IV. L'IMMOBILIER PÉNITENTIAIRE : UN INVESTISSEMENT POUR L'AVENIR

Le parc immobilier pénitentiaire comprend près de 400 sites, dont 183 établissements pénitentiaires et 103 services pénitentiaires d'insertion et de probation, pour une superficie totale de 3 464 733 m² au 1 er janvier 2018.

A. LA REMISE À NIVEAU DU PARC CARCÉRAL : LA PRIORITÉ DU QUINQUENNAT

1. Une remise à niveau nécessaire

Le parc immobilier carcéral se caractérise par son hétérogénéité, avec des établissements anciens, souvent vétustes , à l'instar du centre pénitentiaire de Fresnes construit au XIX e siècle, et des établissements modernes construits dans les deux dernières décennies, à l'instar du centre pénitentiaire sud-francilien (CPSF) de Réau livré en 2011.

120 établissements pénitentiaires ont été construits avant 1920.

La répartition des 183 établissements pénitentiaires au 1 er janvier 2018

Source : commission des lois du Sénat à partir des statistiques
de l'administration pénitentiaire au 1 er janvier 2018.

L'état de sur-occupation des établissements pénitentiaires depuis plusieurs décennies entraîne des conditions de détention indignes qui affectent très largement les conditions de travail des personnels de l'administration pénitentiaire.

Depuis 1987, plusieurs programmes de construction de grande ampleur ont été mis en oeuvre afin de moderniser le parc pénitentiaire et procéder à la fermeture de structures vétustes, mais également en augmenter la capacité.

Le programme « 15 000 places », ou « 7 000 + 8 000 » du Gouvernement s'inscrit dans cette trajectoire de réhabilitation du parc carcéral.

Cet effort immobilier ne permettra pas de mettre en oeuvre d'ici 2022 27 ( * ) le droit à l'encellulement individuel qui est énoncé depuis la loi du 5 juin 1875 sur le régime des prisons départementales mais fait actuellement l'objet d'un moratoire jusqu'en décembre 2019.

Au 1 er octobre 2018, moins de 40 % des personnes détenues bénéficiaient d'une cellule individuelle.

Évolution du taux d'encellulement individuel

Date

Maisons

d'arrêt

Établissements

pour peines

Tous les

établissements

01/08/2016

19,8

73,1

39,5

01/09/2016

20,5

73,2

40,1

01/10/2016

20,1

82,1

39,7

01/11/2016

19,2

81,2

38,9

01/12/2016

18,9

80,9

38,5

01/01/2017

18,8

81,2

38,5

01/02/2017

18,6

80,9

38,2

01/03/2017

18,2

80,8

38

01/04/2017

18

80,9

37,6

01/05/2017

18,4

80,6

37,9

01/06/2017

19

80,6

38,5

01/07/2017

19,5

80,4

38,7

01/08/2017

20,3

80,6

39,8

01/09/2017

20,8

81,3

40,3

01/10/2017

17,1

50,6

39,7

01/11/2017

19,6

80,8

39,1

01/12/2017

19

80,8

38,6

01/01/2018

19,1

81,4

38,9

01/02/2018

19,7

83,3

39,7

01/03/2018

19,1

82,9

39,4

01/04/2018

19,1

83,4

39,3

01/05/2018

18,9

83,3

39,4

01/06/2018

19,5

83,5

39,9

01/07/2018

19,4

82,7

39,6

Source : statistiques de la direction de l'administration pénitentiaire.

Afin d'atteindre un taux de 80 % d'encellulement individuel, le rapport sur l'encellulement individuel 28 ( * ) transmis au Parlement par M. Jean-Jacques Urvoas, alors garde des sceaux, ministre de la justice, recommandait de construire entre 9 481 et 14 666 cellules individuelles d'ici 2023.

Selon le plan pénitentiaire du Gouvernement, seulement 7 006 places (et non cellules), dont seulement 4 876 à destination de maisons d'arrêt ou de centres pénitentiaires, devraient être construites d'ici 2022.

Dans le même temps, la population carcérale est susceptible de continuer d'évoluer à la hausse, en dépit des annonces de la ministre quant à une baisse du nombre de détenus.

Force est de constater que l'administration pénitentiaire ne croît pas non plus à la réalisation de cet objectif : dans le PAP pour 2019, l'indicateur 2.2 du programme prévoit pour 2020 un nombre de détenus par cellule égal à 1,42, en augmentation par rapport à la prévision pour 2019 (1,38) et la réalisation pour 2017 (1,33).

Ces prévisions pessimistes apparaissent cohérentes avec la projection de la population pénale à moyen terme et démontrent l'incapacité du programme actuel de 7 000 places devant être livrées d'ici 2022 à résorber de manière significative la surpopulation carcérale.

Votre rapporteur a pu constater, lors de sa visite à la maison d'arrêt de Paris - La Santé (MAPLS), que l'ensemble des cellules individuelles de 9 m² ont d'ores et déjà été « doublées » afin d'accueillir deux personnes par cellule dès la réouverture de l'établissement en janvier 2019. Le taux de 100 % d'occupation devrait déjà être atteint au mois de mars 2019, en raison du rythme projeté des écrous en provenance du tribunal de grande instance de Paris.

2. La « création » de 15 000 nouvelles places en question

Contrairement aux engagements du Président de la République lors de sa campagne électorale pour l'élection présidentielle et à la trajectoire budgétaire adoptée par le Sénat dans le cadre du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, 15 000 nouvelles places de prison ne seront pas créées par le Gouvernement d'ici 2022 mais seulement - et au mieux ! - 7 000.

Outre cette réduction substantielle des objectifs présidentiels, il convient de souligner que sur les 7 006 places effectivement prévues pour être livrées avant 2022, 30,4 %(soit 2 130 places) seront situées dans des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), structures dénommées « quartiers de préparation à la sortie » (QPS) il y a un an encore. Les SAS doivent absorber sous la même dénomination les quartiers nouveau concept (QNC) et les quartiers pour peines aménagées (QPA). Ces structures ont vocation à accueillir des condamnés à des peines d'une durée inférieure à un an ou des condamnés à des longues peines finissant leur temps de détention : elles devraient être situées en agglomération afin de faciliter la préparation de la libération des condamnés, notamment leur accès à une formation professionnelle.

Surtout, la quasi-intégralité des places (hors SAS) annoncées pour 2022 relève en réalité de la livraison d'autres programmes , principalement le programme « 63 500 » lancé en 2011 et confirmé lors de l'adoption du budget triennal 2013-2015 et le programme « 3 200 » lancé en 2014 et financé par l'adoption du budget triennal 2015-2017.

Répartition des 7 006 places devant être livrées pour 2022

Source : commission des lois à partir de la carte des nouvelles implantations pénitentiaires.

92,6 % des places annoncées pour la création de maisons d'arrêt ou de centres pénitentiaires pour 2022 relèvent des programmes précédents , soit 4 516 places sur 4 876 prévues 29 ( * ) .

Ainsi, le Gouvernement inclut dans la livraison de son plan de 15 000 places les 734 places livrées en 2018 avec la fin du chantier de réhabilitation de la maison d'arrêt Paris - La Santé.

Il inclut également :

- les 504 places nettes de la maison d'arrêt de Draguignan projet lancé en 2010, et livrées en 2018,

- les 173 places nettes (609 brutes) de Bordeaux-Gradignan lancées en 2009 et livrées en 2018,

- les 42 places nettes de Baumettes 2 et les 740 places de Baumettes 3, projets lancés en 2013,

- les 32 places nettes (735 places brutes avant fermeture) du centre pénitentiaire d'Aix 2, chantier lancé en 2010 et livré en 2018,

- ou encore les 92 places du centre de semi-liberté de Nanterre dont les études préalables avaient déjà été réalisées en 2016.

3. Un plan immobilier exclusivement centré sur les maisons d'arrêt

Votre rapporteur s'est interrogé sur les finalités de ce programme immobilier exclusivement centré sur les maisons d'arrêt.

Il est vrai que la surpopulation carcérale concerne principalement les maisons d'arrêt : le rapport entre le nombre de personnes détenues et le nombre de places opérationnelles dans les maisons d'arrêt était de 142,1 % au 1 er octobre 2018. À la même date, 38 861 personnes étaient détenues dans une maison d'arrêt sur-occupée à plus de 120 % (93 structures).

Néanmoins, votre rapporteur s'interroge sur la pertinence de l'incarcération de condamnés (71 % de la population détenue) dans les maisons d'arrêt, inadaptées à l'exécution d'un parcours de peine et ne permettant aucune trajectoire de réinsertion.

Les personnes actuellement incarcérées en maison d'arrêt

- les personnes mises en examen, prévenues ou accusées, soumises à la détention provisoire ;

- les personnes dont la condamnation n'est pas définitive (par exemple, en cas d'appel) ;

- les personnes condamnées en attente d'affectation en établissement pour peines ;

- à titre exceptionnel , les personnes condamnées définitivement dont la peine ou le reliquat de peine est d'une durée inférieure ou égale à deux ans, lorsque des conditions tenant à la préparation de leur libération, à leur situation de famille ou à leur personnalité justifient qu'elles soient maintenues sur place ;

- à titre exceptionnel , les personnes condamnées auxquelles il reste à subir une peine inférieure à un an, affectées en établissement pour peines, lorsque des conditions tenant à la préparation de leur libération, à leur situation de famille ou à leur personnalité justifient qu'elles soient réaffectées en maison d'arrêt.

Alors qu'en violation de la loi, plus de 2 100 personnes condamnées à des peines d'une durée supérieure à deux ans sont actuellement incarcérées en maison d'arrêt en raison de l'inefficience des procédures de transfert entre établissements pénitentiaires, votre rapporteur invite la direction de l'administration pénitentiaire à s'interroger sur l'opportunité de transférer des détenus condamnés à des peines d'une durée égale ou supérieure à un an dans les établissements pour peines.

L'exception, sur le plan légal, de l'incarcération des condamnés en maison d'arrêt est devenue, en pratique, la norme en raison de l'absence de numerus clausus dans ces établissements.

Nombre de personnes condamnées et détenues en maison d'arrêt
ou en quartier maison d'arrêt

Date

Type d'établissement

Mineurs détenus condamnés à plus de deux ans

Majeurs détenus condamnés
à plus de deux ans

Ensemble de condamnés

% des condamnés à plus de deux ans parmi les condamnés

semi-libres ou placés
à l'extérieur

reliquat de peine inférieur
à deux ans

Reliquat de peine supérieur
à deux ans

01/04/2017

Maison d'arrêt

1

36

296

1 052

13 270

10%

Quartier Maison d'arrêt

1

12

361

1 649

13 711

15%

01/07/2017

Maison d'arrêt

5

46

304

1 051

13 097

11%

Quartier Maison d'arrêt

2

11

382

1 670

13 750

15%

01/10/2017

Maison d'arrêt

3

48

295

985

12 725

10%

Quartier Maison d'arrêt

2

8

394

1 635

13 591

15%

01/01/2018

Maison d'arrêt

3

45

270

1 070

12 874

11%

Quartier Maison d'arrêt

2

11

427

1 754

13 987

16%

01/04/2018

Maison d'arrêt

6

35

297

1 097

13 472

11%

Quartier Maison d'arrêt

2

14

417

1 717

13 489

16%

Source : Infocentre pénitentiaire.

La construction de nouveaux établissements pour peines semble préférable afin de permettre une exécution efficace des peines , à savoir des détentions qui permettent de réinsérer la personne condamnée, de la former et de l'accompagner.

Le parc pénitentiaire doit être adapté à sa population. Or la très grande majorité de la population carcérale exécute des peines courtes - la durée moyenne passée sous écrou d'un condamné est de 11,8 mois en 2017.

Près de 70,7 % condamnés pour des faits correctionnels - 86,9 % des condamnés détenus le sont pour des faits correctionnels - exécutent une peine inférieure ou égale à deux ans.

Nombre de condamnés correctionnels écroués
en fonction du quantum de la peine en cours d'exécution

Au 1 er janvier

Inférieur ou égale
à 6 mois

De plus de 6 mois à 1 an

De plus de 1 an à 2 ans

De plus de 2 ans à 5 ans

Supérieur à 5 ans

Ensemble
des peines correctionnelles

2016

14 490

10 835

9 709

11 066

4 356

50 456

2017

15 126

11 724

9 445

10 502

4 409

51 206

2018

15 259

12 157

9 419

10 574

4 718

52 127

Source : direction de l'administration pénitentiaire.

Nombre de condamnés criminels écroués
en fonction du quantum de la peine en cours d'exécution

Au 1 er janvier

De 5 à 10 ans

De plus de 10 ans à 20 ans

De plus de 20 ans à 30 ans

Perpétuité

Ensemble des peines criminelles

[5-10 ans]

] 10-20 ans]

] 20-30 ans]

2016

1 220

5 235

1 037

495

7 987

2017

1 239

5 300

1 056

497

8 092

2018

1 149

5 165

1 040

489

7 843

Source : direction de l'administration pénitentiaire.

Votre rapporteur invite enfin à ne pas négliger la prise en charge des détenues.

Les femmes ne représentent que 3,5 % de la population carcérale au 1 er octobre 2018, soit 2 485 détenues. En raison de ce faible taux d'emprisonnement, les infrastructures carcérales ne leur sont pas, ou très peu, adaptées.

Très peu d'établissements en France peuvent accueillir les femmes condamnées, ce qui entraîne une discrimination géographique par rapport aux hommes : les femmes sont généralement incarcérées loin de leur domicile.

L'augmentation des « quartiers pour femmes » au lieu d'établissements pour peines réservés aux femmes rend difficile leur accès aux activités, au travail, au service médical, généralement situés dans un bâtiment réservé aux hommes et où l'accès n'y est possible qu'en l'absence d'hommes, en raison de la proscription de la mixité.

Votre rapporteur invite à prendre en compte ce traitement inégalitaire des femmes et à construire des établissements qui leur permettent d'accéder aux mêmes activités et aux mêmes droits que les hommes.

Carte des établissements pénitentiaires au 1 er janvier 2018

Source : ministère de la justice.

Carte des établissements pénitentiaires au 1 er janvier 2022 (prévisions)

Source : ministère de la justice.


* 27 L'article 51 du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice tend à reporter ce moratoire au 31 décembre 2022.

* 28 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.justice.gouv.fr/publication/rap_jj_urvoas_encellulement_individuel.pdf

* 29 Outre les programmes précédents, seront construites 10 nouvelles places à Wallis, 150 nouvelles places à Nîmes (projet lancé en 2018) et 200 places à Châlons-en-Champagne.

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