B. RIEN NE SEMBLE ARRÊTER L'INEXORABLE DÉCLIN DU PAVILLON FRANÇAIS

Malgré les mesures d'aides à la flotte , le nombre de navires sous pavillon français connaît un déclin continu . Détenteur de la 5 ème place mondiale dans les années 1960, il occupe désormais la 31 ème place et représente 0,5% du tonnage mondial 11 ( * ) . Au 1 er juillet 2016, la flotte de commerce sous pavillon français compte 304 navires de plus de 100 UMS 12 ( * ) et se décompose en :

- une flotte de transport de 168 navires (contre 176 navires en 2015 et 181 navires en 2014), totalisant près de 5,3 millions d'unités de jauge brute, dont la capacité d'emport est d'environ 6,3 millions de tonnes de port en lourd (TPL) ;

- une flotte de services maritimes de 136 navires (contre 125 navires en 2015 et 117 navires en 2014) totalisant 375 000 unités de jauge brute (10 câbliers, 9 navires de travaux maritimes, 71 navires de services offshore, 13 navires de recherche sismique et océanographique, 33 autres navires).

À noter, une grande partie des navires contrôlés par les armateurs français sont immatriculés à l'étranger afin d'en réduire le coût d'exploitation. Au 1 er janvier 2016, 35 armateurs français possèdent 846 navires de tout type sous pavillon tiers , pour une jauge brute de 22 millions d'unités et une capacité d'emport de 27 millions de tonnes de port en lourd (TPL), qui se répartissent en 41 navires pétroliers, 474 navires de charges (dont 387 porte-conteneurs), 278 navires de services maritimes et 53 navires à passagers. Cette flotte immatriculée à l'étranger progresse régulièrement depuis 2010 : le nombre de navires a augmenté de 35%, la jauge brute et le port en lourd ont respectivement augmenté de 71% et 74%.

Les principaux pavillons tiers qui accueillent des navires opérés par des sociétés françaises sont, par ordre décroissant de tonnage : Liberia (21%), Malte (19%), Royaume-Uni (19%), Singapour (7%), Bahamas (6%), Îles Marshall (5%), Panama (4%) et Chypre (4%). Le reste du tonnage est réparti sur 39 autres pavillons. Il y a donc bien déconnexion entre entreprise de transport maritime et pavillon national : les compagnies maritimes européennes contrôlent ainsi plus de 40 % de la capacité de la flotte mondiale.

Pour autant, la flotte de transport sous pavillon français reste l'une des plus sûres au monde avec un âge moyen de 8,5 ans (contre 14 ans de moyenne d'âge de la flotte mondiale) : 45,9 % des navires ont moins de 10 ans, représentant 68,4 % de la jauge brute totale.

1. L'érosion du transport maritime international français continue

La flotte de transport française se trouve soumise à de fortes pressions du fait de la compétition mondiale (concurrence des pavillons, augmentation des coûts opérationnels) et connaît depuis 2008 une succession continue des dépavillonnements. Les dernières années ont été particulièrement rudes avec la sortie de 44 navires depuis 2012 , soit une baisse de 20 % de la flotte en cinq ans .

Un palier psychologique a été atteint : désormais, la flotte de transport compte 168 navires , alors que pendant longtemps il était considéré comme impensable de franchir le seuil des 200 navires. Aujourd'hui, il semble que l'État s'accommode d'une situation nettement dégradée. Chaque année, l'administration se veut rassurante, en affirmant que la flotte devrait se stabiliser : en réalité, on observe une baisse continue année après année , ce qui ne présage rien de bon pour l'avenir.

ÉVOLUTION DE LA FLOTTE DE TRANSPORT

Données : DGITM

• La baisse a essentiellement affecté la flotte pétrolière en raison de la fermeture des raffineries en France (fermeture de l'usine de Petroplus en Normandie en 2013, fermeture de la raffinerie de Lyondell-Basel à Berre-l'Etang en 2015, arrêt de l'activité de raffinage de pétrole brut de Total à La Mède en 2016) concurrencées par la production de carburants au Moyen-Orient et aux États-Unis : cette évolution s'est traduite par la fermeture de BW Maritime France en 2013, puis celle de Maersk Tankers France en 2014. Au 1 er juillet 2016, on ne dénombre plus que dix navires transporteurs de brut dans la flotte sous pavillon français.

La réforme de la loi du 31 décembre 1992

Le recul de la flotte pétrolière est une tendance lourde depuis les années 1980 . Après des années de stabilisation rendue possible par la loi n° 92-1443 du 31 décembre 1992 portant réforme du régime pétrolier, qui imposait le maintien sous pavillon français d'une flotte d'approvisionnement stratégique limitée aux seuls navires transportant le pétrole brut , la crise de 2008 a profondément affecté la flotte pétrolière française.

Pour cette raison, une réforme a été engagée. L'article 60 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte fait basculer l'assiette de l'obligation de pavillon pour la sécurité des approvisionnements énergétiques, des produits pétroliers bruts vers les produits raffinés . Le nouveau dispositif est entré en application le 1 er juillet 2016, après la publication du décret n° 176-2016 du 23 février 2016.

Avec une assiette élargie des obligations (+30%), ce nouveau dispositif garantit une capacité de transport de pétrole brut de près de 3 000 000 tonnes de port lourd (tpl) sous pavillon français, pour sécuriser les approvisionnements en hydrocarbures en cas de crise. La loi contribue à maintenir une flotte française de Very Large Crude Carriers (VLCC) et les compétences spécifiques de ses équipages : de nouveaux VLCC sont attendus dans les prochains mois et la procédure d'immatriculation est déjà engagée pour une nouvelle unité chez Euronav (l'Alsace - 161 177 UMS).

Dans le domaine des produits pétroliers , le décret prévoit également une part de transporteurs spécialisés et préserve une capacité de transport atteignant 300 000 tpl. Un premier navire de 37 583 tpl vient d'être spécialement immatriculé à cette fin sous pavillon RIF (l'Astella pour Socatra).

Par ailleurs, ce nouveau dispositif prévoit la possibilité pour les assujettis de s'associer pour accomplir leurs obligations , et la possibilité de satisfaire celles-ci par une nouvelle modalité, le contrat de couverture d'obligations , qui les exonère de devoir s'impliquer dans l'exploitation de navires.

Enfin, l'article 59 de la loi n° 2016-816 du 20 juin 2016 pour l'économie bleue prévoit que la capacité de transport de produits pétroliers comprend une part assurée par des navires de moins de 20 000 tonnes de port en lourd , dans des proportions fixées par décret. Il dispose également que les contrats de couverture de pavillon seront soumis à une double approbation à deux niveaux (contrat type approuvé par arrêté du ministre chargé de la marine marchande et approbation de chacun des contrats) tandis qu'un groupement d'armateurs sera institué pour négocier avec les assujettis (notamment la grande distribution). Ces nouvelles dispositions complèteront le dispositif lorsque le décret d'application sera publié.

• Seule note positive, le transport de gaz naturel liquide (GNL) connaît une dynamique favorable et des taux de fret élevés, qui bénéficient notamment aux compagnies Geogaz et Gazocean. Le marché des gaz a explosé sous la pression d'une demande croissante et de nouvelles utilisations de masse, notamment pour la propulsion des navires. Le marché a d'autant plus crû que de nouvelles sources sont apparues tant pour des productions classiques que pour des exploitations non conventionnelles (gaz de schistes) hors d'Europe, lesquelles se tournent actuellement vers des exportations. La demande chinoise progresse régulièrement et le Japon, qui a arrêté la quasi-totalité de son parc nucléaire à la suite des incidents de Fukushima, remplace en grande partie cette énergie par du gaz. Toutefois, le risque d'un développement des surcapacités n'est pas à exclure avec l'arrivée de nouveaux investisseurs sur ce segment. D'autant que la France, qui a longtemps détenu une place de leader dans le domaine du transport des gaz liquéfiés, n'est plus maintenant qu'au second plan de ce secteur, faute sans doute de base nationale suffisante en tant qu'importateur.

• En ce qui concerne les porte-conteneurs , CMA-CGM a engagé depuis des années une politique d'optimisation des coûts (augmentation de la taille des navires, réduction de leur vitesse, contrôle satellite de leur régularité) pour développer des stratégies de conquête de nouveaux marchés (trafics Nord-Sud), de nouveaux services (conteneurs à température dirigée) et la recherche d'alliances pour réduire les coûts opérationnels.

La dégradation du secteur du transport conteneurisé a pesé sur les résultats du groupe : CMA-CGM a réalisé un chiffre d'affaires de 3,4 milliards de dollars (Md$) au premier trimestre 2016 , en baisse de 15,3% par rapport au premier trimestre 2015. La maîtrise des coûts unitaires a permis de dégager un résultat opérationnel positif de 3 millions de dollars (M$) mais le résultat net est négatif à -100 M$ . La dette nette représente désormais 69% des fonds propres du groupe. Dans ce contexte difficile, CMA CGM a initié, en 2016, un nouveau plan de réduction de coûts d'environ 1 Md$ sur 18 mois.

Par ailleurs, le groupe renforce ses positions en Asie avec l' acquisition du groupe singapourien Neptune Orient Lines (NOL), initiée en décembre 2015, pour un montant de 2,4 Md$. Cette opération permettra à CMA-CGM de renforcer sa position sur les lignes maritimes stratégiques, de prendre le premier rang sur les lignes transpacifiques (États-Unis, intra-asiatiques, Japon) tout en consolidant ainsi sa troisième place devant Evergreen. Cette opération de croissance externe s'explique également par la recherche d'économies d'échelle.

Enfin, CMA-CGM, China Cosco, Evergreen et OOCL ont formé une nouvelle alliance « Ocean » . Il s'agit de l'alliance la plus importante en nombre de navires et de services (360 navires et 40 services). L'alliance devrait démarrer en avril 2017, une fois les accords des autorités règlementaires obtenues.

• Dans le secteur du vrac , Louis-Dreyfus Armateurs (LDA) a pris livraison d'une nouvelle génération de vraquiers qui seront exploités sous pavillons tiers par sa filiale LD Bulk. L'armateur poursuit par ailleurs sa stratégie de diversification des activités (services et travaux maritimes et transports spécialisés de courte distance). En Inde, Alba (la coentreprise entre LDA et le groupe indien ABG Infra) a mis en service, en janvier 2016, le terminal charbonnier dans le port de Visakhapatnam.

2. Le transport de courte-distance est confronté à des incertitudes économiques

Les armateurs opérant sur les courtes distances sont exposés à une concurrence maritime européenne mais aussi terrestre du fait du développement des infrastructures. L'exacerbation de cette concurrence a donné lieu à plusieurs contentieux alors que les capacités de transport sont excédentaires et la rentabilité de l'activité à la fois peu élevée et tributaire des contraintes saisonnières . Les exigences environnementales posent également de nouveaux défis alors que le financement des investissements est confronté à une restriction de l'accès au crédit.

Sur les liaisons transmanche, Brittany Ferries (2 500 salariés, chiffre d'affaires de 467 M€ en 2015, 2 millions de passagers) a enregistré une nette progression de son activité passagers en 2015 (+5,5%) par rapport en 2014. L'activité de transport de passagers, qui se compose pour l'essentiel de la clientèle britannique (85%), représente la plus grande part de son chiffre d'affaires. L'année 2015 a été marquée par un retour aux bénéfices malgré les blocages du port de Calais (MyFerryLink). L'activité de Brittany Ferries sera peu affectée en 2016 par le Brexit dans la mesure où la compagnie a couvert partiellement le risque de change auprès des banques, mais les incertitudes augmentent à moyen terme .

En Méditerranée, un an après que la SNCM ait été placée en redressement judiciaire (novembre 2014), le tribunal de commerce de Marseille a retenu, le 20 novembre 2015, l'offre de reprise par le transporteur Patrick Rocca. La SNCM a arrêté son exploitation le 5 janvier 2016 . L'activité a été reprise par Maritima Ferries (MCM). Depuis le début de l'année 2016, des négociations étaient en cours autour d'un projet de prise de contrôle à 100 % de MCM par Corsica Maritima (consortium d'entrepreneurs corses) sous une nouvelle marque commerciale, Corsica Linea. Le rachat de l'ex-SNCM par Corsica Linea est désormais validé , suite au désistement, le 12 juillet 2016, du comité d'entreprise de MCM-Corsica Linea de sa procédure devant le tribunal de commerce de Marseille. De son côté, la Collectivité territoriale de Corse réfléchit à un nouveau schéma de la desserte maritime subventionnée Marseille-Corse sur dix ans.

Suspendue depuis le 18 septembre 2014, l' autoroute de la mer entre Montoir (port de Nantes Saint-Nazaire) et El Musel (port de Gijón ) pourrait reprendre en décembre 2016 avec l'opérateur repreneur Transportes Riva (navire Ro-Pax en cours d'acquisition). En juillet 2016, la Commission européenne a en effet attribué une subvention d'un peu plus d'un million d'euros pour cette ligne dans le cadre du Mécanisme d'interconnexion en Europe. Le versement de la subvention européenne est conditionné à la reprise effective de ce service avant la fin 2017.

3. Même les marchés de niche sont en partie affectés

Sur des activités de service à haute valeur ajoutée, les marchés sont restreints mais difficilement contestables sans notoriété et savoir-faire. Pour cette raison, les armateurs français se trouvent être les leaders mondiaux sur certains trafics de niche.

Louis Dreyfus Armateurs (LDA) et Alcatel Submarine Networks poursuivent leur nouvel accord de coopération sur la flotte de câbliers . La filiale d'Alcatel-Lucent est devenue seule propriétaire d'Alda Marine et des sept navires câbliers armés par LDA sous pavillon français. Ils continueront d'être gérés par la compagnie pendant dix ans pour Alcatel Submarine Networks.

L'activité du groupe Bourbon est affectée par la réduction drastique des niveaux d'investissement des compagnies pétrolières ces deux dernières années, à la suite de la chute rapide et brutale du prix du pétrole. Au premier semestre 2016, le chiffre d'affaires s'est établi à 599 M€, en recul de 21% par rapport à la même période l'année dernière. Pour s'adapter aux conditions de marché très difficiles, Bourbon a pris de nouvelles mesures de réduction des coûts en désarmant des navires supplémentaires. Au second semestre 2016, jusqu'à 46 navires sont désarmés , sur les 513 opérés par le groupe.

Quant au secteur de la croisière , il poursuit son expansion au niveau international à l'heure où de nombreux secteurs touristiques se voient affectés par une conjoncture internationale défavorable. L'année 2016 devrait atteindre des niveaux records, avec 24 millions de passagers attendus dans le monde (contre 15 millions en 2006) et la mise à flots de 27 nouveaux navires. Cette activité répond à la demande d'une clientèle appartenant aux classes moyennes des économies émergentes , et à l'arrivée des générations du baby-boom à fort pouvoir d'achat dans les économies avancées. Les nouvelles routes maritimes, notamment l'Arctique , offrent des opportunités de développement importantes. De plus, en temps de crise géopolitique, la croisière est beaucoup moins impactée que les destinations terrestres car elle est par définition mobile.


* 11 Les cinq premiers pavillons (Panama, Liberia, Îles Marshall, Hong Kong et Singapour) représentent 56 % du tonnage mondial.

* 12 Universal Measurement System : cette unité est utilisée pour mesurer le volume intérieur des navires d'une longueur supérieure à 24 mètres effectuant des voyages internationaux.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page