C. UNE INDUSTRIE BIEN POSITIONNÉE

1. Un marché des satellites de télécommunications en pleine mutation
a) De la télévision à l'internet

Aujourd'hui, 35 % des satellites déployés sont affectés aux services commerciaux de télécommunications. L'industrie des satellites de télécommunications (télévision, radio et internet) a rapporté, en 2016, près de 105 milliards de dollars, 93 % de ces revenus étant constitués par les satellites diffusion de la télévision, et à peine 2 % par les satellites internet 55 ( * ) . Cette répartition est amenée à s'inverser : selon les acteurs du secteur, la part des satellites embarquant des solutions internet dans les commandes globales de satellites de télécommunication devrait être égale à 50 % dès 2020 , la part des satellites de diffusion dédiés à la télévision diminuant corrélativement.

Prévision des évolutions des capacités des satellites de télécommunications
en fonction des applications

Source : Euroconsult

L'internet par satellite fait en effet l'objet d'une attention croissante partout dans le monde, en particulier dans les pays émergents. Ce constat concerne l'internet en situation fixe comme en mobilité (avions de ligne, navires de croisière, cargos). Selon le CNES, plus de deux milliards d'euros d'investissement privé ont été engagés au cours des deux dernières années pour répondre à ces besoins .

Les perspectives de marché pour les satellites internet apparaissent donc très favorables.

b) Une intense dynamique d'innovation en vue de pallier les limites de la précédente génération de satellites

La concurrence entre constructeurs est aujourd'hui nourrie par l'innovation. Plusieurs innovations technologiques sont en cours en vue d'amplifier la fourniture d'accès à internet par le satellite, tant à travers l'amélioration des performances des satellites géostationnaires et des segments sols qui les accompagnent qu'avec le développement de nouvelles constellations de satellites en orbite moins élevée, ces deux évolutions ayant vocation à être complémentaires. L'objectif à poursuivre doit être, selon le Cospace, un coût d'un million d'euros par Gigabit par seconde lancé 56 ( * ) .

Ainsi, les satellites géostationnaires de nouvelle génération disposeront :

- de capacités plus importantes, jusqu'au térabit , quand les satellites déjà déployés disposent de capacités de l'ordre d'une centaine de gigabits. Autrement dit, il s'agit de multiplier les capacités par dix, pour une réduction corrélative du prix du gigabit du même ordre. On parle, pour les satellites, de « très grande capacité » , plutôt que très haut débit, car la capacité est fournie par les industriels et commercialisée, sous la forme qu'ils souhaitent, par les opérateurs 57 ( * ) ;

- et d'une grande flexibilité , tant sur le plan des fréquences que sur le plan géographique : les capacités non utilisées sur une zone géographique donnée pouvant être réaffectées, en temps réel, afin de répondre aux besoins d'une autre zone.

La combinaison de ces deux facteurs permettra notamment de mettre fin à la limitation du volume de données dans les offres commercialisées par les FAI.

Le développement de satellites géostationnaires de nouvelle génération s'accompagne également de la production de segments sol :

- plus performants, permettant des débits crêtes élevés : celui-ci ne dépend pas du satellite lui-même (ni des autres infrastructures filaires ou hertziennes), mais des terminaux et des stations de connexion utilisées d'une part, du protocole de communication sous-jacent d'autre part ;

- et moins coûteux : Eutelsat envisage un coût moyen du kit satellitaire de 120 euros en 2020, ce qui suppose de grands volumes de production.

Le satellite à très grande capacité

Selon le ministère de l'économie, un satellite géostationnaire de nouvelle génération à très grande capacité (ou « very high throughput satellite », VHTS) d'un terrabit dédié au résidentiel fixe permettrait de proposer environ deux millions d'abonnements fournissant un débit crête de 30 Mbit/s et un débit minimal garanti en heures chargées à 0,5 Mbit/s (ce qui est le consensus industriel à l'horizon 2022), à un prix de l'ordre de 30 euros par mois , soit un abonnement au même niveau de prix que la fibre. L'investissement initial nécessaire à l'acquisition d'un tel satellite par un opérateur est estimé à environ 1 milliard de dollars .

L'américain Viasat a lancé, avec Boeing, la production de deux satellites VHTS et entend en développer un troisième d'ici à 2019 58 ( * ) : leur capacité totale équivaudrait à celle de la totalité des satellites actuellement en activité.

Enfin, comme évoqué précédemment, il existe plusieurs projets de constellation de satellites en vue de couvrir l'ensemble de la planète, avec des latences inférieures à celles constatées aujourd'hui en raison de leur positionnement en orbite moyenne ou basse . Le projet OneWeb est évoqué ci-dessous, mais d'autres constellations de satellites sont en cours de production et/ou de déploiement. Il s'agit, par exemple de la constellation en orbite moyenne O3B de SES, qui a déjà déployé des satellites à haute capacité et entend fournir du très haut débit pour les entreprises en 2021, ou encore du projet de constellation en orbite basse de SpaceX, la firme d'Elon Musk, qui entend déployer plus de 4 000 satellites pourvoyeurs de très haut débit d'ici à 2024.

2. L'industrie spatiale européenne a su se positionner...

La pérennité de notre industrie et de ses emplois dépendra de sa capacité à répondre aux attentes du marché , dans la mesure où elle réalise la plupart de son chiffre d'affaires sur le marché dit « ouvert », c'est-à-dire concurrentiel, quand ses concurrents y sont moins exposés. Afin d'en mesurer l'enjeu, quelques chiffres méritent d'être rappelés :

- la moitié du chiffre d'affaires des deux grands industriels franco-européens est liée aux satellites de télécommunications ;

- 50 à 80 % de chaque satellite géostationnaire de télécommunication fabriqué en Europe est réalisé par des sites français ;

- l'industrie satellitaire représente aujourd'hui, selon le CNES, 4 000 emplois directs en France.

Au-delà de la pérennité de notre industrie, sa vitalité commerciale est de nature à garantir à notre outil de défense la disponibilité de technologies et de systèmes dont elle aura besoin à moyen et long termes, tout en baissant les coûts d'accès.

L'industrie spatiale européenne est déjà fortement présente sur le marché des satellites de télécommunications : sa part de marché varie entre 25 et 40 % depuis le début des années 2000. La capacité dont elle fait preuve à répondre aux besoins du marché se mesure tant par les commandes de satellites géostationnaires que par l'implication de nos industriels dans les projets de constellations.

S'agissant des satellites géostationnaires, depuis 2015, trois satellites internet à haute capacité ont été commandés à notre industrie en vue de couvrir l'Afrique (BB4A d'Eutelsat), les Amériques (SES 17 de SES) et le Moyen-Orient (Inmarsat GX de Inmarsat). Au-delà de l'usage dédié à l'internet, neuf satellites « tout électriques » ont également déjà été commandés.

Par ailleurs, depuis quinze ans, Thalès Alenia Space et Airbus Defence and Space ont su se positionner avec succès sur la réalisation de constellations de satellites : Globalstar (6 satellites commandés en 2012 pour 150 millions d'euros), Iridium NEXT (81 satellites commandés en 2010 pour 2,1 milliards de dollars), O3B (8 satellites commandés en 2015 pour 460 millions d'euros 59 ( * ) ) et Leosat pour le premier et, plus récemment, Oneweb pour le second.

Le projet OneWeb

OneWeb est un projet de constellation composée de 900 petits satellites en orbite basse (1 200 km) afin de réduire les temps de latence, qui entend couvrir l'ensemble de la planète en offrant des connexions à plusieurs dizaines de Mbit/s. Le déploiement de la constellation est prévu à partir de 2018, et son utilisation commerciale à partir de 2020. Si l'actionnariat de OneWeb est international (on y trouve notamment Airbus, Virgin Galactic, ou encore Qualcomm), son principal actionnaire est japonais : il s'agit du groupe SoftBank, qui a investi 1 milliard de dollars dans l'entreprise.

Les cibles commerciales du projet ne sont pas encore clairement affirmées. A ce jour, son seul client connu est Alaska Telecom, et l'entreprise a récemment signé un protocole d'accord avec l'Arabie Saoudite. Il convient de noter que, d'une part, si la solution devait être considérée pour un usage en France, sa capacité à couvrir le territoire métropolitain serait réduite (entre 10 et 20 gigabits), d'autre part, certains acteurs considèrent qu'il s'agit surtout d'une solution « de luxe », compte tenu de la sophistication des équipements de réception qui lui seront nécessaires.

Sur le plan industriel, la constellation requiert des capacités de production en série : là où un peu plus d'une dizaine de satellites sont produits par année dans le monde, il faudra atteindre une production annuelle de quinze satellites pour que la constellation OneWeb puisse être opérationnelle à temps. Pour répondre à ce défi, la mise en place, par Airbus Defence and Space, de l'outil industriel a été en partie financée par le PIA , à travers l'action « projets industriels d'avenir ». Cette action a donné lieu à un appel à projets lancé par Bpifrance intitulé « compétitivité de la filière d'équipement des satellites composant les constellations LEO (pour « Low earth orbit ») de nouvelle génération », et doté de 35 millions d'euros. Airbus a bénéficié d'un montant engagé de 15 millions d'euros, dont 5 millions de subvention, le reste en avances remboursables. Ce soutien concerne la conception et le développement d'une plateforme « tout électrique » innovante pour des constellations en orbite basse, des méthodes et moyen de production et d'assemblage en série, ainsi que la mise de la mise en place d'une chaîne de production satellite à Toulouse.

Les premiers satellites sont actuellement en cours de production par Airbus Defence and Space à Toulouse, dans le cadre d'une coentreprise avec OneWeb (50/50), mais la plupart de satellites seront produits en Floride, aux États-Unis. Néanmoins, selon Airbus, la part française dans le développement de la constellation OneWeb et de ses constituants serait d'environ 65 %. La part française sur l'équipement des chaînes de production de série serait d'environ 50 %, et environ 30 % des équipements, parmi les plus stratégiques (calculateur, viseur d'étoiles, batteries...) des 900 plateformes de série seraient conçus et fabriqués en France.

Au demeurant, les fonds engagés dans le cadre du PIA n'ont pas exclusivement vocation à répondre aux besoins de OneWeb : notre industrie sera ainsi positionnée pour répondre à toutes les futures demandes de constellations en orbite basse.

3. ...en bénéficiant d'un important soutien public aux programmes de R&D.

La France et l'Agence spatiale européenne ont soutenu plusieurs projets de R&D visant à améliorer les performances générales des satellites de télécommunication et, plus particulièrement, celles concernant la fourniture d'accès à internet.

a) Le projet THD-SAT entend améliorer les capacités des satellites pour la fourniture d'accès à internet.

Le projet Très haut débit par satellite (THD-SAT) 60 ( * ) , mené par le CNES et financé à hauteur de 70 millions d'euros 61 ( * ) par le programme « développement de l'économie numérique » du premier PIA, est doté de quatre volets :

- le développement des technologies de charge utile à très grande capacité ;

- celui du segment sol qui l'accompagne, à travers le développement, avec ST Microelectronics, d'une puce à introduire dans le décodeur permettant de traiter jusqu'à 100 Mbit/s de données descendant et 20 Mbit/s ascendant et, avec Thalès Alenia Space, des stations de connexion correspondantes (solution « SpaceGate ») ;

- la migration de la liaison entre les stations sol de l'opérateur de satellite et le satellite de la bande Ka vers la bande Q-V 62 ( * ) , afin de libérer de la bande passante sur la première ;

- et le développement d'un réflecteur de très grande dimension et dépliable, pour mieux concentrer les capacités des satellites sur une zone donnée : seul ce volet a, jusqu'ici, rencontré des difficultés techniques.

Selon le jaune relatif aux investissements d'avenir, « ce projet de R&D est actuellement en phase de réalisation et se déroule de manière satisfaisante ». Il est prévu qu'il se conclue en 2020.

b) Le projet Neosat a permis de développer des plateformes géostationnaires de nouvelle génération

Le projet Neosat de plateforme géostationnaire de nouvelle génération a permis à Thalès Alenia Space et Airbus Defence and Space de moderniser leurs gammes de satellites de télécommunications : aux Spacebus et Eurostar E3000 succèderont les Spacebus Neo et Eurostar Neo.

Plusieurs financements ont concouru à l'avènement de cette nouvelle génération de plateforme géostationnaire. Ce projet a d'abord été financé par le PIA 1 , en application de la décision du Premier ministre en date du 17 juin 2011 de lancer un projet de « Satellite du futur », doté de 42,5 millions d'euros . Dans le cadre du PIA 2 , l'action « Espace, lanceurs, satellites » du programme « Ecosystèmes d'excellence » prolonge l'action « Espace » du programme « projets thématiques d'excellence » du PIA 1. Ces financements ont couvert la phase d'architecture et de définition .

Le projet « satellite du futur », rebaptisé « Neosat », a progressivement été transféré à l'Agence spatiale européenne (ASE) à partir de 2015, pour être clôturé cette année selon le jaune budgétaire relatif à la mise en oeuvre des investissements d'avenir. Le projet Neosat de l'ASE a été lancé lors de la conférence ministérielle de Naples en novembre 2012 à l'initiative de la France, dans le cadre du programme de recherche de pointe sur les systèmes de télécommunications (ARTES), et est doté de 128 millions d'euros .

La qualification en vol de la filière Spacebus Neo de Thalès se fera avec les satellites BB4A d'Eutelsat (2019 - petite version) et SES-17 de SES (2020 - plus grande version). Celle de la filière Eurostar d'Airbus se fera avec un satellite commercial dont le contrat sera signé en 2018 pour un vol en 2021.

Par ailleurs, et sans attendre la finalisation de ces nouvelles plateformes géostationnaires , le PIA 2 a également financé , dans le cadre de la Nouvelle France industrielle, le développement de la propulsion électrique de forte puissance afin de l'intégrer aux plateformes en cours de développement . En effet, au lancement du projet Neosat, l'utilisation de cette technologie n'était pas encore perçue comme une rupture probable, mais plutôt comme une évolution progressive dans la durée. À partir de 2012, il a été considéré nécessaire d'intégrer rapidement cette innovation aux plateformes en cours de développement. L'utilisation de la propulsion électrique engendre une diminution de la masse de la plateforme qui permet, soit d'emporter une charge utile plus importante, soit de réduire la masse totale du satellite pour lui assurer un lancement financièrement plus économique.

L'action « Espace, lanceurs, satellites » du programme « Écosystèmes d'excellence » du PIA 2 a donc intégré le financement de deux nouveaux projets sélectionnés en 2015 : le projet « EOR 63 ( * ) / Satellite tout électrique » et le projet « E172B » pour des montants respectifs au titre du PIA de 25 millions d'euros et de 23 millions d'euros .

Le satellite E172B , premier satellite « tout électrique », fabriqué par Airbus et commercialisé par Eutelsat, a été lancé en juin dernier 64 ( * ) . Selon le jaune budgétaire relatif à la mise en oeuvre des investissements d'avenir, le projet EOR est « en cours d'achèvement ».


* 55 Satellite Industry Association and Bryce Space and Technology, 2017 State of the Satellite Industry Report, juin 2017.

* 56 Rapport au Premier ministre de la mission confiée à Geneviève Fioraso, Open Space, 2016.

* 57 Ainsi il est théoriquement possible, dès aujourd'hui, de fournir du très haut débit à partir des satellites déjà déployés, mais il faudrait alors réduire drastiquement le nombre d'utilisateurs en raison des capacités limitées proposées par les satellites actuels.

* 58 Communiqué de presse de Viasat en date du 9 février 2016. Viasat produit les équipements au sol et la charge utile et Boeing la plateforme satellitaire.

* 59 Les chiffres de ces commandes sont issus du rapport au Premier ministre de la mission confiée à Geneviève Fioraso, intitulé « Open Space » et rendu en 2016.

* 60 Formalisé par l'avenant n° 2 du 10 novembre 2011 à la convention du 2 septembre 2010 entre l'État et la Caisse des dépôts et consignations relative au programme d'investissements d'avenir (programme « Développement de l'économie numérique », action 01 « Développement des réseaux à très haut débit »).

* 61 Une première tranche, de 40 millions d'euros, a été mise en place en 2011 et une seconde, de 30 millions d'euros, en 2014. Le montant total se répartit comme suit : 60 millions d'euros de cofinancement public des activités de R&D de l'industrie et 10 millions d'euros de TVA afférente aux contrats de R&D passés par le CNES à l'industrie.

* 62 Les satellites Internet utilisent la bande de fréquences Ka (20 - 30 GHz) pour relier le satellite à l'abonné et la bande Ka ou la bande Q-V (40 - 50 GHz) pour la liaison entre les stations de connexion au sol et le satellite. La bande Ka a en effet été préférée à la bande Ku, déjà mobilisée pour la télévision par satellite, car elle permet de transmettre des flux d'informations plus importants, à travers des faisceaux étroits, et la réutilisation des fréquences, ce qui constitue une utilisation plus efficace et économique de la ressource spectrale. Il est ainsi possible de multiplier le nombre de connexions avec un seul et même satellite et de réduire considérablement le prix pour l'utilisateur final.

* 63 Pour « Electric Orbit Raising ».

* 64 L'utilisation de la propulsion électrique a permis à Eutelsat 172B de ne peser que 3,5 tonnes au décollage, alors qu'il aurait pesé 6 tonnes en propulsion classique chimique.

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