B. VERS UNE MULTIPLICATION DES CONTRATS ?

Certes, le système des emplois fonctionnels reste complexe car il combine trois seuils démographiques : le seuil de création du poste (pour les collectivités territoriales), le seuil d'accès aux fonctions (pour les fonctionnaires) et le seuil d'ouverture au recrutement direct (pour les agents contractuels).

Des simplifications semblent possibles , sans remettre en cause l'économie générale du dispositif. Lors de son audition par votre rapporteur, le syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT) a par exemple proposé de simplifier les seuils de création des emplois fonctionnels, notamment pour les petites communes 44 ( * ) .

Lors de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel 45 ( * ) , le Gouvernement et nos collègues députés avaient retenu une réforme plus radicale, contre l'avis du Sénat. Il s'agissait d'ouvrir le recrutement d'agents contractuels pour les emplois fonctionnels des collectivités et EPCI à fiscalité propre de 40 000 habitants ou plus (contre plus de 80 000 ou de 150 000 habitants aujourd'hui) 46 ( * ) .

Des mesures comparables étaient également prévues afin d'élargir le recours aux agents contractuels pour les postes de direction de l'État et de la fonction publique hospitalière.

D'après la direction générale des collectivités locales (DGCL), entre 350 et 680 collectivités territoriales et EPCI à fiscalité propre auraient été concernés par cette réforme . Ces employeurs auraient pu recruter des agents contractuels pour occuper des emplois fonctionnels alors qu'en l'état du droit, seule la voie du détachement leur est ouverte.

Selon M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, l'enjeu était de « diversifier la fonction publique et de permettre aux employeurs publics de recruter des profils nouveaux à des postes à caractère fonctionnel » 47 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel a toutefois censuré cette réforme du mode d'accès à la haute fonction publique , considérant qu'elle constituait, en l'espèce, un « cavalier législatif » (motif procédural) 48 ( * ) .

Cette réforme soulevait, plus largement, un grave problème de méthode : le Gouvernement souhaitait élargir le recours aux agents contractuels pour les emplois fonctionnels alors même que les concertations lancées au printemps 2018 49 ( * ) n'étaient pas terminées . De tels agissements semblent totalement contraires à la logique de dialogue et de responsabilité qui doit prévaloir entre l'État, les collectivités territoriales et les représentants syndicaux.

Dans ce contexte, votre rapporteur a souhaité mener une véritable concertation sur la place des agents contractuels dans les emplois fonctionnels, notamment pour préparer l'examen d'un prochain projet de loi sur la fonction publique 50 ( * ) .

Elle a reçu le Gouvernement - qui a rappelé son attachement aux dispositions censurées par le Conseil constitutionnel - mais également quatre associations représentant les cadres de la fonction publique territoriale : le syndicat national des directeurs généraux de collectivités territoriales (SNDGCT), l'association des administrateurs territoriaux de France (AATF), l'association des ingénieurs territoriaux de France (AITF) et l'association des attachés territoriaux (2ACT).

Sur le fond, la modification des règles de recrutement sur les emplois fonctionnels ne fait pas consensus .

En premier lieu, le droit en vigueur satisfait les employeurs territoriaux. Ces derniers n'expriment pas le besoin de recruter davantage d'agents contractuels sur des emplois fonctionnels .

Le collège employeur du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) privilégie la création de « contrats de mission » lorsque des projets nécessitent de mobiliser des compétences particulières (refonte du système informatique, réorganisation des outils RH, etc .), non pour diriger les services 51 ( * ) .

En deuxième lieu, une telle mesure inquiète les fonctionnaires en mesure d'exercer un emploi fonctionnel .

Il convient, en effet, de préserver l'attractivité de leur cadre d'emplois . À titre d'exemple, le nombre d'inscrits au concours d'administrateur territorial a été divisé par deux depuis 2013 52 ( * ) . De même, les ingénieurs en chef territoriaux suivent désormais une formation initiale de douze mois à l'INET, ce qui n'est pas le cas des agents contractuels.

La formation initiale pour exercer un emploi fonctionnel par la voie du détachement :
l'exemple de l'Institut national des études territoriales (INET) 53 ( * )

L'INET assure la formation initiale des administrateurs territoriaux (44 élèves) et, depuis 2018, des ingénieurs en chef territoriaux (29 élèves). L'institut forme aussi les conservateurs territoriaux de bibliothèques (15 élèves) et du patrimoine (11 élèves).

Les formations durent 18 mois, sauf pour les ingénieurs en chef (12 mois). Les intervenants sont des professionnels du secteur ou appartiennent à des cabinets de formation recrutés via des marchés publics.

Contrairement à l'ENA, l'INET n'est pas doté de la personnalité morale : l'institut est intégré au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) . La directrice de l'INET est également directrice générale adjointe du CNFPT.

En 2018, le budget de l'INET s'établit à 5,09 millions d'euros . L'institut est financé par le CNFPT et donc, indirectement, par la cotisation de 0,9 % de la masse salariale versée par chaque employeur territorial. L'institut emploie aujourd'hui 67 personnels administratifs.

93 % des employeurs territoriaux se déclarent satisfaits des compétences acquises par les élèves de l'INET.

En dernier lieu, ouvrir de nouveaux emplois fonctionnels aux agents contractuels nécessite, en amont, de repenser et de sécuriser les procédures de recrutement, de rémunération et de déontologie .

Des précautions à prendre : l'exemple du recrutement, par voie contractuelle, d'un directeur général des services techniques

Une collectivité territoriale peut souhaiter recruter son directeur général des services techniques (DGST) dans le secteur privé, par exemple dans une entreprise de travaux publics ou d'assistance aux maîtres d'ouvrage .

Aujourd'hui, ce type de recrutement est ouvert aux communes de plus de 80 000 habitants ; l'employeur n'est pas contraint de publier une offre d'emploi. Le Gouvernement souhaiterait étendre ce dispositif à toutes les communes de 40 000 habitants ou plus.

Des procédures déontologiques doivent donc être prévues pour éviter tout conflit d'intérêts entre cet agent et son ancien employeur, notamment pour l'attribution des marchés publics.

En l'état du droit, ces procédures semblent toutefois insuffisantes . À titre d'exemple, la consultation de la commission de déontologie de la fonction publique n'est qu'une faculté pour le recrutement de salariés du secteur privé 54 ( * ) . De même, seuls les directeurs généraux des services techniques des communes de plus de 80 000 habitants doivent remplir une déclaration d'intérêts ; aucun n'est astreint aux déclarations de situation patrimoniale .

Après avoir entendu l'ensemble des parties prenantes, votre rapporteur appelle donc à la plus grande prudence concernant une éventuelle réforme des règles applicables aux postes de direction de la fonction publique territoriale.

*

* *

Sur le plan budgétaire, votre commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 148 « fonction publique » de la mission « gestion des finances publiques et des ressources humaines » inscrits au projet de loi de finances pour 2019.


* 44 Alors qu'aujourd'hui une commune de moins de 10 000 habitants a par exemple l'interdiction de créer un poste de directeur des services techniques (voir supra ).

* 45 Devenu loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018.

* 46 Initialement, le Gouvernement avait proposé d'ouvrir l'intégralité des emplois fonctionnels aux agents contractuels, en supprimant tout seuil démographique. La rédaction finalement retenue par l'Assemblée nationale est issue d'un amendement de notre collègue députée Émilie Chalas.

* 47 Compte rendu intégral de la séance de l'Assemblée nationale du 15 juin 2018.

* 48 Conseil constitutionnel, 4 septembre 2018, Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel , décision n° 2018-769 DC.

* 49 Voir supra pour plus de précisions concernant ces concertations sur les quatre « chantiers » du Gouvernement (place des agents contractuels dans la fonction publique, simplification du dialogue social, rémunération individualisée et aide à la mobilité).

* 50 Projet de loi sur la fonction publique que le Gouvernement annonce pour début 2019.

* 51 Voir, pour plus de précisions sur les contrats de mission, le rapport d'information n° 572 (2017-2018) précité, p. 16.

* 52 Source : Institut national des études territoriales (INET).

* 53 Votre rapporteur a visité les locaux strasbourgeois de l'INET le 25 octobre 2018, lors de son déplacement dans le Bas-Rhin.

* 54 Article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

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