EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. APRÈS DEUX PLANS PLURIANNUELS, LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES ADDICTIONS DOIT ÊTRE CONSOLIDÉE

A. LA RELATIVE DIMINUTION DE L'USAGE DE SUBSTANCES PSYCHOACTIVES NE DOIT PAS MASQUER DES NIVEAUX DE CONSOMMATION ENCORE ÉLEVÉS

1. Une tendance à la baisse pour la consommation d'alcool et de tabac, malgré des niveaux de consommation encore très élevés

Les dernières données en matière d'évolution de la consommation de substances psychoactives en France montrent une inflexion des usages réguliers d'alcool et une baisse du nombre de fumeurs de tabac .

a) La baisse inédite du nombre de consommateurs de tabac est le résultat encourageant d'une politique volontariste de « guerre au tabac ».

Les plans de réduction du tabagisme et les différentes mesures prises au cours des dernières années commencent à porter leurs fruits. Le bannissement du tabac de l'espace public et les messages récurrents des autorités publiques et sanitaires sur les dangers du tabac ont engendré une dé-normalisation de l'image du tabac . En outre, la hausse des prix a conduit à un net effet d'éviction . En vertu du programme national de réduction du tabagisme (2014), le paquet neutre standardisé (PNS) a été mis en place le 1 er janvier 2017, ainsi que le doublement de la taille des avertissements sanitaires sur les paquets et l'interdiction des arômes.

Le directeur général de Santé publique France, François Bourdillon, s'est félicité de la récente baisse « considérable » 1 ( * ) du nombre d'usagers de tabac : en 2017, 26,9 % des Français fumaient quotidiennement, contre 29,4 % en 2016. Cela correspond, en chiffres bruts, à une diminution d'un million de fumeurs quotidiens , leur nombre passant de 13,2 à 12,2 millions. Les données relatives à la diminution de la consommation de tabac en France sont d'autant plus encourageantes que le tabac est une substance extrêmement addictive : 82 % des personnes ayant fumé au moins une fois dans l'année fument plus de dix fois par mois.

Part de fumeurs quotidiens dans la population

2000

30 %

2005

27,5 %

2010

29,7 %

2014

28,5 %

2015

29,4 %

2016

29,4 %

2017

26,9 %

Source : Santé publique France

La baisse est plus marquée pour les hommes (- 3,2 points) que pour les femmes (- 1,8 point). Elle est aussi particulièrement nette pour la jeune génération ; chez les hommes entre 18 et 24 ans, la consommation de tabac a diminué de quasiment 9 points en trois ans (de 44,2 % à 35,3 %), soit environ 240 000 fumeurs de moins. Il s'agit du plus bas niveau atteint depuis 2000 pour cette tranche d'âge. Chez les adolescents de 17 ans 2 ( * ) , la consommation a diminué de 7 points entre 2014 et 2017. Seul un quart d'entre eux fumait quotidiennement en 2017 contre près d'un tiers en 2014. Les niveaux d'usage mesurés en 2017 sont parmi les plus bas observés depuis 2000 : la part des abstinents a plus que doublé, passant de 5,1 % en 2008 à 11,7 % en 2017.

Un autre élément de satisfaction réside dans le fait que la baisse de la consommation de tabac concerne pour la première fois toutes les catégories sociales, y compris les plus défavorisées : 43 % des chômeurs fument (baisse de 6,2 points), et 36,3 % des personnes sans diplôme (baisse de 4,7 points).

Entre 2016 et 2017, les ventes de cigarettes ont chuté de 0,7 % et celles du tabac à rouler de 5,1 % 3 ( * ) . Parallèlement, les ventes de traitements d'aide à l'arrêt ont progressé de 28 % en 2017. Elles semblent avoir profité de la mesure qui a porté à 150 euros la prise en charge annuelle de l'assurance maladie. Plus de deux millions et demi de patients bénéficient d'un tel traitement.

Le programme national de lutte contre le tabac

Initié en 2018, le programme national de lutte contre le tabac a pour objectif de faire chuter le taux de fumeurs quotidiens en dessous de 17 % en 2027, soit 5 millions de fumeurs de moins, avec une étape à moins de 22 % en 2022 et une étape à moins de 20 % en 2024. Cette baisse du nombre de fumeurs résulterait notamment de la hausse progressive du prix du tabac : d'ici à novembre 2020, l'objectif affiché par le Gouvernement est de faire passer le prix du paquet de cigarettes à 10 euros. Des hausses de 50 centimes d'euro devraient intervenir en avril 2019, en novembre 2019, puis en avril 2020. Une hausse de 40 centimes couronnera cette augmentation en novembre 2020.

b) L'alcool demeure une substance banalisée et massivement consommée, en dépit de risques sanitaires majeurs

Les niveaux de consommation d'alcool en France demeurent très élevés même si la consommation d'alcool a diminué de 50 % en un demi-siècle. La consommation en France est la troisième la plus élevée des pays de l'OCDE , derrière la Lituanie et l'Estonie, avec une moyenne de 11,1 litres d'alcool pur par habitant contre 8,8 litres dans les pays de l'OCDE (25 % supérieure). Cette quantité équivaut à une moyenne d'environ deux verres et demi d'alcool par jour et par habitant. L'alcool le plus consommé en France est le vin, à hauteur de 60 % des consommations.

Parmi les 18-75 ans, on recense 10 % de consommateurs quotidiens ; près de 9 personnes sur 10 (87 %) déclarent avoir bu de l'alcool au moins une fois dans l'année ; 38 % déclarent boire de l'alcool moins d'une fois par semaine, 39 % au moins une fois par semaine et 10 % boire quotidiennement de l'alcool - ce type de consommation se rencontrant presque exclusivement chez les personnes de plus de 50 ans.

8 % des 18-75 ans sont des consommateurs d'alcool « à risques », soit 3,4 millions de personnes . On estime que 1,2 à 1,5 million de Français sont dépendants à l'alcool et que 49 000 décès sont attribuables à l'alcool chaque année. L'alcool est la première cause d'hospitalisation en France (580 000 patients pour un coût de à 2,6 milliards d'euros). Le coût social de l'alcool est estimé, par l'économiste Pierre Kopp, à 118 milliards d'euros. L'alcool est impliqué dans plus de la moitié des violences faites aux femmes et aux enfants.

Il demeure la substance psychoactive la plus largement expérimentée par les adolescents : on recense 12 % de consommateurs réguliers parmi les jeunes de 17 ans. Il jouit auprès d'eux d'une excellente réputation ; il est associé à la fête, à la convivialité ; ses risques sont peu évoqués voire minimisés. Néanmoins, la dernière enquête Escapad (2017) indique une baisse du pourcentage de jeunes ayant expérimenté l'alcool à 17 ans ainsi qu'une baisse de la consommation régulière d'alcool chez ce public : 8,4 % des jeunes, en net recul par rapport à 2014 (12,3 %).

Les chiffres relatifs aux alcoolisations paroxystiques intermittentes (API) ou « binge drinking » demeurent inquiétants même si en diminution : définie par la consommation d'au moins cinq verres d'alcool en une seule occasion, 44 % des jeunes disent avoir connu un tel épisode dans le mois précédent l'enquête, contre 48,8 % en 2014. En comparaison, seulement 17 % des 18-75 ans déclarent une API au cours du mois écoulé. On observe donc un passage d'un mode de consommation dite « humide », c'est-à-dire très régulière mais sans recherche d'ivresse, à un mode de consommation à l'anglo-saxonne, « sèche », consistant à boire épisodiquement mais en recherchant l'ivresse.

Les producteurs d'alcool peuvent-il mener
des campagnes de prévention efficaces ?

La contribution des filières de boissons alcoolisées au plan national de santé publique, publiée en juin 2018, était destinée à renforcer la lutte contre les comportements et les situations à risques en lien avec la consommation de boissons alcoolisées et à favoriser la responsabilité dans la consommation.

Ses contributeurs - Avec modération !, brasseurs de France, vin & société, fédération française des spiritueux et fédération française des vins d'apéritif - proposent de financer trente mesures sur quatre ans afin de lutter contre les situations à risques et d'encourager la consommation responsable. La filière viticole prévoit d'investir deux millions d'euros dans ce plan, quand les brasseurs et le secteur des spiritueux y injecteraient près de trois millions d'euros.

Dans le cadre de l'élaboration du plan addictions 2018-2022, ce document a fait grand bruit. De nombreux acteurs du champ de l'addiction l'ont dénoncé et ont pointé du doigt la contradiction qu'il y avait à présenter de telles mesures de la part des producteurs d'alcool. Ainsi, la Société française d'alcoologie a dénoncé des « mesurettes », et la Fédération française d'addictologie (FFA) l'inefficacité des dispositifs envisagés. Rappelons que le budget de publicité et de marketing du secteur de l'alcool, estimé à plus de 500 millions d'euros annuels, est 500 fois plus élevé que le montant de cinq millions d'euros sur cinq ans que les producteurs prévoient d'allouer à leur campagne de prévention.

2. Le dispositif juridique encadrant la consommation de cannabis ne permet pas d'endiguer sa diffusion, notamment chez les jeunes

On estime qu'environ 1 % des adultes entre 15 et 64 ans dans l'UE à 28 consomment quotidiennement du cannabis. 28 % des personnes qui en ont fumé dans l'année sont des usagers réguliers, c'est-à-dire qu'ils en consomment au moins dix fois par mois. En Europe, la France se situe dans la fourchette haute des pays consommateurs de cannabis. Un quart des français de 11 à 75 ans déclare en avoir déjà fait usage - un niveau d'expérimentation qui reste stable - et 11 % des 15-64 ans en ont consommé au cours de la dernière année.

Son usage est beaucoup plus important chez les jeunes, puisque le taux de consommation des 18-25 ans est trois fois supérieur à la moyenne nationale. 39 % des jeunes de 17 ans ont déjà fumé du cannabis au cours de leur vie. Ce chiffre impressionnant ne doit pas faire oublier que cette prévalence est la plus basse jamais enregistrée depuis 2000, inférieure de 9 points à celle de 2014 . En revanche, les pratiques problématiques semblent augmenter , puisque 7,4 % des adolescents de 17 ans seraient susceptibles de présenter un risque élevé d'usage problématique de cannabis, soit environ 60 000 jeunes . Parallèlement à cette consommation massive, les risques du cannabis ne sont jamais évoqués dans les discours des jeunes.

La substance suscite une première impression souvent positive, et est perçue comme un produit naturel et sain. Sa large diffusion en fait un produit extrêmement normalisé, convivial et dédramatisé . En pratique, tout se passe comme si les représentations négatives du tabac contribuaient à la normalisation du cannabis , qui semble bénéficier de ce discrédit.

En revanche, un consensus scientifique existe pour juger que l'usage de cannabis à l'adolescence, une période majeure de neuroplasticité, présente des risques importants : chute du quotient intellectuel, troubles de la mémoire, risque de schizophrénie. Le fait d'être consommateur de cannabis accroît le risque de présenter des manifestations psychotiques, d'autant plus si l'on est consommateur avant 15 ans. Dans cette perspective, l'augmentation par dix de sa teneur en tetrahydrocannabinol (THC), qui atteint souvent désormais un quart du produit, est une source d'inquiétude pour les autorités sanitaires.

La légalisation du cannabis dans certains États aiguise des appétits financiers féroces. Par exemple, au Canada, 20 à 25 milliards de dollars de profit sont espérés d'ici 25 ans suite à la légalisation intervenue en octobre 2018.

3. La consommation d'héroïne, de cocaïne et de nouveaux produits de synthèse
a) Une vigilance marquée est nécessaire pour se prémunir de la crise des opioïdes qui sévit en Amérique du Nord

Depuis le début de la décennie, l'Amérique du Nord est touchée par une surconsommation de substances opioïdes ayant entrainé des dizaines de milliers de morts et des comorbidités massives . Le nombre d'overdoses mortelles aux États-Unis ne cesse de croître : 54 000 en 2015, 67 000 en 2016 et 72 000 personnes en 2017, dont deux tiers causées par des opioïdes. L'overdose par opioïdes est d'ailleurs devenue la première cause de mortalité accidentelle . Cette épidémie a fait chuter l'espérance de vie et a des conséquences économiques néfastes.

La mortalité est socialement distribuée, les régions désindustrialisées étant les plus touchées. Sur près de 92 millions de personnes ayant utilisé un antidouleur opioïde en 2016, plus de 11 millions en ont fait un usage excessif. Les médecins ont prescrit excessivement et massivement, y compris pour des douleurs chroniques de faible intensité, des opioïdes forts, dont le fentanyl et l'oxycodone. Des millions de patients sont ainsi devenu dépendants aux substances opioïdes (héroïne ou fentanyloïdes). À l'automne 2017, le Président Trump a déploré que cette situation sanitaire soit « la pire crise liée à la drogue » de l'histoire des États-Unis et a déclaré que ce fléau était devenu une « urgence sanitaire nationale ».

Doit-on craindre une contagion de la crise en Europe et en France ? La vigilance est forte à l'échelle européenne . Le nombre officiel de morts par surdose frôlait 8 500 en 2015, dont près de 3 500 issus du Royaume-Uni. Les opioïdes sont impliqués en moyenne dans 80 % des décès liés à une consommation de drogue. L'Office européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), dans son rapport européen sur les drogues publié le 7 juin 2018, note que : « 38 nouveaux opioïdes de synthèse ont été détectés sur le marché européen des drogues depuis 2009, dont 13 en 2017. Les dérivés du fentanyl nécessitent une préoccupation et une vigilance constante en Europe. Ces substances, parfois beaucoup plus puissantes que la morphine, représentaient plus de 70 % des 1 600 saisies estimées de nouveaux opioïdes de synthèse signalées en 2016. Dix nouveaux dérivés du fentanyl ont été signalés en 2017. »

En France, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) estime que la surdose de médicaments opioïdes constitue désormais la première cause de morts par overdose en France .

La ministre des Solidarités et de la Santé a signé, en juillet 2017 , un arrêté inscrivant tous les médicaments contenant de la codéine sur la liste des médicaments disponibles uniquement sur ordonnance. Cela visait notamment à endiguer le développement de la consommation de purple drank , un cocktail mélangeant des médicaments codéinés avec des sodas ou de l'alcool, que 8,5 % des jeunes de 17 ans déclaraient avoir déjà expérimenté. Suite à cette décision, les usagers de ces antalgiques ont arrêté une consommation parfois ancienne de plusieurs années. Certains ont alors découvert leur dépendance et les risques associés à la consommation de ces médicaments. Toutes les personnes qui se sont manifestées ont pu bénéficier d'une orientation et d'un suivi adapté. Une baisse des ventes des médicaments associant paracétamol et codéine a été observée dès 2017.

En lien avec une amélioration de la prise en charge de la douleur, la consommation des antalgiques opioïdes a progressé en France ces dernières années. Si les opioïdes dits faibles ont été moins consommés, le nombre d'antalgiques de palier 2 est passé de 58 millions de boîtes vendues en 2008 à plus de 84 millions en 2017. Ceux de palier 3 (Skenan, Fentanyl, Oxycontin) de 10 à 12 millions.

La consommation de ces derniers a bondi de 88 % entre 2004 et 2017. La consommation d'oxycodone, l'une des principales molécules impliquée dans la crise sanitaire aux États-Unis, a augmenté de 1 500 % entre 2004 et 2017, concomitamment à l'élargissement de ses indications. Logiquement, le nombre d'abus, de mésusage et d'usage détourné impliquant des antalgiques opioïdes s'est accru . Les hospitalisations pour intoxication aux opioïdes ont été multipliées par 2,3 entre 2000 et 2015. L'enquête Décès Toxiques par Antalgiques (DTA) mise en place depuis 2013, recense uniquement 84 décès impliquant des antalgiques en 2016. Les médicaments en cause sont le tramadol (44 % des décès), la morphine (26 %), l'oxycodone (10 %) et le fentanyl (5 %). Cette enquête est jugée très parcellaire : le Pr Jean-Michel Delile, addictologue et président de la Fédération addictions, que nous avons auditionné, estime que 500 à 800 personnes décèdent annuellement du fait d'une surconsommation de médicaments opioïdes. 1 à 2 % des patients souffrant de douleurs chroniques non cancéreuses et à qui l'on prescrit des opiacés seraient à risque de développer une addiction.

Le contexte international et l'augmentation de la disponibilité de l'héroïne dans plusieurs régions françaises invitent à une vigilance extrême . La Direction générale de la santé a mis en place un groupe de travail pour contribuer à l'élaboration d'une feuille de route commune visant à anticiper la survenue d'une crise opioïde en France, avec l'objectif de garantir l'accessibilité des opioïdes aux patients qui en ont besoin, tout en sécurisant au mieux leur utilisation.

Parallèlement, en novembre 2017 a été créé l'Observatoire français des médicaments antalgiques (Ofma) à Clermont-Ferrand. Si l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) assure la surveillance des médicaments opioïdes via son réseau d'addictovigilance, la mission de l'Ofma est d' optimiser la pharmaco-surveillance de l'ensemble des médicaments antalgiques - opioïdes ou pas - et de promouvoir leur bon usage L'ANSM et la Mildeca sont représentées au sein du conseil scientifique de ce nouvel observatoire. Il s'agira surtout de veiller à ne pas trop élargir les indications thérapeutiques des médicaments opioïdes, eu égard au fort potentiel addictif qu'ils présentent.

Source : Observatoire français des médicaments antalgiques

Enfin, pour prévenir les cas de surdoses, les pouvoirs publics favorisent le développement de l'utilisation de médicaments à base de Naloxone , un antidote aux effets antagonistes de ceux des opiacés. L'autorisation de mise sur le marché d'un spray nasal à base de Naloxone est intervenue en janvier 2018. Ce traitement est disponible gratuitement dans les établissements de santé, les CSAPA et les CAARUD. Néanmoins, en l'absence d'accord tarifaire entre le laboratoire produisant ce médicament et les autorités de santé, il ne peut toujours pas être délivré en pharmacie d'officine actuellement. Il serait pourtant particulièrement utile que les Français usagers d'opioïdes forts en disposent à leur domicile. Cet antidote est un outil de prévention fondamental et permettrait d'éviter de nombreux décès ainsi que des séquelles liés à des comas. Son coût, avoisinant les 100 euros, est jugé trop élevé par les professionnels du secteur de l'addiction. La Mildeca, en lien avec la DGS, finance via le fonds de concours, à hauteur de 55 000 euros, un projet d'accompagnement à l'accessibilité et à l'appropriation des outils de prévention des risques mortels liés à la consommation d'opiacés, dont les médicaments à base de Naloxone.

En France, 230 000 personnes sont injecteurs de drogues. Les traitements de substitution aux opiacés (TSO) sont, depuis le milieu des années 1990, l'un des principaux instruments de la réduction des risques . Leur impact positif en matière de santé publique est indéniable : faire régresser les dommages sanitaires et sociaux notamment liés à l'injection, tout en permettant aux personnes souffrant d'une addiction aux opiacés de stabiliser leur consommation, de se réinsérer et éventuellement de se sevrer. 180 000 personnes suivent un traitement de substitution aux opiacés (TSO). Le sevrage est particulièrement ardu puisque 45 % des consommateurs sont encore sous TSO quatre ans après leur premier remboursement.

b) L'augmentation de l'offre de cocaïne engendre l'explosion du nombre de ses expérimentateurs

La cocaïne est le stimulant illicite le plus consommé en Europe . Si son prix reste stable, autour de 65 euros le gramme, la pureté du produit a atteint son degré le plus élevé. Cet essor est à mettre en perspective avec le doublement de la production mondiale de cocaïne ces dernières années.

En France, on estime que 6 % de la population a déjà expérimenté cette substance , soit une multiplication par 6 en 20 ans . Cette augmentation atteste d'une diffusion importante ainsi que d'une certaine banalisation des modes d'usage de la cocaïne. On recense 6 à 700 000 usagers de cocaïne dans l'année, un chiffre multiplié par quatre en deux décennies. 20 % des usagers de cocaïne en deviennent dépendants, dont 5 % dès la première année d'usage. Les comorbidités relèvent principalement de troubles psychiatriques.

La cocaïne peut se présenter sous deux formes : soit une poudre blanche floconneuse et cristalline, peu soluble dans l'eau et consommée par sniff ou voie intraveineuse ; soit sous forme de mélange avec du bicarbonate de soude ou avec de l'ammoniaque (crack ou free base) ; elle est alors inhalée, ou ses résidus sont injectés. On observe en France une extension progressive mais régulière de la consommation de cocaïne sous forme basée . Cette pratique initialement circonscrite à l'espace festif alternatif s'est étendue à des populations plus larges d'usagers de cocaïne. Depuis le milieu des années 2010, les consommations de crack se sont accélérées dans toute l'Ile-de-France - son usage était jusqu'alors circonscrit à Paris intramuros. Les usagers de crack intensifient leurs consommations tandis que les autres profils d'usagers de drogues reçus dans les structures de réduction des risques se tournent également vers le crack. Ce dernier est désormais consommé par son « traditionnel » public de rue , mais aussi par une population mieux insérée socialement . Révélateur de ce phénomène, les quantités de matériel distribué pour fumer le crack sont déclarées en très forte hausse par les structures qui les mettent à disposition des usagers.

c) La diffusion des nouveaux produits de synthèse

Les nouveaux produits de synthèse recoupent plus de 600 molécules (cannabinoïdes, psychostimulants, MDMA, GHB et GBL...) synthétisées par des chimistes en laboratoires. Leur percée est préoccupante depuis 2008, mais les niveaux de consommation en France sont très faibles par rapport à ceux des autres pays européens . Les NPS sont souvent vendus sur Internet, de 8 à 20 euros le gramme avec des prix dégressifs. Leurs consommateurs sont pour la plupart âgés de plus de 25 ans. Leur diffusion tend à s'élargir d'un groupe vers un autre ; par exemple, le « chem-sex » c'est-à-dire l'utilisation de produits psychoactifs dans un contexte sexuel, fut cantonné jusqu'à récemment au milieu homosexuel mais se diffuse actuellement dans la population générale.

d) Les salles de consommation à moindre risque (SCMR), un dispositif expérimental adapté à des situations sanitaires préoccupantes

Les salles de consommation à moindre risque (SCMR), dont l'expérimentation est prévue par l'article 43 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, constituent une nouveauté dans l'arsenal français de la politique de réduction des risques et des dommages. Les SCMR ne visent pas nécessairement l'arrêt de la consommation mais la réduction des risques sanitaires liés à la consommation de substances illicites. Le modèle français de réduction des risques se caractérise par une bonne accessibilité des TSO , mais des efforts restent à faire concernant l' accès aux seringues (12 millions de seringues sont distribuées chaque année). La politique de réduction des risques et des dommages en France a eu un impact important sur la réduction de la transmission du VIH mais cet effet est plus limité pour le VHC .

Dans les deux pays précurseurs dans l'ouverture de salle d'injection médicalement supervisée, les Pays-Bas et la Suisse, la politique de réduction des risques a permis de lutter contre le VHC, dix fois plus transmissible que le VIH.

Deux salles de consommation à moindre risque sont actuellement en activité en France, à Paris et Strasbourg , pour des expérimentations de six ans à compter de la date d'ouverture du premier espace en octobre 2016. Le financement de ces structures repose sur une convention entre l'assurance maladie, l'association qui gère la salle et l'agence régionale de santé. Un comité de pilotage national , présidé par la Mildeca permet de suivre l'état d'avancement du dispositif et de son évaluation. L'expérimentation des SCMR bénéficie d'une évaluation confiée par l'Inserm à un consortium de recherche. Elle portera sur la santé publique et sur l'ordre public.

À l'initiative de la Mildeca, ces deux volets d'évaluation seront complétés par un volet économique. Les premiers résultats de ces recherches sont attendus fin 2019. Dans un délai de six mois avant le terme de l'expérimentation, le Gouvernement adressera au Parlement un rapport d'évaluation portant notamment sur son impact sur la santé publique et sur la réduction des nuisances dans l'espace public.

Dans l'attente de ces différents éléments d'évaluation, un bilan sanitaire positif de ces deux structures peut d'ores et déjà être établi, au regard de la situation sociale et médicale dégradée des usagers . À Paris, 40 % n'ont pas de revenus et 60 % sont sans domicile fixe. À Strasbourg, 49 % des usagers vivent en situation précaire et 18 % sont sans ressources.

Outre la consommation à moindre risque, l'activité au sein des salles intègre des consultations médicales et infirmières , des tests de dépistages des maladies infectieuses liées à la consommation de drogues, des entretiens de prévention des risques et des dommages, un suivi psychologique et psychiatrique ainsi que des entretiens avec des travailleurs sociaux . Les salariés des associations accompagnent les usagers de la salle dans leurs démarches administratives, médicales et sociales.

Votre rapporteur pour avis a visité l'espace Gaïa, qui est la première salle de consommation à moindre risque à avoir ouvert en France, en octobre 2016 dans le 10 ème arrondissement de Paris. Deux produits y sont principalement consommés : le skenan (sulfate de morphine à libération prolongée), représentant 42 % des passages et le crack , 43 % (dont un tiers injecté). L'héroïne représente seulement 1,2 % des consommations - le skenan est moins cher, et son dosage standardisé permet de limiter les risques d'overdose. L'âge moyen des usagers est de 37 ans, et 87 % sont des hommes.

L'espace Gaïa, du nom de l'association qui gère la SCMR, est divisé en trois parties :

• Un espace d'accueil , qui permet de filtrer les usagers (ceux qui sont trop violents peuvent être exclus temporairement, ou, exceptionnellement, de manière définitive de la SCMR) et de contrôler les produits que les usagers souhaitent consommer. Tout usager de la SCMR doit être inscrit et répond donc, lors de la sa première venue et de manière anonyme, à un questionnaire exhaustif sur ses consommations, son mode de vie et sa santé.

• Une salle de consommation , scindée en deux parties : douze places pour l'injection, et quatre à six places disposées dans un fumoir et destiné à l'inhalation. Un cabinet infirmier est annexé à la salle de consommation.

• Une salle de repos et d'échange avec les personnels de la SCMR.

La phase expérimentale d'implantation des SCMR permet aux acteurs de s'adapter aux difficultés rencontrées. Ainsi, à Paris, face à l'afflux de la demande, l'espace Gaïa avait cessé de distribuer dès 2017 des « kits crack » et des ajustements de moyens ont eu lieu au cours de l'année 2018 :

• Le temps infirmier a été augmenté afin d'améliorer la réponse sanitaire les week-ends ;

• L'augmentation du temps d'intervention en maraude a également été jugé nécessaire avec un triple objectif : ramasser le matériel usager, rencontrer les riverains et orienter les usagers de drogues vers la salle de consommation ;

• Afin d'augmenter le nombre de dépistages réalisés dans la salle, des « testings weeks » (semaines de tests) ont été mises en place : elles consistent en des campagnes de dépistage qui ont lieu une semaine par trimestre.

Ces ajustements de moyens confirment la nécessité d'un suivi serré et réactif de l'expérimentation. Un comité de voisinage se réunit tous les trois à quatre mois pour évoquer les problèmes liés à la l'ouverture de la SCMR. Depuis l'ouverture de la salle, on estime que le nombre de déchets infectieux retrouvés sur la voie publique est en diminution (de 60 % pour les seringues). Il demeure toutefois impossible de garantir l'invisibilité des consommateurs de drogues autour de la salle.

À Paris, la salle paraît être victime de son succès . Sa file active est composée de pas moins de 1 100 personnes , en relative augmentation depuis son ouverture. Le nombre moyen de passages par jour est de 180 à 220, avec des pics à 250 passages. Il s'agit d'une structure de taille conséquente. À titre de comparaison, la salle de Strasbourg accueille 60 à 80 passages quotidiens.

L'implantation de nouvelles SCMR relève d'une initiative locale concertée du maire de la commune, du directeur général de l'ARS et du chef de projet régional de la Mildeca. En vertu du point 5 du cahier des charges national de l'expérimentation, aucune nouvelle expérimentation ne pourra être menée après octobre 2019 puisque « chaque projet de SCMR doit être opérationnel pour une durée minimale de trois ans ». La Mildeca plaide pour que ce point du cahier des charges soit assoupli par la ministre des solidarités et de la santé, au même titre que le fait que seuls les usagers injecteurs puissent être pris en charge par les SCMR - car cela exclut de fait les fumeurs de crack.

Une adaptation conséquente du nombre de SCMR parait souhaitable en Ile-de-France , eu égard au nombre d'habitants dans l'agglomération parisienne (12 millions) et aux besoins des usagers de crack, qui seraient 8 500 dans Paris intramuros et 15 000 en Ile-de-France.

À Amsterdam, on dénombre 9 salles pour une agglomération d'1,3 million d'habitants ; 8 à Hambourg pour 3,5 millions d'habitants ; 4 à Francfort pour 5,5 millions d'habitants dans l'agglomération ; 3 à Barcelone pour 5 millions d'habitants. L'ouverture de nouvelles structures franciliennes permettrait de décharger celle du 10 ème arrondissement et de favoriser de meilleures conditions de vie pour ses riverains. L'attention du rapporteur pour avis a en outre été attirée sur les difficultés, pour les usagers de drogues de Seine-St-Denis , d'avoir accès à du matériel d'injection ou d'inhalation dans des conditions satisfaisantes.

4. Les addictions sans substances, le nouveau visage de la dépendance ?

Les usages d'écrans, de jeux vidéo et de jeux de hasard et d'argent sont à risque d'addiction. Mais à la différence de certaines addictions avec substances, qui concernent peu de personnes très majoritairement dépendantes, ces phénomènes sont massifs et nécessitent de repérer la toute petite minorité qui, du fait de vulnérabilités particulières , est exposée à une perte de contrôle . Il faut en outre distinguer les conduites excessives , certes nuisibles, de conduites réellement addictives .

Utiliser des écrans apparait aujourd'hui comme la première pratique de loisirs journalière . Les 13-19 ans sont connectés en moyenne 15 h 11 par semaine (soit une progression de 1 h 30 sur trois ans). L'âge moyen d'obtention du premier smartphone est de 11 ans et demi. Un quart des 18-22 ans passe plus de cinq heures par jour sur les réseaux sociaux, et 10 % plus de huit heures. Si les données scientifiques sont encore insuffisantes pour estimer avec précision les usages problématiques voire les conduites addictives qu'induisent les usages d'écrans, il convient de rester vigilant pour qu'une pratique excessive de l'enfant et de l'adolescent ne nuise pas à sa santé ni à son développement et ne devienne pas pathologique à l'âge adulte.

Les recommandations actuelles des autorités françaises (règle des 3-6-9-12) s'accompagnent d'un message généraliste sur l'intérêt de limiter l'usage des écrans , chez les enfants comme chez les adultes. La proposition de loi de Mme Catherine Morin-Desailly, déposée au Sénat le 5 septembre dernier, vise à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans : d'une part en obligeant les fabricants d'ordinateurs, de tablette et de jeu disposant d'un écran à indiquer que leur utilisation peut nuire au développement psychomoteur des enfants de moins de trois ans ; d'autre part en imposant une campagne nationale annuelle de sensibilisation aux bonnes pratiques en matière d'exposition des enfants aux écrans.

La dépendance aux images pornographiques est caractérisée par un besoin irrésistible d'aller sur les sites à contenu pornographique, un sentiment de dépendance , un rythme décalé entre le jour et la nuit, une tendance à regarder des scènes de plus en plus dures pour maintenir un niveau d'excitation et l'expression d'un symptôme de manque (psychologique ou physique : douleurs musculaires, palpitations, état de tension, idées obsédantes...). Au-delà de la pure dépendance, le visionnage excessif de contenu pornographique peut engendrer un isolement , perturber les relations aux autres, dégrader l'image des femmes et impliquer une perte de contrôle plus générale sur l'utilisation d'écrans. Les usagers sont de plus en plus jeunes : 52 % des jeunes de 15 à 17 ans ont déjà regardé une vidéo pornographique, dont 18 % au cours des trois derniers mois 4 ( * ) . 20 % des jeunes de 14 à 24 ans regardent de la pornographie au moins une fois par semaine, 9 % une fois par jour et 5 % plusieurs fois par jour 5 ( * ) .

La pratique des jeux vidéo peut également devenir source de dépendance. L'organisation mondiale de la santé (OMS) a intégré, en janvier 2018, l'addiction aux jeux vidéo dans sa classification internationale des maladies (CIM). Elle y est définie comme « un comportement lié à la pratique des jeux vidéo ou des jeux numériques, qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prend le pas sur d'autres centres d'intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables ». Des études internationales indiquent que 1 à 5 % des adolescents seraient dépendants aux jeux vidéo .

Enfin, le développement d'Internet a contribué au développement des jeux d'argent et de hasard . Les conditions pour qualifier un jeu d'argent sont la disponibilité au public, un sacrifice financier et une espérance de gain. Le marché des jeux en ligne a été ouvert à la concurrence en 2010 pour le poker et les paris sportifs et hippiques.

Selon l'observatoire des jeux, les dépenses de jeux des Français ont augmenté de 44 % entre 2000 et 2016 , passant de 134 à 193 euros par an et par habitant majeur. Le développement de la demande a engendré une augmentation des joueurs à risque modéré (de 0,9 % à 2,2 % entre 2010 et 2016) ; le pourcentage de joueurs excessif est stable, autour de 0,5 %. Alors même que ces jeux sont censés être interdits à la vente pour les mineurs, 39 % des jeunes de 17 ans ont joué à au moins un jeu d'argent et de hasard dans l'année et 27 % dans la semaine écoulée (contre 10 % en 2016). 13 % des 14-24 ans joue au moins une fois par semaine à un jeu d'argent.


* 1 Le baromètre santé publié le 28 mai 2018 par Santé publique France résulte d'une enquête réalisée entre janvier et juillet 2017 sur un échantillon de 25 000 personnes âgées de 18 à 75 ans.

* 2 Enquête Escapad de 2017, OFDT.

* 3 Tableau de bord tabac de l'OFDT, 15 mars 2018.

* 4 Enquête Ifop du 20 mars 2017.

* 5 Enquête Ipsos du 8 juin 2018, réalisée pour la Fondation Gabriel Péri, le Fonds actions addiction et la Fondation pour l'innovation.

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