IV. DES DISPOSITIONS DIVERSES... DIVERSEMENT OPPORTUNES

A. CERTAINES DISPOSITIONS EN MATIÈRE AGRICOLE QUI VONT BIEN AU-DELÀ DE QUESTIONS ESSENTIELLEMENT « TECHNIQUES », CE QUI JUSTIFIE UN REFUS DE CERTAINES HABILITATIONS À LÉGIFÉRER PAR ORDONNANCE

À l' article 22 , le Gouvernement sollicite deux habilitations à prendre par ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi afin d'aménager techniquement et de compléter le cadre juridique relatif aux organismes génétiquement modifiés.

Elles entendent, en pratique, tirer les conclusions de l'arrêt du 7 juillet 2020 du Conseil d'État sur les organismes obtenus par mutagenèse, qui a conclu que les nouvelles techniques de mutagenèse doivent être regardées comme étant soumises aux obligations imposées aux organismes génétiquement modifiés.

L'arrêt du Conseil d'État du 7 février 2020 sur les organismes obtenus par mutagenèse

Interrogée par le Conseil d'État sur le statut des nouvelles techniques de mutagenèse dirigée vis-à-vis de la directive 2001/18/CE, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a conclu dans son arrêt du 25 juillet 2018 que tous les organismes obtenus par mutagenèse sont des organismes génétiquement modifiés (OGM) et que seuls sont exclus du champ d'application de la directive ceux qui sont issus de techniques de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps .

Le Conseil d'État, dans son arrêt du 7 janvier 2020, en a déduit plusieurs conséquences :

- tant les techniques ou méthodes dites « dirigées » ou « d'édition du génome » que les techniques de mutagenèse aléatoire in vitro soumettant des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques, doivent être regardées comme étant soumises aux obligations imposées aux organismes génétiquement modifiés ;

- le Gouvernement doit, en conséquence, fixer par décret la liste limitative des techniques ou méthodes de mutagenèse traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. Elles ne seront pas soumises au cadre réglementaire des OGM ;

- le Gouvernement doit identifier, au sein au sein du catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, les variétés issues de mutagenèse, en particulier parmi les variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH), qui y auraient été inscrites sans que soit conduite l'évaluation à laquelle elles auraient dû être soumises et d'apprécier, s'agissant des variétés ainsi identifiées, s'il y a lieu de suspendre, de consigner ou de détruire les produits concernés ;

- le Gouvernement doit prendre les mesures nécessaires afin de répondre aux lacunes de données actuellement disponibles sur les variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH) dues à l'absence de traçabilité de ces données, comme le recommande l'Anses dans un avis ;

- le Gouvernement doit prescrire des conditions de culture appropriées pour les VRTH issues de la mutagenèse utilisées en France.

Deux habilitations inscrites à l'article 22 entendent tirer les conclusions de ces injonctions du Conseil d'État :

- afin de faire face à l'afflux de dossiers induit par l'élargissement des organismes entrant dans le champ des organismes génétiquement modifiés, le 2° du I entend adapter la procédure de déclaration des utilisations en milieu confiné, uniquement pour les organismes génétiquement modifiés qui ne sont pas susceptibles de provoquer des maladies chez l'Homme ou des effets négatifs sur l'environnement (groupe 1), tout en maintenant l'ensemble des garanties exigées par le droit européen. Aujourd'hui, un utilisateur est obligé de déclarer aux services administratifs toutes les utilisations en milieu confiné de risque nul ou négligeable et reçoit en échange un récépissé. Or la directive européenne régissant le cadre européen de ces recherches ne l'exige pas, ces utilisations à faible risque, devant plutôt être tracées dans un dossier pouvant être présenté, sur demande, à l'autorité compétente. L'ordonnance entend reprendre le cadre européen pour l'appliquer en France et supprimer, ainsi, cette surtransposition française ;

- le 4° du I habilite le Gouvernement à répondre à l'injonction du Conseil d'État afin de prévoir par ordonnance les modalités de traçabilité et les conditions d'utilisation des semences des variétés rendues tolérantes aux herbicides et des produits issus. Cela se traduira par des obligations nouvelles en matière déclarative pour les utilisateurs. À cet égard, dans son avis du 26 novembre 2019 sur la question, l'Anses a estimé qu'il était nécessaire de « générer une connaissance exhaustive et continue dans le temps des successions culturales et des pratiques culturales associées ». L'agence a été saisie par les ministres chargés de l'environnement et de l'agriculture en juin dernier afin d'identifier et de cartographier les cultures actuelles de variétés tolérantes aux herbicides, de bâtir un programme d'études de suivi des variétés tolérantes aux herbicides et, partant, de recueillir des données permettant d'évaluer les risques sanitaires et environnementaux liés à l'utilisation de variétés tolérantes aux herbicides.

Le Gouvernement entend s'appuyer sur ses conclusions pour mettre en oeuvre le cadre requis par le Conseil d'État, pouvant aller jusqu'à la mise en place d'un régime de déclaration obligatoire pour ces espèces. Déjà en retard par rapport aux délais fixés par le juge administratif, le Gouvernement sollicite du Parlement une habilitation à légiférer par ordonnance.

En entendant répondre directement et rapidement aux injonctions émises par le juge administratif, ces deux demandes d'habilitation, au caractère technique, semblent justifiées.

Ce n'est pas le cas de l'habilitation prévue au 3° du I du même article 22. En entendant redéfinir les modalités selon lesquelles les avis et recommandations relatifs aux biotechnologies sont élaborés, l'habilitation permet au Gouvernement de modifier profondément l'équilibre de la loi n° 2008-595 du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés, sans contrôle suffisant du Parlement sur ces questions essentielles.

Depuis 2009, le Haut conseil des biotechnologies est la pierre angulaire du dispositif d'avis sur ces questions, ces derniers comportant une expertise scientifique enrichie d'un avis économique, éthique et social. Il est indéniable que cette structure a montré des difficultés importantes à fonctionner, ce qu'illustrent les nombreuses démissions des membres des comités. Une réforme de la structure ou, plus probablement, l'émergence d'un nouveau système est nécessaire. Dans cette réorganisation, il apparaît essentiel d'éclairer les débats complexes relatifs aux sujets des biotechnologies en sollicitant un débat public ou en recueillant les opinions éthiques ou économiques auprès d'organisations spécialisées, sans toutefois que ces procédures ne viennent remettre en cause la crédibilité d'une analyse scientifique assise sur l'expertise d'une institution indépendante. Il convient de placer la science au coeur de ces débats difficiles, permettant de garantir une évaluation des risques environnementaux rigoureuse.

Si l'habilitation du Gouvernement semble aller dans ce sens, le Parlement ne saurait signer un « chèque en blanc » sur des sujets aussi sensibles, sans avoir une connaissance plus détaillée de l'architecture imaginée. Ces questions complexes méritent un débat dont le Gouvernement ne saurait priver le Parlement.

C'est pourquoi la commission a adopté, sur proposition du rapporteur, un amendement de suppression de cette habilitation à légiférer par ordonnance pour redéfinir les modalités selon lesquelles les avis et recommandations relatifs aux biotechnologies sont élaborés ( COM-98 ).

L' article 23 est une mesure de simplification, retirant le statut d'établissement public de coopération à Agreenium, source de lourdeurs administratives, pour le transformer en « Alliance Agreenium », appuyée sur une convention de coordination territoriale entre différents établissements d'enseignement supérieur et de recherche agronomiques, sous l'égide de l'Inrae.

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