III. NOTRE PAVILLON DÉCLINE ALORS QUE LES GRANDES PUISSANCES PROJETTENT LEURS AMBITIONS SUR LE TRANSPORT MARITIME

Le pavillon français joue actuellement sa survie : alors que notre marine marchande dispose d'une flotte moderne et de qualité, figurant en tête des classements de l' International Chamber of Shipping (ICS) et du Memorandum de Paris, elle est menacée de disparition en raison de sérieux problèmes de compétitivité, dans un domaine particulièrement soumis à la concurrence internationale et aux ambitions géopolitiques.

A. LA FRÉQUENTATION DES ROUTES MARITIMES MONDIALES RÉPOND AUX ÉVOLUTIONS DU COMMERCE INTERNATIONAL

La ligne Est-Ouest, constituée de trois axes (transatlantique, Asie-Europe, transpacifique) reliant l'ensemble des grandes régions économiques, est la principale route maritime dans le transport conteneurisé. Elle emprunte deux canaux interocéaniques (Panama, Suez) et trois détroits (Malacca, Bad-el-Mandeb et Gibraltar). Sur cette artère à gros débit, les échanges transpacifiques ont dépassé les échanges transatlantiques en 1985 avant de faire jeu quasi égal avec les flux Europe-Asie au milieu des années 2000 . Aujourd'hui, l'axe l'Europe-Asie (23 millions d'équivalent vingt pieds ou EVP) et le transpacifique (22 millions d'EVP) dominent les échanges, loin devant l'axe transatlantique (7 millions d'EVP).

Depuis la crise de 2008, même si la route Est-Ouest reste dominante, la croissance du trafic conteneurisé à l'échelle mondiale est soutenue par l' augmentation très rapide des routes interrégionales , Nord-Sud et Sud-Sud. Les échanges Sud-Sud et intrarégionaux, notamment les échanges intra-asiatiques, représentent désormais 40% du volume global des échanges de marchandises conteneurisées , suivis par les flux principaux Est-Ouest (30%). En une période de morosité sur les autres routes commerciales, les armateurs globaux, en particulier européens, y voient désormais un marché de choix. Ainsi Maersk développe activement depuis les années 2010 les lignes intra-régionales et Nord-Sud. L'armateur danois est le principal opérateur sur la ligne Asie-Afrique, avec une capacité de 33 000 EVP, devant CMA-CGM (20 900 EVP).

1. Les principaux enjeux géopolitiques des routes maritimes

Les enjeux géopolitiques des routes maritimes dans les différentes parties du globe concernent principalement le contrôle d'espaces maritimes stratégiques , la liberté de navigation et le contrôle de l'accès aux ressources , l' extension de zones d'influence .

a) Le contrôle d'espaces maritimes stratégiques en mer de Chine du Sud

La mer de Chine du Sud s'étend sur 3 500 000 km 2 , allant du détroit de Malacca au détroit de Taïwan, avec des centaines d'îlots regroupés en archipels. Cet espace maritime où transitent 40% du trafic maritime mondial (50% des flux d'hydrocarbures) a une importance stratégique vitale. Les 800 km du détroit de Malacca - artère critique pour le commerce maritime - offrent la route la plus courte entre l'Europe et l'océan Pacifique . Les plus grands ports mondiaux pour le trafic conteneurisé sont situés sur le pourtour de la mer de Chine du Sud et de la mer de Chine orientale. En outre, cet espace maritime est richement doté en ressources énergétiques (11 milliards de barils de pétrole et 25 milliards de m 3 de gaz naturel) et en ressources halieutiques (10% de l'ensemble des captures de poissons dans le monde).

La mer de Chine du Sud fait l'objet de revendications de souveraineté concurrentes émanant des pays riverains. Elle constitue l'un des principaux foyers de tensions en Asie orientale . La zone contestée porte sur les îles Spratleys, Paracels, Pratas et le récif Scarborough. Ce ne sont pas les îlots en soi qui sont stratégiques mais les droits qui y sont associés . La Chine revendique des droits souverains « historiques » sur une zone initialement tracée par la République de Chine en 1947 (« ligne en neuf traits ») et couvrant 90 % de cette mer de Chine méridionale. Elle s'est accordée unilatéralement le droit de contrôler ces vastes archipels (construction d'îlots artificiels) et a rejeté en bloc le jugement du tribunal de la Haye sur la mer de Chine du Sud, rendu le 12 juillet 2016, fondé sur la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer qu'elle a pourtant ratifiée.

La stratégie d'affirmation de la puissance chinoise dans une zone hautement stratégique pour les équilibres militaires et économiques mondiaux suscite des inquiétudes , sur fond de renforcement de sa puissance navale. Le discours final de Hu Jintao au 18 ème Congrès du Parti en novembre 2012 (« Build China into a maritime power ») confirme que la Chine est à la fois une puissance continentale et maritime . En 2015, le Livre blanc de la défense chinoise insiste sur l'importance des océans dans la stratégie mondiale de la Chine (« protection des mers ouvertes ») avec le déploiement d'une puissance navale loin de ses bases (sous-marin d'attaque dans l'océan Indien, présence dans les ports de Colombo et Karachi) pour préserver les intérêts nationaux.

b) Les stratégies d'influence dans l'océan Indien

Le projet de « route de la soie maritime du XXIe siècle » du président Xi Jinping vise à relier la mer de Chine méridionale à l'Europe pour créer de nouvelles routes d'approvisionnement et diminuer la dépendance de la Chine aux routes traditionnelles passant par les détroits de Malacca et d'Ormuz. Il connaît des avancées au niveau financier avec la mise en place, en janvier 2016, de la Banque asiatique de l'investissement pour les infrastructures ( Asian Infrastructure Investment Bank ou AIIB), dotée d'un capital de 100 milliards de dollars (Md$).

Au-delà des aspects économiques (opportunités d'investissements pour les compagnies nationales chinoises, développement des provinces occidentales telles que Gansu, Guizhou, Qinghai et Xinjiang, écoulement des surcapacités actuelles de l'industrie chinoise), ce projet a des implications géopolitiques à long terme , avec la constitution de zones d'influences sur le pourtour de l'océan Indien. Il montre que la Chine souhaite contrebalancer les relations commerciales étroites entre les États-Unis et certains États asiatiques , dont témoignait la signature du Partenariat Trans-Pacifique ( Trans-Pacific Partnership ou TPP) qui couvrait 40% du PIB mondial et 25% du commerce mondial et dont la Chine était exclue.

Ce projet comporte des risques politiques . L'intérêt grandissant de la Chine pour l'océan Indien, au coeur des flux mondiaux de conteneurs et d'hydrocarbures, suscite des réactions des acteurs régionaux . L'Inde a signé, en mai 2016, un accord avec l'Iran et l'Afghanistan pour développer le port iranien de Chabahar - un port qui permet d'éviter le détroit d'Ormuz -, destiné à devenir un pôle de transit entre ces trois pays, et plus généralement avec l'Asie centrale. La zone franche de Chabahar est l'un des plus grands projets de développement du Sud de l'Iran. L' implication de l'Inde dans ce projet (apport de 500 millions de dollars) montre qu'elle veut concurrencer la Chine, qui investit elle-même dans le port pakistanais de Gwadar à une centaine de kilomètres de Chabahar.

2. Le renouveau des grands travaux dans les canaux interocéaniques
a) L'élargissement du canal de Panama

L'élargissement du canal de Panama vise à répondre à la demande croissante de transport de vrac sec et de conteneurs à bord de navires de très grande taille Post-Panamax ships ») pour accéder à de nouveaux marchés. Le canal relie déjà 1 700 ports à travers le monde.

Le canal élargi a été mis en service le 26 juin 2016 . Il devrait stimuler les échanges commerciaux entre la côte Est des États-Unis et l'Asie, en réduisant les coûts de transport de marchandises . L'Amérique centrale et l'Amérique du Sud bénéficieront également de l'élargissement du canal qui modifiera la chaîne logistique sur le continent américain avec la mise en place d'une capacité importante de transbordement dans la région des Caraïbes , via les lignes secondaires. APM Terminal aura investi dans la région 3,5 milliards de dollars (Mds$) entre 2010 et 2017 pour étendre les capacités portuaires.

Le canal élargi pourrait ainsi profiter à un certain nombre de marchés, de produits de base et de marchandises :

- exportations de gaz naturel liquéfié depuis le Texas et la Louisiane à destination de l'Asie, avec l'essor du gaz de schiste américain : en août 2016, le premier navire (« Maran Gas Apollonia ») transportant du GNL issu du terminal d'exportation de Sabine Pass aux États-Unis est arrivé en Chine, après avoir traversé le canal de Panama élargi, inaugurant ainsi une nouvelle ligne de transport de GNL ;

- livraison de gaz au départ de la Trinité et Tobago à destination du Chili ;

- acheminement des céréales depuis la côte Est des États-Unis vers l'Asie ;

- expéditions de charbon et de minerai de fer depuis la Colombie, le Vénézuela et le Brésil vers l'Asie.

b) L'extension du canal de Suez

Lors du lancement officiel du chantier, le 5 août 2014 , le président égyptien Al-Sissi avait exigé sa réalisation en un an, au lieu des trois à cinq années envisagées par les experts, pour tenir compte des travaux de doublement du canal de Panama, son principal concurrent.

Achevés fin juillet 2015 , les travaux d'extension du canal de Suez ont permis de doubler la circulation du canal sur 72 des 193 kilomètres de sa longueur , par l'élargissement de 37 km du canal historique et le creusement d'une nouvelle voie de 35 km. Le doublement des voies doit réduire de vingt à onze heures le temps de passage dans un sens, et de huit à trois heures dans l'autre sens , et permettre le passage de 97 bateaux par jour à l'horizon 2023 au lieu de 49 actuellement.

Mais l'incertitude demeure sur ses retombées économiques . Le gouvernement égyptien projette 13,2 Md$ de recettes en droits de passage d'ici 2023 , contre 5,3 Md$ actuellement. Cependant, la réduction de quelques heures de la traversée - sur des trajets de plusieurs semaines - et l'augmentation des capacités de transit du canal de Suez n'auront pas forcément pour effet d'augmenter le nombre de cargos .

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