B. UN DISPOSITIF D'INVESTISSEMENT LOCATIF OBJET DE CRITIQUES RÉCURRENTES

1. Un coût budgétaire non négligeable qui s'étend sur plusieurs années

Les dispositifs d'investissement locatif présentent des coûts budgétaires qui s'étendent sur plusieurs années.

Source : Compte du logement 2016 -rapport de la commission des comptes du Logement .

Pour 2018, la dépense fiscale relative aux dispositifs d'investissement locatif neuf en métropole est estimée à 1,9 milliard d'euros dont 554 millions pour le seul dispositif Pinel. Ainsi, 1,4 milliard d'euros concerne des dispositifs fiscaux d'investissement locatif éteints.

Source : DGFiP.

En effet, le budget de l'année en cours continue de financer des dispositifs auxquels on ne peut plus souscrire. Ainsi, le dispositif Périssol éteint depuis 1999 aura une incidence budgétaire jusqu'en 2024, le dispositif Pinel qui s'éteindra en 2021 aura quant à lui une incidence budgétaire jusqu'en 2033.

Dispositif

Durée d'application

Fin d'incidence budgétaire

Perissol

entre le 1 er janvier 1996 et le 31 décembre 1998

2024

Besson

entre le 1 er janvier 1999 et le 2 avril 2003

2019

Robien

3 avril 2003 au 31 décembre 2009

2021

Borloo populaire

1 er janvier 2006 au 31 décembre 2009

2024

Scellier

1 er janvier 2009 au 31 décembre 2012 et sous conditions 31 mars 2013

2024

Sellier intermédiaire

2030

Duflot/Pinel

1 er janvier 2013 au 31 décembre 2021

2033

Source : Commission des affaires économiques d'après le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2018.

2. Un effet inflationniste à évaluer

Votre rapporteur s'est interrogé pour savoir si le dispositif Pinel avait un effet inflationniste sur les prix des opérations. Les acteurs du secteur immobilier ont porté des appréciations différentes sur le sujet.

Pour la SNI, la comparaison du coût d'acquisition d'un logement Pinel avec le coût d'acquisition d'un logement par des bailleurs institutionnels montre un écart de prix caractéristique d'un effet inflationniste, l'avantage fiscal étant capté par les professionnels.

Pour d'autres acteurs, l'effet inflationniste résulte, plus que de l'avantage fiscal, de l'obligation de mixité sociale.

L'obligation de mixité sociale qui résulte de l'article 279-0 bis A du code général des impôts impose pour pouvoir bénéficier de la TVA à 10 % que l'immeuble soit situé en zone tendue, que l'opération comporte 25 % de logements sociaux sauf dans les communes comptant plus de 50 % de logements locatifs sociaux et dans les quartiers faisant l'objet d'une convention Anru et enfin que le bénéficiaire respecte pour la location des plafonds de ressources et de loyers.

Cette obligation conduit le promoteur à vendre à prix coutant les logements sociaux et à augmenter en conséquence le prix moyen des autres logements du programme. En l'absence de dispositif Pinel permettant de faire une péréquation, plusieurs personnes entendues ont indiqué à votre rapporteur que ces programmes immobiliers ne verraient pas le jour.

Votre rapporteur a envisagé une suppression de cette obligation de mixité sociale. Cependant, elle se heurterait à une incompatibilité avec la législation communautaire. Néanmoins, le taux de 50 % est encore trop élevé et prive d'effet cette mesure pourtant attendue de l'ensemble des professionnels et collectivités concernées en excluant de trop nombreux territoires. Votre rapporteur propose de retenir un taux de 35 % afin de garantir une véritable mixité sociale en favorisant le développement du logement intermédiaire. Les députés ont adopté une telle mesure dans le cadre du présent projet de loi de finances, que votre rapporteur soutient.

Selon la direction générale du Trésor, l'effet inflationniste des aides à l'investissement locatif serait plus marqué dans les zones tendues, là où les besoins en logement sont les plus importants et où l'offre de foncier est limitée. La direction générale du Trésor invoquait à l'appui de son argumentation les conclusions de l'étude de Pierre-Henri Bono et Alain Tramoy évaluant l'impact du dispositif Scellier sur les prix des terrains à bâtir et réalisée à la demande de l'Inspection générale des finances en 2012 qui montrait que le dispositif Scellier « a entraîné une hausse des prix du prix du mètre carré de l'ordre de 3 euros la première année et de 6 euros sur 2009 et 2010 », soit « si l'on raisonne en termes de taux de croissance (...) un surcroît des prix, la première année, de 7 % sans accélération notable la seconde année d'application, soit 2010 . »

Votre rapporteur estime qu'une évaluation de l'effet inflationniste du dispositif Pinel devrait être menée par le gouvernement .

3. Un effet d'aubaine qui ne peut être exclu

Pour votre rapporteur, l'effet d'aubaine lié au dispositif d'investissement locatif ne peut être exclu. Cependant, cet effet est difficile à évaluer faute de données.

Selon la lettre Trésor-eco n° 201 5 ( * ) du ministère de l'économie et des finances de juillet 2017 sur l'investissement immobilier résidentiel, « ces dispositifs de soutien [PTZ et investissement locatif] visent à stimuler la construction en augmentant la demande des ménages. Leur impact peut être amplifié à court terme par des effets d'anticipation : certains ménages qui vont bénéficier de ces dispositifs étaient proches d'une situation financière leur permettant de mener cet investissement sans aide. Ils auraient cependant dû attendre un peu avant de finaliser l'investissement, le temps de constituer le capital nécessaire. Une partie des constructions de logements correspondent alors à des investissements avancés dans le temps, i.e. une hausse de l'investissement aujourd'hui et un moindre investissement dans le futur. Ces aides peuvent également se traduire par des effets d'aubaine : un certain nombre de bénéficiaires sont déjà engagés dans un projet d'acquisition de logement. Ces logements auraient donc été construits dès aujourd'hui en l'absence du dispositif. »

Un rapport 6 ( * ) de l'Inspection générale des finances et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) de 2014 non publié à ce jour par le gouvernement soulignait qu'aucun des dispositifs d'investissements locatifs n'avait fait l'objet d'étude pour déterminer leur effet déclencheur sur l'investissement et qu'une unique enquête avait conclu à un effet d'aubaine estimé entre 33 % et 43 %.

Votre rapporteur invite le gouvernement à évaluer un tel effet dans le cadre de la réalisation du rapport d'évaluation du dispositif Pinel .

4. Un zonage et des plafonds de ressources et de loyers inadaptés

Le plafonnement des loyers et des ressources prévu pour le dispositif Pinel serait inadapté.

Selon l'économiste Pierre Madec 7 ( * ) , les plafonds de revenu et de loyer définis par la loi ne permettraient pas d'atteindre l'objectif d'avoir des logements à des loyers intermédiaires. L'économiste précise ainsi « concernant les plafonds de loyer, ils sont en réalité très proches des loyers pratiqués sur les marchés . Selon l'Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne, le loyer moyen acquitté par les locataires du parc privé de la petite couronne parisienne, en partie incluse dans la Zone A bis visée par le dispositif Pinel, était en 2015 de 16,5 euros le m². À titre de comparaison, le plafond défini pour pouvoir bénéficier du dispositif Pinel était, pour une zone relativement comparable, de 16,83 euros par m². Si les zones considérées ne sont pas parfaitement comparables, ces données permettent de relativiser le caractère «intermédiaire» des loyers proposés. Il paraît clair que l'objectif de proposer des loyers inférieurs de 20 % aux loyers de marché ne semble pas rempli. Pour ce qui est des plafonds de revenu, ils ne semblent pas cibler prioritairement les ménages aux revenus proches de la «moyenne». À titre d'exemple, en 2012, les personnes seules déclaraient un revenu médian de 17 800 euros annuel. Le dernier décile de revenu déclaré était de 35 800 euros (ERFS, 2012). Clairement, les plafonds de revenu définis au sein du dispositif Pinel ne semblent pas le flécher vers les ménages aux revenus insuffisants pour se loger correctement dans le parc locatif privé traditionnel . »

De même, la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) souligne que des niveaux de loyers différents peuvent être constatés au sein de certaines communes. Les loyers prévus par le dispositif Pinel peuvent se révéler de fait inadaptés soit parce qu'ils sont trop proches des niveaux de marché, induisant alors des effets d'aubaine, soit très inférieurs au prix de marché, rendant ainsi le dispositif peu attractif. Elle considère que les plafonds de loyers devraient davantage être adaptés localement.

Par ailleurs, le zonage doit permettre de cibler les communes dans lesquelles le besoin de logements intermédiaires est attesté afin de protéger les investisseurs de possibles déconvenues. Des débats ont régulièrement lieu sur les contours du zonage et notamment sur le fait d'étendre le dispositif à des zones censées correspondre à des zones détendues.

5. Un non-respect des conditions de loyers et de ressources difficile à évaluer

Le non-respect des conditions des loyers et des ressources est difficile à évaluer par votre rapporteur.

Le bénéficiaire du dispositif Pinel doit transmettre aux services fiscaux un engagement de location lequel doit mentionner : la localisation du bien, la date d'acquisition, le prix d'acquisition, la date de location, le nom du locataire, le montant du loyer, la surface. Il doit en outre joindre une copie de l'avis d'impôt sur le revenu du locataire établi au titre de l'avant-dernière année précédant celle de la signature du bail. Il doit selon le formulaire précité de nouveau joindre ce document à sa déclaration de revenus en cas de changement de locataire.

Votre rapporteur a interrogé le ministère des finances sur les contrôles fiscaux réalisés s'agissant du dispositif Pinel.

Elle note que depuis 2009 le nombre de contrôles fiscaux portant sur les dispositifs d'investissement locatif augmentent, et qu'ils ont même doublé entre 2015 et 2016. Il en est de même du dispositif Pinel probablement en raison de la montée en puissance du dispositif.

Évolution du nombre de contrôles fiscaux portant sur des dispositifs d'investissement locatif

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Évolution 2015/2016

Contrôle sur pièces

Nombre

269

424

390

558

728

986

1296

2138

64,97%

Montant (M€)

10,0

11,0

12,7

14,3

15,7

17,7

18,9

39,0

106,35%

Contrôle externe

Nombre

78

116

107

151

178

156

157

125

-20,38%

Montant (M€)

4,2

11,5

10,1

14,2

13,9

17,5

15,1

10,0

-33,77%

Total

Nombre

347

540

497

709

906

1142

1453

2263

55,75%

Montant (M€)

14,2

22,5

22,8

28,5

29,6

35,2

34,0

49,0

44,12%

Source : DGFiP.

Évolution du nombre de contrôles fiscaux portant sur les dispositifs « Duflot » et « Pinel »

Procédure

2014

2015

2016

Au 30 septembre 2017

Nombre

Montant

Nombre

Montant

Nombre

Montant

Nombre

Montant

Contrôle fiscal externe

1

1 863 €

3

616 070 €

4

383 532 €

4

nc

Contrôle sur pièces

2

37 733 €

8

53 033 €

34

222 694 €

85

nc

Total

3

39 596 €

11

669 103 €

38

606 226 €

89

1 117 136 €

Source : DGFiP.

La DGFiP a indiqué à votre rapporteur que les contrôles fiscaux sont conduits dans le cadre d'une stratégie globale permettant de contrôler tous les types d'impôts et tous les types de contribuables. En conséquence, le contrôle de l'investissement locatif ne constitue en soi ni un motif, ni un axe de programmation à lui seul. Ainsi, les agents de la DGFiP retiennent, au niveau local plusieurs critères pour sélectionner les dossiers à contrôler en fonction notamment du tissu fiscal et des résultats des précédents contrôles, le bénéfice du dispositif Pinel étant un critère parmi d'autres.

La DGFiP a indiqué à votre rapporteur qu'elle ne pouvait donner de statistiques sur le nombre de redressements fiscaux décidés en raison du non-respect des conditions de loyers et de ressources. Votre rapporteur constate cependant que cette information existe dans les centres des impôts mais ne fait pas l'objet de remontée au niveau de l'administration centrale, faute d'outils informatiques adaptés !

Votre rapporteur souhaite que le ministère des finances remédie à cette situation. Cette information permettrait en effet de mieux quantifier le non-respect des conditions posées et d'ajuster le dispositif en conséquence.


* 5 Lettre Trésor-eco n° 201 intitulée « le redressement de l'investissement immobilier résidentiel est-il durable ? » - juillet 2017.

* 6 Document de travail présentant les « conclusions finales » de la mission d'évaluation de la politique du logement composée de représentants du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) des années 2011 et 2012 en date du 23 juin 2014, non publié à ce jour par le Gouvernement.

* 7 OFCE le Blog - Article intitulé « Très cher Pinel » du 15 avril 2016.

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