B. LA STRATÉGIE GOUVERNEMENTALE DE LUTTE CONTRE LES COPROPRIÉTÉS DÉGRADÉES

Le 10 octobre dernier, le Gouvernement a présenté sa stratégie nationale d'intervention sur les copropriétés.

1. L'identification de copropriétés en grande difficulté dans le cadre de la stratégie « Initiative copropriétés »
a) Un phénomène de copropriétés en difficulté malaisé à définir

Le Gouvernement dispose d'un recensement précis du nombre total de copropriétés. En 2015, leur nombre est estimé à 740 083 copropriétés, comportant 9,9 millions de logements.

Les résidences principales en copropriété sont occupées principalement par leurs propriétaires. 69 % des copropriétés ont de moins de 10 logements.

Modalités d'occupation des résidences principales en copropriété

Source : Commission des affaires économiques d'après les réponses au questionnaire budgétaire.

Si l'on dispose de données quantitatives, néanmoins, des efforts doivent être faits s'agissant des données qualitatives. En effet, il n'existe pas de définition de la copropriété en difficulté, de copropriété fragile ou encore de copropriété dégradée.

Pour déterminer si une copropriété est en difficulté , la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages a recours à un faisceau d'indices :

- état du bâti ;

- difficulté de gestion ou d'administration de la copropriété ;

- difficultés financières et juridiques ;

- dépréciation de la valeur des logements de la copropriété.

Cette qualification est relative et fonction de la situation du territoire (zone tendue ou non, territoire défavorisé ou non, années de construction).

Dans ses réponses au questionnaire budgétaire, le Gouvernement admet ne pas disposer d'un outil recensant les copropriétés fragiles ou en difficulté et se fonde sur les « remontées du terrain » pour affirmer que le nombre de ces copropriétés serait en augmentation.

Pour essayer de préciser le diagnostic, la DHUP a mis en place avec l'ANAH un outil d'identification des copropriétés fragiles à partir d'indicateurs relatifs aux caractéristiques des logements et des ménages occupants. En 2013, le nombre de ces copropriétés était estimé à 107 118 comprenant 1,1 million de logements, soit 19,1% des copropriétés. Ces copropriétés sont essentiellement des petites copropriétés de moins de 10 logements et des grandes copropriétés de plus de 150 logements.

La loi ALUR a instauré une obligation d'immatriculation des copropriétés qui entre en vigueur progressivement ; l'ensemble des copropriétés devant être immatriculées au plus tard le 31 décembre 2018.

Cette immatriculation, lorsqu'elle sera complète, permettra de disposer de données plus précises sur la situation financière des copropriétés. En août 2018, 230 000 syndicats de copropriétaires étaient immatriculés.

Au regard des enjeux, votre rapporteur demande instamment au Gouvernement de créer un outil permettant d'identifier précisément ces copropriétés en difficultés.

b) L'identification de 14 sites dans le cadre de la stratégie « Initiative copropriétés »

Dans le cadre de sa stratégie « Initiative copropriétés », l'État a identifié par le biais d'un recensement réalisé auprès des préfets 684 copropriétés en difficulté comprenant environ 56 000 logements. 90% d'entre elles étaient situées dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ou un quartier relevant du nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU).

Parmi celles-ci, il a identifié 14 sites de priorité nationale représentant 128 copropriétés dégradées soit 23 330 logements. Lors de son audition devant la commission des affaires économiques, M. Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement, n'a pas précisé si la liste était fermée . Or, cette réponse n'est pas anodine pour votre rapporteur.

Le Gouvernement a classé les copropriétés en trois catégories : les copropriétés très dégradées, les copropriétés dégradées et les copropriétés fragiles.

Tableau comparant les éléments d'identification de ces différentes catégories de copropriétés

Copropriétés très dégradées

Copropriétés dégradées

Copropriétés fragiles

un parc privé majoritaire dans le quartier

un parc privé minoritaire dans le quartier

-

des sites comprenant un volume de logements de 600 à 5 000 logements en copropriétés

des sites comprenant entre 100 et 600 logements en copropriétés

-

des copropriétés majoritairement détenues par des propriétaires bailleurs avec la présence de marchands de sommeil et de propriétaires bailleurs indélicats

une occupation plus équilibrée entre propriétaires occupants et propriétaires bailleurs

-

une majorité d'occupants aux revenus très modestes

une spécialisation de l'occupation, des occupants aux ressources très modestes et en dessous du seuil de pauvreté et des conditions d'habitat indignes

une majorité d'habitants modestes voire très modestes

une majorité de propriétaires occupants

un niveau d'endettement des copropriétés compromettant leur gestion courante

un niveau d'impayés conséquent

des taux d'impayés maîtrisés (inférieurs à 25 %)

une gestion défaillante avec la présence d'administrateurs provisoires dans une majorité de sites

une gestion majoritaire par des syndics professionnels

des conseils syndicaux à renforcer et des difficultés de prise de décision en assemblée générale

des instances de gouvernance (Conseil syndical et syndic) qui fonctionnent

des travaux de sécurisation à conduire rapidement

un retard important dans la réalisation des travaux (remise aux normes comme travaux de rénovation énergétique)

des besoins de travaux principalement liés au saut énergétique

des ventes immobilières empêchées du fait d'un décrochage des prix

des valeurs immobilières en dessous des prix de marché

-

Source : Agence nationale pour l'habitat.

2. La mobilisation de moyens financiers à hauteur de 2,7 milliards pour le traitement des copropriétés dégradées

2,7 milliards d'euros seront consacrés à cette stratégie gouvernementale sur 10 ans. L'Agence nationale pour l'habitat, l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) et Procivis qui regroupe les bailleurs sociaux réalisant de l'accession sociale à la propriété se mobiliseront financièrement à cette fin, l'ANAH étant le financeur principal de cette opération.

Répartition du financement de la stratégie nationale
d'intervention sur les copropriétés

Source : Commission des affaires économiques d'après réponse au questionnaire budgétaire.

La stratégie nationale se décline selon trois axes : faciliter les opérations de « recyclage » pour les copropriétés très dégradées cumulant des dysfonctionnements, faciliter le redressement des copropriétés en difficulté et mettre en place des actions de prévention.

Le premier axe qui doit permettre de faciliter les opérations de « recyclage » c'est-à-dire de rachats de lots de copropriété permettra de démolir l'immeuble à terme et de reconstruire une nouvelle offre de logements. Ces opérations de recyclage sont très coûteuses. La stratégie nationale prévoit une mesure de prise en charge d'une partie du déficit de l'opération :

- lorsque l'opération s'inscrit dans le cadre d'un programme de renouvellement urbain, le déficit de l'opération est pris en charge par l'ANRU jusqu'à 80 % ;

- lorsque la copropriété a fait l'objet d'un arrêté de carence, le déficit de l'opération est pris en charge par l'ANAH à hauteur de 80 % ;

- la taxe spéciale d'équipement pourra être mise en place dans le cadre d'une opération de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national (ORCOD-IN).

Par ailleurs, les travaux de mise en sécurité seront pris en charge par l'ANAH dans sa totalité sous réserve de respecter certaines conditions.

Pour pallier l'absence d'opérateur apte à réaliser des opérations de portage massif, Action Logement et la Banque des territoires seront mis à contribution.

Le second axe doit faciliter le redressement des copropriétés . Il est ainsi prévu :

- de mobiliser les dispositifs de l'ANAH tels que les plans de sauvegarde ou les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH) ;

- de renforcer les mesures d'accompagnement des professionnels de l'immobilier, en développant des syndics spécialisés dans l'accompagnement des copropriétés en difficulté, en finançant par l'ANAH des surcoûts de gestion, en organisant grâce à l'ANAH la gestion urbaine de proximité du parc privé ;

- de mobiliser des prêts de Procivis pour financer les travaux prévus dans le cadre d'un plan de sécurisation des logements ;

- de mobiliser les acteurs compétents pour lutter contre l'habitat indigne et agir contre la sur-occupation des logements.

Outre que l'ANAH financera les travaux de mise en sécurité des occupants, l'Agence s'est engagée à attribuer une prime en complément d'aides versées par les collectivités territoriales, les restes à charge trop importants pouvant en effet être un frein à la réalisation de travaux.

Enfin, le dernier axe vise à prévenir la dégradation des copropriétés . Le Gouvernement mobilise ainsi des dispositifs existants comme le dispositif de Veille et d'Observation des Copropriétés (VOC), le Programme Opérationnel de Prévention et d'Accompagnement en Copropriétés (POPAC) et l'aide aux travaux de rénovation énergétique Habiter Mieux copropriété.

3. Des mesures législatives complémentaires pour lutter contre l'habitat indigne adoptées dans le cadre de la loi ELAN

La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) comprend plusieurs mesures relatives au traitement des copropriétés dégradées et à la lutte contre l'habitat indigne que le Sénat a contribué à enrichir.

Ainsi, l'article 202 vise à :

- modifier le déroulement de la procédure de carence en simplifiant le mode de saisine du juge pour lancer une procédure de carence, en prévoyant que la notification des conclusions de l'expertise aux copropriétaires vaudra intervention forcée à l'instance, en précisant que la notification des conclusions de l'expertise au préfet vaudra signalement à l'autorité compétente en matière d'habitat indigne ou insalubre, en permettant à un copropriétaire d'être entendu par le juge à l'audience, enfin en prévoyant la notification de l'ordonnance de carence aux copropriétaires ;

- faciliter les relogements ;

- faciliter la création d'ORCOD-IN en supprimant des critères à remplir pour déclarer d'intérêt national une ORCOD, le critère relatif à la présence d'une ou plusieurs copropriétés bénéficiant d'un plan de sauvegarde ;

- instaurer une procédure de prise de possession anticipée accélérée pour les bâtiments dégradés situés dans les ORCOD-IN, lorsque des risques sérieux pour la sécurité des occupants rendent nécessaires la prise de possession anticipée et qu'un projet de plan de relogement des occupants a été établi ;

- autoriser d'autres opérateurs que les établissements publics fonciers d'État à mettre en oeuvre une ORCOD-IN permettant ainsi d'appliquer ce dispositif dans des territoires où il n'existe pas d'établissement public foncier d'État.

La loi ELAN prévoit également plusieurs mesures pour renforcer la lutte contre l'habitat indigne :

• modification de la procédure de déclaration préalable et d'autorisation préalable de mise en location communément appelée « permis de louer » afin de permettre aux établissements publics de coopération intercommunale ayant la compétence en matière d'habitat de déléguer aux communes qui le demanderaient la mise en oeuvre de ces procédures ;

• information du maire par le notaire lorsqu'une vente n'a pu avoir lieu en raison de l'interdiction d'acheter pesant sur un marchand de sommeil ;

• obligation pour les agents immobiliers de déclarer au procureur de la République les agissements des marchands de sommeil ;

• automaticité de certaines peines, comme la confiscation des biens ayant servi à l'infraction pour les personnes morales dont usent les marchands de sommeil ;

• possibilité pour le juge de confisquer des biens du patrimoine des marchands de sommeil, au-delà de ceux ayant servi à l'infraction.

Au regard des différents événements survenus notamment à Marseille, votre rapporteur estime qu'un bilan devra être fait de la situation en France des immeubles menaçant de s'effondrer et pour voir si d'autres mesures doivent être prises pour améliorer le traitement des copropriétés dégradées et la lutte contre l'habitat indigne.

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