INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La mission « Immigration, asile et intégration » du budget général dont notre commission est saisie pour avis finance trois grands axes de notre politique migratoire : l'intégration des étrangers en situation régulière, l'accueil et l'examen de la situation des demandeurs d'asile, ainsi que la gestion des flux migratoires, avec notamment la lutte contre l'immigration irrégulière.

Dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2020, cette mission représente désormais près de 2 milliards d'euros 2 ( * ) (1,93 milliard d'euros en autorisations d'engagement [AE] et 1,82 milliard d'euros en crédits de paiement [CP]), en hausse de + 4,5 % en AE et de + 7,7 % en CP par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2019. À périmètre constant 3 ( * ) , les crédits de la mission augmentent cette année de 9,8 % .

Si le Gouvernement et sa majorité mettent volontiers en avant le quasi doublement des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » depuis 2017 , votre rapporteur tient à souligner qu'il s'agit en fait :

- d' un rattrapage tardif et imparfait , pour doter enfin la France de moyens à la hauteur des flux migratoires auxquels nos services se trouvent exposés, le nombre de demandeurs d'asile ayant, lui, quasiment quadruplé en 10 ans ;

- de la marque d'une incapacité chronique à anticiper correctement l'évolution des flux et à budgéter sincèrement les crédits requis ; la mission dépasse désormais nettement - de près d'un demi-milliard d'euros - la trajectoire prévue par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. À l'époque, contre toute logique, et contre l'avis de votre rapporteur, le Gouvernement avait même anticipé une baisse de ces crédits en 2019 et 2020 4 ( * ) !

Dans le détail des dépenses prévues pour 2020, il y a d'abord lieu de de se féliciter de réels efforts consentis dans certains domaines sur lesquels le Sénat appelle depuis longtemps le Gouvernement à agir.

En matière d' asile , des investissements considérables sont reconduits pour pouvoir répondre aux 123 000 nouvelles demandes déposées en 2018 (+ 22 % ) ; il s'agit d'un nouveau record pour la France , qui reste particulièrement exposée aux flux de « rebonds » (plus d'un tiers des demandes déposées en préfecture relève normalement d'un autre pays européen en application du règlement « Dublin ») et reçoit une importante demande de ressortissants en provenance de pays d'origine sûrs (un cinquième environ).

Le fait budgétaire le plus saillant cette année est le renforcement significatif des moyens de l'OFPRA, avec + 200 emplois (passant de 805 à 1 005 ETP) et une subvention augmentée (+ 30 %, de 70,56 à 91,66 millions d'euros). Votre rapporteur regrettait l'an dernier « l'incohérence du Gouvernement qui, dans une démarche d'affichage, avance des objectifs extrêmement ambitieux de traitement des demandes par l'OFPRA, mais sans lui allouer les moyens nécessaires pour les atteindre et en se fondant sur des hypothèses irréalistes » : sous réserve que les difficultés inhérentes à un recrutement aussi important soient surmontées (vivier limité et concurrence de la Cour nationale du droit d'asile [CNDA], temps de formation, adaptation des locaux), on ne peut dès lors que se réjouir de cette prise de conscience tardive des besoins de l'OFPRA.

Ces efforts devraient permettre de réduire enfin le délai moyen de traitement des demandes d'asile , qui reste particulièrement long : alors que le délai cible pour le traitement d'une demande par l'OFPRA est fixé à 2 mois, le délai attendu était, avant ces renforts, de plus de 6 mois pour 2019 et de 5 mois pour 2020.

En matière d' intégration , la hausse des crédits se poursuit, mais à un rythme moins soutenu : très significative l'an dernier (+ 30 %), elle sera plus modeste en 2020 (+ 7 %), pour renforcer l'accueil des étrangers primo-arrivants et notamment financer les formations linguistiques et l'insertion professionnelle.

Néanmoins, alors que le Gouvernement présente ce budget comme la mise en oeuvre de son plan « Garantir le droit d'asile et mieux maîtriser les flux migratoires », adopté en Conseil des ministres le 12 juillet 2017, et de la loi dite « Asile, immigration, intégration » du 10 septembre 2018, votre rapporteur regrette d'y retrouver les mêmes incohérences .

Le scenario sur lequel est construit le budget de la mission paraît cette année encore peu réaliste : le Gouvernement fait l'hypothèse d'une hausse prévisionnelle de la demande d'asile de + 12% en 2019 puis d'une stabilisation (0 %) à partir de 2020 . Pourtant, ce même postulat, utilisé l'année dernière pour construire le PLF pour 2019, s'était révélé largement erroné, comme le Sénat le dénonçait déjà. Alors que le PLF pour 2019 prévoyait + 10 % de demandes en 2018, puis 0 % en 2019, c'est une hausse de + 22 % qui s'est réalisée en 2018 et de + 12 % qui est attendue pour 2020...

Dans ces conditions, un sous-financement de plusieurs programmes est à craindre . Exemple caricatural de la sincérité perfectible de ce budget, les crédits prévus pour financer le versement de l'aide aux demandeurs d'asile (ADA) en 2020 devraient paradoxalement être inférieurs aux montants effectivement versés en 2019 (budgétés à hauteur de 444 millions d'euros pour 2020, ils devraient atteindre environ 500 millions d'euros en 2019).

En matière d' hébergement des demandeurs d'asile, les efforts cette année restent très insuffisants face au développement inacceptable des campements sauvages. Alors que moins d'un demandeur sur deux est hébergé dans une structure appropriée - bien loin de la cible de 9 sur 10 affichée l'an dernier par le Gouvernement -, le PLF 2020 ne prévoit plus aucune création de nouvelles places dans le dispositif national d'accueil.

Enfin, concernant la lutte contre l'immigration irrégulière , la France est tombée cette année à un plus bas historique en termes de taux d'exécution des décisions d'éloignement (environ 15 % seulement). Le volume des OQTF prononcées explose sans que les services chargés de mettre en oeuvre les éloignements aient les moyens de suivre (132 000 mesures ont été prononcées, mais seulement 20 000 exécutées en 2018). Alors que les objectifs d'éloignement à l'issue de placements en rétention sont prévus à la hausse cette année (pour faire passer le taux d'éloignement des retenus de 50 à 60 %), comment ne pas y voir une pure mesure d'affichage au regard de la stagnation des crédits dédiés au financement de ces mêmes retours forcés (les frais d'éloignements des étrangers ne sont autorisés qu'à hauteur de 33 millions d'euros, soit une augmentation de + 6 % seulement) ?

En la matière, votre rapporteur a souhaité dresser cette année un panorama synthétique de la lutte contre la fraude documentaire en matière d'immigration . Il s'agit en effet d'un sujet sur lequel plusieurs apports du Sénat ont été intégrés à la loi dite « Asile, immigration, intégration », et qui reste encore peu connu malgré son importance pour la maîtrise de nos flux migratoires.

*

* *

Au regard de ces constats, et à l'invitation de votre rapporteur, votre commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » inscrits au projet de loi de finances pour 2020.

I. UNE IMMIGRATION RÉGULIÈRE EN HAUSSE CONSTANTE QUI EXIGE LA POURSUITE DES EFFORTS EN FAVEUR DE L'INTÉGRATION

La gestion de l'immigration régulière et le financement des actions d'intégration représentent environ 17 % des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » (322 millions d'euros en AE et en CP).

A. UNE HAUSSE RÉGULIÈRE MAIS MODÉRÉE DES FLUX D'IMMIGRATION LÉGALE ET UN RÉÉQUILIBRAGE DE SES COMPOSANTES

L'immigration régulière se décompose traditionnellement en deux composantes : l'immigration temporaire, d'une part, et l'immigration de longue durée, d'autre part. De façon simplifiée, la première donne lieu à la délivrance de visas par les autorités diplomatiques et consulaires, la seconde à la délivrance de titres de séjour par les services préfectoraux.

L'année 2018 a été marquée par une nouvelle progression du nombre de visas délivrés .

Nombre de visas 5 ( * ) délivrés par la France

(en millions)

Source : commission des lois

Le nombre de premiers titres de séjour accordés en 2018 en métropole à des ressortissants de pays tiers à l'Union européenne, qui s'établit à 255 956 , est également en progression de 3,4 % par rapport à 2017, et ce pour la huitième année consécutive .

Pour ce qui est de l'origine des flux d'immigration régulière, on observe que les cinq premières nationalités ayant bénéficié d'un premier titre de séjour, sont les nationalités marocaine (31 825), algérienne (29 210), tunisienne (18 761), chinoise (14 236) et sénégalaise (8 303).

L'immigration légale poursuit un mouvement progressif de rééquilibrage dans sa composition : si l'immigration familiale demeure le premier motif d'arrivée en France (35 % en 2018 contre 46 % en 2013), sa part tend à décliner, essentiellement en faveur de l'immigration étudiante (32 % en 2018 contre 31 % en 2013) et humanitaire (13 % en 2018 contre 9 % en 2013), qui comprend les personnes s'étant vues reconnaître la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire.

En 2018, 242 665 premiers titres de séjour ont été accordés à des étrangers souhaitant résider durablement en France, soit une augmentation de 5,3 % par rapport à 2016 .

Source : ministère de l'intérieur

La forte augmentation des titres délivrés pour motif économique est en partie due à l'entrée en vigueur, depuis le 1 er novembre 2016, du dispositif « passeport talent », propre aux travailleurs étrangers très qualifiés. Entre cette date et le 31 décembre 2017, on compte ainsi 30 428 « passeports talents » délivrés, dont 10 808 en première délivrance et 19 620 pour des étrangers qui possédaient déjà un autre titre de séjour et ont ensuite accédé au dispositif.

Le « passeport talent »

Créé par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, le « passeport talent » vise à renforcer l'attractivité du territoire national auprès de travailleurs étrangers très qualifiés. Contrairement à ce que laisse supposer sa dénomination, il s'agit d'un titre de séjour (non d'un titre de circulation comme le passeport), qui autorise son détenteur à se maintenir durablement en France.

D'une durée de quatre ans renouvelable, il est octroyé dès la première admission au séjour par les préfectures françaises (comme tous les titres de séjour) mais également par les autorités diplomatiques et consulaires présentes dans le pays d'origine.

Ce titre de séjour spécial concerne, en particulier, dix grandes catégories de personnes :

- les jeunes diplômés qualifiés salariés ou salariés d'une jeune entreprise innovante ;

- les travailleurs hautement qualifiés (carte bleue européenne) ;

- les salariés en mission ;

- les chercheurs ;

- les créateurs d'entreprise ;

- les porteurs d'un projet économique innovant ;

- les investisseurs économiques ;

- les mandataires sociaux ;

- les artistes interprètes ;

- les étrangers ayant une renommée nationale ou internationale.

Récemment, la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a légèrement modifié les catégories de bénéficiaires. En particulier, elle a élargi ces critères aux étrangers qui participent au développement environnemental, social et international de l'entreprise ainsi qu'au secteur de l'artisanat.

Le dynamisme des chiffres de l'immigration régulière est cette année particulièrement porté par les régularisations d'étrangers 6 ( * ) sous l'effet de la « circulaire Valls » du 28 novembre 2012 7 ( * ) . Depuis sa diffusion, 192 057 admissions au séjour ont ainsi été prononcées à ce titre en France .

Ces régularisations sont à nouveau nettement en hausse : 33 257 en 2018 contre 30 973 en 2017 (+ 7 % ).

Votre rapporteur déplore que le Gouvernement persiste à refuser de durcir certaines règles d'admission exceptionnelle au séjour. Il est notamment regrettable que le Gouvernement n'ait pas intégré à la loi « Asile immigration, intégration » la proposition de votre commission qu'une résidence depuis au moins cinq ans sur le territoire français ne puisse justifier, à elle seule, l'admission exceptionnelle au séjour des étrangers en situation irrégulière.

La « circulaire Valls »

Entrée en vigueur le 3 décembre 2012, la « circulaire Valls » rappelle tout d'abord que les admissions exceptionnelles au séjour des étrangers en situation irrégulière « doivent faire l'objet d'un examen approfondi, objectif et individualisé (...) en tenant compte notamment de leur intégration dans la société française, de leur connaissance des valeurs de la République et de la maîtrise de la langue française ».

Elle prévoit ensuite plusieurs cas d'admission exceptionnelle au séjour, comme par exemple pour :

- les parents d'enfants scolarisés (présents sur le territoire depuis au moins cinq ans, sauf exception) ;

- les étrangers présentant un « talent exceptionnel ou des services rendus à la collectivité (par exemple dans les domaines culturel, sportif, associatif, civique ou économique) ».

Au total, 2,95 millions d'étrangers disposent d'un titre de séjour français (valide en métropole), 68 % d'entre eux bénéficiant d'une carte de résident valable dix ans et renouvelable de plein droit sauf menace pour l'ordre public.


* 2 Les dépenses de l'État en la matière ne se limitent toutefois pas à la mission « Immigration, asile et intégration » : 9 ministères, en plus du ministère de l'intérieur, contribuent à la politique française de l'immigration et de l'intégration pour un coût estimé de 5,8 milliards d'euros en 2018, de 6,2 milliards d'euros en 2019 et de 6,7 milliards d'euros en 2020. (Voir le document de politique transversale (DPT) « Politique française de l'immigration et de l'intégration », annexé au projet de loi de finances pour 2020).

* 3 La création d'une « direction du numérique » unifiée au sein du ministère de l'intérieur entraine le transfert de 32,7 millions d'euros du programme 303 « Immigration et asile » (action 4) vers le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ».

* 4 Les crédits de paiement de la mission auraient dû baisser depuis 2018, pour s'établir à 1,36 milliard d'euros en 2019 et en 2020.

* 5 Hors visas de long séjour valant titres de séjour (VLS-TS), comptabilisés comme des titres de séjour. Ces chiffres excluent également l'immigration temporaire des ressortissants de pays bénéficiant d'une dispense de visa (ressortissants de l'Espace économique européen, des États-Unis, du Japon, etc. ).

* 6 Régularisations qui correspondent, d'un point de vue juridique, aux « admissions au séjour pour motif exceptionnel ou humanitaire ».

* 7 Circulaire INTK1229185C, relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

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