CONCLUSION

Le Gouvernement s'est engagé dans la LPM à redresser l'effort de défense de notre pays. Cet engagement est, globalement, tenu. Certes, certains points de vigilance demeurent : les difficultés du recrutement et de l'attractivité du statut militaire, notamment en termes de niveau de rémunération ; une trajectoire de remontée des crédits d'études-amont qui s'écarte légèrement de la prévision ; une politique de subvention dont on ne perçoit parfois pas bien toutes les justifications, par exemple pour ce qui concerne la cure d'austérité qui se prolonge à l'ONERA...

Ce seront là autant de sujets d'attention pour les rapporteurs pour le deuxième exercice de la LPM.

À l'issue de sa réunion du mercredi 20 novembre 2019, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense », le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ayant voté contre.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 20 novembre 2019, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 144 - Environnement et prospective de la politique de défense - de la mission « Défense », inscrits dans le projet de loi de finances pour 2020.

Pascal Allizard, co-rapporteur. - Il me revient de vous présenter tout d'abord le cadre budgétaire du programme 144. Il est cohérent avec le reste de la mission défense, et la trajectoire définie en LPM, à savoir l'augmentation progressive des crédits d'ici 2025.

De fait, les autorisations d'engagement (AE) devraient progresser de 8,4 %, pour s'établir à 1,77 milliard d'euros. Les crédits de paiement augmenteraient, eux, de 4,9 % pour s'établir à 1,55 milliard d'euros, soit une hausse de 72 millions d'euros par rapport à 2019.

Cette hausse des crédits profite en particulier à l'action « Prospective de défense », qui regroupe les études amont, les études prospectives et les subventions. Cette action représente presque les trois-quarts (73,9 %) du programme 144, et elle voit ses crédits progresser de 6 %, soit 65 millions d'euros.

Au sein de cette action, je vais m'attarder sur les crédits d'études amont, car ils représentent à eux seuls un peu plus de la moitié des crédits du programme 144 (53 %).

Les crédits d'études amont progresseront de 62,5 millions d'euros, pour s'établir à 821 millions d'euros. Notre commission avait réclamé dans son rapport « 2% du PIB : les moyens de la défense nationale » la remontée de ces crédits jusqu'à un milliard d'euros par an. Nous avions obtenu gain de cause en LPM, mais encore fallait-il préciser la trajectoire de progression, ce que nous avions ajouté au texte par un amendement. Nous commençons donc à sentir les effets de cette progression, puisque qu'elle est presque deux fois plus importante que l'an passé (+ 35 millions d'euros l'an passé). Il faut noter que, comme l'an passé, cette progression sensible est légèrement inférieure à ce qui était prévu dans la LPM de 2018. On attendait en effet à l'époque 832 millions de crédits d'études amont pour 2020.

Plus fondamentalement, cette présentation rapide des crédits inscrits au PLF 2020 ne dispense pas de regarder attentivement les conditions de la fin de gestion 2019.

Or, comme cela a été dit, le PLFR prévoit 70 millions d'annulations de crédits sur la mission défense, soit environ 9,7 millions pour le programme 144.

Il nous a été indiqué par le Délégué général pour l'Armement que ces annulations n'auraient pas d'incidences matérielles concrètes, dans la mesure où certains programmes auraient connu des retards qui emportent aussi un décalage des études amont. C'est par exemple le cas du programme de char du futur MGCS (Main Ground Combat System), pour lequel les premières études n'interviendraient pas avant le printemps 2020.

Je voudrais enfin évoquer à nouveau avec vous la situation de l'ONERA, office dont la subvention est inscrite au programme 144. Nous vous avions présenté l'an dernier la situation fragile de cet établissement qui porte pourtant une forme d'excellence française en matière aéronautique. Nous appelions l'an passé à reconsidérer les moyens de l'ONERA, et en particulier la trajectoire quasi-plane de la subvention que lui versait l'Etat, dans le cadre d'un contrat d'objectif et de performance (COP). Cela nous semblait d'autant plus légitime que d'une part la LPM prévoyait le redressement de notre effort de défense, et que d'autre part la France s'engageait avec l'Allemagne dans l'ambitieux projet du SCAF.

Nous avons cru, en début d'année, avoir été entendus. En effet, lors de sa visite à l'ONERA en janvier, la ministre des armées a semblé ouvrir des perspectives favorables. Vous vous souvenez que cela nous avait d'ailleurs été confirmé ici même par le DGA début octobre. Malheureusement, il apparaît que la réalité du PLF pour 2020 est tout autre.

D'une part, la subvention n'évolue pas favorablement. En effet, elle passe de 104,7 millions d'euros à 105,7 millions d'euros, soit une hausse d'un million d'euros. Mais il faut savoir qu'en 2019 l'Etat apportait également 2 millions d'euros de dotation en fonds propres. L'effort de l'Etat pour l'Office diminue donc en réalité d'un million ! S'ajoute à cela le fait que l'ONERA, contrairement aux années précédentes, ne serait plus exemptée de la mise en réserve de crédits, ce qui diminuerait encore son budget disponible de 2 millions d'euros. Un autre indicateur pertinent, en cette période d'augmentation des crédits, est l'évolution des emplois : l'ONERA perdra en 2020 11 ETP (équivalents-temps plein).

Cette cure prolongée d'austérité budgétaire a des conséquences fortes sur les ressources humaines de l'Office, dont le niveau de rémunération est, toutes choses égales par ailleurs, inférieur par exemple à celui constaté à la DGA, et, bien évidemment, très inférieur à celui trouvé dans les entreprises privées du secteur aéronautique ou aérodynamique. Une étude de l'AID montre ainsi que, si l'on voulait payer les personnels de l'ONERA au niveau où ils seraient payés à la DGA, il faudrait 5 millions pour combler l'écart.

Autre exemple assez parlant : le budget de l'équivalent allemand de l'ONERA, dont nous avions évoqué déjà l'an passé le dynamisme : la subvention de l'Etat allemand au DLR est passée de 130 millions d'euros par an au début de la décennie à 180 millions en 2017, et elle continue d'augmenter rapidement. Il est évident que nous ne pourrons pas conserver longtemps notre position de référence européenne dans ce domaine si nous y mettons beaucoup moins de moyens que nos partenaires et concurrents allemands.

Très franchement, on a du mal à comprendre cette situation. Tout le monde en France, et même au niveau mondial, salue l'excellence de l'ONERA. Et dans le même temps, dans un budget de défense qui augmente de 1,7 milliard, le Gouvernement et la DGA ne trouvent pas les quelques millions qui redonneraient une bouffée d'air à cette pépite technologique.

Dans ces conditions, je me réjouis que nous ayons la possibilité d'entendre ici dans 15 jours le P-DG de l'ONERA, pour que vous ayez la possibilité de vous faire une idée par vous-même des enjeux de cette situation.

Voici donc les réserves et les nuances qu'il me paraissait utile d'apporter à ce budget du programme 144 qui reste, globalement, positif car marqué par un accroissement sensible des crédits. Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

M. Michel Boutant, co-rapporteur. - L'ONERA est effectivement une pépite technologique. Il faut avoir conscience que nous nous dirigeons vers un rôle important confié au DLR allemand pour les études du SCAF. On ne comprend pas bien pourquoi l'ONERA n'a pas été retenu.

J'en viens à l'examen des crédits inscrits au programme 144, pour les services de renseignement relevant du ministère des armées, c'est-à-dire la DGSE et la DRSD, comme d'ailleurs ceux inscrits pour la rémunération de leurs personnels au programme 212.

Le niveau des menaces auxquelles notre pays est confronté, tel qu'il a été décrit par la LPM 2019-2025 n'a pas diminué. Il justifie les efforts conduits dans le domaine du renseignement. Le PLF 2020 est, de ce point de vue, en phase avec la loi de programmation et se traduit par un renforcement des moyens des services.

Je formulerai deux observations.

Première observation : le PLF 2020 traduit, en autorisations d'engagement, le lancement de programmes d'investissements capacitaires.

Hors titre 2, les crédits attribués à la DGSE progressent de 13 % en autorisations d'engagement : 375,75 millions d'euros dont 329,49 pour l'agrégat équipement. Les CP ne progressent que de 2 % (348,3 millions d'euros), ce qui correspond à un point bas du cycle des investissements techniques. Mêmes éléments, s'agissant de la DRSD dont la dotation progresse de 4,46 % en CP (16,4M€) et de 49 % en autorisations d'engagement (23,4 M€).

Les crédits de fonctionnement sont maîtrisés et progressent à un rythme modéré mais nécessaire à l'accueil des nouveaux personnels et à raison d'un niveau élevé d'engagement opérationnel.

S'agissant des équipements, pour la DGSE cela concerne principalement l'intensification et la consolidation capacitaire des grands programmes interministériels et de la cyberdéfense, qui font également l'objet en cours d'exercice de transferts de crédits complémentaires des services du Premier ministre et du ministère des Armées. En effet, la France ne s'est pas dotée d'un service technique de renseignement, comme la NSA aux États-Unis et le GCHQ en Grande-Bretagne. Les grands programmes sont donc développés par la direction technique de la DGSE au profit de l'ensemble des services de la communauté du renseignement et certaines capacités cyber sont partagées avec les Armées. Il est donc logique que le financement de ces programmes soit mutualisé.

Pour la DRSD, il s'agit de renforcer les capacités de ce service tant pour la mise en oeuvre de ses missions de contre ingérence d'une part, de détection et de réduction des vulnérabilités dans la sphère de la défense d'autre part. Je rappelle que c'est la DRSD qui, dans la sphère de la défense, réalise les enquêtes préalables aux habilitations et les contrôles élémentaires pour l'accès à des zones protégées ou à régime restrictif, comme pour le recrutement des militaires. Pour l'une et l'autre de ces missions, elle a besoin d'outils plus modernes afin d'automatiser certains traitements des données pour améliorer son efficacité.

Ses nouvelles orientations montrent que dans un monde où la collecte des données, notamment en source ouverte, est massive, la performance d'un service se mesurera par ses capacités à exploiter intelligemment l'information recueillie.

Dans l'un et l'autre service, un accent est également mis sur les capacités de cyberdéfense.

S'agissant des infrastructures immobilières, les programmes, que j'avais détaillés l'année dernière, se poursuivent, financés sur les crédits du programme 144 s'agissant de la DGSE, sur le programme 212 pour la DRSD puisque c'est le service des infrastructures de la défense (SID) qui réalise les travaux. Dans l'un et l'autre cas, il s'agit de construire de nouveaux bâtiments permettant d'accueillir plusieurs centaines de collaborateurs et de consolider les réseaux d'alimentations des capacités techniques.

Deuxième observation : des améliorations en matière de gestion des ressources humaines doivent être soulignées.

La DGSE bénéficie sur la période 2019-2025 de 722 créations d'emplois, 89 en 2019 et 65 en 2020. Hors service action et renforcement cyber des Armées, elle emploiera 5 754 agents fin 2020. Le montant des crédits de titre 2 progressent en conséquence pour atteindre 358,89 millions d'euros en 2020 (hors CAS pensions). Compte tenu de sa notoriété et de son autonomie, la DGSE ne rencontre pas de difficultés majeures de recrutement. La DRSD devrait connaître cette année encore un renforcement de ses effectifs qui atteindront 1 523 fin 2020. La création de 30 emplois est programmée. Ces dernières années, elle ne parvenait pas à pourvoir tous les emplois créés : elle avait un retard de 128 unités fin 2018 sur son schéma d'emploi. Les dispositions prises, tant pour améliorer la communication et le recrutement, que pour fidéliser certains agents, y compris par un assouplissement des règles de rémunération, commencent à porter. La DRSD a réduit cet écart de moitié en 2019. Elle devrait l'avoir comblé en 2020. En conséquence, les crédits du titre 2 progressent de 1,4 % à 121,76 M€.

On observe toutefois, dans les deux services, une baisse significative des personnels militaires surtout au niveau des sous-officiers en raison de la difficulté des armées à fournir les personnels nécessaires suite aux années de déflation et à leur difficulté actuelle de remontée en puissance. Cela est compensé dans la plupart des cas par le recrutement de civils, principalement des contractuels, mais cela n'est pas toujours possible dans certaines spécialités et pour pourvoir certains postes déployés à l'extérieur dans les zones de guerre.

En outre, les difficultés de recrutement et de fidélisation dans les spécialités à viviers limités demeurent. C'est une préoccupation pour l'ensemble des services de renseignement que le dernier rapport de la délégation parlementaire au renseignement a mise en exergue. Elle est prise en compte par le Coordonnateur national du renseignement qui a défini un cadre d'action entre les services. Ajoutons que des assouplissements sont désormais possibles s'agissant des niveaux de rémunération et la durée des contrats.

Le problème n'en demeure pas moins structurel, dans certaines spécialités. Il me paraît nécessaire que des politiques d'orientation et d'incitation soient mises en oeuvre pour réduire ces tensions notamment dans les filières de formations scientifiques, à défaut la France aura, à terme, des difficultés à suivre les pays concurrents ou adversaires dans le domaine du renseignement technique, de la cyberdéfense et de l'intelligence artificielle, et ne sera pas à l'abri d'un décrochage dans les technologies avancées.

Sous le bénéfice de ces observations, et pour ce qui concerne spécifiquement le programme 144, mon appréciation est favorable à l'adoption des crédits de la mission Défense.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Dans nos échanges avec les industriels dans le cadre du programme 146, il nous a été dit que, dans un certain nombre de domaines, nous avions pris vingt ans de retard sur les Américains. La remontée en puissance des crédits d'études-amont est-elle à la hauteur des enjeux et du retard pris ?

Nous constatons des difficultés de recrutement et de fidélisation sur certains emplois dans les armées et y compris dans les services de renseignement. Y-a-t-il des réflexions en cours pour palier à ces difficultés ?

M. Jean-Pierre Vial. - Concernant l'ONERA, je souhaite rappeler les très importants travaux qui ont été faits pour consolider les installations des grandes souffleries. Ces investissements lourds sont justifiés par le fait qu'il s'agit d'installations parmi les plus performantes du monde. On ne peut être que très inquiet de voir qu'il est envisagé de passer commande des études ailleurs. Comment accepter que la France gâche ses capacités technologiques et accepte d'être supplantée par d'autres pays européens ?

M. Olivier Cadic. - Je souhaiterai attirer votre attention sur la nécessité d'harmoniser les niveaux de classification avec nos alliés dans le cadre des échanges d'information que nous réalisons dans le cadre de coalition, ce qui limite nos capacités à les utiliser facilement. Un processus est engagé en France depuis quatre ans. Il serait souhaitable que cette réforme aboutisse.

M. Pascal Allizard, co-rapporteur. - En réponse à Hélène Conway-Mouret, je dirais qu'il y a plusieurs facteurs qui peuvent ralentir la remontée en puissance. Il y a le caractère très centralisé, autour de la DGA, de notre organisation institutionnelle. De ce point de vue, l'AID n'a pas encore complètement trouvé sa place. Quant aux crédits d'études amont, il faut aussi savoir qui va bénéficier des nouveaux crédits. Il y a notamment un espoir des industriels du matériel terrestre que leur secteur puisse en bénéficier un peu plus que par le passé.

Concernant ensuite l'ONERA, je voudrais ajouter à l'équation la question de la pyramide des âges, qui n'est pas favorable puisque de nombreux départs en retraite sont attendus dans les 5 ans qui viennent. Comment remplacer ces départs si l'office ne peut offrir des rémunérations au niveau ?

Pour la question relative aux règles de protection du secret de la défense nationale, elles ne relèvent pas de ce programme du ministère des Armées et je ne peux donc apporter une réponse précise, tout en partageant cette préoccupation.

M. Michel Boutant, co-rapporteur. - S'agissant des recrutements qui vont être très importants dans les années à venir, il y a désormais une ouverture des services de renseignement qui n'hésitent plus à communiquer dans les salons et forums pour étudiants ou directement dans les établissements universitaires et les grandes écoles.

Page mise à jour le

Partager cette page