EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le 21 novembre 2018, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission examine le rapport pour avis de M. Philippe Mouiller sur le projet de loi de finances pour 2019 (mission « Solidarité, insertion et égalité des chances »).

M. Alain Milon, président. - Nous examinons le rapport pour avis de notre collègue Philippe Mouiller sur les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis . - Les crédits de paiement de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » s'élèveront en 2019 à un peu plus de 21 milliards d'euros. Par rapport aux crédits ouverts par la loi de finances initiale pour 2018, ils traduisent une augmentation de 7,5 %, que l'on doit ramener, compte tenu de l'ouverture de crédits supplémentaires de 360 millions d'euros figurant au projet de loi de finances rectificative pour 2018, à 7,1 %.

La mission « Solidarité » se distingue ainsi des autres missions, en ce que le fait générateur de la dépense, étroitement lié au nombre de bénéficiaires des deux principales allocations de solidarité versées par l'État (prime d'activité et allocation adulte handicapé), présente un caractère foncièrement imprévisible. Le dynamisme budgétaire des crédits de solidarité se justifie en effet par leur vocation à « redonner du pouvoir d'achat aux Français et à valoriser le travail », sans que cet objectif n'ait jamais été cadré par un pilotage précis.

Je me dois d'insister sur un point qui, d'année en année, me paraît menacer un peu plus la cohérence globale de cette mission : le vocable « Solidarité » abrite deux dispositifs dont la vocation est résolument distincte. La nature profondément solidariste de l'AAH, que notre commission a récemment réaffirmée, semble de moins en moins compatible avec l'inflexion dont le Gouvernement entend revêtir la prime d'activité, dont il souhaite faire l'instrument principal d'une incitation au retour à l'emploi. L'examen conjoint des crédits alloués à ces deux prestations ne doit pas nous faire oublier leurs différences profondes.

Concernant la prime d'activité, je me suis, cette année encore, livré à un exercice que les pouvoirs publics n'ont toujours pas pris le temps de réaliser, se contentant de déduire le succès de la prime aux chiffres de son recours. Est-elle réellement un instrument efficace d'incitation financière à la reprise d'activité ?

Les modifications apportées par le projet de loi de finances pour 2019 l'inscrivent à n'en point douter dans cette voie. J'en veux pour preuve l'article 82 du PLF pour 2019, qui porte la création d'une seconde bonification individuelle du montant de la prime de 20 euros, limitée aux seuls bénéficiaires touchant des revenus professionnels compris entre 0,5 et 1 Smic. L'intention est clairement d'inciter les travailleurs déjà partiellement insérés dans l'emploi à s'y insérer davantage.

La réalité semble toutefois plus complexe, comme vous le montre le document qui vous est présenté, actualisé des mesures contenues dans le PLF pour 2019.

Les deux schémas figurant à gauche illustrent la situation financière de deux foyers - l'un célibataire, l'autre composé de deux personnes actives - n'ayant pas charge d'enfant. Dans ces deux cas, vous constatez que les effets de la prime d'activité se déploient pleinement dans des zones de rémunération situées aux alentours de 0,3 et 0,4 Smic net individuel. Le montant de prime d'activité perçu décroît assez rapidement en fonction de l'augmentation du revenu d'activité du bénéficiaire et s'annule autour d'une rémunération équivalente à un Smic net individuel. Ces deux graphiques nous inspirent la conclusion suivante : l'effet incitatif au retour à l'emploi est faible en comparaison de l'effet de soutien au pouvoir d'achat.

La conclusion est inverse pour les graphiques figurant à droite, qui matérialisent la situation de deux foyers avec enfants. On y constate que la prime d'activité atteint son niveau le plus élevé vers des zones de rémunération plus proches du Smic, là où les bénéficiaires se trouvent déjà partiellement intégrés dans l'emploi. Les effets incitatifs de la prime d'activité sont donc clairement démontrés dans le cas d'un foyer ayant charge d'enfant. J'attribue à ce phénomène l'explication suivante : l'effet incitatif de la prime, que le Gouvernement entend amplifier, n'est strictement acquis que pour les ménages bénéficiant déjà d'un certain revenu et surtout lorsqu'il se cumule avec celui, d'une toute nature, des dispositifs de politique familiale.

Nous devons donc nous montrer particulièrement attentifs aux effets croisés des différentes prestations sociales.

D'autant plus que l'examen de ces crédits est, cette année, particulièrement stratégique. Ils annoncent, par leur montant et leur destination, les grandes orientations de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté pour toute la suite du quinquennat. Il est donc fondamental que nous nous saisissions de ces enjeux et que nous nous extrayions de la logique strictement annuelle dans laquelle tout PLF est de nature à nous retenir.

J'identifie à ce stade deux risques principaux :

- de façon générale, je crains que les arbitrages budgétaires de la « stratégie pauvreté » soient principalement consacrés à l'incitation à la reprise d'activité, ce qui est une bonne chose, mais en oublie le soutien aux revenus les plus modestes. Le RSA n'a pour l'heure fait l'objet d'aucune annonce de revalorisation particulière, et la concentration sur la prime d'activité des efforts de lutte contre la pauvreté monétaire risque de privilégier les personnes touchant des revenus d'activité autour du Smic au détriment de ceux touchant des revenus inférieurs ;

- par ailleurs, la nature interministérielle de la stratégie ne nous prémunit pas d'un risque d'éclatement. De nombreux programmes (le 304 au titre de la solidarité monétaire, le 177 au titre de l'hébergement, le 102 au titre du travail) sont concernés et, à ce stade décisif de la concertation, nous ne voyons pas encore se dessiner de vision globale.

Cette absence de vision ne peut que nous inquiéter, alors même que l'Assemblée nationale adoptera dans les prochains jours une loi de financement de la sécurité sociale qui, en sous-revalorisant massivement les prestations sociales, ne manquera pas de conduire les retraités et les familles aux frontières de la pauvreté.

Plusieurs annonces importantes nous sont néanmoins parvenues. Les perspectives d'un revenu universel d'activité, dont les contours ne sont pas encore arbitrés, et d'un service public de l'insertion piloté par l'État figurent parmi les réformes structurelles les plus ambitieuses de cette « stratégie pauvreté ». Nous devrons nous montrer particulièrement attentifs à ces inflexions décisives qui, derrière un légitime objectif d'efficience, risquent de modifier en profondeur les grandes lignes de notre modèle de solidarité. À titre d'exemple, l'absorption des aides pour le logement dans le nouveau revenu universel d'activité aurait selon moi des conséquences importantes insuffisamment anticipées.

Venons-en maintenant au programme 157, qui retrace les crédits consacrés à l'allocation adulte handicapé (AAH). Leur niveau pour 2019 est annoncé à 10,3 milliards d'euros, soit une hausse importante de 6,2 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018. Cette augmentation sensible fait écho à une ambitieuse réforme de l'allocation, dont le Gouvernement a prévu de faire passer le montant de 810 à 900 euros mensuels d'ici le 1er novembre prochain. Je tiens à saluer cet effort. Cette mesure louable, prise en faveur du pouvoir d'achat des personnes handicapées dans l'incapacité d'exercer un emploi, est toutefois accompagnée d'ajustements paramétriques quelque peu inquiétants.

La première d'entre elles promet un « alignement des règles de prise en compte des revenus d'un couple bénéficiant de l'AAH sur celles d'un couple bénéficiant du RSA ». Il s'agit concrètement d'abaisser le plafond en-deçà duquel un couple d'allocataires peut bénéficier de deux AAH à taux plein : de 2, le coefficient multiplicateur passe progressivement à 1,9 en 2018, puis 1,8 en 2019. Cette redéfinition du plafond a suscité l'alerte de nombreuses associations du monde du handicap.

Cette réforme repose sur un postulat sur lequel, comme les rapporteurs de la commission des finances, j'émets de forts doutes : le rapprochement de l'AAH et du RSA suggère une parenté contestable entre ces deux prestations. Le RSA, parfois augmenté de la prime d'activité, est un minimum social dû au titre de la solidarité nationale et conçu pour inciter à la reprise d'un emploi ; l'AAH est un revenu de remplacement qui vise un public spécifique plus qu'elle ne sert un objectif. Il s'agit d'une aide et non d'une incitation destinée à éviter les « trappes à inactivité ». Les plus fervents défenseurs d'une allocation de solidarité unique se sont d'ailleurs toujours montrés favorables à ce que soit maintenue, autrement que par de simples modulations de montant, la spécificité des bénéficiaires atteints de handicap.

Une autre réforme, contenue à l'article 83 du présent projet de loi, concerne la fusion des deux compléments de ressources - complément de ressources (CR) et majoration pour la vie autonome (MVA) - que peuvent toucher les bénéficiaires de l'AAH 1, dont le taux d'incapacité permanente est supérieur à 80 %. Là aussi, le Gouvernement entend nous apaiser sur l'impact de cette mesure d'économie qu'est censée absorber l'augmentation faciale de l'AAH. On nous a également promis qu'une compensation serait assurée par le mécanisme des allocations logement. Il nous faudra de nouveau rester vigilants : substituer un dispositif universel à un dispositif spécifique ne peut convenir à tous les publics, et les personnes lourdement handicapées ne peuvent excessivement se prêter à des réformes de rapprochement conçues sans leur consultation. C'est pourquoi je soutiens l'amendement de suppression de l'article 83 du PLF porté par nos collègues Arnaud Bazin et Éric Bocquet, rapporteurs spéciaux de la mission pour la commission des finances.

Voilà mes principales conclusions sur les deux programmes les plus importants de la mission. Il me paraissait important de relativiser et de remettre en perspective la hausse de crédits prévus pour 2019.

J'en viens maintenant à deux autres sujets tout aussi importants et retracés par la mission « Solidarité ». Les mineurs non accompagnés, anciennement mineurs isolés étrangers, font depuis trois ans l'objet d'une attention politique et médiatique soutenue, dont le Gouvernement a tenu compte dans les crédits qu'il leur consacre pour 2019. Les crédits consacrés à l'accueil des MNA sont ainsi passés de 15,7 millions en 2017 à 132 millions en 2018 puis à 141 millions pour 2019. Attention cependant. Ce chiffre ne révèle aucun transfert définitif de charges, ni aucune modification des principes de prise en charge : il ne fait qu'apporter une aide ponctuelle, et encore loin d'être suffisante, aux conseils départementaux. Le défi budgétaire du flux en constante augmentation des MNA reste à relever ; je rappelle que le nombre d'évaluations diligentées par les départements s'est élevé à 20 000 en 2017, presque 25 000 en 2018 et on anticipe un chiffre de 30 000 en 2019. Les promesses faites par le Premier ministre de transférer à l'État la phase d'hébergement d'urgence et d'évaluation doivent être concrétisées.

À titre symbolique, afin d'entériner l'importance de ce sujet, je propose à la commission un amendement créant un programme budgétaire distinct au sein de la mission « Solidarité », exclusivement dédié à l'accueil des MNA. Cette démarche aura pour effet d'inscrire dans la loi, même temporairement, l'obligation pour l'État d'assumer cette compétence.

Enfin, les crédits du programme 137 relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes sont reconduits en 2019 dans leur montant exact de 2018, à l'euro près, soit presque 30 millions d'euros.

À l'issue de cet examen, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission.

Mme Élisabeth Doineau. - Avec Jean-Pierre Godefroy, j'avais publié un rapport sur les MNA et demandé que l'État assume cette compétence, en raison des difficultés des départements à y répondre. Ces derniers ne sont pas tous égaux pour évaluer l'âge ou traiter les documents administratifs... Il faut un ensemble de compétences pour traiter l'environnement ethnico-culturo-économico-social des MNA, qui fait défaut aux départements, même si ces derniers ont multiplié les formations pour pouvoir établir la minorité des jeunes et leur isolement. Je suis favorable à un programme budgétaire distinct. Nous avions proposé une plateforme régionale pour plus de compétence et d'équité dans l'évaluation des jeunes. Il s'agit d'un problème d'immigration, qui relève de l'État. Je salue la déclaration du Premier ministre, qui a annoncé la création d'un fichier biométrique pour vérifier si le jeune n'a pas été évalué ailleurs et limiter le nomadisme.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Le Gouvernement a annoncé un plan pauvreté dont le montant serait de 8 milliards d'euros pour 4 ans pour 9 millions de pauvres, soit 20 euros par mois par personne en situation de pauvreté - c'est insuffisant. Sa mise en oeuvre repose sur une contractualisation avec les départements ; elle semble compromise au vu de leur situation financière... Quelles autres mesures auraient pu être proposées ?

En octobre dernier, le Défenseur des droits a souligné l'existence de cas de maltraitance institutionnelle d'enfants ou de personnes dépendantes dans des institutions médico-sociales. Les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont peu de moyens financiers et humains. Ce budget est insuffisant pour répondre à ces questions.

M. Jean-Louis Tourenne. - Je félicite M. Mouiller pour son rapport d'un exceptionnel intérêt, qui pose les bonnes questions sur les objectifs des allocations. Tous les discours du Président de la République sont émaillés de références aux plus vulnérables. Nous nous attendions à ce que la mission « Solidarité » porte différentes initiatives sur ce sujet ; au contraire, en totale inadéquation avec le discours, les crédits relatifs à l'aide alimentaire sont en diminution, et il n'y a pas de revalorisation du RSA.

L'aide à la réinsertion sociale et familiale des anciens migrants dans leur pays d'origine participe de la politique migratoire, et est incitative. En 2017, elle était dotée de 10 millions d'euros ; dans le PLF pour 2019, 200 000 euros sont inscrits, soit une division par cinquante, alors qu'elle devrait être au coeur de la politique migratoire....

Vous avez souligné la supercherie concernant la hausse de la prime d'activité. Le rapporteur de l'Assemblée nationale l'estime à 20 euros par an, la ministre de 10 euros en 2018 et 30 euros en 2019... Pour un smicard, en raison de l'indexation, cela revient à 5,5 euros. Il y a une volonté manifeste de cacher la réalité. De plus, les travailleurs victimes d'accidents du travail ou de maladie professionnelle en sont écartés ; c'est un comble !

La disparition du complément de ressources de l'AAH va supprimer la garantie de ressources. Le complément de ressources sera remplacé par la majoration pour une vie autonome, qui baissera de 170 à 100 euros par mois. Certaines personnes ne toucheront plus rien. Un couple qui touchait 2 AAH n'en touchera plus que 1,8. La lutte contre la pauvreté est proclamée « à son de trompe à tous les carrefours », comme le disait Brassens, mais sur 171 millions d'euros, seuls 135 millions sont spécialement affectés à la lutte contre la pauvreté. Alors qu'il y a 9 millions de pauvres, que voulez-vous faire avec cette somme ? Près de 135 millions seront l'objet de conventions avec les collectivités territoriales, qui se trouveront obligées d'adopter une nouvelle compétence qui leur coûtera très cher.

Le Défenseur des droits réclame une véritable politique de la petite enfance. L'égalité entre les hommes et les femmes, grande affaire du quinquennat, souffre d'un brouillage puisque les cinq grandes actions sont remplacées par trois.

Le Gouvernement fait un geste sur les MNA, avec 141 millions de financement. C'est louable, mais cela ne représente que 1,4 million par département. En Ille-et-Vilaine, département que j'ai présidé, l'aide aux MNA coûtait 21 millions. Nous sommes loin du compte... Il faut une politique nationale pour laquelle le Gouvernement serait responsable - c'est lui qui a signé la Déclaration des droits de l'enfant et qui est en charge de la politique migratoire.

Mme Michelle Meunier. - Cette mission est encore plus importante que les précédentes, et reflète la teneur de nos débats. Je remercie le rapporteur d'avoir réintégré ces questions de MNA et les rapports du Sénat dans ses travaux. Allons voir sur nos territoires comment cela se passe. Les associations doivent justifier les crédits demandés pour lutter en faveur de la sortie de la prostitution, mais se plaignent du manque de confiance et de reconnaissance de leur action, alors que cela relève à la fois de la lutte contre les violences faites aux femmes et de la lutte contre la précarité.

Dix-huit départements, comme celui de la Gironde, sont engagés dans des dispositifs expérimentaux de lutte contre la pauvreté, en fusionnant différentes allocations comme la prime d'activité et le RSA. Le Gouvernement annonce vouloir faire reculer la pauvreté, mais la manière dont il s'y prend est perfectible... En ce jour de Congrès des maires, il devrait davantage écouter les élus locaux.

Mme Laurence Rossignol. - Certes, l'aide de 30 millions pour l'égalité entre les femmes et les hommes est reconduite, mais les années précédentes, les crédits étaient notoirement insuffisants par rapport aux besoins. Deux options se posent à une personne qui était en responsabilité : soit elle s'accroche pour dire qu'elle a tout bien fait, soit elle ne se cache pas ; il n'y avait pas suffisamment d'argent pour cette cause, et j'aimerais que ma successeure dise qu'elle manque d'argent, surtout quand il s'agit d'une grande cause nationale.

Il n'y a pas suffisamment de places d'hébergement pérennes pour les femmes victimes de violence ; 120 femmes sont assassinées chaque année par leur conjoint ou ex conjoint, car le dispositif de prévention, d'alerte et de mise à l'abri est insuffisant. La faiblesse des crédits se compte en nombre de femmes mortes...

Le système de protection de l'enfance est en train d'imploser. Ne voyons pas le sujet des MNA uniquement sous l'angle « ils ont droit » ou « ils n'ont pas droit ». Un jeune de 18 ans et 3 mois ou de 18 ans moins 3 mois doit être mis à l'abri. La pauvreté s'accroît, les parents sont de plus en plus nombreux à ne plus faire face à leur responsabilité. Retirer les allocations familiales n'aidera pas des familles dans un état de dégradation important.

La ministre des solidarités a annoncé prendre le sujet en main. Ce n'est pas la première fois que nous entendons de telles déclarations, mais il manque une volonté politique quotidienne et un nouveau pacte avec les départements. La politique de protection de l'enfance devrait être régalienne, l'État doit accompagner les départements sur la pauvreté et la dislocation de la société. Je ne voterai pas les crédits de la mission.

Mme Pascale Gruny. - Même si vous avez mis en évidence l'action du Gouvernement sur la politique du handicap - qui augmente certains dispositifs d'un côté, mais les réduit de l'autre - je ne suis pas certaine que cela apporte davantage à ces personnes. Les personnes handicapées sont dans une situation différente de celles touchant le RSA ; elles ne le font pas exprès, et ont besoin d'un soutien plus fort.

J'ai connaissance de dossiers compliqués sur des restes à charge élevés ou des remboursements tardifs, qui mettent en difficulté des personnes handicapées ou leurs parents. Cela peut être très gênant, notamment pour des fauteuils spécifiques pour aller travailler ou des voitures adaptées.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je remercie le rapporteur d'avoir pointé les enjeux. Le Gouvernement a fait des annonces soi-disant mirifiques de revalorisation, mais il réduit le nombre de bénéficiaires ou le taux de prise en charge...

Pour éviter la pauvreté des enfants, il faut d'abord lutter contre la pauvreté des familles ; l'école ne peut pas tout. Je suis également préoccupée par le fait que 45 % des enfants sortis de l'aide sociale à l'enfance rentrent dans des systèmes de logement très instables et deviennent quasiment des SDF, lorsque leur foyer ne leur convient plus ou qu'il ne peut plus les garder. Il n'y a pas de stratégie, et le Gouvernement fait peser des charges nouvelles sur les départements. Le système d'aide à l'enfance n'est pas à la hauteur à l'ambition d'un pays comme le nôtre.

Merci d'avoir cité les expérimentations sur la fusion de différentes allocations. C'est peut-être une très bonne idée, mais n'y mettons pas dedans des dispositifs qui ne sont pas ciblés sur les personnes très en difficulté, notamment les APL, qui sont faites pour solvabiliser la demande de logement des familles modestes - mais qui ne sont pas toutes exclues. La hausse des dépenses de logement est un élément majeur de la croissance des charges contraintes. Si les APL sont inclues dans le RUA, il y aura probablement un problème constitutionnel, avec le risque de supprimer l'APL à ceux qui n'ont pas de minima sociaux. Et si l'APL est incluse dans le RUA, les gens arbitreront entre manger et un retard de loyer. On avait permis aux propriétaires de toucher directement l'APL pour arrêter la logique infernale des impayés de loyer conduisant à l'exclusion, la fusion de l'APL dans le RUA coûtera très cher en frais de justice et en aides sociales... Soutenons notre rapporteur.

Mme Laurence Cohen. - Je remercie le rapporteur pour la richesse de son travail. De nombreuses interventions ont porté sur l'AAH. Je ne comprends pas votre manque de soutien à la proposition de loi que nous avions déposée pour supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH. C'est une belle occasion ratée, « paroles, paroles... » Ne faisons pas comme le Gouvernement !

Le budget de l'égalité femmes-hommes, c'est 30 millions d'euros, soit 0,007 % du budget de l'État. Voilà où l'on en est ! Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous sommes montés au créneau pour demander des pénalités plus fortes pour les entreprises ne respectant pas l'égalité salariale. Ce « détail » a été rejeté. De même, sur les violences faites aux femmes, le Haut Conseil à l'égalité donne une mine d'informations : le coût des violences est estimé à 2,5 milliards pour la société. Même si d'autres budgets concourent effectivement à l'égalité entre les femmes et les hommes, question transversale, ces sommes sont insuffisantes.

M. Daniel Chasseing. - Je me réjouis de constater une hausse de 7,5 % des crédits. L'AAH passe à 900 euros, en hausse de 6,2 %. C'est un signe fort. Le handicap n'est parfois pas totalement figé, car des personnes qui ont un handicap psychique peuvent reprendre un emploi dans une entreprise adaptée - dont le nombre a été multiplié par deux - et certaines personnes invalides à 80 % peuvent récupérer une partie de leur handicap.

J'approuve votre amendement proposant un programme budgétaire spécifique pour les MNA. Rajoutons leur insertion. Lorsque les MNA sortent du dispositif des départements, rien n'est prévu. Les conseils départementaux ont des difficultés et ne les prennent pas en compte. Faut-il voir avec la région ? En 2016-2017, les crédits pour les MNA étaient de 14 000 euros, ils sont multipliés par 10 aujourd'hui. C'est peut-être insuffisant, mais ces crédits étaient quasi-nuls avant.

Mme Corinne Imbert. - Je souscris à votre amendement. Le compte n'y est pas par rapport aux budgets des départements qui ne suivront pas la forte augmentation de la MNA. La garde des Sceaux a annoncé que le fichier biométrique serait opérationnel le 2 janvier prochain, mais aujourd'hui, on nous annonce qu'il ne sera qu'expérimental, dans certains départements. En savez-vous davantage ?

Mme Nadine Grelet-Certenais. - Ce budget ne mentionne pas un fléau qui existe depuis longtemps, l'inceste. Je reçois régulièrement de nombreux témoignages sur ce sujet tabou, qui a des conséquences délétères sur le plan neurobiologique, comportemental, cognitif et affectif, et augmente la vulnérabilité donc les problèmes de santé et cause des troubles dépressifs, addictifs, alimentaires... Remettons des moyens pour sensibiliser de nouveau et dénoncer ce problème dans les écoles et sur les réseaux sociaux. N'oublions pas ce sujet, et faisons-en une grande cause.

Mme Nassimah Dindar. - Merci pour ce très bon rapport qui donne une vision globale des différentes allocations et du parcours de solidarité, souvent très fragmenté. Les violences faites aux femmes sont un sujet qui fait parfois sourire ou prête à confusion. Mais dans chaque département où il y a un délégué à la condition féminine ou à l'égalité hommes-femmes, son budget est inférieur à 70 000 euros par an. Ces délégués se tournent vers les départements pour essayer de mener des actions sociales conjointes, envers les familles en grande difficulté, comme les familles monoparentales. Cela produit des dépenses annexes ou connexes à la charge des départements.

Il ne faut donc pas confondre la vitrine parfois caricaturale du débat sur l'égalité entre les femmes et les hommes avec les problématiques sociales et quotidiennes liées à ce débat, qui méritent un regard plus éclairé. C'est un vrai sujet !

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. - Je partage un certain nombre des avis qui ont été donnés, à commencer par celui de Madame Doineau sur les moyens consacrés par les départements à la gestion des MNA.

S'agissant des MNA, une négociation est en cours entre l'État et les départements, sur les aspects budgétaires mais aussi sur la simplification des mesures. À travers l'amendement que je propose, nous envoyons un message : nous voulons de la transparence dans la gestion des MNA. Par ailleurs, nous savons que les moyens alloués sont insuffisants ; mais il s'agit d'amorcer le dialogue avec l'État.

Madame Apourceau-Poly, le plan pauvreté n'a fait pour l'instant l'objet que de simples annonces. Nous avons auditionné le délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté ; le débat est sur la table, et un certain nombre d'orientations ne sont pas tranchées. Par exemple, il a été question tout à l'heure du revenu universel d'activité : quel serait son périmètre ? Le débat est loin d'être terminé ; aujourd'hui, on n'en est vraiment qu'au début du processus.

Ces questions renvoient aussi à la discussion avec les départements. Le plan pauvreté relève à nouveau d'une démarche descendante, avec des orientations nationales de politique publique ; en même temps, on veut s'appuyer sur le réseau local et notamment sur les départements, vecteurs de proximité.

La contractualisation est en cours. La négociation reste difficile, pour les raisons que vous savez ; son issue est incertaine, et tout reste à faire. Quelques moyens existent néanmoins : le fonds dédié est abondé à hauteur de 135 millions, destinés à lancer les premières opérations de contractualisation avec les départements. La volonté existe donc, mais nous n'en sommes qu'au démarrage ; nous verrons en 2019 quelles sont les grandes orientations données autour du plan pauvreté.

Monsieur Tourenne, concernant l'aide alimentaire, les crédits sont en diminution, mais les sommes correspondantes sont en partie transférées vers l'aide pour les cantines. L'engagement de crédits se fait donc sur une autre mission, à moyens constants.

Les associations qui gèrent l'aide alimentaire au niveau national sont inquiètes, d'autant plus que se déroule en ce moment même, dans le cadre de la révision de la PAC, la renégociation des fonds européens d'accompagnement, avec un risque de diminution des crédits européens.

Je ne reviens pas sur les moyens consacrés aux évolutions financières.

S'agissant de la prime d'activité, les 20 euros que vous avez évoqués ne concerneront que les personnes qui gagnent entre 0,5 et 1 SMIC. Cette mesure est donc extrêmement limitée.

Concernant l'AAH, j'ai dit qu'on passait de 820 à 900 euros ; les 860 euros constituent une étape intermédiaire, en application depuis vingt jours, donc déjà budgétée au titre de l'année 2018. Quoi qu'il en soit, l'évolution est applicable depuis le 1er novembre dernier.

Sur la fusion des compléments de ressources de l'AAH au profit de la majoration pour la vie autonome (MVA), nous sommes d'accord ; d'où l'intérêt de l'amendement de nos collègues de la commission des finances, qui témoigne du refus d'un tel alignement par le bas.

Sur l'égalité entre les hommes et les femmes, nous disons tous que les crédits engagés ne sont pas à la hauteur des ambitions annoncées. Il y va aussi d'un problème de transparence : il s'agit d'une problématique interministérielle ; il est donc difficile de s'y retrouver. Chacun évoque par bribes, de son côté, des moyens dédiés, mais nous ne disposons d'aucune vision globale. Quoiqu'il en soit, il existe un décalage évident entre le message et les moyens alloués.

Concernant la lutte contre le système prostitutionnel et l'accompagnement des personnes qui souhaitent en sortir, nous ne comprenions pas les diminutions de crédits. On nous répond que cette diminution est l'effet logique d'une insuffisante sollicitation du fonds.

Mme Laurence Rossignol. - La loi n'est pas appliquée !

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. - Mais peu de personnes ont aujourd'hui la possibilité d'y accéder.

Si l'allocation financière d'insertion sociale (AFIS) est sous-consommée, c'est ainsi parce que les personnes concernées ne savent en faire la demande. Il est indispensable que les crédits alloués soient au minimum à la hauteur de l'année précédente ; de nouveau, on constate un décalage entre l'annonce et la réalité. Je rappelle que dans certains départements, les outils ne fonctionnent tout simplement pas ; comment, dès lors, se prévaloir d'une sous-consommation du fonds pour en diminuer les crédits ?

Madame Rossignol a évoqué les 30 millions d'euros de la mission. Mais il faut savoir que cette somme ne représente que les crédits dédiés à l'accompagnement des acteurs associatifs : l'essentiel des mesures n'entrent pas dans le périmètre de cette mission.

Madame Gruny, vous avez évoqué le volet handicap. Nous partageons votre analyse. Sur le reste à charge - ce débat, de nouveau, n'entre pas du tout dans le périmètre de la mission -, je vous renvoie au rapport que j'ai récemment présenté au nom de la commission. Nous y évoquons clairement la nécessité de réformer la prestation de compensation du handicap (PCH) et, s'agissant des niveaux de remboursement, de réactualiser les décrets. Les tarifs de remboursement sont fondés sur un décret du 8 décembre 2005, qui n'a jamais été actualisé.

Madame Lienemann, je rejoins vos inquiétudes. Nous aurons un vrai débat, l'année prochaine, sur le plan pauvreté. Je précise simplement que, en matière de sorties de l'aide sociale à l'enfance (ASE), une disposition vient d'être négociée, comme nous l'a confirmé le délégué interministériel : un forfait de 2 000 euros par majeur et par an sortant du dispositif sera versé aux départements pour faciliter l'accompagnement des jeunes majeurs. Il y a là, certes, la reconnaissance d'un vrai problème ; mais c'est insuffisant au regard des besoins.

Madame Cohen, j'ai entendu vos remarques. S'agissant des plafonds de ressources pour l'attribution de l'AAH, une petite nuance par rapport à la proposition de loi que vous avez présentée portant suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l'AAH : nous souhaitons, nous, une prise en compte mieux adaptée des revenus du conjoint, alors que vous en appeliez à sa suppression pure et simple, ce que nous ne soutenions pas.

Monsieur Chasseing, un signe fort est envoyé par le Gouvernement aux entreprises adaptées, puisqu'il double les budgets dédiés. Le débat sur l'insertion des jeunes est notamment essentiel ; il aura toute sa place, de manière générale, dans le plan pauvreté. En effet, l'accompagnement n'est pas couvert par la Garantie jeunes.

Madame Grelet-Certenais, je partage votre préoccupation sur l'inceste. Il n'existe pas de crédits fléchés : cette question, comme les grandes causes nationales, est traitée par plusieurs mesures.

Madame Dindar, vous avez évoqué la question des moyens. Nous sommes une nouvelle fois renvoyés au décalage entre les annonces et les budgets, qui restent modestes, en particulier lorsqu'on les rapporte aux sommes versées à chaque département, dont l'État espère pourtant qu'ils prendront le relais.

Quoi qu'il en soit, mes chers collègues, il me semble que nous partageons l'essentiel.

Mme Laurence Rossignol. - Un mot sur l'AFIS : le Gouvernement ne fait pas appliquer la loi ; aucune demande de prise en charge n'est donc déclenchée, ce qui permet de justifier une baisse du budget. On assiste donc à une extinction programmée de ce dispositif par le Gouvernement.

M. Alain Milon, président. - Nous passons maintenant à la présentation de l'amendement du rapporteur pour avis.

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. - Par souci de transparence et pour montrer l'importance que nous accordons à cette question, nous souhaitons la création d'un nouveau programme budgétaire exclusivement dédié à l'évaluation et à l'hébergement d'urgence des mineurs non accompagnés, à crédits constants.

M. Alain Milon, président. - Je mets aux voix l'amendement présenté par notre rapporteur pour avis.

La commission adopte l'amendement.

M. Alain Milon, président. - Je mets aux voix les conclusions du rapporteur.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

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