EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 20 novembre 2019, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 178 - Préparation et emploi des forces - de la mission « Défense », inscrits dans le projet de loi de finances pour 2020.

M. Jean-Marie Bockel, co-rapporteur. - Les crédits de paiement du programme 178 augmentent de 13,8 % par rapport à 2019 pour s'établir à 10 milliards d'euros, soit 1,21 milliard supplémentaire en crédits de paiement (CP).

Le transfert d'une partie des crédits d'infrastructure depuis le programme 212, soit 879 millions d'euros, explique l'essentiel de cette progression. Il s'agit de redonner de la subsidiarité aux armées et aux commandements locaux en leur confiant la main sur la gestion des infrastructures opérationnelles.

Deuxième cause d'augmentation des crédits du programme : la progression des ressources dédiées au financement des opérations extérieures, soit 250 M€ pour atteindre 850 millions d'euros au programme 178 sur les 1,1 milliard d'euros désormais consacrés aux OPEX. Cette « sincérisation » du budget des OPEX nous évitera, espérons-le, les difficultés de fin de gestion connues en 2019 et dont Hélène Conway-Mouret a parlé à l'instant.

L'augmentation des dépenses de fonctionnement de 4 %, soit 350 millions d'euros supplémentaires, permettra notamment de financer des locations d'aéronefs pour l'instruction, -et ce n'est pas un luxe, nous connaissons tous les retard de formation dus à l'indisponibilité des équipements-, la hausse tarifaire des énergies et le plan famille. Est concernée en particulier l'accélération du déploiement des espaces ATLAS pour Accès en Tout temps et en tout Lieu Au Soutien. Le Directeur central du service du commissariat des armées, que nous avons auditionné, nous a présenté ces espaces multiservices qui rassemblent dans une pièce un maximum de prestations du commissariat, de l'institution de gestion sociale des armées (IGESA), mais aussi les prestations des services municipaux et de la CAF. Ils désengorgent les groupes de soutien des bases. De 26 espaces ATLAS aujourd'hui, on passera à 200 à terme, afin de rapprocher le soutenu du soutenant en veillant à renforcer le lien humain.

Ceci s'inscrit dans le cadre de la responsabilisation des commandements annoncée l'année dernière. Après avoir auditionné le major général des armées, deux constats s'imposent qui plaident en faveur de cette réforme.

Les armées sont confrontées à des générations plus exigeantes envers l'institution et plus mobiles dans leur vie professionnelle ; nos rapporteurs, Joël Guerriau et Gilbert Roger, en charge des ressources humaines, nous alertent d'ailleurs sur le défi que représente la fidélisation. Si les lieutenants quittent les rangs, qui seront les prochains colonels ? Dans ce contexte, les tracasseries administratives, les lourdeurs de mise en oeuvre des services de soutien sont plus sensibles que jamais.

Or, pour préserver les armées en temps de restriction budgétaire, les services de soutien ont été l'objet de grands sacrifices. Face aux réductions de personnels, ils ont été organisés selon une logique de « bout en bout » pour favoriser leur efficacité-métier qui a mis à mal la cohérence organique des armées. Réaffirmer la « militarité » des soutiens est indispensable au bon fonctionnement de nos armées qui doivent pouvoir ainsi accomplir leur contrat opérationnel, en temps de paix, de crise ou de guerre.

C'est bien ce que propose la réforme en oeuvre qui redonne des leviers au commandement opérationnel et aux armées sans pour autant remettre en question les structures organisationnelles qui prévalent actuellement dans les soutiens. L'instruction ministérielle sur les commandants de base de Défense (COMBdD) leur redonne des leviers budgétaires et le pouvoir de décider localement des priorités d'aménagement par exemple. Des dérogations aux modalités d'achats publics des armées visent également à apporter de la souplesse dans la gestion des bases de défense. Dans le même temps, le Commissariat central met en place des guichets uniques - nouvelle génération.

Enfin, l'évolution remarquable de 2020 concerne la contraction des moyens du programme 178 dédiés à l'entretien programmé du matériel (EPM), soit une diminution de 3,7 % par rapport à 2019. Cette évolution est due au retour à la normale après le pic de ressources exceptionnelles de 500 millions d'euros votées lors de l'actualisation de juillet 2015 de la LPM 2014-2019. La LPM 2019-2025 prévoit de consacrer 4,4 milliards d'euros par an à l'EPM, soit 22 milliards d'euros sur la période de programmation. J'ai en la matière deux recommandations.

Tout d'abord, nous devons rester particulièrement attentifs à la progression des coûts unitaires du maintien en condition opérationnelle qui augmentent. Aucune amélioration n'est à attendre, qu'il s'agisse d'entretenir des flottes ou parcs vieillissants ou neufs. Le risque d'une envolée exponentielle de ces lignes budgétaires doit nous alerter et inciter le ministère à prendre cette dimension en compte dans la réforme de la maintenance en cours. Réforme qui marque un vrai changement d'orientation de l'organisation du MCO au profit de l'externalisation de marchés d'entretien des équipements aéronautiques globaux et verticalisés sous la houlette de la Direction de la maintenance aéronautique (DMaé) que nous avons auditionnée. Désormais, pour un équipement, tous les contrats d'entretien sont regroupés, confié à un seul industriel en charge de l'entretien, de la gestion des stocks de rechange et de la disponibilité de l'équipement concerné. C'est un changement de paradigme. Il nous faut veiller à la réalisation des objectifs de la performance et à l'encadrement de l'évolution des coûts. C'est le capital opérationnel de notre armée qui est en jeu !

Deuxième recommandation, l'augmentation de la disponibilité technique opérationnelle doit être au rendez-vous. En 15 ans la disponibilité des aéronefs a baissé de 10 points et est globalement inférieure à 50 %, tandis que les coûts de maintenance ont augmenté de près de 40 %. La disponibilité technique de l'A400M était de 31 % du parc au 31 août 2019, celle du Caïman Marine de 29 %, celle du Rafale Marine de 41 %. Les progrès enregistrés sur la flotte FENNEC seront plus difficiles à obtenir pour les Rafale. Ce dossier requiert notre attention. Nos interlocuteurs ont bien conscience de notre vigilance et de nos attentes de résultats.

Enfin mes chers collègues, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 178.

Mme Christine Prunaud, co-rapporteure. - Conforme à la programmation, ce budget suscite quelques inquiétudes que nous avions pointées lors de la préparation de la LPM dans un contexte de suremploi des équipements et de dépassement des contrats opérationnels.

Le programme 178 est au coeur de la mission défense car il porte les crédits de la préparation opérationnelle de nos armées, gage de notre réactivité, de notre efficacité et de la sécurité des personnels. Or l'activité opérationnelle reste inférieure aux objectifs fixés, de près de 10 %. La situation est préoccupante pour les trois armées.

Ainsi, la cible de 90 jours de préparation opérationnelle pour l'armée de terre n'a plus été atteinte depuis 2015, elle est de 81 jours depuis 2017 et aucun progrès n'est prévu en 2020. Ceci induit l'allongement de la durée de mise en oeuvre du contrat opérationnel ! Pour 2019 le contrat d'intervention ne peut être tenu que moyennant une adaptation du dispositif de gestion de crise et un accroissement du délai de montée en puissance de 9 à 12 mois des 15 000 hommes prévus par le contrat opérationnel. De même, les nouvelles normes d'entraînement sur cinq matériels majeurs en service dans les forces : dont notamment le Leclerc, le VBCI et le VAB, ne seront réalisées qu'à 57 % en 2020.

Pour l'armée de l'air, le défaut d'entraînement se traduit par la perte progressive de certaines compétences, des difficultés dans la formation des jeunes équipages et l'abandon de l'entraînement des équipages aux savoir-faire non sollicités en opération. Cela pourrait se traduire à terme par la perte de savoir-faire indispensables, notamment pour la capacité d'entrer en premier. La capacité de l'Armée de l'air à intervenir dans une situation mettant en jeu la sécurité de la France a été revue à la baisse dans le cadre du PLF pour 2020, passant de 75 % à 70 %. C'est bien sûr l'indisponibilité des Mirage 2000D et des avions de transport tactique qui perturbe la préparation opérationnelle.

Enfin, pour la marine, les niveaux de préparation sont tributaires de la régénération des potentiels humain et technique. Malgré le retour du porte-avion Charles de Gaulle dans le cycle opérationnel, la disponibilité insuffisante des équipements, tels que les frégates d'ancienne génération, les bâtiments de commandement et de ravitaillement ainsi que les flottes d'ATL2 (avion de patrouille maritime) et les hélicoptères, plafonne les capacités d'entraînement des marins.

Nous avons fait adopter dans la cadre de la LPM des amendements pour que l'urgence de la remontée de la préparation opérationnelle soit affirmée. Il nous faut continuer d'attirer l'attention du Gouvernement sur ce sujet essentiel.

Dans le cadre de la préparation de cet avis budgétaire, nous avons poursuivi l'examen attentif de l'exercice de leur mission par les grands services de soutien, éternels sacrifiés du ministère ayant subi de plein fouet les déflations de personnels puis la remontée en puissance de la FOT qui les a mis sous tension.

Depuis 2014, le SSA a perdu 1 600 hommes soit 8 % de ses effectifs. Le service dispose de 700 médecins des forces, il lui en manque toujours 100 ! La stabilisation des effectifs du SSA jusqu'en 2023 et leur remontée modérée au-delà ont amélioré les perspectives, notamment dans la relation du service aux réservistes. Vous m'avez entendue vous alerter ces dernières années sur l'importante contribution de ces derniers à la projection en OPEX du SSA. Entre 10 % et 20 % du contrat opérationnel du SSA en OPEX est en effet assuré par des réservistes. Cette tendance était inquiétante dans une trajectoire de déflation des effectifs du SSA, elle ne l'est plus dans la nouvelle perspective dessinée par la LPM. Au contraire, les relations entre le SSA et les réservistes me semblent fructueuses. Elles permettent de pourvoir le service en tant que de besoin en attendant que des médecins et infirmiers supplémentaires soient formés, et les besoins sont réels chez les chirurgiens orthopédistes ou les dentistes. Elles garantissent également l'irrigation des savoir-faire du SSA au sein de notre société lorsque les réservistes retournent à leur pratique.

En compagnie de la Générale Maryline Gygax Généro, directrice centrale et Médecin général des armées, que notre commission a entendue à votre initiative, Monsieur le président en janvier dernier, la visite du centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) la semaine dernière, m'a permis une fois encore de rencontrer des personnels de très haute qualité dont l'engagement et le dévouement sont exemplaires. Nous devons soutenir la modification des décrets permettant la prise en compte de la spécificité des missions du SSA : notamment l'abaissement de l'ancienneté requise des infirmiers menant les entretiens préparant les dons du sang de deux ans à un an, et les conditions de dépôt d'urgence de plasma lyophilisé universel. C'est un domaine dans lequel le SSA excelle, produisant ce plasma pour d'autres pays, notamment les États-Unis, sur fourniture de leur propre plasma et contre paiement naturellement. N'oublions pas que la recherche et l'innovation font partie des missions du CTSA.

Cette nouvelle trajectoire positive se traduit enfin par la mise en oeuvre du nouveau modèle hospitalier militaire, la poursuite de la remontée en puissance de la médecine des forces, avec notamment la mise en oeuvre des nouvelles antennes de réanimation, de chirurgie et de sauvetage. Nous devrons rester attentifs car ces antennes, indispensables à notre capacité à entrer en premier sur les nouveaux théâtres d'opération, sont financées au prix de renoncement sur d'autres équipements.

Mes chers collègues, ces services de soutien sont une des raisons pour laquelle je ne voterai pas contre l'adoption des crédits du programme 178. Sur ce programme, je m'abstiendrai.

M. Joël Guerriau. - Je m'interroge beaucoup sur tout ce qui touche l'externalisation. Il semble préférable qu'elle bénéficie à des entreprises françaises. D'une manière générale, l'efficacité est indispensable dans l'action militaire, et connaître des difficultés liées à un matériel défaillant que l'on n'entretient pas soi-même est un risque inutile.

Concernant les uniformes, lors d'une commémoration à laquelle je me suis rendu, avec Philippe Paul, à l'école navale, il faisait très froid, il pleuvait et un peloton était en chemisette. On m'a expliqué que cela tenait à la livraison d'uniformes dont la couleur n'était pas conforme qui avait dû être renvoyée. J'ai également vu récemment des marins dont les chaussures, lors d'un embarquement en mer, présentaient des fermetures défectueuses. Ce n'est pas bon pour le moral des troupes. Ce n'est certainement pas un élément favorable à la fidélisation des personnels. Avant les uniformes étaient fabriqués par l'armée elle-même. Aujourd'hui on externalise ces prestations, avec des résultats qui ne sont pas à la hauteur des attentes légitimes.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Sur le soutien médical des forces, j'aimerais savoir, au vue de la pénurie que connait notre pays en matière médicale, notamment le manque de médecins, si les armées sont confrontées à un problème de recrutement et de fidélisation de leurs personnels soignants ? Et le cas échéant, quelles en sont les conséquences ?

M. Jean-Marie Bockel, co-rapporteur. - Il y a deux aspects sur l'externalisation, et ce n'est pas une problématique nouvelle : on distingue ce qui doit être externalisé et ce qu'il ne vaut peut-être mieux pas externaliser. L'externalisation n'est pas un mauvais choix en soi, lorsqu'elle est confiée notamment à de bons industriels, de bonnes entreprises, si possibles françaises. Ce n'est pas le rôle de l'armée que de tout faire soi-même, je pense aux uniformes par exemple.

Nous avons eu le débat ces dernières années sur les excès d'externalisation, et on s'est rendu compte, en raison d'une présence plus importante sur les théâtres extérieurs qu'il était parfois bon de faire soi-même, sur le terrain, lorsque cela touche le plan opérationnel ou la qualité de vie du soldat déployé. Je crois que ces sujets-là ont été surmontés de manière pragmatique au cas par cas. Cela ne veut pas dire que tout soit parfait et il est normal de souligner les incohérences, lorsqu'on les rencontre. C'est un premier aspect.

L'autre aspect est plus prosaïque. Il s'agit de distinguer le « bon travail du mauvais travail », ou pour le dire autrement, il y a, au sein des armées, une entité responsable de la qualité des matériels et équipements utilisés, qu'ils soient produits en interne par des services de l'armée ou externalisés à des prestataires ou industriels. Que ce soit sur des questions de nourriture, ou d'habillement, comme dans l'exemple donné de l'uniforme, le Commissariat des armées doit intervenir et veiller au respect du cahier des charges. Des procédures idoines existent, permettant de sanctionner les défauts constatés. Je ne sais pas si tel est le cas dans l'exemple cité, mais la responsabilité du Commissariat peut aussi être mise en question si des demandes ont été mal formulées ou à contre temps. C'est lui qui doit en assumer la responsabilité dans de tels cas.

Mme Christine Prunaud, co-rapporteure. - Le problème de recrutement et de fidélisation du SSA est le même que celui que connaît nos hôpitaux publics. Il manque 100 médecins, mais la Directrice centrale du SSA, lorsque je l'ai rencontrée, m'a indiqué être satisfaite de la trajectoire prévue par la LPM. Elle a pris des mesures favorisant le recrutement des infirmiers et des médecins, mais le temps de formation est long. Les perspectives sont positives, ce qui est nouveau, les années précédentes, le SSA était sur le fil du rasoir.

Ainsi les réservistes me semblaient un moyen de pallier les manques d'effectifs et leur proportion augmentait, ce que je n'acceptais pas facilement. Dans une trajectoire haussière des effectifs du SSA, leur participation aux projetions du service est une force. Les réservistes, spécialistes, interviennent sur un temps limité et enrichissent le SSA avant de diffuser les bonnes pratiques du service dans le monde civil.

Les personnels du SSA sont des gens très engagés, très dévoués, ce qui compense en partie les difficultés liées à la fidélisation. Ce ne peut toutefois être la seule réponse. La féminisation pose aussi des défis particuliers de conciliation entre la vie personnelle et professionnelle qui sont désormais traités.

Je n'ai en revanche pas de chiffres précis à vous donner sur les niveaux de rémunération et les différentiels entre le secteur public ou privé et le secteur militaire.

M. Christian Cambon, président. - Je remercie les rapporteurs.

Page mise à jour le

Partager cette page