EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 14 novembre 2018, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » du projet de loi de finances pour 2019.

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous examinons à présent le rapport pour avis sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

EXAMEN DU RAPPORT

M. Daniel Gremillet , rapporteur pour avis de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » . - L'examen des crédits « Énergie » du projet de loi de finances s'inscrit cette année dans le contexte particulier de la hausse des taxes sur l'énergie et de ses conséquences sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens et la compétitivité de nos entreprises. Si la mobilisation sur le sujet est nouvelle, je veux rappeler que nous n'avons pas attendu cette année pour tirer le signal d'alarme : depuis le vote fin 2015 du premier relèvement de la trajectoire carbone programmé pour 2017, notre commission dénonce l'absence de véritables mesures de compensation ; l'an dernier, avec la double accélération décidée par le Gouvernement, qui portait à la fois sur la taxe carbone et la convergence essence-diesel, nous avions encore alerté sur l'explosion de la fiscalité énergétique et prédit que les Français n'en mesureraient les effets que lorsque les prix de l'énergie remonteraient. Nous y sommes, et sans doute pour longtemps, car malgré les baisses de ces dernières semaines, tout indique que nous entrons dans une période durable de pétrole cher. C'est heureux pour la planète, car un pétrole cher incite à la modération, mais, avec la hausse de la taxe carbone, c'est la double peine !

Face à la colère légitime des Français, que répondent le Président de la République, le Gouvernement et la majorité ? D'abord, que ce ne serait pas la faute de l'exécutif : la hausse des prix viendrait, pour environ deux tiers, de l'évolution des cours mondiaux et pour un tiers seulement de la hausse des taxes. C'est exact, mais cela n'empêche pas d'agir sur ce tiers et je rappelle au passage que les taxes comptent déjà pour les deux tiers du prix à la pompe. Ils nous disent ensuite que tous les candidats à l'élection présidentielle de 2007 avaient accepté le principe d'une taxe carbone et que c'est le Gouvernement précédent qui, le premier, l'avait mise en oeuvre. Certes, mais ce n'était ni dans les mêmes proportions ni dans les mêmes conditions de compensation - les quatre premiers milliards de taxe carbone avaient ainsi été compensés par le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et par des taux réduits de TVA. Le Sénat lui-même avait fait adopter, dans la loi de transition énergétique, le principe d'une trajectoire carbone jusqu'en 2030, mais plus progressive et surtout conditionnée à l'exigence d'une stricte compensation par la baisse d'autres taxes.

C'est donc bien le Gouvernement actuel qui a décidé l'accélération très puissante de la trajectoire l'an dernier, et qui annonce des mesures de compensation insuffisantes, quand il ne présente pas la baisse des cotisations ou celle de la taxe d'habitation comme la contrepartie de ces hausses. Au total, selon une étude récente, la politique fiscale du Gouvernement fera au moins deux catégories de perdants : les 20 % de ménages les plus modestes et les retraités des deux derniers déciles, sans compter les classes moyennes rurales ou périurbaines dont les dépenses de carburant sont plus élevées que la moyenne, voire les fonctionnaires qui ne gagneront pas à la baisse des cotisations.

Pour mesurer l'ampleur du phénomène, on peut bien sûr évoquer les grandes masses : d'ici à 2022, ce sont 46 milliards d'euros supplémentaires de fiscalité énergétique qui seront prélevés sur la richesse nationale, soit en moyenne 9,2 milliards d'euros par an, sans compter le milliard supplémentaire lié à la suppression du taux réduit du gazole non (GNR) prévue cette année. Mais au-delà de ces chiffres toujours un peu abstraits, il y a surtout des réalités très concrètes : en 2018, 30 % des Français ont restreint leur consommation de chauffage pour limiter leurs dépenses énergétiques ; depuis le début de l'année, le tarif réglementé du gaz a progressé de 24 % pour les ménages chauffés au gaz, avec une taxe en hausse de 44 % ; le prix du fioul a augmenté dans les mêmes proportions. Pour un ménage consommant 45 litres de carburant par semaine, la hausse intervenue en deux ans équivaut à environ un Smic à l'année.

On voudrait parfois réduire l'affaire à une question de ressenti, mais les chiffres sont là. Il serait commode de n'y voir, de Paris, que le mécontentement d'une France périphérique et rurale peuplée d'adeptes forcenés du diesel, insensibles aux enjeux environnementaux ou sanitaires. Nous savons qu'il n'en est rien, car lorsqu'on leur propose des alternatives crédibles, les Français s'en saisissent : le succès massif de la prime à la conversion le prouve.

Cette fiscalité est d'autant plus perçue comme injuste que son produit n'est que partiellement destiné au financement de la transition énergétique : sur les 37 milliards de TICPE attendus en 2019, 7 milliards financeront directement les énergies renouvelables et un peu plus d'1 milliard les infrastructures de transport. Sur les plus de 7 milliards de hausse intervenus depuis 2017, 82 % iront au budget de l'État tandis que la part transférée aux collectivités locales restera globalement stable. Nous serons nombreux à soutenir la proposition, déjà adoptée par le Sénat l'an dernier, d'affecter une part de taxe carbone aux collectivités locales ; encore faudra-t-il s'assurer qu'elle est bien destinée à financer des actions de transition énergétique, pour ne pas suivre le mauvais exemple donné par l'État.

L'an dernier, le Gouvernement n'avait pas caché son « objectif de rendement budgétaire » et n'avait présenté comme mesures de compensation que le renforcement de la prime à la conversion et la généralisation du chèque énergie. Dans leur périmètre actuel, ces mesures laisseraient à la charge des Français 3,1 milliards de pression fiscale supplémentaire au titre de leurs dépenses d'énergie en 2018, et près de 5,9 milliards sur 2018 et 2019.

Cette année, le Gouvernement a d'abord revu sa communication, en insistant tantôt sur l'objectif de lutte contre le changement climatique, tantôt sur l'enjeu de santé publique, puis en rapportant ces hausses à d'autres grandes masses : parfois à l'ensemble des baisses décidées par ailleurs, d'autres fois à l'ensemble des mesures de soutien à la transition, y compris celles qui préexistaient ou dont le Gouvernement a réduit la voilure, comme le crédit d'impôt transition énergétique (CITE). Constatant que ces explications étaient sans effet sur l'opinion, l'exécutif a fini par envisager des mesures de compensation nouvelles dont le détail s'est fait attendre et dont on sait un peu plus depuis ce matin. Il est désormais question d'une surprime à la conversion de 4 000 euros pour les 20 % de Français les plus modestes, d'un élargissement de l'indemnité kilométrique aux petites cylindrées, d'une extension du chèque énergie à 2 millions de personnes supplémentaires, d'un renforcement de la prime à la conversion des chaudières fioul ou encore de défiscaliser les aides des collectivités ou d'accélérer la mise en place du forfait mobilité versé par les employeurs.

Si l'analyse méritera d'être affinée, je pense que la surprime à la conversion et l'extension du chèque énergie vont dans le bon sens, mais que ces mesures, dont le coût budgétaire annoncé est de 500 millions d'euros, restent loin de couvrir l'explosion des taxes, qui se poursuivrait du reste l'an prochain. J'ajoute que certaines des mesures annoncées consistent à faire payer par d'autres l'effet des décisions prises par l'État : ce sera le cas de la prime renforcée à la conversion des chaudières fioul, qui renvoie en fait au dispositif des coups de pouce liés aux certificats d'économies d'énergie (C2E) financés par les vendeurs d'énergie, et qui sont d'une façon ou d'autre répercutés sur les consommateurs, mais aussi des aides des collectivités ou du forfait mobilité. Quant à l'indemnité kilométrique, son effet restera modeste.

Je déborde sans doute du cadre budgétaire, mais en répondant de façon trop timide à la colère des Français, le Gouvernement prend deux risques : un risque économique - les hausses de taxes auront des conséquences sur le moral des ménages, et donc sur la croissance - et un risque politique, lié à la montée des tensions dans le pays et aux tentatives de récupération du mouvement de contestation par les extrêmes.

Les choses ne sont d'ailleurs pas aussi simples que le Gouvernement le dit sur deux points. Lorsqu'il affirme vouloir taxer la pollution plutôt que le travail, il oublie que les Français ne se déplacent pas pour le plaisir de polluer, mais, notamment, pour se rendre au travail ; avec ces taxes supplémentaires, le travail paie donc moins. En outre, le bénéfice environnemental de cette politique n'est pas avéré : se fonde-t-on sur l'analyse du coût environnemental complet du remplacement d'un véhicule déjà amorti par un nouveau, sans compter qu'un ancien diesel consomme généralement moins qu'une essence, même récente ? Compare-t-on les coûts complets du thermique et de l'électrique sur l'ensemble du cycle de vie, de la fabrication au recyclage ? Les réponses apportées par le Gouvernement me permettent d'en douter.

Que pouvons-nous faire de notre côté ? Il ne s'agit pas de revenir sur le principe même de la taxe carbone, qui est bon, mais de constater que le signal prix est déjà suffisant pour faire changer les comportements quand on dispose d'alternatives ; je rappelle d'ailleurs qu'avec la hausse accélérée appliquée cette année, le prix de la tonne de carbone est déjà en 2018, à peu de choses près, celui qui était prévu pour 2019. L'enjeu n'est donc pas de revenir sur les hausses déjà appliquées, mais de geler, compte tenu de la hausse des cours mondiaux, la fiscalité énergétique à son niveau de 2018. Sans cela, 6,5 centimes supplémentaires par litre de gazole et 2,9 centimes par litre d'essence s'appliqueront au 1 er janvier prochain.

Tel est le sens de l'amendement que je présenterai en première partie, en mon nom puisque la commission n'en est pas saisie pour avis, sachant que le rapporteur général de la commission des finances devrait défendre la même position. Je proposerai aussi le maintien du taux réduit pour le GNR, car sa disparition alourdirait de près d'1 milliard les charges de secteurs tels que l'industrie extractive ou le BTP, qui n'ont à ce jour que peu ou pas d'alternative ; du reste, s'ils parviennent à les répercuter dans leurs prix, ce sont leurs clients, dont les collectivités publiques, qui en souffriront. En lien avec le poids croissant de la fiscalité énergétique, je vous proposerai aussi plusieurs mesures d'accompagnement et d'aide à la transition pour nos concitoyens, pour les secteurs économiques et les territoires les plus impactés.

J'en viens aux crédits « Énergie ». Je rappellerai d'abord que le budget n'épuise pas les sujets énergétiques. En dépit de la budgétisation de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) votée fin 2015, il reste des dispositifs extrabudgétaires, à commencer par les C2E, qui représenteront 9 milliards d'euros entre 2018 et 2020 et se retrouvent dans les prix - ils comptent déjà, par exemple, pour 3 centimes par litre de carburant. Ensuite, les outils de programmation qui déclinent les objectifs fixés par la loi ne relèvent pas du législateur et se déploient aussi au niveau local, en particulier au travers des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), voire des zones à faible émission (ZFE) que les collectivités peuvent décider de mettre en place. Le bannissement des vieilles voitures annoncé dans le Grand Paris en témoigne. Enfin, des mesures énergétiques sont disséminées au gré des textes législatifs.

En 2019, les dépenses de soutien aux énergies renouvelables (EnR) continueront de progresser fortement, avec une hausse de 7,8 %, pour atteindre environ 7,3 milliards d'euros ; 5,2 milliards seront consacrés aux EnR électriques et 1,8 milliard au remboursement de la dette de CSPE vis-à-vis d'EDF, pour financer ces énergies. Cette progression tiendra bien sûr à la poursuite du développement des filières mais aussi au poids des engagements passés : l'an dernier, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) avait calculé que les deux tiers du soutien public actuel résultaient de décisions prises avant 2011, en particulier avant le moratoire sur le photovoltaïque. Cette année, elle estime que les engagements pris jusqu'à la fin 2017 représenteront 121 milliards d'euros, en euros courants, entre 2018 et l'échéance des contrats ; sans engagements nouveaux, la charge annuelle culminera en 2025 et ne baissera significativement qu'après 2030, pour s'éteindre à l'horizon 2045.

Je veux dire un mot sur le biométhane injecté : même si les volumes sont encore modestes - moins de 1 % du gaz consommé en 2017 -, ils ont été multipliés par dix depuis 2015 et les soutiens devraient encore doubler en 2019 pour atteindre environ 130 millions d'euros. Quant aux dépenses de cogénération, elles continueront également de progresser et atteindront 725 millions d'euros en 2019, du fait de nouvelles capacités installées et des hausses de taxes sur le gaz et des prix de marché.

Il reste que, malgré les investissements consentis et le développement très significatif observé au cours des dernières années, la part des ENR dans la consommation d'énergie, passée de 9,6 % à 16 % entre 2005 et 2016, reste en deçà de la trajectoire requise pour atteindre la cible de 23 % fixée pour 2020, qui ne sera probablement pas atteinte.

Sur le plan industriel, le bilan ne paraît pas non plus à la hauteur des subventions versées, comme la Cour des comptes l'a récemment souligné. Si les EnR ont des retombées économiques réelles - 21,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2016, toutes activités confondues, en incluant le soutien public -, la valeur des investissements français dans les équipements fabriqués en France n'était que de 1,4 milliard d'euros en 2016, soit 6,6 % du chiffre d'affaires total. Dans les EnR électriques, les industries françaises couvrent moins de la moitié de la valeur ajoutée des investissements et moins de 25 % de la fabrication.

En 2016, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) évaluait le nombre d'emplois directs liés aux EnR, hors biocarburants, à 79 000, dont 35 % à 45 % pour la maintenance et l'exploitation, 25 % à 30 % pour l'installation et 15 % seulement pour la fabrication et l'assemblage. Ces emplois étaient répartis à 42 % dans les EnR électriques et à 58 % dans les EnR thermiques.

Pour repositionner la France dans la chaîne de valeur, plusieurs pistes doivent à mon sens être explorées : dans les filières existantes, les soutiens publics devraient être rééquilibrés au profit des énergies renouvelables thermiques qui, outre le fait qu'elles sont globalement plus pourvoyeuses en emplois, ont de plus le mérite d'être pilotables, d'exploiter la forêt française pour le bois-énergie ou de générer des revenus complémentaires pour les agriculteurs au travers de la méthanisation. Je vous proposerai d'ailleurs d'augmenter le Fonds chaleur de l'Ademe et de réduire la TVA sur le bois-énergie de qualité. Dans les filières innovantes, la France a une carte à jouer à la fois dans les technologies de rupture, notamment en matière de stockage ou de gestion intelligente de l'énergie, et dans l'éolien flottant, même s'il importera d'en maîtriser les coûts.

Plus généralement, les critères environnementaux, tels que le bilan carbone des panneaux photovoltaïques, devraient être renforcés dans les appels d'offres, voire étendus aux arrêtés tarifaires, parce qu'ils permettent de déployer des technologies plus respectueuses de l'environnement tout en favorisant, indirectement, les industries françaises et européennes.

Pour conclure cette partie sur les EnR, je rappelle que les mécanismes actuels d'autorisation budgétaire ne permettent pas au Parlement de consentir à l'impôt de façon éclairée ; sans loi de programmation, nous en sommes réduits à approuver, sans pouvoir l'influencer, la tranche annuelle d'engagements pluriannuels qui résultent d'un décret portant programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), à l'élaboration duquel le Parlement est très peu associé.

J'en arrive aux dépenses de solidarité en direction, à la fois, des bénéficiaires du régime de l'après-mines, des zones non interconnectées (ZNI) ou des consommateurs en situation de précarité énergétique. Je ne dirai qu'un mot de l'après-mines, dont l'enveloppe, fixée à 360 millions d'euros en 2019, décline logiquement, avec une baisse de 7,8 %, à mesure de la disparition progressive des anciens mineurs et de leurs ayants droit.

Les dépenses liées à la péréquation tarifaire pour les ZNI sont très dynamiques : entre 2017 et 2019, elles devraient progresser de 11,8 % et atteindre près de 1,6 milliard d'euros, du fait de la hausse des prix des matières premières et des quotas de dioxyde de carbone (CO 2 ), de la mise en service de nouveaux moyens de production renouvelable et d'une augmentation de la consommation dans certains territoires. En raison des investissements prévus par les PPE de ces territoires, les dépenses devraient rester durablement orientées à la hausse, d'où l'appel à la vigilance du régulateur pour éviter d'éventuelles surcapacités.

Les dépenses de protection des consommateurs précaires, après avoir connu une hausse de près de 60 % l'an dernier, liée à la généralisation du chèque énergie, se stabiliseraient à 740 millions d'euros en crédits de paiement, compte non tenu de l'extension annoncée ce matin, qu'il nous faudra chiffrer ; la revalorisation du montant moyen du chèque à hauteur de 50 euros serait compensée sur l'année par l'extinction des tarifs sociaux, même si l'évaluation des coûts est en réalité très dépendante du taux d'utilisation effectif du chèque énergie.

Ainsi, selon les hypothèses optimistes d'utilisation du chèque énergie retenues par le Gouvernement - 90 % en 2018 et 95 % en 2019, contre moins de 78 % lors de l'expérimentation -, le chèque énergie représenterait, dans son périmètre actuel, un surcoût par rapport aux tarifs sociaux de l'ordre de 60 millions d'euros en 2018 et de 260 millions en 2019, le tout pour un montant d'aides moyen supérieur, bien qu'il y ait des perdants, principalement les ménages chauffés au gaz. Le nombre de bénéficiaires supplémentaires resterait faible, même en retenant ces hypothèses favorables - 3,3 millions en 2018, soit autant que les tarifs sociaux avant leur disparition, et 3,5 millions en 2019 -, et encore ne retient-on pas le chiffre de 560 000 personnes n'encaissant pas le chèque évoqué par le ministre chargé du budget lui-même, soit un taux d'utilisation de 85 %. L'extension annoncée à 2 millions de personnes supplémentaires paraît donc plus que nécessaire...

Au-delà des difficultés d'appropriation par les ménages, le chèque énergie comporte un autre écueil, celui de ne pas aider au financement de travaux de rénovation énergétique : durant l'expérimentation, sur les 170 000 chèques distribués, moins d'une centaine avaient été utilisés à cette fin. Il est très probable qu'il en sera de même à l'échelle de tout le territoire, car le montant du chèque, même cumulable sur trois ans, reste trop faible pour déclencher, à lui seul, une opération de rénovation. C'est pourquoi je vous proposerai de doubler le montant du chèque énergie pour travaux.

Je signale par ailleurs l'absence très dommageable de deux dispositifs d'aide. Le premier, les afficheurs déportés, devrait pourtant être en vigueur depuis le 1 er janvier dernier, mais aucun n'a été déployé à ce jour, faute de décision du Gouvernement sur les modalités de compensation des fournisseurs. Le second, sur lequel le Gouvernement n'a même pas remis le rapport demandé par le Sénat, vise les ménages précaires dont la chaudière ne pourra être adaptée au changement de gaz distribué dans le nord de la France ; là aussi, je vous proposerai un amendement pour y remédier.

L'année 2019 sera aussi marquée par un premier décaissement de 91 millions d'euros pour couvrir les coûts de la fermeture de Fessenheim, sur les 446 millions d'euros déjà budgétés mais non encore dépensés. Plus la fermeture sera retardée, moins l'État aura à dépenser pour compenser le manque à gagner pour EDF. Le projet de loi de finances crée par ailleurs un fonds de compensation des pertes fiscales liées aux fermetures de centrales nucléaires et thermiques, qui organise en réalité une péréquation entre collectivités ayant de telles centrales sur leur territoire. En d'autres termes, celles qui les conservent paieront pour celles qui les perdent, et aucune aide supplémentaire de l'État n'est prévue par rapport au mécanisme de perte de base actuel.

De plus, alors que les quatre dernières centrales à charbon fermeront d'ici à 2022, aucune ligne budgétaire comparable à celle prévue pour Fessenheim n'existe aujourd'hui pour indemniser et accompagner ces fermetures, alors que les projets de revitalisation industrielle des sites doivent se penser dès maintenant ; je vous proposerai donc de la créer.

Quant aux dépenses fiscales, elles devraient théoriquement refluer en 2019 pour atteindre environ 2 milliards d'euros, en raison du resserrement du CITE décidé l'an dernier. En réalité, le surcroît de commandes de fenêtres observé jusqu'à la suppression du crédit d'impôt augmentera la dépense d'au moins 400 millions d'euros en 2018 et en 2019. Quant à la transformation, promise l'an dernier, du CITE en prime, elle est désormais reportée à 2020 et, surtout, contrairement à l'engagement présidentiel, elle ne devrait concerner que les ménages les plus modestes, sans doute sous la forme d'une bonification des aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Les autres ménages devraient toujours faire l'avance des frais, le tout prenant la forme de montants forfaitaires selon les économies réalisées ; la réforme s'annonce donc bien complexe...

Pour 2019, le Gouvernement dit toujours travailler à plusieurs pistes, dont on attend toujours la concrétisation et qui n'ont pas toutes été abordées ce matin : il envisage de rendre éligibles la dépose des cuves à fioul et la main d'oeuvre pour les installations de chaleur renouvelable ou de porter à 50 % le taux du crédit d'impôt pour les audits énergétiques, le tout pour une dépense supplémentaire inférieure à 100 millions d'euros, voire de réintroduire les fenêtres dans le dispositif en cas de remplacement d'un simple vitrage, ce que le Sénat avait proposé l'an dernier et que le Gouvernement avait à l'époque refusé...

Je veux dire quelques mots pour finir des dispositifs de soutien aux industries intensives en énergie ; ceux-ci excèdent largement les seuls tarifs réduits de taxes intérieures de consommation financés par la mission à hauteur de 634 millions d'euros. Ils représenteraient près de 2,4 milliards d'aides sous des formes diverses. Je signale qu'un tarif réduit pour l'électricité consommée par les data centers a été ajouté à l'Assemblée et j'en profite pour alerter sur la situation particulière d'un secteur de niche, celui de la déshydratation de légumes, qui concerne quatre entreprises et au moins un millier d'emplois en France. Bien qu'étant intensif en énergie et exposé à un risque de fuite de carbone, ce secteur ne bénéficie aujourd'hui d'aucun tarif réduit, faute d'être inscrit sur la liste européenne des secteurs protégés. Or, sans gel de leur taxation au niveau de 2018, plusieurs des entreprises concernées sont condamnées à très brève échéance. Je déposerai donc un amendement pour les défendre.

Sous la réserve, forte, de l'adoption du gel de la fiscalité énergétique et de ces mesures de compensation supplémentaires, je vous propose d'adopter les crédits de la mission.

M. Roland Courteau . - Je constate la stabilité générale des crédits et quelques légères hausses. Compte tenu de la tragédie écologique à laquelle nous commençons d'assister, on aurait pu s'attendre à un budget plus ambitieux.

La fiscalité écologique est nécessaire à la transition, mais je déplore l'insuffisance des mesures de compensation pour les ménages ne pouvant se passer de voiture ou de chauffage par énergie fossile. La transition énergétique doit être socialement inclusive. Nous déposerons un amendement tendant à instaurer une TICPE flottante pour compenser la hausse du cours du pétrole, et un amendement visant à rendre le chèque énergie plus consistant. Sous la pression des événements, le Gouvernement a proposé des mesures que le Sénat suggérait voilà quelques semaines. Cela dit, malgré ces annonces, le compte n'y est pas.

Je m'interroge sur l'utilisation des prélèvements écologiques supplémentaires. Même s'il ne s'agit pas de taxes affectées, il serait logique que ces crédits soient fléchés vers l'environnement et la transition plutôt que vers le budget général.

L'augmentation du Fonds chaleur de l'Ademe a été annoncée ; confirmez-vous cette annonce, monsieur le rapporteur ? Si c'est le cas, j'espère que cela ne se fera pas au détriment des autres fonds de l'Ademe. Pouvez-vous me rassurer à cet égard ?

La hausse des crédits relatifs à la qualité de l'air ne nous permettra pas d'atteindre nos objectifs, alors que de nombreux citoyens meurent prématurément à cause de cela.

Je regrette aussi l'inéligibilité au CITE des portes, fenêtres et volets isolants, ainsi que l'absence de transformation de ce crédit d'impôt en prime, qui aurait permis aux ménages modestes de rénover leur logement. Il y a huit millions de logements passoires aujourd'hui ; flécher les recettes de la taxation du carbone vers un CITE pour tous n'aurait été que justice.

Si l'autoconsommation se développe fortement, il faudra réformer le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE), en augmentant la part puissance et en diminuant la part énergie, faute de quoi la charge sera trop élevée pour ceux qui utiliseront uniquement l'électricité du réseau. Attention, à cet égard, à ne pas tuer la péréquation et la solidarité entre territoires, quand certains rêvent d'autarcie énergétique.

Autre déception, la diminution des soutiens publics à la recherche sur le stockage de l'électricité. Je souhaite aussi que le Parlement contrôle la mise en oeuvre des certificats d'économie d'énergie et le suivi des dépenses induites. Enfin, pourquoi ne pas inviter le Gouvernement à lancer un nouvel appel à projets de territoires à énergie positive, puisque le précédent a montré son efficacité ?

M. Joël Labbé . - La situation que nous connaissons est prévue depuis plus de vingt ans. De nombreuses personnes ont tiré la sonnette d'alarme sur le tout-voiture, le tout-diesel. Nous sommes en situation d'urgence sociétale. Je m'inquiète du mouvement de samedi prochain, de ce soulèvement populaire.

Le Gouvernement annonce d'autres mesures complémentaires. La fiscalité carbone est nécessaire et elle ne diminuera pas. La consommation des énergies fossiles doit baisser drastiquement et rapidement, c'est une nécessité vitale pour tous. Je suis effaré de la quantité de publicités pour les voitures ; pourquoi ne pas taxer ces publicités ?

Par ailleurs, il faut envoyer des signaux de justice aux gens qui souffrent. On ne parle pas du kérosène, qui concerne les déplacements des classes aisées ; toute une partie de la population ne prendra jamais l'avion, pourquoi ne pas taxer le kérosène ?

Il en va de même avec le fioul lourd des bateaux de croisière et des porte-conteneurs. On se dirige vers une relocalisation de l'économie, donc taxer le fioul lourd serait une bonne mesure. De même, la question des fenêtres touche beaucoup la population.

M. Laurent Duplomb . - Notre système purement français d'écologie punitive monte les gens les uns contre les autres, et, maintenant, on a peur que cela déborde. Il faut avoir une politique juste et de long terme. Comment expliquer que l'on taxe plus le diesel aujourd'hui alors qu'on a encouragé pendant des années à acheter des voitures diesel ? Comment expliquer qu'une si faible part des taxes perçues aille vers la transition énergétique ? Comment expliquer que la moitié des aides à la transition énergétique aient été supprimées ?

Je le rappelle : la France est responsable de 0,9 % des émissions de CO 2 sur la planète, et ses émissions ont baissé de 14 % entre 1990 et 2015. La Chine émet 29,7 % du CO 2 de la planète et ses émissions ont augmenté de 355 % sur la même période.

Enfin, dernier chiffre, sur le continent asiatique, on enregistre 2,58 naissances à la seconde. Alors, montons-nous les uns contre les autres, n'écoutons pas la colère des Français, et on aboutira à une situation bien pire.

Mme Anne-Catherine Loisier . - La fiscalité écologique cible toujours les mêmes et je suis d'accord avec M. Labbé sur la fiscalité du kérosène et du fioul lourd. Pourquoi les activités portuaires et aéroportuaires ne participent-elles pas à l'effort de fiscalité écologique ? Les ressources considérables induites permettraient d'aider les particuliers, en particulier pour se rendre au travail. Par ailleurs, l'indexation du prix du gaz sur le pétrole est-elle toujours pertinente ?

M. Robert Navarro . - Monsieur Duplomb, vous parlez de monter les Français les uns contre les autres, mais je vous renvoie à votre intervention d'hier dans l'hémicycle réclamant plus de crédits pour les pompiers volontaires. Vous demandez plus d'argent alors que l'on sait que le principal problème de notre pays réside dans ses finances. Je regrette que l'on demande toujours plus d'argent à tout sujet. Que l'on ait des différences d'approche, certes, mais il faut arrêter de jeter l'opprobre en affirmant que tel ou tel a complètement tort ; la vérité est toujours relative et éphémère. Nous devons construire un objectif commun pour notre pays. Je demande donc de la modération dans les interventions.

M. Fabien Gay . - Je veux réagir à ce que vient de dire M. Navarro. Pour moi, ce budget éclaire les choix politiques du Gouvernement. On ne peut pas dire que l'on manque d'argent quand on tape les familles populaires d'une fiscalité maquillée en vert. Moins de 20 % seulement de la fiscalité est consacrée à l'écologie. Je ne déconnecte pas cette mission du reste du budget, partie recettes comprise. Sous prétexte de transition énergétique - le Gouvernement se moque bien de l'écologie -, on taxe l'essence, le gaz, le fioul domestique. Je le rappelle, 13 % de personnes sont en difficulté énergétique ; augmenter le prix du gaz va les mettre encore plus dans l'embarras. Je suis d'accord, on doit taxer davantage le kérosène, les croisiéristes, Total. Ce sont des choix de société.

18 millions de citoyens vivent en zone blanche de transport public, non seulement dans les territoires ruraux mais aussi en Seine-Saint-Denis. On a fait le choix politique de ne pas développer les transports publics ; le pacte ferroviaire a conduit à la fermeture de petites gares. Certains collègues l'ont soutenu mais ont défendu dans leur territoire le maintien du guichet dans leur petite gare. Il faut être cohérent...

Mme Sophie Primas , présidente . - On doit raisonner à l'échelle européenne sur la fiscalité pour ne pas mettre la France en difficulté par rapport à ses voisins européens.

M. Daniel Gremillet , rapporteur pour avis . - Sur le Fonds chaleur de l'Ademe, je suis d'accord avec M. Courteau, il ne faut pas que l'abondement du fonds se fasse par le recyclage d'autres moyens. C'est précisément la raison pour laquelle je vous propose d'abonder le budget de l'Ademe de 100 millions d'euros supplémentaires.

Il me semble que notre commission, notamment lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, a été visionnaire sur la stratégie énergétique et sur les attentes de nos concitoyens, notamment sur la rénovation énergétique des logements.

Sur l'autoconsommation, je suis là aussi parfaitement d'accord. Si l'on s'engouffre dans cette pratique sans l'encadrer, c'est la solidarité territoriale qui sera menacée, alors qu'elle est exemplaire et précieuse - où que l'on se trouve sur le territoire, on bénéficie du même tarif - et qu'il faut la préserver. Il faudra sans doute en passer par une réforme du TURPE.

Sur l'idée consistant à relancer un appel à projets de territoires à énergie positive, soyons prudents et faisons déjà en sorte que les projets déjà engagés soient bien financés. L'an dernier, nous n'avions pas cette certitude...

Monsieur Labbé, il faut faire attention à ne pas se faire trop plaisir. On peut faire baisser le budget carbone en France mais si c'est au prix d'une explosion du carbone importé, ce sera un jeu de dupes.

Monsieur Duplomb, je suis d'accord, prenons garde à cette écologie punitive.

Madame Loisier, la question de la taxation du kérosène est stratégique mais elle ne peut être abordée qu'à l'échelon mondial. Il ne faudrait pas détourner le trafic aérien du territoire français. Ayons au moins une réflexion européenne.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Même les États-Unis taxent leur trafic intérieur.

M. Daniel Gremillet , rapporteur pour avis . - Monsieur Gay, je partage votre constat. L'énergie est un tout. Elle influe sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens et sur la performance économique du pays. Derrière le dossier énergétique, il y a la balance commerciale et l'emploi. Et je rappelle que beaucoup de personnes n'ont aujourd'hui pas d'autre choix que le véhicule individuel pour se déplacer et pour aller travailler, y compris en milieu urbain. Pensons aussi à eux.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 39

ÉTAT B

M. Daniel Gremillet rapporteur pour avis . - L'amendement AFFECO.1 propose d'augmenter de 100 millions d'euros le budget du Fonds chaleur de l'Ademe, ce qui le porterait à 315 millions en 2019.

M. Roland Courteau . - Nous voterons pour cet amendement.

L'amendement AFFECO.1 est adopté.

M. Daniel Gremillet , rapporteur pour avis . - L'amendement AFFECO.2 est relatif aux fermetures de centrales thermiques ; quatre d'entre elles fermeront très prochainement. Je propose de créer une ligne relative à l'accompagnement de ces fermetures, dotée de 40 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 2 millions d'euros en crédits de paiement pour 2019, afin d'engager la reconversion de ces sites dès maintenant.

Mme Sophie Primas , président e. - Ces crédits sont très importants ; pour l'avoir vécu, je peux dire que ces fermetures représentent des drames territoriaux.

L'amendement AFFECO.2 est adopté.

M. Daniel Gremillet , rapporteur pour avis . - L'amendement AFFECO.3 concerne le nord de la France, où les chaudières des gaz datant d'avant 1993 doivent être remplacées, car elles ne seront plus compatibles avec le gaz fourni - c'était jusqu'à présent du gaz venu des Pays-Bas qui était distribué. Je vous propose de prévoir 26 millions d'euros de crédits supplémentaires pour aider les ménages en situation de précarité énergétique à remplacer les appareils non adaptables.

L'amendement AFFECO.3 est adopté.

M. Daniel Gremillet , rapporteur pour avis . - Enfin, l'amendement AFFECO.4 entend doubler le montant du chèque énergie lorsqu'il est utilisé pour financer des travaux, ce qui, cumulé sur trois ans et sur la base de son montant moyen, le porterait à 1 200 euros. Le chèque est en effet très peu consommé aujourd'hui pour cet usage, car son montant est trop faible par rapport au coût des travaux.

M. Roland Courteau . - Nous voterons pour cet amendement. Nous proposerons un amendement procédant de la même démarche mais allant un peu plus loin. Nous pensons que le seuil d'éligibilité est trop faible ; il faut l'augmenter.

M. Daniel Gremillet , rapporteur pour avis . - Votre demande devrait être satisfaite, puisque le Gouvernement a proposé ce matin d'élargir l'accès au chèque énergie. On devrait ainsi atteindre 2 millions de bénéficiaires supplémentaires.

L'amendement AFFECO.4 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » sous réserve de l'adoption de ses amendements.

M. Daniel Gremillet , rapporteur pour avis . - Je rappelle que notre commission n'est saisie pour avis et ne peut amender que la deuxième partie du projet de loi de finances. Je déposerai des amendements sur la première partie en mon nom propre et proposerai bien entendu à ceux qui le souhaitent de les cosigner. Il s'agira en particulier du gel des taxes en 2019 et du maintien du taux réduit sur le GNR.

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