par le crédit d'impôt

Dès 2001, année de création de la prime pour l'emploi (PPE), l'objectif visé par les pouvoirs publics est explicitement « d'inciter au retour à l'emploi ou au maintien de l'activité » en complétant les revenus des travailleurs faiblement rémunérés.

Cependant, on n'envisage pas encore de corréler les deux champs de l'incitation au travail et de la protection sociale . Le premier visant avant tout l'individu et son insertion sur le marché du travail, il paraissait a priori peu compatible avec les mesures de protection sociale, qui visent le ménage et prennent en compte les ressources de ce dernier, et non du seul individu.

L'idée consista donc, sur le modèle de « l'earned income tax credit » (EITC) aux États-Unis ou du « working family tax credit » (WFTC) au Royaume-Uni, de mobiliser l'outil du crédit d'impôt qui, en fonction de la composition du ménage, peut cibler soit l'individu soit le ménage.

La PPE, créée par la loi du 30 mai 2001 26 ( * ) , prenait donc la forme d'un crédit d'impôt accordé aux personnes en emploi disposant de faibles revenus d'activité professionnelle. Elle était attribuée aux personnes ayant perçu sur l'année un revenu compris entre 0,3 et 1,4 Smic. Le premier critère d'attribution reposait donc sur les revenus d'activité individuelle ; un second critère prenait en compte les ressources du foyer fiscal qui, en fonction de sa composition, ne devait pas dépasser un certain montant.

Montant annuel de la PPE en fonction du revenu

Source : OFCE, 2004

Le montant de la prime obéit au schéma suivant : opérante dès 0,3 Smic, la PPE croît de façon linéaire jusqu'à 1 Smic, puis décroît selon un rythme plus rapide jusqu'à s'éteindre à partir de 1,4 Smic. La loi de finances pour 2003 27 ( * ) , suivie par les lois de finances pour 2006, 2008 et 2009, a introduit une modification substantielle quant à la distribution de la PPE : le rythme d'évolution de la prime est intensifié entre 0,3 et 0,5 Smic, puis stagne pratiquement jusqu'à un Smic. Cette modification avait pour objet d' étendre l'effort de la PPE sur les personnes à bas revenus .

b) Un double échec dans la lutte contre la pauvreté et l'incitation au retour à l'emploi

Si l'objectif premier de la PPE était bien d'inciter à la reprise ou à la poursuite d'une activité professionnelle, elle avait également pour but, en concentrant ses effets sur la cible comprise entre 0,3 et 1 Smic, de redistribuer du pouvoir d'achat aux travailleurs à bas revenus. Pourtant, selon la Cour des comptes, « l'efficacité du dispositif apparaît limitée au regard de chacun de ses deux objectifs : la prime semble n'avoir qu'un faible impact sur l'offre de travail et l'emploi et n'améliore que marginalement le revenu disponible des bénéficiaires 28 ( * ) ».

Concernant le premier objectif, l'échec semble principalement s'expliquer par la faiblesse des montants reversés aux bénéficiaires . Malgré les revalorisations successives de la PPE, ces montants n'ont pas dépassé 960 euros par an pour un Smic (480 euros pour 0,3 Smic ou 1,2 Smic). La PPE montre donc la nécessité d'une certaine concentration du dispositif.

L'effet incitatif à la reprise de l'emploi est donc assez faible et d'autant plus limité que, la prime pour l'emploi étant versée par l'administration fiscale, elle n'est perceptible par le bénéficiaire que l'année suivant celle de la déclaration des ressources . Ce dernier doit donc décider de la reprise d'un emploi en fonction d'un gain futur et non simultané.

Le second objectif, quant à lui, n'a pas été atteint en raison d'un ciblage insuffisant du dispositif . Ce dernier ne pouvait de toute façon pas se prétendre totalement redistributif dans la mesure où il avantageait des tranches de revenus plus élevées (de 0,8 à 1 Smic) sur des tranches de revenus plus faibles (de 0,3 à 0,8 Smic). Mais cet aspect fut aggravé par le niveau très élevé du plafond de ressources que le foyer fiscal ne pouvait dépasser pour prétendre à la PPE. Un tel niveau rendit éligibles - pour 30 % des bénéficiaires - des foyers dont les revenus les plaçaient au-dessus du 5 ème décile de niveau de vie.

c) Brèves leçons d'un échec

Cela étant, à l'heure où il est devenu courant de s'accorder sur l'insuccès de la PPE, votre rapporteur aimerait exprimer une opinion légèrement nuancée. En effet, il n'estime pas que la PPE portait dans les modalités mêmes de sa construction les germes de son échec, mais que ce dernier provient plutôt d'une volonté - très politique - d'accoler à la PPE un objectif de lutte contre la pauvreté qui s'accommodait mal avec l'instrument choisi .

Si le plafond de ressources du foyer fiscal était manifestement trop élevé, il n'était en tout cas illégitime de concentrer l'essentiel de l'effort autour des tranches de revenus les plus susceptibles d'être touchées par un retour à l'emploi.

A ce stade, votre rapporteur souhaiterait rappeler l'idée, évoquée plus haut, selon laquelle l'échec de la PPE tient probablement à la cohabitation de deux objectifs (inciter au retour à l'emploi et lutter contre la pauvreté) pour un seul outil (le crédit d'impôt). Symétriquement, il souhaite relever le risque que présente la définition de plusieurs outils (le crédit d'impôt et les minima sociaux) pour servir le même objectif (la lutte contre la pauvreté).

2. Le RSA-activité, un outil mieux pensé au recours trop faible
a) Une nouvelle conception de l'allocation universelle de subsistance

Jusqu'en 2009, l'attribution des minima sociaux reposait essentiellement sur la logique de l' allocation différentielle . Le revenu minimum d'insertion (RMI), créé en 1988, était conçu comme une allocation universelle, garantissant un montant minimal de ressources à toute personne dont les revenus n'atteindraient pas un certain seuil. Le dépassement de ce seuil supposait par conséquent la suspension du droit à l'allocation. Ainsi, on a pu penser qu'eu égard aux différents coûts informels supposés par la recherche d'un emploi, l'extinction « sèche » des droits au RMI pouvait désinciter à la réinsertion sur le marché du travail.

En conséquence, et en réaction au constat d'échec de la PPE, une réforme profonde de l'allocation a entraîné la redéfinition du RMI, rebaptisé revenu de solidarité active (RSA) par la loi du 1 er décembre 2008 29 ( * ) . Le RSA est désormais scindé en un « RSA-socle », qui constitue la partie différentielle de l'allocation et qui garantit au bénéficiaire un revenu minimum, et en un « RSA-activité », qui peut se définir comme la fraction du RSA total attribué au bénéficiaire que ce dernier peut cumuler avec l'exercice d'une activité .

Ainsi, la première différence du RSA-activité par rapport à la PPE réside dans l'appui sur un barème , qui cesse de rendre le dispositif universel. Contrairement à la PPE, le RSA-activité s'inscrit dans une démarche de ciblage et tend à concentrer ses efforts sur les bas revenus. Le volet « activité » du RSA avait pour objet de remédier au problème induit par le caractère strictement différentiel du RSA. Il s'agissait pour le titulaire d'un minimum social de ne pas subir, en reprenant une activité professionnelle, une perte nette de revenus du fait de la disparition de la prestation et de l'apparition de nouveaux coûts induits par le retour sur le marché du travail.

Le calcul du RSA-activité se fondait sur une revalorisation du revenu minimum garanti (RMG) pour le foyer. Initialement, ce dernier était déterminé de façon forfaitaire et variait en fonction de sa composition. Après 2009, on élève ce RMG d'un montant égal à 62 % des revenus professionnels perçus par l'ensemble des membres du foyer . Le RSA-activité est égal au différentiel entre le nouveau RMG et l'ancien RMG. Ainsi, pour des foyers qui excéderaient l'ancien RMG en raison d'un retour à l'emploi mais dont les ressources resteraient sous le seuil de ce RMG augmenté de 62 % des revenus professionnels nouvellement acquis, il demeurait la possibilité de percevoir le RSA-activité.

Schéma de définition du revenu minimum garanti

Source : Commission des affaires sociales

b) Un dispositif conçu pour inciter au retour à l'emploi...

En 2014, la perception du RSA-activité seul concernait 501 000 foyers éligibles 30 ( * ) , soit un peu moins du quart des foyers concernés par le RSA. Pour cette même année, on note également que les montants perçus au titre du RSA-activité sont importants puisqu'ils s'élèvent en moyenne à 196 euros mensuels .

Les seuils d'accès à la prestation sont mécaniquement augmentés en cas d'exercice d'une activité . Selon le barème établi en 2015, le RMG par le RSA-socle s'élève à environ 510 euros pour une personne seule, à environ 770 euros pour un couple sans enfant ou pour un parent isolé avec un enfant et à environ 930 euros pour un couple avec un enfant ou pour un parent isolé avec deux enfants. Avec l'introduction du RSA-activité, ces trois seuils en-deçà desquels la prestation continue d'être versée sont portés respectivement à environ 1 340 euros, 2 025 euros et 2 450 euros.

Points de sortie du dispositif du RSA pour trois cas (barème 2015)

RSA-socle seul

RSA-socle et RSA-activité

En euros

En proportion du Smic

En euros

En proportion du Smic

Une personne seule

510

0,44 Smic

1 340

1,18 Smic

Un couple sans enfant ou un parent isolé avec un enfant

770

0,67 Smic

2 025

1,7 Smic

Un couple avec un enfant
ou un parent isolé avec deux enfants

930

0,8 Smic

2 450

2,13 Smic

On observe d'après ce tableau qu'un effort particulier a été mené à destination de la deuxième catégorie, celle des parents isolés avec un enfant, qui concerne surtout les mères célibataires. Il a en effet été observé qu'en raison de coûts plus élevés afférents à la reprise d'un emploi (garde d'enfant), les parents isolés constituaient une des catégories les plus menacées par le phénomène de « trappe à inactivité » . En conséquence, la réforme portée par le RSA-activité a eu à coeur de reculer le point de sortie du dispositif pour cette catégorie particulière, afin de permettre un plus long cumul des revenus d'activité et de l'aide sociale.

L'assimilation de la catégorie des parents isolés avec un enfant à la catégorie des couples sans enfant visait le même objectif. En élevant le point de sortie, il s'agissait d' éviter que les conjoints inactifs soient peu incités à la reprise du travail en raison d'une sortie trop précoce du dispositif en cas d'abaissement excessif du seuil de ressources du foyer.

c) ... tout en luttant contre la pauvreté

Le RSA-activité ne fait pas appel aux mêmes instruments que la PPE. Alors que cette dernière se calculait en fonction des revenus d'activité individuelle, le RSA-activité combine pour la première fois l'incitation au retour à l'emploi aux prestations sociales touchées par le ménage. Ainsi, en arrimant l'incitation financière aux dispositifs sociaux, il paraissait plus cohérent d'atteindre le double objectif de reprise de l'emploi et de lutte contre la pauvreté, dont le RSA était a priori un vecteur plus indiqué que le crédit d'impôt.

Par ailleurs, le RSA-activité, en conditionnant le calcul du nouveau RMG aux revenus professionnels perçus par le foyer, permet de cibler la prestation et d'en faire un outil de lutte contre la pauvreté : 85 % de ses bénéficiaires appartenaient aux trois premiers déciles de niveau de vie.

d) Un non-recours important n'a pas garanti le succès du RSA-activité

Malgré l'intérêt du RSA-activité, son recours moyen depuis sa création n'a pas dépassé 35 %, alors même que la prestation a connu une montée en charge particulièrement élevée sur les trois derniers exercices : budgétée à 370 millions d'euros en 2013, elle atteint 968 millions d'euros en 2014 puis 2 525 millions d'euros en 2015 31 ( * ) .

Plusieurs causes ont été avancées pour expliquer ce faible succès, dont trois principales 32 ( * ) . En premier lieu, de nombreux ménages vivent la demande d'une aide sociale comme une démarche stigmatisante et faire de cette prestation d'activité une extension du RSA ne semble pas avoir joué en faveur de sa diffusion. En second lieu, la demande donne lieu à un « coût de transaction » important , essentiellement lié aux démarches administratives, aux déclarations trimestrielles de ressources (DTR) à fournir, et surtout à la crainte de devoir rembourser d'éventuels indus en cas de retour subit à meilleure fortune. Enfin, il faut constater que le non-recours est souvent dû à une information lacunaire des publics éligibles .

3. Une articulation inaboutie entre dispositifs sociaux

Outre les défauts précédemment signalés relatifs au non-recours, le système des prestations d'activité censées inciter à la reprise d'un emploi présentait le défaut majeur de ne pas être correctement articulées entre elles et avec l'autre principal dispositif de soutien aux bas revenus : les aides au logement .

Ce défaut d'articulation entre les trois grands dispositifs conduit à fortement réduire dans les faits les incitations à la reprise d'une activité rémunérée. La mécanique complexe des prestations et des prélèvements conduit en effet à une « double dégressivité 33 ( * ) » des prestations sociales en fonction du revenu : une personne dont les revenus d'activité augmentent perçoit non seulement moins de RSA-activité, mais également moins d'aide au logement.

Dégressivité des prestations sociales versées en fonction du revenu

Source : Centre pour la recherche économique et ses applications, 2015

Le graphique ci-dessus permet effectivement d'observer qu'à partir de 0,4 Smic, la perception du RSA-activité entre dans la définition de la base-ressources pour la définition des allocations logement, ce qui entraîne une diminution progressive de ces dernières . Ces chiffres sont confirmés par une étude de l'Organisation pour la croissance et le développement économique (OCDE), selon laquelle une progression de salaire de 0,5 Smic à 0,55 Smic se traduit par une perte sèche de 60 % de cette augmentation, dont les deux tiers s'expliquent par la réduction des allocations logement 34 ( * ) .

On constate donc qu' entre 0,4 et 1,1 Smic, l'incitation à la reprise d'un emploi n'est pas réalisée , en raison d'un rythme de baisse des prestations sociales plus important que le rythme de hausse du revenu d'activité. Parce qu'elle diminue le montant des aides au logement, une augmentation de 1 euro du revenu d'activité pour des individus rémunérés entre 0,4 et 1,1 Smic se traduit par une augmentation du revenu disponible brut de seulement 27 centimes, à comparer aux 62 centimes procurés par le RSA-activité.

Le mécanisme du RSA-activité a bien tenté de limiter ces effets délétères, qui incitaient les ménages à bas revenus à conserver le bénéfice des allocations logement, réputées plus élevées et plus simples d'accès, et à ne pas demander le RSA-activité. Pour cela, les mécanismes d'incitation ciblés sur le conjoint inactif devaient normalement compenser les effets de la forte familialisation des allocations logement, qui entraîne une diminution importante de leur montant lorsque deux demandeurs sont en couple. Force est de constater que ces tentatives se sont traduites par un échec.


* 26 Loi n° 2001-458 du 30 mai 2001 portant création d'une prime pour l'emploi.

* 27 Loi n° 2002-1575 du 30 décembre 2002 de finances pour 2003.

* 28 Cour des comptes, L'efficacité et la gestion de la prime pour l'emploi, 2006.

* 29 Loi n° 2008-1249 du 1 er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion.

* 30 Étude d'impact de l'article 24 du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi.

* 31 Lois de règlement pour 2015, 2014 et 2013.

* 32 Olivier BARGAIN, « Que peut-on attendre de la prime d'activité ? », IDEP Analyses, n° 4, mars 2015.

* 33 Antoine BOZIO (dir.), « Les allocations logement, comment les reformer ? », Centre pour la recherche économique et ses applications, 2015.

* 34 OCDE, Perspectives de l'emploi, « Renforcer les incitations financières au travail : le rôle des prestations subordonnées à l'exercice d'un emploi », 2005.

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