Avis n° 141 (2020-2021) de Mme Brigitte MICOULEAU , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 19 novembre 2020

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N° 141

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi
de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 ,

TOME III

DIRECTION DE L'ACTION DU GOUVERNEMENT

Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca)

Par Mme Brigitte MICOULEAU,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche, présidente ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Patrick Boré, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Élisabeth Doineau, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Laurence Garnier, Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, M. Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, M. Olivier Léonhardt, Mmes Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Dominique Théophile.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

1. SI LA CRISE SANITAIRE N'A PAS BOULEVERSÉ LE PAYSAGE DES ADDICTIONS, ELLE POURRAIT ENGENDRER, À MOYEN TERME, UNE AUGMENTATION DES CONSOMMATIONS ET DES USAGES ADDICTIFS

A. LES CONSOMMATIONS DE TABAC ET D'ALCOOL CONTINUENT LEUR DIMINUTION

Les consommations de substances addictives licites (tabac et alcool) continuent leur décrue. Si la politique vigoureuse de lutte contre le tabac a été efficace, comme en atteste la baisse du nombre de fumeurs depuis 2016, il faut se garder de tout triomphalisme. En effet, le tabac demeure responsable de 75 000 décès par an, et la trajectoire de baisse de 2019 est un peu moins favorable que celle de 2018. En outre, la diminution de la consommation tabagique est socialement marquée : les ouvriers demeurent deux fois plus nombreux à fumer que les cadres et le poste « tabac et boissons alcoolisées » est le seul pour lequel les ouvriers dépensent davantage que les cadres. L'écart de consommation entre hommes et femmes tend à se réduire. Suite à la diminution du nombre de fumeurs, il devient pertinent de repérer précocement les consommateurs afin de leur proposer un suivi personnalisé.

Si les consommations globales d'alcool diminuent en France, l'alcool demeure la substance psychoactive la plus précocement et fréquemment utilisée chez les jeunes. 53 % des Français âgés de 16 ans ont consommé de l'alcool dans le mois et 35 % ont connu une alcoolisation ponctuelle importante au cours du mois précédent. Ces chiffres classent la France au-dessus de la moyenne européenne. Responsable de 41 000 décès par an, l'alcool est en cause dans 40 % des crimes et délits commis dans notre pays. Il est aussi un puissant aggravateur des violences intrafamiliales. Malgré ces constats sans appel, la France peine à mettre en oeuvre une politique volontariste de lutte contre les méfaits de l'alcool, comme en témoigne, par exemple, la profonde méconnaissance des repères de consommation à moindre risque par la population. La politique de lutte contre les consommations excessives d'alcool semble inconsistante, voire accommodante. En application de la loi du 27 décembre 2019, une ordonnance doit être publiée avant fin avril 2021 ; elle réformera le code des débits de boissons pour favoriser la création de lieux de convivialité et, dans le même temps, rénovera l'encadrement de la vente d'alcool en alliant des objectifs de simplification administrative et de santé publique. Ce futur texte semble poursuivre des objectifs pour le moins contradictoires d'un point de vue de la prévention des consommations d'alcool.

Face au stress et à l'angoisse provoqués par la crise sanitaire et économique, les pouvoirs publics doivent redoubler de vigilance dans la lutte contre les addictions, avec ou sans substances.

Avec l'apparition de l'épidémie de Covid-19, des fortes craintes ont été émises de voir les addictions se développer, sous l'effet conjugué du risque de contracter le virus et du caractère potentiellement pathogène des confinements. La situation sanitaire crée de nombreuses incertitudes, voire des situations de stress et d'angoisse, qui peuvent générer un plus grand recours aux substances psychoactives et in fine la perte de contrôle de la consommation, caractéristique de l'addiction. En outre, l'offre d'alcool et de tabac est peu altérée en temps de confinement, cigarettes et boissons alcoolisées restant disponibles et accessibles.

Le choc redouté ne s'est néanmoins pas produit, la hausse des consommations de tabac et d'alcool ayant été contenue au cours de l'année 2020.

Lors du premier confinement, le volume des ventes de tabac a nettement augmenté, notamment durant le premier mois. Mais sur les trois premiers trimestres de 2020 les ventes sont en baisse de 1,4 %, comparées à janvier/septembre 2019.

Lors du confinement du printemps 2020, 65 % des usagers d'alcool ont déclaré une consommation similaire à leurs habitudes, 24 % l'auraient diminuée et 11 % auraient bu davantage. Les périodes de confinement diminuent les opportunités de consommation d'alcool, en particulier pour les jeunes ou les consommateurs occasionnels.

S'agissant de l'usage du cannabis, un quart des usagers a diminué sa consommation, 27 % l'a augmenté, 26 % ne l'a pas modifié et 32 % n'ont pas consommé. Le confinement strict a fait prendre conscience à certains usagers de leur dépendance au produit, son obtention étant moins aisée .

B. LA GRANDE DISPONIBILITÉ DES DROGUES ILLICITES FAIT PESER UNE FORTE PRESSION SUR LES CONSOMMATEURS

Le contexte mondial, marqué par des niveaux de production de drogues illicites jamais atteints engendre des niveaux de teneur en substance particulièrement élevés ainsi que la baisse des prix de détails. La grande disponibilité des produits fait peser une forte pression de l'offre sur les usagers de drogues illicites notamment en Europe, avec des procédés commerciaux qui imitent ceux des entreprises de droit commun : zéro stock, livraison à domicile, promotions proposées par texto quasi publicitaire...

Lors du confinement strict du printemps 2020, 70 % des Centres d'Accueil et d'Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues (Caarud) et 80 % des Centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) ont maintenu un accueil individuel des usagers les plus à risques, tout en arrêtant évidemment les séances collectives d'accompagnement des usagers et en privilégiant les téléconsultations. Ces centres ont aussi continué à délivrer du matériel de réduction des risques et des dommages, mais leur activité était nécessairement réduite. Pour prendre l'exemple de la salle de consommation à moindre risque de Paris, sa fréquentation a significativement baissé, la jauge étant limitée à une soixantaine de personnes par jour et l'espace d'inhalation étant condamné. Les consultations jeunes consommateurs ont également maintenu une activité par téléphone ou visio-conférence. Comme pour l'ensemble des traitements médicamenteux au long cours, les pharmacies ont pu délivrer des traitements de substitution aux opiacés (TSO) sans renouvellement d'ordonnance, et la délivrance de TSO n'a pas diminué lors du confinement. Le ministère des solidarités et de la santé a favorisé la diffusion de kits de naloxone « à emporter » pour les usagers à risques de surdose d'opioïdes et leur entourage ; les commandes de kits de naloxone sont d'ailleurs en augmentation depuis cette campagne de prévention.

En France, les usagers d'opioïdes restent tournés vers les médicaments de substitution, l'héroïne et certains antalgiques tel que le Skénan (sulfate de morphine). Mais la consommation de drogues opioïdes (héroïne, mésusage des traitements de substitution) reste relativement stable, comparativement à l'accroissement continu de l'usage de cocaïne sous toutes ses voies d'administration. L'extension de la consommation de crack s'est faite à bas bruit depuis une quinzaine d'année - la capacité de baser la cocaïne s'est développée concomitamment aux usages. Or l'association de la cocaïne et de l'alcool majore fortement le risque de décès par arrêt cardiaque. Pour répondre aux enjeux sanitaires et sociaux découlant de ces consommations, un plan de mobilisation coordonnée sur la problématique du crack à Paris est en entré en application en 2019 pour une période de deux ans. Les salles de consommation à moindre risques peuvent désormais accueillir un public `'non-injecteur » et contribuer ainsi à la réduction des risques pour les usagers de cocaïne basée. Les deux structures existantes en France (à Paris et Strasbourg) semblent très insuffisantes eu égard aux besoins sur l'ensemble du territoire national. Rappelons que 26 salles de consommation à moindre risque fonctionnent actuellement en Allemagne.

Évolution des substances impliquées dans les décès directement liés aux drogues en France entre 2010 et 2017

L'une des réponses des pouvoirs publics à ces usages de stupéfiants, l'amende forfaitaire délictuelle, a été généralisée au 1 er septembre 2020, après une phase d'expérimentation débutée mi-juin 2020. Cette mesure répressive, qui uniformise la réponse à la consommation sans tenir compte de ses causes, n'est malheureusement pas accompagnée de mesures de prévention ou d'information. En outre, elle ne s'applique pas aux mineurs qui demeurent les plus vulnérables en matière de consommation de cannabis - les effets néfastes des consommations de cannabis sur les jeunes cerveaux étant désormais tout à fait documentés scientifiquement. Cette amende s'appliquera particulièrement aux usagers les plus défavorisés, contraints de consommer dans l'espace public. Les 10 à 12 millions d'euros attendus suite à cette réforme seront reversés au fonds national de lutte contre les addictions de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam).

Face à la recrudescence de l'usage détourné du protoxyde d'azote, le Sénat a adopté une proposition de loi, le 11 décembre 2020, tendant à protéger les mineurs des usages dangereux de ce produit à très faible coût (20 à 50 centimes d'euros la cartouche). En 2019, 25 signalements d'effets sanitaires sévères ont été notifiés et 66 intoxications au protoxyde d'azote recensées par les centres antipoison. Les symptômes sont principalement neurologiques et neuro musculaires. En juin 2020, la Mildeca a mis à disposition plusieurs supports de communication digitale. Suite aux récents propos volontaristes du ministre de l'Intérieur à ce sujet, le souhait de votre commission est que le processus parlementaire débuté à la fin de l'année 2019 se poursuive le plus rapidement possible.

On note en outre une augmentation des usages de kétamine, un médicament anesthésique dont l'usage récréatif a émergé au cours des années 1990 et qui est l'objet d'un puissant effet de mode. Le GHB-GBL, consommé par des usagers bien insérés fréquentant les milieux festifs, alternatifs ou commerciaux, se vend à un prix moindre que celui de l'alcool et a des effets plus limités dans le temps. Sa consommation s'exporte hors des lieux usuels festifs et alternatifs ; loin du regard des pairs, la consommation est plus risquée car les réflexes de réduction des risques et des dommages disparaissent.

S'agissant des addictions sans substance, la crise sanitaire et les confinements ont renforcé les usages d'écrans, notamment pour les enfants déscolarisés. Lors du confinement du printemps 2020, les compétitions sportives étant annulées, les joueurs se sont massivement tournés vers le poker en ligne, avec près de 500 000 joueurs actifs par semaine en moyenne au 2e trimestre 2020 contre 264 000 l'année précédente et une augmentation des mises de 35 % en moyenne. Le nombre de paris hippiques a également progressé de 33 % par rapport à l'année précédente. Les addictologues alertent sur la dangerosité des jeux d'argent et de hasard en ligne, qui cumulent deux aspects très addictifs : le hasard et les écrans. Or c'est principalement l'activité des jeunes joueurs qui a explosé au 2e trimestre 2020 : + 73,5 % chez les 18-34 ans.

2. LA CRÉATION DU FONDS DE LUTTE CONTRE LES ADDICTIONS LIÉES AUX SUBSTANCES PSYCHOACTIVES DE LA CNAM CONTRECARRE LA BAISSE CONTINUE DU BUDGET DE LA MILDECA

A. LA DIMINUTION DU BUDGET DE LA MILDECA SE POURSUIT EN 2021, CONSÉQUENCE LOGIQUE DE LA DISSOLUTION DE L'UN DE SES DEUX OPÉRATEURS.

Évolution de la dotation budgétaire de la Mildeca entre 2009 et 2021
(en millions d'euros)

La dotation budgétaire de la Mildeca continue son repli, de 2,4 % cette année. 2021 est la treizième année consécutive de baisse du budget de la Mildeca. Sa dotation pour 2021 est quasiment la moitié de celle perçue en 2009.

La Mildeca percevra, en outre, 10 % du montant du fonds de concours « drogues », soit environ 2 millions d'euros € pour l'année 2021.

La diminution de la dotation de 0,4 million d'euros peut cette année être partiellement justifiée par la dissolution de l'un des deux opérateurs de la Mildeca, le Centre interministériel de formation anti-drogues (Cifad). Basé à Fort de France et chargé de la coopération contre le trafic de drogues dans les Antilles, la Guyane et dans la Caraïbe, il disposait en 2020 d'un budget de 365 000 euros. Ses missions ont été intégralement transférées, en février 2020, au nouvel office anti stupéfiants (Ofast) du ministère de l'Intérieur, suite à un rapport de l'inspection générale de l'administration et en accord avec les autorités de la Mildeca.

Plus de la moitié des crédits de la Mildeca sont destinés à son dispositif territorial, afin d'animer la politique locale en matière de lutte contre les addictions, via des appels à projets.

Répartition des crédits alloués à la Mildeca
par catégorie de dépenses (en millions d'euros)

L'opérateur de la Mildeca, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, a procédé à la réorganisation de ses services fin mars 2020. Le groupement est désormais constitué de deux unités scientifiques, d'un secrétariat général assisté d'une cellule communication et d'une agence comptable. Cette réforme interne n'a pas d'impact sur ses publications, qui concernent les usages en population générale, la connaissance de l'offre et des marchés, des comparaisons internationales, des études sur des populations spécifique, des analyses territoriales et la mesure des impacts des réponses publiques. La crise sanitaire complexifie la mise en oeuvre des enquêtes prévues du programme de l'OFDT pour 2021. En application de la loi Pacte et de l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, les missions de l'Observatoire des jeux ont été transférées à l'OFDT le 1er juillet dernier.

B. L'ACTION DE LA MILDECA, DOTÉE D'UN MODESTE BUDGET, A ÉTÉ FACILITÉE PAR LA CRÉATION DU FONDS DE LUTTE CONTRE LES ADDICTIONS LIÉES AUX SUBSTANCES PSYCHOACTIVES DE LA CNAM

Les documents budgétaires précisent que « les crédits de la Mildeca permettent d'initier ou d'accompagner les initiatives des ministères et d'expérimenter, sur quelques sites et pendant une période limitée, des dispositifs innovant de prévention de prise en charge sanitaire et sociale, d'application de la loi et de lutte contre le trafic qui pourront être déployés, s'ils se révèlent pertinents après évaluation. Il n'appartient pas à la Mildeca de financer des dispositifs sur le long terme. »

Grâce à sa présence au comité restreint du fonds de lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives, la Mildeca s'assure de la cohérence entre les opérations de marketing social programmées chaque année par Santé publique France et les priorités de la politique de lutte contre les drogues et les conduites addictives définies dans le plan de mobilisation 2018-2022.

Cette dernière mission est dévolue au fonds de lutte contre les addictions de la Cnam, ancien « Fonds tabac », réformé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. Sa dotation, estimée à 115 millions d'euros pour 2021, représente un instrument financier au service de la mise en oeuvre du plan national de lutte contre le tabagisme 2018-2022 d'une part et du plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 d'autre part. La Mildeca est très attentive à ce que les priorités annuelles du fonds s'inscrivent dans les orientations que le Gouvernement a fixées via ces deux documents programmatiques. Elle est partie prenante des instances de gouvernance du Fonds telles que déterminées par le décret 2019-622 relatif au fonds de lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives . Outre sa participation au conseil d'orientation stratégique, la Mildeca est l'un des cinq membres du comité restreint, aux côtés de la caisse nationale d'assurance maladie et des directions du ministère des solidarités et de la santé. Le comité restreint soumet notamment un plan d'actions annuel qui conduit à la parution d'un arrêté des ministres de la Santé et de la sécurité sociale et des comptes publics.

Principales dépenses du fonds de lutte contre les addictions
liées aux substances psychoactives (en millions d'euros)

EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le 18 novembre 2020, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport pour avis de Mme Brigitte Micouleau sur le projet de loi de finances pour 2021 (action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » (Mildeca) du programme « coordination du travail gouvernemental » de la mission « direction de l'action du gouvernement »).

Mme Brigitte Micouleau , rapporteure pour avis de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » . - La Mildeca, dont il me revient de vous présenter les crédits, est chargée d'assurer auprès du Premier ministre la coordination des politiques publiques en matière de lutte contre les addictions, avec ou sans substances. L'examen de ce budget est l'occasion, pour notre commission, de faire un point sur la question des addictions dans notre pays. La crise sanitaire est source de stress intense et de mal-être pour l'ensemble de la population. Les enquêtes montrent néanmoins des impacts différenciés sur les consommations de produits addictifs.

La crise n'a pas fondamentalement bouleversé les habitudes de consommation de drogues des Français, mais des points d'attention sont à relever. Une part non négligeable de la population a augmenté son niveau de consommation durant le confinement du printemps : ces hausses concernent un quart des fumeurs de tabac et de cannabis et un dixième des consommateurs d'alcool, l'absence de cadre de travail ayant conduit à des usages plus nombreux et plus précoces dans la journée. Certains usagers de cannabis ont pris conscience de leur dépendance à l'occasion de ce confinement strict, faute de pouvoir s'approvisionner aussi aisément qu'à leur habitude. Le temps passé devant les écrans augmente quant à lui significativement en période de confinement.

Notons aussi que ce premier confinement a fragilisé les usagers les plus précaires. Les centres de soins ou de prise en charge des addictions ont maintenu tant bien que mal leur activité ; ils se sont saisis de l'outil de la téléconsultation, mais ont également continué à assurer une présence, notamment pour délivrer du matériel de réduction des risques et des dommages ainsi que des traitements de substitutions aux opiacés. Déplorons que ces structures n'aient pas été immédiatement identifiées comme prioritaires pour la délivrance de matériel de protection (masque, gel, etc). Les modalités du confinement actuel permettent aux personnes dépendantes prises en charge dans ces structures de bénéficier de rendez-vous en présentiel, ce qui est évidemment plus favorable.

Avec la crise sanitaire et économique à laquelle est confronté notre pays, les pouvoirs publics doivent être vigilants face au risque accru d'addiction, caractérisée, rappelons-le, par une perte de contrôle.

J'en viens maintenant à un tableau plus large des addictions en France.

Les addictions à très forte prévalence, c'est-à-dire celles qui concernent les usages de tabac et d'alcool, ont depuis plusieurs décennies tendance à diminuer. Rappelons ainsi qu'un Français consommait en moyenne 26 litres d'alcool pur annuellement au début des années 1960, un chiffre qui a été divisé par deux au début des années 2000 et qui continue à diminuer depuis. Pourtant, l'action des pouvoirs publics pour endiguer les consommations d'alcool semble en deçà des enjeux que représente encore ce fléau, responsable de plus de 40 000 morts par an en France. On estime que 30 à 40 % des crimes et délits sont commis sous l'influence de l'alcool, qui favorise les violences intrafamiliales. L'alcool est en outre la substance psychoactive la plus précocement et fréquemment utilisée chez les 18-24 ans. Les repères de consommation à moindre risque demeurent malheureusement profondément méconnus de nos concitoyens.

La structure de la consommation d'alcool est en pleine mutation, avec le passage de la consommation de vin à chaque repas, lié à une forte propension à « tenir l'alcool « et au rejet de l'ivresse, à une consommation à l'anglo-saxonne, avec des alcoolisations ponctuelles importantes dans la jeune génération. La phase aiguë d'alcoolisation nécessite une prise en charge somatique spécifique assurée aux urgences relevant parfois de soins intensifs en réanimation lorsqu'il s'agit de comas éthyliques. L'écart de consommation entre garçons et filles tend par ailleurs à décroître.

Si les résultats sont encourageants s'agissant de la guerre contre le tabac, la vigilance reste de mise : 75 000 décès sont encore attribuables au tabac chaque année et environ un tiers des Français continuent à fumer, dont 25 quotidiennement. Enfin, malgré six années de baisses consécutives de la consommation de tabac, la trajectoire de 2019 s'avère un peu moins bonne que celle de 2018.

Les tendances baissières des consommations d'alcool et de tabac engendrent un phénomène pernicieux que nous a exposé, lors d'une audition, le Pr Jean-Michel Delile, psychiatre et addictologue. Au fur et à mesure de la diminution de la consommation en population générale, les usages résiduels deviennent le fait de populations à risques. Ainsi, la chute du nombre de fumeurs de tabac a été socialement très marquée. Les traditionnelles campagnes d'informations destinées au grand public perdent donc de leur efficacité. Notre système de soins devra s'y adapter, notamment en améliorant le repérage précoce des usagers.

Du côté des drogues illicites, depuis le 1 er septembre, l'usage de stupéfiants est puni d'une amende forfaitaire délictuelle de 200 euros. Cette mesure répressive, qui vise les consommateurs de cannabis, ne s'accompagne malheureusement pas des mesures d'information et de prévention indispensables pour faire prendre conscience des dangers de la consommation de cannabis avant l'âge de 20 ans. Les troubles de la mémoire, les maladies psychiques, les chutes du quotient intellectuel repérés chez les jeunes consommateurs de cannabis tranchent avec l'image positive, voire naturelle ou thérapeutique, du produit. En outre, cette mesure visera en premier lieu les publics les plus précaires, contraints de consommer dans l'espace public.

Autre motif d'inquiétude, la prévalence de l'usage de cocaïne ne cesse de s'accroître sous toutes ses voies d'administration. L'extension du crack, médiatisé depuis quelques années seulement, s'est en réalité déroulée à bas bruit depuis une quinzaine d'années et touche de plus en plus de personnes socialement insérées.

Les surdoses mortelles demeurent toutefois principalement liées à la consommation d'héroïne dont les usages restent globalement stables. Des projets de salles de consommation à moindre risque sont en cours d'élaboration à Marseille, Lyon et Bordeaux et j'espère qu'ils aboutiront d'ici octobre 2021, date limite pour ouvrir une nouvelle structure dans le cadre de l'expérimentation actuelle. Rappelons que seules deux salles de consommation à moindre risque existent en France, l'une à Paris et l'autre à Strasbourg, ce qui paraît notoirement insuffisant eu égard aux besoins recensés. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) remettra en 2021 son évaluation de l'expérimentation et il nous faudra, en tant que législateur, pérenniser l'ouverture de ces salles, indispensables à la réduction des risques et des dommages.

Si on relève une augmentation du nombre d'hospitalisations liées à des intoxications, les conditions restreintes de prescriptions et la moindre puissance de l'industrie pharmaceutiques nous protègent d'une crise des opioïdes telle qu'a pu la connaître le continent nord-américain. La vigilance reste de mise, et l'Observatoire français des médicaments antalgiques assure une veille indispensable.

Les acteurs de terrain nous alertent enfin sur la vive augmentation du nombre de personnes s'adonnant à des jeux d'argent en ligne. Les paris sportifs ou le poker en ligne cumulent deux critères particulièrement addictifs : d'une part les écrans et d'autre part les paris d'argents.

Le budget de la Mildeca, de 16,7 millions d'euros, diminue pour la treizième année consécutive, pour atteindre seulement la moitié de ce qu'il était en 2009. La nouvelle baisse annuelle de 2,4 % peut néanmoins être partiellement justifiée par la dissolution du Centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad) en février 2020. Située à Fort-de-France, cette structure assurait la coopération relative à la lutte contre le trafic de drogues dans les Antilles, la Guyane et la Caraïbe ; sa mission a été transférée au nouvel Office anti-stupéfiant (Ofast), rattaché au ministère de l'intérieur. Le président de la Mildeca était en total accord avec cette réforme, le Cifad rencontrant d'importantes difficultés organisationnelles. Plus de la moitié des crédits, soit 8,6 millions d'euros, sont destinés à son dispositif territorial, 2,6 millions sont alloués à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), 2,1 millions à sa masse salariale, le reste du budget étant réparti à parts égales entre la mise en oeuvre du plan 2018-2022, la recherche et l'action internationale.

Second opérateur de la Mildeca, l'OFDT voit sa subvention pour charges de service public stagner à hauteur de 2,6 millions d'euros. En application de la loi Pacte et de l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, les missions de l'Observatoire des jeux ont été transférées à l'OFDT le 1 er juillet dernier. Celui-ci rencontre des difficultés pour réaliser les enquêtes en cours et celles prévues l'année prochaine du fait de la crise sanitaire.

Pour 2021, la Mildeca bénéficie en outre d'un dixième du montant du fonds de concours « drogues », soit environ 2 millions d'euros.

Le budget très restreint de la Mildeca est heureusement couplé aux 115 millions du fonds de lutte contre les addictions de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). La Mildeca est représentée au sein du comité restreint de ce fonds, qui prépare les décisions ministérielles, mais aussi au sein du comité d'orientation stratégique, chargé de proposer chaque année les priorités de financement et de suivre l'exécution du fonds.

Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2021.

Mme Laurence Cohen . - Je remercie Brigitte Micouleau pour son rapport. J'ai assisté à un certain nombre d'auditions qui étaient extrêmement intéressantes. Les addictions sont multiples, et elles nécessitent des politiques de prévention, d'accompagnement et éventuellement de sanction.

Depuis treize ans, les crédits de la Mildeca sont en baisse continue, et les projets mis en chantier sont à l'image de ces moyens. Même couplé au fonds de l'assurance maladie, le budget est minime, ce que je regrette. Parallèlement, on connaît l'état de la psychiatrie en France : il est difficile d'assurer le suivi psychologique et psychiatrique des patients souffrant d'addictions.

La pandémie a entraîné une coupure du lien social, notamment en raison du télétravail. Les personnes prises dans un tourbillon d'addictions devaient faire bonne figure devant leurs collègues ; le télétravail supprime cette obligation, ce qui peut les pousser plus avant encore vers leurs pratiques addictives. Ce phénomène a été aggravé par l'augmentation du nombre de déprimes et de dépressions constatées durant ce deuxième confinement. Quid du suivi de ces personnes ? Je n'ai pas l'impression que la crise ait été prise en considération.

Notre groupe ne sera donc pas favorable à l'adoption des crédits de la Mildeca.

Mme Michelle Meunier . - À mon tour de remercier la rapporteure qui a travaillé dans des conditions délicates. Elle a su trouver des éléments positifs dans cette mission dans laquelle on ne parle que de stagnation et de baisses des crédits...

Le spécialiste des addictions dans le milieu professionnel GAE Conseil a montré, sur la base d'un sondage mené en avril 2020, que les pratiques addictives liées à la consommation de médicaments et de psychotropes avaient augmenté durant le premier confinement en raison de l'anxiété et du stress.

Il est paradoxal de baisser les crédits alors que nous connaissons une crise sanitaire. La Mildeca ne va-t-elle pas connaître le même sort que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ? Chantal Deseyne, notre précédente rapporteure pour avis, dénonçait déjà l'année dernière une dispersion et une dilution des crédits.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne votera pas cette baisse des crédits de la Mildeca.

Mme Frédérique Puissat . - Je remercie Brigitte Micouleau pour son rapport.

Quel est le lien entre la lutte contre les conduites addictives et le rôle des maires et des relais communaux ? La Mildeca et l'Association des maires de France ont rédigé un guide qui tend à faire du maire un acteur majeur dans la lutte contre la prévention des pratiques addictives. Néanmoins, j'ai été maire pendant 20 ans et je n'ai jamais sollicité la Mildeca. Il est peut-être temps de réinventer la gouvernance, car la meilleure manière de préserver une institution est de la rendre pertinente aux yeux des élus, afin que ceux-ci en prennent la défense.

Mme Victoire Jasmin . - La mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, dont le rapporteur était notre ancien collègue Antoine Karam, a récemment rendu son rapport.

Les Antilles et la Guyane sont des plaques tournantes de la drogue, en raison de leur proximité avec l'Amérique du sud. Il faut mettre davantage l'accent sur la prévention car de nombreux jeunes en Guyane deviennent des « mules », le transport de drogue étant une activité fort lucrative.

M. René-Paul Savary . - Nous sommes ici un certain nombre à penser que le tabac à chauffer peut permettre d'éviter les effets cancérigènes du tabac. Les 75 000 morts sont la conséquence de l'excès de substances cancérigènes, et non de l'accoutumance. Or le fait de chauffer à 250 degrés, et non de brûler, le tabac réduit de 90 % - c'est largement prouvé - les substances cancérigènes. Quelle est la position de la Mildeca sur ce sujet ? Je prépare un amendement au projet de loi de finances pour modifier la fiscalité du tabac à chauffer.

M. Jean Sol . - Je m'interroge sur l'usage récréatif du protoxyde d'azote chez les jeunes, qui semble être en recrudescence en ces temps de crise sanitaire, sociale et économique, avec, à la clé, des séquelles neurologiques et cardiaques. En décembre 2019, le Sénat avait voté à l'unanimité une proposition de loi tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d'azote. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Mme Jocelyne Guidez . - Dans les outre-mer, 45 % des jeunes sont sans emploi, ce qui les conduit à se tourner vers l'alcool et les substances addictives. Il est pour eux plus facile de trouver de la drogue que de l'emploi.

Mme Annick Jacquemet . - Le budget de la Mildeca diminue depuis treize ans, et on semble accepter les 45 000 morts de l'alcool et les 75 000 morts du tabac par an. Je suis interpellée par la différence entre les crédits de cette mission et ceux affectés à la lutte contre le covid, qui a fait 40 000 morts, même si je sais que l'alcool et le tabac permettent de faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État.

Les vétérinaires doivent mettre sous clé un médicament analgésique nommé Imalgene, qui est de la kétamine, une substance utilisée par les jeunes pour se droguer. Auriez-vous des chiffres sur l'usage de cette drogue chez les jeunes ?

Mme Florence Lassarade . - Je remercie Brigitte Micouleau. Bien que ce soit le mois sans tabac, nous n'avons aucune visibilité sur les actions qui sont menées, en raison du covid.

Je suis intervenue dans une maternité auprès de jeunes femmes enceintes qui fument du cannabis. Comment articuler les actions de la Mildeca et celles de la PMI ? Des actions sont menées en direction des professionnels de santé, mais pas du grand public.

M. Olivier Henno . - Je remercie la rapporteure de son excellent travail. Nous sommes tous d'accord pour constater le manque de moyens de la psychiatrie aujourd'hui, notamment pour lutter contre les addictions. Les addictions aux jeux et aux écrans sont très peu prises en compte alors même qu'elles provoquent des drames familiaux, des suicides et une marginalisation par rapport aux réalités de la vie.

Mme Brigitte Micouleau , rapporteure pour avis . - Madame Cohen, le budget très limité de la Mildeca sert à expérimenter des dispositifs ensuite généralisés à l'ensemble du territoire grâce au fonds de la CNAM.

Pour l'instant, le confinement n'a pas fait augmenter de manière significative la consommation de drogues, mais la solitude et l'absence de vie sociale liées au télétravail et au confinement sont un motif de vigilance. Pour le cannabis, par exemple, on constate que la consommation des usagers quotidiens a augmenté, mais que celle des usagers hebdomadaires ou mensuels a baissé.

Madame Meunier, face au stress et à l'angoisse liés à la crise sanitaire, il faut distinguer l'augmentation des usages de substances addictives - tabac, alcool, cannabis - des traitements médicamenteux prescrits par le médecin. Les consultations chez les psychologues ont été maintenues lors de ce deuxième confinement.

Madame Puissat, les relais locaux de la Mildeca sont les directeurs de cabinet des préfets, qui ont malheureusement de nombreuses missions à mener et sont diversement impliqués dans la lutte contre les addictions. En Haute-Garonne, une association a déposé un dossier auprès du directeur de cabinet du préfet le 6 mars dernier ; pour l'instant, elle n'a obtenu aucune réponse !

Monsieur Savary, je ne connais pas la position de la Mildeca sur le tabac chauffé. Je vous propose d'envoyer votre amendement à son président.

Monsieur Sol, la proposition de loi sur le protoxyde d'azote n'a pas été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, ce qui est regrettable. Gérald Darmanin a récemment fait part de sa volonté d'interdire la vente de ces cartouches, mais il existe des difficultés juridiques. Les jeunes pris en flagrant délit doivent payer des amendes forfaitaires.

Madame Annick Jacquemet, la consommation de kétamine est en augmentation en France. Cette substance est consommée dans des soirées privées, et non plus seulement dans les espaces dédiés à la fête.

Monsieur Henno, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne reconnaît que les addictions aux jeux vidéo. Des semaines sans écran sont organisées au sein des écoles. L'addiction aux jeux - je pense notamment au poker en ligne - et aux écrans pose de graves problèmes dans les familles.

Madame Lassarade, il n'y a pas de lien direct entre la Mildeca et les PMI. Le mois sans tabac est organisé selon des modalités compatibles avec le nouveau confinement auquel nous sommes confrontés, donc forcément un peu dégradées. Les traitements de substitution nicotiniques ont connu une forte augmentation durant la première partie de l'année 2020.

Mme Véronique Guillotin . - S'agissant de la consommation de psychotropes en France, pourquoi avons-nous dans notre pays une réponse aussi « médicamenteuse » au moindre mal-être ? Ce sujet ne tourne pas qu'autour de la prévention ; il faut aussi s'interroger sur la formation médicale. Certains professionnels se tournent plutôt vers les thérapies comportementales.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2021.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

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• Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA)

Dr Nicolas Prisse, président

• Observatoire français des drogues et des toxicomanes (OFDT)

Julien Morel d'Arleux , directeur

• Fédération addictions

Jean-Michel Delile , président

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