Avis n° 143 (2020-2021) de M. Philippe NACHBAR , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 19 novembre 2020

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N° 143

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation
et de la communication (1)
sur le projet de loi de finances ,
adopté par l'Assemblée nationale, pour
2021 ,

TOME II

Fascicule 1

Culture :

Patrimoines

Par M. Philippe NACHBAR,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mmes Laure Darcos, Catherine Dumas, M. Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Michel Savin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mme Sabine Drexler, MM. Fabien Genet, Jacques Grosperrin, Abdallah Hassani, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Mme Else Joseph, MM. Claude Kern, Michel Laugier, Mme Claudine Lepage, MM. Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, François Patriat, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

I. UN BUDGET QUI RÉPOND À UNE CRISE EXCEPTIONNELLE

A. LE LOURD TRIBUT PAYÉ PAR LE SECTEUR DES PATRIMOINES À LA CRISE SANITAIRE

1. Un secteur profondément affecté en 2020 par la crise sanitaire

La crise sanitaire a frappé de plein fouet le secteur des patrimoines. Depuis la mi-mars, l'activité des établissements patrimoniaux et des chantiers est profondément affectée par cette crise , avec des conséquences dramatiques sur les musées, monuments et sites ouverts à la visite et sur les entreprises de restauration du patrimoine, les métiers d'art, les opérateurs de fouilles archéologiques et les cabinets d'architecture.

Les mesures de lutte contre l'épidémie de la Covid-19 sont à l'origine de lourdes pertes . Les établissements recevant du public ont enchaîné, depuis la mi-mars, des périodes d'interruption totale de l'activité avec des périodes d'activité dégradée, du fait des réductions de jauges nécessaires au bon respect des contraintes de distanciation physique. Les établissements les plus dépendants des recettes de billetterie ont logiquement connu les plus lourdes pertes. Même si les chantiers ont rapidement été autorisés à reprendre après la mise en place du premier confinement et ne sont pas affectés par le confinement actuel, ils sont moins nombreux et fonctionnent sur un rythme ralenti par rapport aux années précédentes.

Une étude du département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture, parue au mois de juillet 2020, évaluait à 640 millions d'euros la perte de chiffre d'affaires pour les patrimoines, hors architecture, au cours de l'année 2020 . Ces estimations des pertes devraient être révisées à la hausse avec la mise en place du second confinement. Même s'il a des répercussions plus faibles que le premier confinement, dans la mesure où les chantiers sont autorisés à poursuivre leur activité et où les établissements recevant du public fonctionnaient déjà selon un rythme dégradé, il vient briser la dynamique de reprise progressivement amorcée depuis l'été. Le secteur des patrimoines serait pénalisé s'il était maintenu tout au long du mois de décembre, les fêtes de fin d'année étant généralement une période d'assez forte activité pour les établissements recevant du public.

Les mesures de lutte contre l'épidémie se traduisent aussi par d'importants surcoûts , estimés à 20 millions d'euros. L'application des protocoles sanitaires aurait renchéri le coût des chantiers d'environ 10 %. La mise en place du télétravail, le renforcement de la politique de numérisation et les contraintes pesant sur l'accueil des visiteurs ont également entraîné de nouvelles dépenses pour les établissements.

2. Des perspectives toujours dégradées à court et moyen termes

Les perspectives du secteur des patrimoines au cours des deux années à venir restent très dégradées sous l'effet de différents facteurs.

a) Des perspectives d'activité faible et irrégulière dans les mois à venir face à la persistance de l'épidémie

L'activité devrait demeurer à un niveau faible et irrégulier pendant au moins tout le premier semestre 2021 . Le secteur des patrimoines s'attend donc à ce que les pertes continuent de s'accumuler.

Le DEPS avait par ailleurs observé, dans son étude du mois de juillet, que la restauration du patrimoine, les opérations archéologiques et l'architecture constituaient trois secteurs d'activités pour lesquels l'impact de la crise risquait d'être encore plus important en 2021 et 2022, du fait de leur forte dépendance à l'industrie du bâtiment et des travaux publics et de leur fonctionnement en projet de plus d'un an.

b) Plusieurs incertitudes pesant sur le niveau d'activité

Les établissements patrimoniaux sont très dépendants du niveau de la fréquentation . Même si les touristes français se sont montrés au rendez-vous cet été, l'absence quasi-totale des touristes étrangers en 2020 pèse sur les résultats des plus grands établissements .

En 2019, les touristes étrangers représentaient 81 % des visiteurs du château de Versailles, 71 % des visiteurs du musée du Louvre, 65 % des visiteurs du musée d'Orsay et 57 % des visiteurs du musée de l'Orangerie. Les pertes de fréquentation observées sur l'année 2020 se sont traduites par des pertes de billetterie encore plus importantes, dans la mesure où une part significative des visiteurs français bénéficie de dispositifs de gratuité. Au musée du Louvre, la part des publics gratuits, généralement située aux alentours de 40 %, est ainsi passée à 60 % en 2020. Le redémarrage du tourisme international parait difficilement envisageable à ce stade avant septembre 2021. Les principaux opérateurs espèrent renouer avec leurs niveaux de fréquentation habituels aux alentours de 2023-2025.

De leur côté, les entreprises de restauration des monuments historiques restent inquiètes des conséquences du faible nombre d'opérations initiées par des communes au cours de l'année 2020 du fait des élections municipales . Les collectivités territoriales jouent en effet un rôle essentiel, soit en tant qu'initiateur d'opérations sur leurs monuments, soit en tant que co-financeurs d'opérations sur des monuments situés dans le périmètre de leur ressort territorial. Le report des élections municipales de mars à juin a rallongé la période durant laquelle aucune décision n'a été prise par les conseils municipaux en matière de patrimoine. Peu d'appels d'offres ont été publiés en 2020 en comparaison des années précédentes.

c) Les craintes liées à l'affaiblissement du mécénat culturel

De fortes incertitudes pèsent dans les années à venir sur le niveau du mécénat , compte tenu de la chute de cette ressource en 2020 . Elle est particulièrement marquée pour le financement des projets soutenus par les associations de sauvegarde du patrimoine : les délégations régionales de la Fondation du patrimoine ont enregistré une chute de 58 % du mécénat et des dons en 2020. Elle affecte également les opérateurs, avec un désengagement plus net des mécènes en ce qui concerne les expositions temporaires ou les projets ponctuels.

Plusieurs causes peuvent être à l'origine de la baisse du mécénat :

- les nouvelles règles issues de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 encadrant le mécénat des grandes entreprises ;

- l'effet d'éviction créée par l'élan de solidarité en faveur de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ;

- la crise sanitaire , dans la mesure où elle a fragilisé les capacités financières des entreprises mécènes et a favorisé un report des actions de mécénat sur le champ social et médico-social.

Il est encore trop tôt pour déterminer s'il s'agit d'un effet temporaire ou d'une tendance de fond. Le renouvellement ou non par les mécènes de leurs engagements pluriannuels au moment de leur échéance sera un indicateur à observer de près.

B. UN SOUTIEN DE L'ÉTAT EN FAVEUR DES PATRIMOINES D'UN NIVEAU EXCEPTIONNEL

1. Une forte mobilisation de l'État en 2020

L'État a rapidement réagi à ces circonstances exceptionnelles en mettant en place des mesures de soutien transversales , telles que l'activité partielle exceptionnelle ou les prêts garantis par l'État, qui ont été d'un grand secours pour permettre aux entreprises intervenant dans le secteur des patrimoines de passer le cap de l'année 2020.

Les opérateurs qui présentaient des risques de rupture de trésorerie ont été accompagnés pour leur permettre de faire face à leurs dépenses. 27,4 millions d'euros de nouveaux crédits ont été ouverts par la loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020, dite « LFR3 ». 15 millions d'euros ont été dégelés sur les crédits du programme 175 à la même période. Ces sommes ont permis de compléter les dotations de cinq opérateurs.

Liste des opérateurs aidés dans le cadre de la LFR3

Opérateur

Montant (en millions d'euros)

Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP)

14,5

Musée d'Orsay et musée de l'Orangerie

10,2

Centre Pompidou

9

Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles

6

Domaine national de Chambord

2,7

Total

42,4

Source : Ministère de la culture

2. Un effort conséquent en 2021 et 2022

L'État prévoit de consacrer au secteur des patrimoines des moyens d'une ampleur inédite en 2021.

Les crédits du programme 175 franchissent la barre symbolique du milliard d'euros , avec 1,01 milliard en autorisations d'engagement (AE) et 1,02 milliard en crédits de paiement (CP). Le programme comporte 43,7 millions d'euros de mesures nouvelles .

Le volet culturel du plan de relance prévoit 614 millions d'euros répartis sur les années 2021 et 2022 en faveur du patrimoine. Il devrait se traduire, dès 2021, par l'injection de 344,7 millions d'euros en faveur des patrimoines. En comparaison, le programme qui avait suivi la crise de 2008 était finalement plus modeste, puisqu'il comportait 100 millions d'euros d'investissements dans le domaine de la culture et du patrimoine historique.

Les principaux objectifs poursuivis par les crédits de l'État en 2021 sont les suivants :

- la restauration des monuments historiques de l'État, des collectivités territoriales et des propriétaires privés pour assurer un haut niveau d'activité aux entreprises de restauration et aux métiers d'art (351 millions d'euros au titre du programme 175 et 360 millions d'euros au titre du plan de relance en AE, 366 millions d'euros au titre du programme 175 et 103 millions d'euros au titre du plan de relance en CP) ;

- le soutien aux investissements des collectivités territoriales dans les institutions patrimoniales qui irriguent le territoire, c'est-à-dire les archives, les musées et les centres de conservation et d'études archéologiques (27,65 millions d'euros en AE et en CP au titre du programme 175, 20 millions d'euros en AE et 10 millions d'euros en CP au titre du plan de relance) ;

- et le renforcement des capacités financières des opérateurs pour qu'ils puissent continuer à développer leur offre culturelle et à contribuer à l'attractivité des territoires (525 millions d'euros au titre du programme 175 et 334 millions d'euros au titre du plan de relance en AE, soit + 343,9 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2020 ; 549 millions d'euros au titre du programme 175 et 231,7 millions d'euros en CP au titre du plan de relance en CP, soit + 246 millions d'euros par rapport à la LFI 2020).

II. L'ÉTAT AU SECOURS DE SES OPÉRATEURS

A. UN SOUTIEN NÉCESSAIRE

1. Une situation particulièrement préoccupante pour les opérateurs qui ont le plus développé leurs ressources propres

Les musées, sites et monuments ouverts au public ont enregistré des pertes de recettes importantes depuis le mois de mars en raison, d'une part, de la fermeture au public de leurs portes pendant les deux périodes de confinement et, d'autre part, des baisses très sensibles de fréquentation enregistrées pendant la période de réouverture entre juin et octobre. Ces baisses de fréquentation sont à la fois liées à la réduction des jauges pour garantir le respect des règles de distanciation physique et à la baisse du tourisme.

Les opérateurs qui ont les taux de ressources propres les plus importants sont les plus affectés , dans la mesure où leurs dépenses excèdent chaque année très largement le niveau des subventions de l'État. C'est le cas de la Réunion des musées nationaux - Grand Palais (Rmn-GP) (74 %), du château de Versailles (68 %) et du musée du Louvre (61 %), du musée d'Orsay et de l'Orangerie (58 %). Le Centre des monuments nationaux, dont la part des ressources propres est de 48 %, est également en grande difficulté, puisque ses ressources propres financent 80 % de ses dépenses de fonctionnement. Sous l'effet de la crise, ces établissements ont enregistré des chutes dramatiques de leurs recettes de billetterie, de leurs recettes de valorisation des sites (boutiques, redevances de concession, privatisation des locaux), auxquelles se sont ajoutées des pertes de recettes de mécénat.

Même si la crise a mécaniquement réduit le niveau de leurs dépenses, compte tenu de moindres dépenses de fluide, d'un moindre recours à des contrats temporaires venant en renfort sur les expositions rencontrant un important succès, ou du décalage de la programmation des expositions et événements, l'impact de la crise sur les recettes est bien plus élevé que son impact sur les dépenses. La diminution des ressources propres des grands établissements patrimoniaux pourrait s'élever à un minimum de 360 millions d'euros en 2020 , un montant qui pourrait être révisé à la hausse en fonction de la durée du second confinement. Le musée du Louvre évalue, en 2020, le montant de ses pertes à un niveau situé entre 90 et 100 millions d'euros, selon que le confinement est ou non prolongé jusqu'à la fin de l'année.

La situation des opérateurs en 2021 devrait demeurer extrêmement complexe. L' estimation des pertes reste très élevée, de l'ordre de 130 millions d'euros . La reprise de la fréquentation s'annonce lente et les capacités d'accueil du public resteront réduites pour assurer la sécurité sanitaire des visiteurs. Les recettes générées par les locations, les coproductions et les délocalisations à l'étranger devraient rester affectées par la baisse durable des échanges internationaux, les redevances de concession et les loyers par les baisses de chiffre d'affaires en 2020 et les recettes de mécénat par la crise économique.

2. Un accompagnement de l'État important

L'accumulation de ces pertes menace aujourd'hui les principaux opérateurs patrimoniaux et fait courir de multiples dangers. Elle constitue également une menace sur le plan économique , car ces établissements, par leur poids financier, sont au coeur d'un écosystème. Ils jouent un rôle essentiel pour la filière de la restauration, de par la nature des travaux qu'ils commandent, et contribuent à préserver des savoir-faire pour lesquels la France est mondialement reconnue. Enfin, les risques qui pèsent sur les opérateurs pourraient affaiblir le potentiel touristique de notre pays , puisque le rayonnement et l'attractivité touristique de la France reposent très largement sur ces fleurons de notre patrimoine culturel. Elle présente un danger d'un point de vue culturel , dans la mesure où ces opérateurs pourraient se retrouver à court de moyens pour développer leur offre.

Ces arguments légitiment le montant des crédits consacrés par l'État en 2021 pour accompagner les opérateurs , notamment au travers du plan de relance. Sur le volet patrimonial du plan de relance, près de 55 % des crédits en AE, soit 334 millions d'euros, et 67 % des crédits en CP (231,7 millions d'euros) sont spécifiquement destinés aux opérateurs. Ces crédits devraient être répartis entre les opérateurs qui ont subi les plus lourdes pertes , afin de les aider à assurer leurs dépenses de fonctionnement, mais aussi ceux dont la poursuite des investissements pourrait le plus favoriser l'emploi dans les secteurs de la construction, des bâtiments et des travaux publics, de l'architecture et du patrimoine .

Répartition des crédits du plan de relance
pour les années 2021 et 2022 entre les opérateurs

Opérateur

Montant (en millions d'euros)

Centre des monuments nationaux

92,8

Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles

87

Musée du Louvre

46

Réunion des Musées nationaux - Grand Palais

40

Centre Pompidou

21,7

Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP)

20

Musée d'Orsay et musée de l'Orangerie

15

Domaine national de Chambord

11,5

Total

334

Source : Ministère de la culture

Les montants des aides aux opérateurs ont toutefois été calculés en septembre, dans un contexte de reprise progressive de l'activité. La fermeture au public à laquelle ils sont contraints depuis la fin du mois d'octobre est venue depuis dégrader leur situation. Si la plupart des opérateurs se félicitent de l'aide salutaire octroyée par l'État et reconnaissent l'ampleur des efforts auxquels il consent, beaucoup s'inquiètent pour leurs capacités en 2022, en l'état actuel des perspectives .

Dans le cadre du programme 175 « Patrimoines », plusieurs établissements bénéficient par ailleurs d'un soutien renforcé du ministère de la culture pour la mise en oeuvre de leurs opérations d'investissement. La dotation en fonds propres du Palais de la Porte dorée augmente d'un million d'euros pour contribuer au financement du plan pluriannuel d'investissement, celle du Centre Pompidou augmente de 3 millions d'euros pour permettre la mise en oeuvre de travaux anticipés du schéma directeur et celle de la Rmn-GP augmente de 3 millions d'euros au titre de la restauration du Grand Palais et celle du château de Versailles augmente de 4 millions d'euros au titre du soutien à la réalisation de schéma directeur de rénovation. La subvention pour charges de service public de l'INRAP augmente de 5 millions d'euros au titre du financement des diagnostics d'archéologie préventive. Le ministère de la culture a par ailleurs indiqué que les établissements dont la situation justifierait un soutien et qui n'auraient pas bénéficié de mesures au titre de la LFR3 ou du plan de relance pourraient faire l'objet d'un accompagnement en gestion, déterminé au cas par cas.

B. UN MODÈLE À REPENSER ?

1. Les efforts des opérateurs pour réduire leurs dépenses

Il convient de saluer les efforts importants réalisés par les opérateurs pour réaliser des économies sur leurs dépenses , en 2020 comme en 2021, de l'ordre de 100 millions d'euros. L'exercice s'est révélé complexe en raison de la forte rigidité de la structure de leurs dépenses et le travail de réduction de leurs dépenses déjà engagé depuis quelques années. Leurs marges de manoeuvre étaient donc réduites.

Les arbitrages se sont par ailleurs révélés délicats. Renoncer à une partie de la programmation culturelle fait courir le risque aux établissements de perdre en attractivité auprès des visiteurs, avec de moindres recettes de billetterie en perspective. Abandonner des projets de travaux peut compromettre de futures recettes d'activité et pénalise par ailleurs les entreprises de restauration qui comptent sur l'ouverture de nouveaux chantiers.

Dans leur très grande majorité, les opérateurs ont choisi de décaler leur programmation culturelle , malgré des difficultés à reprogrammer des expositions en co-productions, et d'étaler sur un temps plus long les travaux qu'ils envisageaient , le ministère de la culture les ayant d'ailleurs très largement exhortés à ne pas remettre en cause leurs projets. La reconfiguration du projet du Grand Palais est principalement justifiée par la nécessité de tenir les délais pour le lancement des Jeux olympiques en 2024 et de respecter l'enveloppe budgétaire initiale, tout en intégrant dans celle-ci la restauration des statuaires, corniches et pot-à-feux et le coût révisé du curage.

En revanche, tous les projets considérés comme non-urgents ont été mis en suspens . Le président du Centre des monuments nationaux a ainsi indiqué avoir ajourné ses discussions avec des propriétaires de monuments historiques sollicitant une reprise en gestion de leurs monuments par son établissement. Il a estimé que cette question allait néanmoins devenir de plus en plus pressante, la crise sanitaire ayant encore aggravé les difficultés des collectivités territoriales et des propriétaires privés qui avaient été à l'origine de ce type de demandes.

2. Des évolutions en perspective

La crise sanitaire a révélé la grande vulnérabilité aux chocs externes des principaux opérateurs dans le domaine des patrimoines, au point de susciter des interrogations sur la pertinence de leur modèle économique , fondé depuis plusieurs années sur le développement de leurs ressources propres.

Ce modèle repose en effet sur plusieurs conditions :

- que l'État accepte , comme il le fait aujourd'hui, de jouer le rôle d'assureur en dernier ressort quand survient une crise ;

- que le tourisme international renoue, à l'issue de la crise sanitaire, avec les niveaux qu'il connaissait avant ;

- que les recettes de mécénat se maintiennent.

Face à ces deux dernières inconnues, il apparait difficile aujourd'hui de déterminer s'il y a lieu de faire évoluer le modèle économique de nos grands établissements patrimoniaux, d'autant que les autres modèles possibles ne sont pas sans risque. Un modèle de fonctionnement fondé intégralement sur la subvention publique ne serait pas soutenable pour les finances publiques. Quant à un modèle de fonctionnement dont l'État serait totalement désengagé, il présenterait des risques pour notre patrimoine : les grands musées américains, contraints de procéder à des licenciements massifs et même parfois, à vendre une partie de leurs collections pour faire face à la crise, en sont l'illustration.

Il n'en demeure pas moins que la crise sanitaire va forcément entraîner des changements dans l'organisation et le fonctionnement des établissements.

La pratique des billets horodatés développée pour répondre aux contraintes de jauges réduites pourrait constituer un élément de réponse aux problématiques actuelles rencontrées par les grands établissements en termes de régulation des flux. Celle de l'extension des horaires d'ouverture des établissements pourrait constituer une autre piste.

Le développement de l'offre numérique des établissements pendant la période de crise va dans le sens des réflexions conduites en matière de démocratisation culturelle, même si le numérique ne remplacera jamais le contact direct avec les oeuvres et les monuments. Il serait important que des évaluations soient conduites pour vérifier dans quelle mesure un premier contact avec un établissement patrimonial sur Internet débouche par la suite sur une visite. Il ne faut pas négliger le manque à gagner pour les établissements si les offres numériques demeurent gratuites.

III. UN EFFORT IMPORTANT DE L'ÉTAT EN FAVEUR DU PATRIMOINE QUI DOIT SE RENFORCER DANS LES TERRITOIRES

A. UNE RÉELLE PRISE EN COMPTE PAR L'ÉTAT DES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES PAR LA FILIÈRE DE LA RESTAURATION DES MONUMENTS HISTORIQUES

1. Une filière de la restauration très dépendante du soutien de l'État pour la reprise

Les entreprises de restauration du patrimoine ont beaucoup souffert depuis le début de la crise sanitaire. Le rythme de l'activité a considérablement ralenti à compter du mois de mars . Après un arrêt total des chantiers au début du confinement, la reprise a ensuite été lente et est restée très timide. Plusieurs facteurs sont avancés :

- les élections municipales et leur report, qui ont contribué à réduire le nombre de chantiers lancés par des collectivités territoriales ;

- les difficultés financières des collectivités territoriales et des propriétaires privés dans le contexte de la crise sanitaire ;

- la baisse des montants collectés par les associations de sauvegarde du patrimoine au cours de l'année pour le financement de nouveaux projets ;

- les protocoles sanitaires imposés sur les chantiers, qui ralentissent considérablement le rythme des gros chantiers en co-activités.

Les entreprises sont parvenues à amortir le choc en 2020 grâce aux mesures de soutien transversales. Elles ont globalement fait le choix de conserver leurs salariés dans l'espoir d'une reprise rapide car les compétences dans ce secteur professionnel sont rares, puisqu'il faut de longues années de formation et de pratique professionnelle pour atteindre le niveau de qualification requis.

La reprise d'une activité soutenue en 2021 est donc cruciale pour elles. La réduction considérable du nombre d'appels d'offres lancés au cours de l'année 2020 apparait comme un signal inquiétant.

2. Un plan de relance de grande ampleur, essentiellement centré sur les monuments historiques dont l'État est propriétaire

Le plan de relance de l'État pour les années 2021 et 2022 met en place des moyens très substantiels pour assurer aux entreprises de restauration des monuments historiques un niveau d'activité soutenu. 260 millions d'euros en AE, 103 millions d'euros en CP en 2021 y sont inscrits pour la restauration du patrimoine stricto sensu . Ces crédits viennent s'ajouter aux crédits destinés à l'entretien et à la restauration des monuments historiques inscrits sur le programme 175, qui représentent 351 millions d'euros en AE (+ 2,8 % par rapport au projet de loi de finances pour 2020) et 366 millions d'euros en CP (+ 4,8 %). Le cap des 400 millions d'euros demandés chaque année pour protéger le patrimoine est donc largement franchi.

Il convient de noter que le plan de relance comporte également un important volet destiné à renforcer les aides de l'État au titre de la rénovation énergétique . 4 milliards d'euros seront investis par l'État pour la rénovation énergétique des bâtiments publics et 2 milliards pour celles des bâtiments privés. L'architecture d'aujourd'hui représentant, pour une large part, le patrimoine de demain, il paraitrait opportun que l'État conditionne l'utilisation de ses aides en matière de rénovation énergétique à l'utilisation, d'une part, de matériaux durables et de provenance locale et, d'autre part, de techniques de nature à préserver le bâti existant, de manière à garantir que l'action de l'État en faveur de la préservation du patrimoine ne soit pas absente du traitement des enjeux écologiques.

Dans le cadre du plan de relance, l'essentiel des crédits du volet consacré à la restauration des monuments historiques (89 % en AE et 81 % en CP) devrait être consacré à des monuments historiques appartenant à l'État , à savoir le château de Villers-Cotterêts (100 millions d'euros en AE et 43 millions d'euros en CP), les 87 cathédrales appartenant à l'État (80 millions d'euros en AE, 30 millions d'euros en CP), dont une quarantaine présenterait des besoins urgents, et les monuments gérés par le Centre des monuments nationaux (40 millions d'euros en AE et 20 millions d'euros en CP).

La progression des crédits du programme 175 en 2021 bénéficie principalement aux monuments historiques appartenant à l'État : 3 millions d'euros supplémentaires en CP pour la restauration des monuments dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par l'Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC), 12 millions d'euros supplémentaires en AE et 7 millions d'euros en CP pour la restauration des cathédrales appartenant à l'État et leur mise en sécurité, 4 millions d'euros supplémentaires pour la mise en oeuvre des grands projets portant sur des monuments historiques appartenant à l'État. Les crédits destinés aux monuments historiques des collectivités territoriales et des propriétaires privés, à 172,94 millions d'euros en AE et 171,72 millions d'euros en CP, ne sont revalorisés qu'en CP, de 5 millions d'euros. Leur part dans le programme baisse très légèrement, passant de 51 % à 49 % en AE, et de 49 % à 48 % en CP.

L'enjeu est de savoir si la répartition des crédits du plan de relance et du programme 175 est de nature à créer de l'activité pour toutes les entreprises, mais aussi sur l'ensemble des territoires . Nous ne saurions réduire l'enjeu économique de ce plan de relance aux seules entreprises : la restauration du patrimoine en régions constitue un enjeu essentiel pour l'attractivité touristique des territoires, dont il ne faut pas sous-estimer les retombées économiques.

B. MIEUX ACCOMPAGNER LA PROTECTION DU PATRIMOINE DANS LES TERRITOIRES

1. Le soutien de l'État aux projets conduits par les collectivités territoriales et les propriétaires privés

On peut regretter qu'une faible part des crédits du plan de relance soit allouée aux monuments appartenant aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés. D'une part, ils représentent la très grande majorité des monuments protégés au titre des monuments historiques. D'autre part, le soutien de l'État aux opérations des collectivités et des propriétaires privés crée un effet de levier et génère donc plus d'activités et de chiffre d'affaires pour les entreprises, dans la mesure où des subventions de collectivités territoriales, des aides d'associations de sauvegarde du patrimoine et/ou une prise en charge des travaux par les propriétaires viennent s'ajouter aux crédits de l'État. C'est ce qu'avait observé la commission de la culture, lorsqu'elle a examiné les conclusions du groupe de travail relatif à l'impact de l'épidémie de la Covid-19 dans le secteur des patrimoines.

Les faibles dotations de l'État aux monuments qui ne lui appartiennent pas s'expliquent cependant par les contraintes du plan de relance , qui doit parvenir, en l'espace de deux ans, à consommer une quantité massive de crédits. C'est pourquoi ce sont majoritairement de grosses opérations, déjà prêtes, dont la maîtrise d'ouvrage relève de l'État ou de ses opérateurs, et susceptibles d'être bouclées en deux ans, qui ont été privilégiées.

Conscient de la faible mobilité des entreprises de restauration, le ministère de la culture a cependant assuré que des consignes avaient été données pour qu'il y ait au moins une opération par département et que la nature des travaux engagés permette de donner de l'activité à tous les corps de métiers.

D'autres ressources financent par ailleurs la restauration du patrimoine n'appartenant pas à l'État, en particulier :

- le fonds incitatif et partenarial pour les petites communes à faible ressources (FIP), dont les crédits sont revalorisés de 5 millions d'euros en CP en 2021 pour atteindre 15 millions d'euros en AE comme en CP. Ces crédits supplémentaires devraient permettre de financer davantage d'opérations, même si ses proportions demeurent encore modestes, puisque 85 % des communes françaises comptent moins de 2 000 habitants ;

- le Loto du patrimoine , dont l'édition 2020 a poursuivi le rééquilibrage engagé l'an dernier entre la part des monuments qui sont protégés au titre des monuments historiques et ceux qui ne le sont pas (46 %), ainsi que la part des monuments qui appartiennent à des collectivités publiques et ceux qui appartiennent à des personnes privées (44 %). Le nombre d'opérations sélectionnées a été réduit pour éviter l'effet saupoudrage qui avait été reproché au moment du lancement du Loto (119) ;

- l'avantage fiscal associé au label de la Fondation du patrimoine , qui a été étendu, dans le cadre de la LFR3, aux immeubles bâtis et non bâtis situés dans des communes de moins de 20 000 habitants, sur la base de l'initiative initialement portée par notre collègue Dominique Vérien dans le cadre d'une proposition de loi et unanimement soutenue par la commission de la culture 1 ( * ) . Grâce à l'élargissement de son champ d'application géographique, cet outil pourra désormais être mobilisé dans le cadre de la rénovation des centres-villes et centres-bourgs. Cette mesure parait d'autant plus appropriée que les acteurs du patrimoine constatent, dans le contexte de la crise sanitaire, que les chantiers des propriétaires privés ont eu davantage de facilité à reprendre, parce qu'il s'agit de chantiers de moindre envergure.

2. Quelques pistes

Comme la commission de la culture l'avait déjà indiqué dans le cadre des conclusions du groupe de travail relatif à l'impact de l'épidémie de la Covid-19 dans le secteur des patrimoines, il lui semble important que l'État augmente temporairement son taux de subvention aux opérations des collectivités et des propriétaires privés portant sur des monuments historiques , même lorsqu'il ne s'agit pas d'opérations financées par le FIP. Un soutien renforcé de l'État pourrait inciter des communes et des propriétaires à lancer des opérations pour lesquelles ils se montrent, dans le contexte actuel de la crise sanitaire, plutôt hésitants, et garantirait une bonne consommation des crédits déconcentrés qui, à défaut, sont transférés à l'administration centrale en fin d'exercice et sont donc perdus pour les territoires.

La commission de la culture reste également très attachée à l'importance des travaux d'entretien et des crédits qui y sont consacrés . Elle estime qu'il s'agit de chantiers à ne pas négliger dans le contexte actuel. Dans la mesure où leur lancement est à la fois plus facile et rapide, ils peuvent participer à la relance de l'activité dans le contexte de la crise sanitaire.

La commission de la culture insiste enfin une nouvelle fois sur l'enjeu de la relance de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage par l'État . Trop de projets de collectivités territoriales et de propriétaires privés ne se concrétisent pas aujourd'hui parce qu'ils sont freinés par un déficit d'ingénierie. Les sous-effectifs des services déconcentrés constituent, à cet égard, un réel problème. La commission de la culture s'en inquiète d'ailleurs particulièrement, au regard de la manière dont ces services vont être sollicités par la mise en oeuvre du plan de relance, sans évolution de leurs moyens humains, alors qu'ils ont un rôle important à jouer pour identifier et accompagner les projets sur le territoire.

Un renforcement de la coordination de l'État et des collectivités territoriales pourrait sans doute favoriser la protection du patrimoine, protégé et non protégé au titre des monuments historiques dans l'ensemble des territoires. Il serait important que la signature des nouveaux contrats de plan État-région dans le courant de l'année 2021 soit l'occasion pour l'ensemble des collectivités publiques d'inscrire leurs engagements en faveur de la protection du patrimoine.

*

*   *

Compte tenu de l'ampleur des efforts financiers consentis par l'État en faveur du secteur des patrimoines, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoines » du projet de loi de finances pour 2021.

TRAVAUX EN COMMISSION

MERCREDI 18 NOVEMBRE 2020

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M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits du programme patrimoine . - La crise sanitaire a frappé de plein fouet le secteur des patrimoines. Tous les acteurs ont vu leur activité durement touchée en 2020 : les monuments historiques, les musées, les sites, l'architecture, l'archéologie préventive et la restauration du patrimoine. Cette situation a entraîné des pertes immenses en ressources tout en étant à l'origine de surcoûts.

Les perspectives pour 2021, voire 2022, demeurent très dégradées, pour deux raisons. D'une part, il faut s'attendre à une activité très faible et irrégulière, au moins pendant le premier semestre 2021. Les pertes des acteurs du patrimoine continueront à s'accumuler. D'autre part, les ressources du mécénat baissent significativement, pour diverses raisons. Le chantier de Notre-Dame de Paris a mobilisé un soutien très important et la loi de finances pour 2020 a encadré le mécénat des grandes entreprises. De surcroît, les difficultés économiques dues à la crise sanitaire ont amené certains mécènes à financer de préférence des actions dans le domaine social ou médico-social. Il faudra donc surveiller dans les prochaines années l'évolution de cette ressource, pour comprendre s'il s'agit d'un effet temporaire ou d'une tendance de fond.

À cela s'ajoutent les interrogations sur la date de reprise du tourisme international. Les touristes étrangers sont essentiels pour les grands opérateurs comme Versailles. Le tourisme interne au pays a lui-même diminué cette année. J'ajoute que les élections municipales, avec le report du deuxième tour, ont contribué à une baisse des nombres d'opérations patrimoniales engagées par les communes, préjudiciables aux entreprises de restauration.

À ces circonstances exceptionnelles, l'État a répondu avec un soutien exceptionnel que je salue. Les mesures transversales mises en place en 2020 ont profité aux acteurs du secteur des patrimoines. L'activité partielle exceptionnelle et les prêts garantis ont permis à beaucoup d'entreprises de passer le cap. En outre, les opérateurs rencontrant les plus graves difficultés de trésorerie ont été accompagnés dans la loi de finances rectificative 2020, avec 42,4 millions d'euros dégagés pour Versailles, le musée d'Orsay, l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), le Centre Pompidou et Chambord. L'État sera également présent en 2021 avec des moyens d'une ampleur inédite pour le patrimoine, pour un montant total qui dépasse le milliard d'euros. Aux 43 millions d'euros supplémentaires au titre du programme 175 s'ajoutent 614 millions d'euros sur les deux années à venir, 2021 et 2022, dans le cadre du Plan de relance.

La fragilisation des principaux opérateurs de l'État et des entreprises de restauration du patrimoine m'ont amené à privilégier ces deux axes pour le rapport sur avis sur le programme patrimoine en 2021.

La crise sanitaire frappe d'autant plus les opérateurs que la part des ressources propres dans leur financement est élevée. La fermeture pendant le confinement, la réduction des jauges et la crise du tourisme ont pesé considérablement sur les ressources de billetterie et sur les recettes de valorisation des sites : boutiques, concessions, privatisation des locaux. Avant le deuxième confinement, on évaluait à environ 360 millions d'euros les pertes nettes des principaux opérateurs en 2020.

Il ne faut pas espérer des résultats positifs en 2021. La reprise est lente, les capacités d'accueil réduites et les risques importants. Ceux-ci sont de plusieurs natures : ils sont culturels, car les opérateurs pourraient manquer de moyens pour financer leur offre ; économiques, les établissements étant au centre d'un écosystème avec des entreprises de restauration et des entreprises d'accueil, au savoir-faire rare et difficile à renouveler ; et touristiques puisque ces établissements contribuent très largement au rayonnement et à l'attractivité de notre pays.

C'est la raison pour laquelle des moyens importants ont été mis en place dans le cadre du Plan de relance, soit 334 millions d'euros en autorisations d'engagement et 231 millions d'euros en crédits de paiement pour les grands opérateurs que j'ai déjà évoqués, auxquels s'ajoutent le Louvre, la Réunion des musées nationaux (RMN) et le Centre des monuments nationaux, qui gère une centaine de monuments.

Nous devons saluer l'effort de l'État mais aussi les efforts engagés par les opérateurs eux-mêmes pour réaliser des économies. L'exercice s'avère délicat pour eux. En renonçant à la programmation culturelle et à la billetterie, ils courent le risque de perdre de l'attractivité. S'ils abandonnent les projets de travaux, ils perdent leurs futures recettes et cela pénalise les entreprises de restauration. C'est pourquoi la plupart des opérateurs ont décidé de décaler leur programmation culturelle et d'étaler les travaux dans le temps.

Cependant, la crise a montré leur vulnérabilité et nous amène à nous interroger sur leur modèle économique, fondé sur le développement de leurs ressources propres. Ce modèle peut être préservé si l'État accepte de jouer le rôle d'assureur en dernier ressort quand surgit une crise majeure. On peut imaginer un système reposant uniquement sur la subvention publique mais je doute qu'il soit soutenable pour l'État ou, à l'inverse, un modèle où l'État n'interviendrait plus, ce qui ferait courir des risques considérables à ces établissements. À titre d'exemple, les grands musées américains ont licencié massivement leur personnel et ont vendu une partie de leurs collections pour faire face à la crise. Notre modèle conserve tout son sens, à condition que le soutien de l'État se confirme, mais aussi que le tourisme reprenne et que les mécènes maintiennent leur soutien. La question reste posée sur le long terme.

La crise sanitaire amènera des changements dans le fonctionnement de nos établissements, avec les billets horodatés, le développement de l'offre numérique et la régulation des flux. Il faudra veiller à ce que ces nouveautés n'entraînent pas d'effets pervers sur la fréquentation.

Après la situation des opérateurs de l'État, j'évoquerai la restauration du patrimoine, qui pâtit de la conjoncture de plusieurs façons. Depuis le début de la crise sanitaire, les chantiers ont été interrompus sur une courte période en mars et, depuis leur reprise, les coûts ont augmenté du fait des protocoles sanitaires. En outre, le nombre d'appels d'offres baisse toujours les années d'élections municipales. À cela s'ajoute la chute du mécénat. En 2020, le choc a toutefois été amorti grâce aux mesures de soutien. Les entreprises ont globalement conservé leurs salariés, ce dont il faut se féliciter, car leurs compétences sont rares. Le Plan de relance sur 2021/2022 a pour but de créer pour ces entreprises une activité soutenue. Il prévoit 260 millions d'euros de crédits en autorisations d'engagement et 103 millions d'euros en crédits de paiement en 2021.

Il est important que la répartition de ces crédits irrigue tout le territoire. L'essentiel des crédits du Plan de relance seront consacrés au patrimoine de l'État : les 87 cathédrales dont une quarantaine présentent la nécessité de travaux très urgents, le château de Villers-Cotterêts et la centaine de monuments gérés par le CMN. Le soutien en matière de restauration du patrimoine des collectivités ne représente que 6,5 % du Plan de relance, soit 40 millions d'euros en dotations d'engagement. Je regrette ce montant un peu faible, qui s'explique par la durée du Plan de relance sur deux ans. Cette durée ne permet d'accompagner que de grosses opérations, déjà prêtes, dont la maîtrise relève de l'État ou de ses opérateurs. Le ministère s'est néanmoins engagé à aider au moins une opération par département et à faire en sorte que les opérations lancées dans le cadre du plan de relance donnent du travail à tous les corps de métiers.

J'ajoute que d'autres ressources peuvent financer la restauration du patrimoine des collectivités territoriales et du patrimoine privé, comme le Fonds incitatif et partenarial pour les petites communes à faibles ressources (FIP), qui permet d'associer l'État et les Régions au financement de la restauration des monuments historiques de proximité, et dont les crédits sont revalorisés de 5 millions d'euros en 2021. S'y ajoutent le Loto du patrimoine et l'avantage fiscal associé au label de la Fondation du patrimoine. Le premier, pour sa nouvelle édition, poursuit le rééquilibrage en cours entre les monuments historiques classés et ceux qui ne le sont pas qui atteignent désormais 46 %. Il veille aussi à l'équilibre entre les monuments qui appartiennent à des personnes publiques et ceux qui relèvent de propriétaires privés, qui représentent 44 % des projets sélectionnés. Le nombre d'opérations a également été réduit pour éviter un effet de saupoudrage. Le Loto du patrimoine financera ainsi 119 opérations dans toutes les régions. Le label de la Fondation du Patrimoine a été étendu, dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, aux immeubles bâtis et non bâtis situés dans des communes de moins de 20 000 habitants.

Notre collègue Dominique Vérien était à l'origine de cette proposition destinée à mobiliser le label dans le cadre de la rénovation des centres-villes et centres-bourgs.

En conclusion, j'aurai trois suggestions à présenter à la ministre. Je propose d'augmenter temporairement le taux de subvention de l'État pour les opérations des collectivités et des propriétaires privés et de relever le plafond des subventions pour les immeubles inscrits. Je suggère aussi d'encourager les travaux d'entretien et pas seulement ceux de restauration. Enfin, je pense qu'il faudrait renforcer l'assistance à maîtrise d'ouvrage qui est faible, car les services déconcentrés sont en sous-effectif. De manière générale, je crois qu'il faudrait imaginer une collaboration plus étroite entre l'État et les Régions dans le domaine des monuments historiques, peut-être dans le cadre des nouveaux contrats de Plans État-Région qui doivent être conclus l'année prochaine.

Je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoine » du projet de loi de finances pour 2021.

Mme Sonia de La Provôté . - Il est important, en matière de patrimoine, de relier le Plan de relance au projet de loi de finances. Les deux apportent un accompagnement important aux grands opérateurs de l'État et aux projets patrimoniaux d'envergure. Cependant, les chutes de fréquentation exceptionnelles ne donnent pas de perspectives. C'est pourquoi un suivi dans le temps est important. En outre, sans rentrer dans le combat patrimonial entre l'Île-de-France et le reste de la France, touchée par une différence manifeste de traitement, je constate que le Plan de relance renforce ce sentiment d'iniquité.

Les territoires sont confrontés à des difficultés sur les projets portés par de petites communes ou des entreprises privées, projets souvent de faible envergure. Il est plus facile de consacrer une enveloppe à quarante projets onéreux, bien portés par des compétences et des structures adéquates qu'à une centaine de projets dans chaque département français. Nous ne nous sommes pas donné les moyens d'un accompagnement renforcé sur ces territoires, notamment en matière d'entretien du patrimoine, qui réduirait significativement le coût des opérations de restauration à mettre en oeuvre par la suite. L'État peut intervenir rapidement et fortement auprès des cathédrales, ce dont nous nous réjouissons, mais le bât blesse en matière de répartition budgétaire et de priorités affichées. Le FIP augmente certes de 5 millions d'euros pour les communes à faibles ressources, mais il ne permettra pas de compenser ces difficultés. Le manque d'entretien constaté sur les cathédrales touche au même titre les églises, dont le nombre est incalculable. Il s'agit d'un réel problème dans ce Plan de relance.

Ces difficultés dans les petites communes reposent sur un défaut d'organisation à l'échelle territoriale. Malgré le nombre d'intervenants, les compétences, l'accompagnement financier, le mécénat et la participation des collectivités territoriales, une stratégie reste à mettre en oeuvre pour le petit patrimoine. Un recensement plus complet du patrimoine serait nécessaire, de même qu'une plus grande considération de la part de l'État. Il ne peut y avoir un patrimoine qui compte pour l'État et un autre qui ne compte pas. Faute d'ingénierie et d'organisation structurelle dans les territoires, il nous est impossible, à l'occasion de ce Plan de relance, de proposer 100 projets par département. Ceux-ci existent, ils sont prêts, mais ne sont ni identifiés ni portés.

Je conclurai sur l'assistance à maîtrise d'ouvrage qui n'est plus proposée par l'État dans les territoires. Dans les régions où les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) ont conservé cette compétence, par exemple en Bretagne, les crédits sont consommés. Nous sommes donc soumis à une double peine : faute de compétences disponibles, les crédits ne sont pas consommés pour ces projets qui seraient pourtant essentiels pour l'attractivité de nos territoires. En outre, ce petit patrimoine n'est pas considéré comme une priorité ni dans le budget ni dans le Plan de relance.

Mme Marie-Pierre Monier . - Je félicite le rapporteur pour la pertinence de son analyse du budget. Nous saluons également l'augmentation des crédits du programme patrimoine 175 qui dépasse le milliard d'euros après une stagnation en 2020. Pour autant, nous gardons à l'esprit que le patrimoine continue à souffrir de la crise sanitaire. Les pertes s'avèrent particulièrement importantes pour toutes les opérations patrimoniales liées au tourisme, les musées nationaux, les métiers liés à l'entretien, mais aussi l'archéologie préventive. Les missions des acteurs du patrimoine sont en outre rendues plus coûteuses par les mesures sanitaires. La situation est grave pour certains opérateurs et musées dont une part importante des ressources est fondée sur leurs ressources propres. Des aides en trésorerie de 42 millions d'euros ont été adoptées fin juillet dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour soutenir les musées nationaux et l'Inrap. Dans les dispositions du Plan de relance, 334 millions d'euros assureront le complément indispensable pour combler ces pertes d'exploitation. Ces moyens exceptionnels ne doivent pas être pris dans le budget ordinaire afin de permettre de poursuivre les opérations prévues ou engagées. Les autres mesures du Plan de relance concernant le patrimoine viendront soutenir les entreprises de la restauration et les métiers d'art à hauteur de 280 millions d'euros, par l'intermédiaire du soutien à la restauration patrimoniale des monuments.

Je souhaite souligner que les crédits destinés à la restauration du château de Villers-Cotterêts dans le Plan de relance ont été rendus nécessaires par l'impossibilité de trouver un mécène à hauteur de 25 millions d'euros. Cette problématique nous amène à nous interroger sur l'avenir du mécénat, dont la fiscalité a été durcie dans la loi de finances 2020.

En ce qui concerne le Plan cathédrales et la rénovation de Notre-Dame de Paris, qui devrait commencer en 2021, il me semble impensable que ces chantiers soient confiés à des entreprises spécialisées dans la rénovation de monuments historiques et dont le savoir-faire constitue aussi une part de notre patrimoine.

Je voudrais attirer votre attention sur le Loto du patrimoine dont le succès s'amplifie, avec 27 millions d'euros attendus pour la troisième édition. Il serait souhaitable que la compensation des taxes soit pérennisée. Je note avec regret que l'action 2 du programme 175 qui concerne l'architecture et les espaces protégés, stagne depuis quatre exercices budgétaires. J'insiste sur la place du patrimoine dans la reconquête des centres-villes anciens, les moyens nécessaires pour les sites patrimoniaux remarquables et les villes et pays d'art et d'histoire, notamment en complément à la politique « Coeur de ville ». Ces outils patrimoniaux méritent d'être valorisés. Dans l'action 3, nous comptons 10 millions d'euros en faveur des petits musées, qui compensent la baisse des années précédentes. Dans l'action 9, je constate que les centres de conservation et d'études stagnent à 4 millions d'euros, en dépit de l'augmentation des fonds archéologiques issus de découvertes. Nous regrettons que ces lieux de rencontre entre l'archéologie, le public, les enseignants et les groupes scolaires ne soient pas mieux pris en compte dans le Plan de relance et doivent partager une ligne de 20 millions d'euros avec les archives.

En conclusion, je salue les suggestions qui seront faites à la ministre en ajoutant qu'il faudra veiller à la répartition des crédits sur tout le territoire et à l'approfondissement du lien entre les acteurs du patrimoine et le grand public.

M. Pierre Ouzoulias . - Ce Plan de relance met paradoxalement en évidence un état de carence. Ses contraintes obligent à axer la quasi-totalité des aides financières sur le patrimoine de l'État et mettent en lumière son incapacité à prendre en charge son patrimoine avec le budget récurrent de la Culture. Concernant le Plan cathédrales, nous sommes surpris de découvrir le manque d'entretien des cathédrales pendant tant d'années. Il a fallu le drame de Notre-Dame pour en prendre conscience.

Le Plan de relance montre aussi l'incapacité du ministère de la Culture à s'adresser directement aux collectivités territoriales par l'intermédiaire des DRAC. Cela renforce nos questionnements sur le rôle et les missions du ministère de la Culture en régions. Sans une augmentation des moyens humains des DRAC qui leur permettraient de satisfaire les besoins de maîtrise d'ouvrage des collectivités et des partenaires privés, nous n'arriverons pas à faire en sorte que le patrimoine national bénéficie de tous les crédits du ministère de la Culture.

J'ajouterai que l'architecte des bâtiments de France (ABF) a perdu son avis conforme et qu'il aurait été souhaitable que le ministère de la Culture lui donne, par l'intermédiaire de ce Plan de relance, les moyens d'assurer la maîtrise d'ouvrage. Ces moyens auraient permis de recréer un tissu entre les ABF, les DRAC et les collectivités.

Je reviendrai également sur la situation de l'Inrap dans le domaine de l'archéologie préventive. L'institut affronte une rupture concurrentielle forte face à des opérateurs privés qui ont, eux, bénéficié du chômage partiel et de crédits de l'État. Un correctif serait nécessaire pour compenser des pertes de ressources propres importantes pour l'Inrap. Je regrette aussi que la partie recherche, publicité et valorisation de l'Inrap soit si peu subventionnée cette année, à hauteur de 5 millions d'euros, alors que l'Inrap estime ses besoins à 10 millions d'euros.

Dans le cadre de la discussion sur la loi de programmation de la recherche, nous regrettons que le ministère de l'Enseignement et de la Recherche soit absent des missions de recherche et de valorisation de l'Inrap. Je suis convaincu qu'en matière d'archéologie, nous avons besoin d'une structure interministérielle pour répartir les efforts budgétaires sur les différentes missions, entre la culture, l'enseignement supérieur et la recherche, le ministère de l'éducation nationale et celui des affaires étrangères.

Pour ces raisons, nous demeurerons dans une abstention constructive.

M. Max Brisson . - Je m'exprime au nom de Catherine Dumas, retenue au Conseil de Paris.

Je salue le rapport très dense de Philippe Nachbar, dans lequel il a montré les multiples ramifications et amplifications de la crise que connaît ce secteur.

Philippe Nachbar sait qu'une politique patrimoniale s'inscrit dans la durée et que nous sommes à la croisée des chemins. La crise de la Covid s'avère révélatrice et amplificatrice de la remise en cause du mécénat et surtout de la présence de l'État dans les territoires. L'État pense à lui dans ce Plan de relance, avec une politique régalienne par excellence. Il fut un temps où l'État proposait du conseil et de l'accompagnement ; aujourd'hui, il propose de la norme, des contraintes et des sanctions. Les maires se retrouvent seuls pour l'entretien du patrimoine, car les intercommunalités n'ont pas la compétence en la matière. La modification de la gouvernance remet en cause l'entretien de notre patrimoine.

Catherine Dumas souhaitait aussi vous entretenir des difficultés des artisans d'art. Ce sont souvent de toutes petites entreprises, au savoir-faire exceptionnel et appartenant au patrimoine immatériel de la Nation et qui assurent l'entretien du patrimoine de la Nation. Nous soutenons les préconisations présentées, mais je pense qu'il faut s'intéresser à ces artisans d'art en difficulté, qui n'ont pas obligatoirement accès au système d'aides mises en place par l'État, en raison de leur statut ou de la faiblesse de leur chiffre d'affaires.

M. Julien Bargeton . - Le patrimoine représente la fondation de notre pays, sur laquelle notre identité repose. Je salue l'effort massif réalisé pour le patrimoine, notamment au titre de la relance. Nous avons auditionné M. Bélaval le 3 novembre, qui nous avait précisé que le patrimoine était l'un des importants bénéficiaires du Plan de relance, avec 200 millions d'euros, dont 40 millions d'euros pour les différents projets, notamment Aigues-Mortes, Carcassonne, Reims, le Mont-Saint-Michel, beaucoup de projets territoriaux ; et puis 100 millions d'euros pour Villers-Cotterêts. Je souhaiterais obtenir des précisions sur ce sujet.

Ma deuxième question concerne la baisse du mécénat. Certaines opérations sont malgré tout menées à terme. Auriez-vous des précisions sur ce sujet ?

Enfin, je souhaiterais vous entendre sur les différents scénarios pour l'avenir. En matière patrimoniale, la Toussaint est une période importante, ainsi que la fin d'année. Nous ne savons s'il y aura un confinement ou non en 2021. Il est nécessaire de bien poser les conséquences en fonction des différents scénarios. Selon M. Bélaval, aucun abandon de projet n'aurait été constaté en novembre, mais plutôt des retards de travaux de six mois à un an.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Philippe Nachbar a conclu son intervention sur le rôle des collectivités territoriales dans le cadre des Contrats de plan État-Région (CPER) en cours de discussion. Les collectivités territoriales ont été très mobilisées dans le cadre de cette crise pour développer des dispositifs et mettre en place des crédits permettant d'amortir le choc sur l'ensemble des secteurs qui concernent notre commission.

Sur le patrimoine et son corollaire, le patrimoine alimentant les politiques touristiques, ce secteur a terriblement souffert avec une activité pratiquement à l'arrêt. L'année 2021 sera donc cruciale. Je soutiens mes collègues au sujet de l'abandon du patrimoine des petites communes, tout aussi important que les cathédrales et les grands monuments d'État. Il n'existe aucune stratégie région par région sur ces sujets. Il y a une vraie carence de l'État en la matière depuis plusieurs années. J'en veux pour preuve l'absence de déclinaison du Conseil territorial des collectivités (CTC), réactivé il y a deux ans. Ce Conseil devait se décliner région par région dans les six mois, regroupant élus et État. En juin, lorsque les CTC se sont déroulés, nous nous sommes contentés d'un état des lieux sans énoncer aucune stratégie. En conclusion, les outils existent, mais l'État doit s'en emparer et les animer.

Par ailleurs, certaines collectivités territoriales ont décidé de conserver leur compétence culturelle, mais elles ont parfois des difficultés à travailler les unes avec les autres. La Conférence territoriale de l'action publique (CTAP) se réunit trop peu. Les bonnes volontés sont présentes, les moyens peuvent être complétés par les fonds privés, le mécénat et le Loto du patrimoine, mais il faudrait une vision stratégique. La Fondation du patrimoine joue souvent ce rôle dans les territoires. Elle réalise un état des lieux de ce patrimoine vernaculaire. Les acteurs ne manquent pas, à commencer par les commissions régionales du patrimoine et de l'architecture, dont la présidence est confiée à un élu local. Peut-être faudrait-il rappeler à la ministre l'importance d'une bonne coordination pour protéger le patrimoine.

En ce qui concerne le Loto du patrimoine, j'insiste sur la nécessaire vigilance pour que l'ensemble des fonds perçus aille bien à la culture et que Bercy n'en prélève pas pour son fonds de finances publiques. Il faudra également rester vigilant sur l'octroi des crédits des donateurs à Notre-Dame, sous la surveillance du Comité de suivi du financement des travaux. La Cour des comptes a alerté sur ce sujet, nous devons rester mobilisés.

M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis . - Sonia de La Provôté a souligné que le Plan de relance devant se terminer fin 2022, il n'a pu soutenir beaucoup de projets. Je le regretterai dans le rapport, de même que le fait que le Plan de relance ne concerne que de très grandes opérations attribuées pour l'essentiel aux opérateurs de l'État. J'évoquerai aussi l'insuffisance de la maîtrise d'ouvrage de l'État, allégée au fil des ans et dégradée.

Pour ce qui est de l'archéologie préventive, celle-ci a souffert parce qu'elle ne dispose pas de la rapidité dont disposent les grands opérateurs de l'État, ni des moyens humains.

Concernant le mécénat, tout comme le souhait que les travaux de Notre-Dame soient attribués aux entreprises de restauration, ce principe semble à peu près acquis. Enfin, j'évoquerai le peu d'intérêt attaché au Centre de conservation du patrimoine, qui permettrait pourtant de mettre en valeur les travaux de l'Inrap et d'atténuer le caractère contraignant des recherches archéologiques.

Pour le Plan de relance et le Plan cathédrales, il est vrai que les délais sont très difficiles à tenir, mais j'insiste sur le fait qu'il faut associer au maximum des entreprises locales aux travaux.

Les effectifs des ABF sont, en effet, en réduction, mais je ne suis pas d'accord pour renforcer le rôle normatif de l'ABF au travers de l'avis conforme. Je pense qu'il faudrait plutôt renforcer son rôle de conseil. L'avis conforme a simplement été allégé dans certains domaines très précis, mais il existe toujours.

Pour ce qui est de l'Inrap, j'ai noté les problèmes de personnel et de moyens qui rendent les recherches archéologiques parfois difficiles.

En réponse à Mme Dumas, les métiers d'art ont souffert, mais ils sont néanmoins associés à de très grands chantiers à Versailles et sont présents sur des marchés considérables. Leurs difficultés sont chroniques et il est nécessaire de les soutenir massivement. Sans les entreprises des métiers d'art, il n'y aurait pas de restauration du patrimoine.

Julien Bargeton a posé des questions sur le mécénat. Les mécènes se sont désengagés du financement d'expositions, mais les engagements de long terme tiennent bon pour l'instant. Les conventions pluriannuelles sont entièrement maintenues. Pour ce qui est du financement de l'opération de Villers-Cotterêts dans le cadre du Plan de relance, je vous invite à interroger plus précisément la ministre.

Enfin, Catherine Morin-Desailly a évoqué le rôle des collectivités territoriales. La Fondation du patrimoine joue un rôle considérable et irremplaçable dans la protection du patrimoine. Pour le Loto du patrimoine, aucun prélèvement supplémentaire de Bercy n'est prévu en dehors des taxes qui s'appliquent à toute opération de loterie.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 3 novembre 2020

- Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles : Mme Catherine PÉGARD , présidente, M. Thierry GAUSSERON , administrateur général.

- Direction générale des patrimoines : M. Philippe BARBAT , directeur général, M. Jean-Michel LOYER-HASCOËT , adjoint au directeur général des Patrimoines, chef de service chargé du patrimoine, M. Ludovic ABIVEN , sous-directeur des affaires financières et générales.

- Centre des monuments nationaux : M. Philippe BELAVAL , président.

Mercredi 4 novembre 2020

- Groupement des entreprises de restauration de monuments historiques (GMH) : M. Yann DE CARNÉ , président, M. Frédéric LÉTOFFÉ , vice-président, Mme Marion ROGAR , secrétaire générale.

- Musée du Louvre : M. Jean-Luc MARTINEZ , président-directeur.

- Associations de propriétaires privés de monuments patrimoniaux : M. Olivier DE LORGERIL , président de la Demeure historique, M. Philippe TOUSSAINT , président des Vieilles Maisons françaises.

Contributions écrites :

- La Fondation du patrimoine

- Réunion des musées nationaux-Grand Palais

- Musée d'Orsay et Musée de l'Orangerie

ANNEXES

Liste des 119 sites sélectionnés
dans le cadre de l'édition 2020 du Loto du patrimoine

Liste des 18 sites « emblématiques » :

- Auvergne Rhône-Alpes : Église Saint-Étienne-de-Mélas au Teil - Ardèche (07)

- Bourgogne Franche-Comté : Temple protestant Saint-Martin à Montbéliard - Doubs (25)

- Bretagne : Phare, Fort et Caserne de l'Ile aux Moines - Côtes-d'Armor (22)

- Centre - Val de Loire : Grange pyramidale à Jars - Cher (18)

- Corse : Couvent des Filles-de-Marie-de l'Île-Rousse - Haute-Corse (2B)

- Grand Est : Séchoir à tabac de Lipsheim, remonté à l'Écomusée d'Alsace d'Ungersheim - Haut-Rhin (68

- Hauts-de-France : Église Saint-Pierre-de-Dompierre-sur-Authie - Somme (80)

- Ile-de-France : Fort de Cormeilles-en-Parisis - Val-d'Oise (95)

- Normandie : Théâtre romain de Lillebonne - Seine-Maritime (76)

- Nouvelle Aquitaine : Viaduc des Rochers Noirs - Corrèze (19)

- Occitanie : Abbaye Sainte-Marie-de-Lagrasse - Aude (11)

- Pays de la Loire : Ancien Tribunal à Baugé-en-Anjou - Maine-et-Loire (49)

- Provence-Alpes Côte d'Azur : Cathédrale Notre-Dame-du-Réal à Embrun - Hautes-Alpes (05)

- Guadeloupe : Habitation Zévallos au Moule (971)

- Martinique : Église du Sacré-Coeur-de-Balata (972)

- Guyane : Église Saint-Joseph-d'Iracoubo (973)

- La Réunion : Pont suspendu de la rivière de l'Est (974)

- Saint-Pierre-et-Miquelon : Cathédrale de Saint-Pierre (975)

Liste des 101 sites de maillages :

Auvergne-Rhône-Alpes :

Ferme du Sougey à Montrevel-en-Bresse (01)
Château d'Avrilly à Trévol (03)
Ancien moulinage de Chirols à Chirols (07)
Pigeonnier du manoir à Menet (15)
Prieuré Saint-Félix à Marsanne (26)
Fort de Comboire à Claix (38)
Ancienne église à Sainte-Croix-en-Jarez (42)
Centre de musique sacrée au Puy-en-Velay (43)
Pâtisserie Maison Rozier à La Bourboule (63)
Manufacture de couvertures et de molletons à Thizy-les-Bourgs (69)
Ancienne chapelle Saint-Anthelme à Chignin (73)
Église Saint-Loup à Servoz (74)

Bourgogne-Franche-Comté :

Tour à Saussy (21)
Château de Joux à La Cluse-et-Mijoux (25)
Grande fontaine à Sermange (39)
Église Saint-Denis à Epiry (58)
École en bois à Ronchamp (70)
Théâtre du château à Sully (71)
Maison de Colette (écuries et remises) à Saint-Sauveur-en-Puisaye (89)
Galerie de l'hôtel de ville à Delle (90)

Bretagne :

Château de Quintin (tour des Archives) à Quintin (22)
Petit Séminaire à Pont-Croix (29)
Remparts à Redon (35)
Château de Coëtcandec à Locmaria-Grand-Champ (56)

Centre-Val de Loire :

Serre du château de Savoye à Villabon (18)
Ancienne justice de paix à Bonneval (28)
Château de Lys-Saint-Georges (36)
Four à poires tapées à Rivarennes (37)
Ancien couvent des Bernardines à Saint-Aignan-sur-Cher (41)
Pavillon Sud-Est du château de Meung-sur-Loire (45)

Corse

Église Saint-Spiridon à Cargèse (2A)
Amphithéâtre d'Aléria (2B)

Grand-Est :

Ancienne abbaye de Chéhéry à Châtel-Chéhéry (08)
Église Saint-Alban à Charmont-sous-Barbuise (10)
Abbaye cistercienne de Trois-Fontaines (Grand pavillon) à Trois-Fontaines-l'Abbaye (51)
Maison forte de Buxières à Froncles (52)
Loge de la Vierge à Blénod-lès-Toul (54)
Hôtel d'Égremont à Marville (55)
Maison forestière du Spitzberg à Dabo (57)
Tour-porte Nord dite Niederthorturm à Wangen (67)
Écluse de Kembs-Niffer à Niffer (68)
Maison paysanne à Bult (88)

Hauts-de-France :

Chapelle des Templiers à Laon (02)
Temple protestant à Roubaix (59)
Collégiale Saint-Thomas à Crépy-en-Valois (60)
Ancien hôpital Saint Jean-Baptiste à Aire-sur-la-Lys (62)
Église Notre Dame de l'Assomption de la Neuville à Corbie (80)

Île-de-France :

Cellier médiéval d'Ourscamp à Paris (75)
Château de Forges (77)
Bourse d'affrètement à Conflans-Sainte-Honorine (78)
Parc Boussard à Lardy (91)
Glacière Sud et glacière-chapelle à Vanves (92)
Murs à Pêches à Montreuil (93)
Colombier à Périgny-sur-Yerres (94)
Maison de Gérard Philipe à Cergy (95)

Normandie

Église de Villiers-le-Sec (clocher) à Creully-sur-Seulles (14)
Château à motte à Château-sur-Epte (27)
Château médiéval (tour des prisons) à Saint-Sauveur-le-Vicomte (50)
Briqueterie des Chauffetières à L'Hôme-Chamondot (61)
Pressoir du manoir de l'Aumônerie (ferme des Templiers) à Saint-Martin-de-Boscherville (76)

Nouvelle-Aquitaine

Moulin du Verger à Puymoyen (16)
Église Saint-Pierre à Cozes (17)
Abbaye cistercienne (vivier) à Aubazine (19)
Diamanterie à Felletin (23)
Château de Nontron (24)
Collégiale Notre-Dame (flèche) à Uzeste (33)
Atelier de finition et grange à charbon à Brocas (40)
Domaine de Senelles à Bias (47)
Ancienne abbaye laïque à Abos (64)
Commanderie de Cenan à Saint-Pompain (79)
Château de Ternay (86)
Parc paysager Laplagne et son ancienne roseraie des Vaseix à Verneuil-sur-Vienne (87)

Occitanie :

Église Notre-Dame à Vals (09)
Pigeonnier à Bram (11)
Château de Pagax à Flagnac (12)
Observatoire du Mont Aigoual à Valleraugue (30)
Moulin et station de pompage au Faget (31)
Pigeonnier du château de Lacassagne à Saint-Avit-Frandat (32)
Ermitage Notre-Dame du Lieu Plaisant à Saint-Guilhem-le-Désert (34)
Rotonde ferroviaire à Martel (46)
Orphelinat des Choisinets à Saint-Flour-de-Mercoire (48)
Bergerie-grange et poulailler-porcherie à Salles-Argelès (65)
Château de Castelnou (66)
Bastion à Labruguière (81)
Beffroi à Bruniquel (82)

Pays de la Loire :

Canal du Retail à Legé (44)
Temple protestant à Saumur (49)
Théâtre de l'Hôtel de ville à Gorron (53)
Église Saint-Hilaire à Asnières-sur-Vègre (72)
Ancienne laiterie au Mazeau (85)

Provence-Alpes-Côte d'Azur :

Fort de Tournoux à La Condamine-Châtelard (04)
Moulin de Sachas à Villard-Saint-Pancrace (05)
Bastion de la Turbie de la Citadelle à Villefranche-sur-Mer (06)
Bergerie de la Favouillane à Port-Saint-Louis-du-Rhône (13)
Moulin de l'Adrech à La Garde-Freinet (83)
Rocher de la cathédrale Sainte-Marie de l'Assomption à Vaison-la-Romaine (84)

Guadeloupe :

Maison Liensol à Basse-Terre (971)

Martinique :

Habitation Céron au Prêcheur (972)

Guyane

Maison du directeur du bagne des îles du Salut à Cayenne (973)

La Réunion :

Ancien bâtiment du Crédit foncier de Madagascar au Port (974)

Mayotte :

Ancien tribunal à Mamoudzou (976)

Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

MARDI 10 NOVEMBRE 2020

___________

M. Laurent Lafon , président . - Nous sommes très heureux de vous accueillir de nouveau parmi nous cette semaine afin que vous nous présentiez les grandes lignes du budget de la culture, un des secteurs les plus durement frappés par la crise sanitaire, un secteur en danger, avec la crainte de conséquences en cascade sur l'emploi, les artistes, l'accès à la culture, la diversité artistique ainsi que le dynamisme et le rayonnement des territoires.

Au-delà des menaces que fait peser cette crise, nous constatons qu'elle accélère et amplifie les changements déjà à l'oeuvre depuis plusieurs années, en particulier la question du numérique, d'où les fortes attentes vis-à-vis de l'État de la part de l'ensemble des acteurs culturels, soit pour les soutenir et les aider à passer ce cap qui pourrait se révéler fatidique, soit pour les accompagner face aux changements et mieux réguler ce nouveau monde culturel en pleine émergence, soit sur ces deux aspects à la fois.

Comme vous l'avez souligné, il s'agit, pour 2021, d'un budget d'une ampleur exceptionnelle : aux crédits de la mission culture s'ajoute le volet culture de la mission relance ainsi que les mesures générales et sectorielles mises en place au cours de l'année 2020.

Nous tenons à saluer votre détermination depuis votre arrivée à la tête de ce ministère pour que la culture ne passe en aucune manière par pertes et profits pendant cette période compliquée. Le nouveau confinement a, hélas, de nouveau suspendu depuis fin octobre les activités d'une majorité d'acteurs culturels, au moment même où un certain nombre d'entre eux constatait les premiers signes de reprise. Dans ce contexte, nous aimerions avoir des précisions sur l'impact de cet arrêt sur le budget de la culture en 2021. Pouvez-vous par ailleurs nous confirmer que les mesures de relance seront mobilisées à titre de soutien et pensez-vous que de nouvelles mesures pourraient être envisagées courant 2021 ? Quelles sont les réformes structurelles que vous identifiez comme prioritaires l'an prochain pour la sortie de crise ?

L'audiovisuel constitue l'autre grand volet budgétaire de votre ministère. Au sujet des ressources de l'audiovisuel public, nous attendons toujours le rapport au Parlement relatif à la réforme de la contribution à l'audiovisuel public. Comment expliquer ce retard alors que de nombreux rapports, notamment celui de notre commission de 2015, ont permis de baliser depuis longtemps le chemin à suivre, s'inspirant des taxes universelles mises en place par nos voisins allemands et suisses ? Pour en revenir à la crise sanitaire actuelle, le gouvernement a souhaité apporter un soutien aux entreprises de l'audiovisuel public dans le cadre du plan de relance, tout en maintenant la trajectoire budgétaire. Il prévoit de préciser la feuille de route dans le cadre des nouveaux contrats d'objectifs et de moyens (COM) de 3 ans. Pouvez-vous nous en indiquer les priorités ? Que va-t-il advenir du projet d'examen au Parlement du nouveau projet de loi « ramassé » consacré à l'audiovisuel ?

Il me faut enfin mentionner les questions toujours sensibles de la presse - qui a doublement souffert de la pandémie et des soubresauts de l'entreprise Presstalis -, des industries culturelles, comme les librairies par exemple, et enfin du cinéma, menacé dans son existence même par le confinement, comme nous l'a montré notre table ronde du 27 octobre dernier.

À l'issue de votre intervention liminaire, nos rapporteurs pour avis vous poseront une série de questions sur la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Nous poursuivrons nos travaux dans un second temps avec la partie « création et patrimoine ».

Concernant la tension ressentie la semaine dernière à l'issue du texte de loi sur le retour des biens aux Républiques du Sénégal et du Bénin, nous avons exprimé notre déception d'apprendre, par voie de presse, la remise de la couronne du dais à Madagascar au moment même où nous débattions dans l'hémicycle. Vous savez notre attachement à ce sujet et comprenez notre réaction. Cette remarque, en avant-propos, ne vise pas à relancer le débat mais au contraire à clore cet épisode, et vous dire, madame la ministre, notre volonté de travailler avec vous dans les meilleures conditions.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je vous remercie pour votre accueil. Pour préciser votre préoccupation concernant le prêt à Madagascar de la couronne du dais de la Reine Ranavalona III, il ne s'agit pas d'une restitution, mais d'une convention de dépôt signée avec Madagascar. Seule une loi au Parlement peut en effet déroger au caractère inaliénable des collections publiques et cette procédure n'est absolument pas remise en cause. La demande du gouvernement malgache datait de plusieurs années durant lesquelles il lui a été clairement indiqué que seul un prêt était envisageable. Une concomitance de calendrier fait que cette acceptation du prêt a eu lieu au moment de notre discussion à ce sujet. Il ne s'agit de ma part d'aucune dissimulation. Ayant été parlementaire pendant un quart de siècle, je suis très attachée aux prérogatives du Parlement. Je tiens à exprimer aux sénateurs et aux sénatrices toute ma considération pour le travail accompli et les assurer que tout projet de restitution sera soumis à un vote, avec les procédures d'analyses, scientifiques et historiques, nécessaires.

Vous l'avez justement évoqué, monsieur le président, le secteur de la culture traverse une période extrêmement difficile. Dans ce contexte, les missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles » vont, en 2021, connaître une hausse exceptionnelle. L'augmentation de 4,8 % des crédits budgétaires du ministère de la culture témoigne de l'importance accordée par le gouvernement à la culture qui joue un rôle indispensable dans notre économie, ainsi que dans nos vies sociales, démocratiques et également intimes. L'effort budgétaire important consenti s'inscrit dans la continuité de la mobilisation totale dont l'État fait preuve depuis le début de la crise pour soutenir les acteurs culturels. Pour rappel, le monde de la culture dans son ensemble a déjà bénéficié de 5 milliards d'euros de mesures d'urgence dont 3,3 milliards d'euros dans le cadre des mesures transversales, ainsi que de plusieurs mesures d'accompagnement, la plus significative étant les 949 millions d'euros accordés aux intermittents du spectacle dans le cadre de « l'année blanche ». Pour pouvoir se projeter, j'ai obtenu que le volet culturel du plan France Relance mobilise une enveloppe exceptionnelle de 2 milliards d'euros en soutien à l'ensemble des acteurs culturels à partir de janvier 2021. D'autres mesures ont eu lieu : depuis la rentrée, 220 millions d'euros ont été mobilisés pour que les secteurs du spectacle vivant et du cinéma puissent faire face aux nouvelles contraintes de distanciation physique et au couvre-feu. Alors qu'a débuté une nouvelle période de confinement, je travaille avec les professionnels à adapter ces dispositifs à la réalité des besoins.

Au cours de la première année de mise en oeuvre sur les deux que compte le plan de relance, plus d'1,1 milliard d'euros de moyens exceptionnels viendront s'additionner aux crédits des missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles ». Ce budget complétera et amplifiera l'action menée pour réparer et refonder nos politiques culturelles. La crise sanitaire, véritable tournant pour le monde de la culture, n'en finit pas de bouleverser les conditions de vie et de création des acteurs culturels et révèle également les pratiques de nos concitoyens. Elle exacerbe des fragilités structurelles préexistantes, causées par des mutations profondes. Notre modèle culturel doit les prendre en compte. Les résultats de l'enquête sur les pratiques culturelles des Français, parue début juillet, mettent en lumière la nécessité de décloisonner et de réconcilier les cultures patrimoniale et numérique, afin d'atteindre l'objectif fixé par mon glorieux prédécesseur André Malraux. En effet, au-delà des mesures financées par les crédits budgétaires, c'est l'un des objectifs stratégiques pour nos industries culturelles et créatives, dotées de 400 millions d'euros sur 5 ans dans le cadre du 4 e programme d'investissement d'avenir. Les moyens inscrits dans les deux missions budgétaires nous permettront de relever ces défis en mettant les habitants et les territoires au coeur de nos politiques culturelles.

Par rapport à l'année 2020, la mission « Culture » connaît une forte hausse de 4,6 % à périmètre constant.

Le patrimoine bénéficie d'un budget de 1,015 milliard d'euros, en hausse de 4,4 %, auxquels s'ajoutent 345 millions d'euros issus du plan de relance. L'investissement prévu dans ce secteur a pour but de développer économiquement les territoires et de renforcer leur attractivité et leur cohésion. C'est l'objectif du plan de rénovation des musées territoriaux, doté de 52 millions d'euros sur deux ans, dont six provenant du plan de relance, et du soutien renforcé aux archives et à l'archéologie dont bénéficieront les équipements patrimoniaux dans les territoires. Dès l'année prochaine, un vaste plan « cathédrales » sera entrepris, en plus de son financement structurel annuel, doté de 50 millions d'euros par an, auxquels s'ajoutent 40 millions d'euros issus du plan de relance, en 2021 puis en 2022, soient au total 180 millions d'euros. Ce budget permettra, d'une part, de réaliser les travaux de mise en sécurité nécessaires et évoqués de longue date et d'accélérer les projets de restauration des cathédrales, parallèlement à ceux des monuments historiques, qu'ils appartiennent aux collectivités territoriales ou aux propriétaires privés. Par ailleurs, il a pour vocation de poursuivre les grands chantiers comme la Cité de la langue française et de la francophonie et la restauration du château de Villers-Cotterêts.

Nous devons, par ailleurs, veiller à l'entretien du patrimoine non protégé dans nos territoires et à sa valorisation, aux côtés des collectivités territoriales dont le rôle est central. Stéphane Bern et moi-même partageons la volonté d'une meilleure représentation de ces monuments au sein des projets de restauration soutenus par le « Loto du patrimoine » lors de sa prochaine édition.

En articulation avec le plan de relance, le projet de loi de finances pour 2021 prévoit des financements visant à garantir la réalisation des programmes de travaux des grandes institutions culturelles patrimoniales comme de création : ainsi 15 millions d'euros de mesures nouvelles permettront de poursuivre le chantier de relogement du Centre national des arts plastiques à Pantin ou encore des investissements pour équiper les deux scènes de l'Opéra de Paris.

Nous avons choisi de réorienter le projet de restauration nécessaire du Grand Palais, dans une optique de maîtrise des coûts et des délais, compte tenu des dérives constatées et de l'échéance des Jeux Olympiques de 2024. Plus écologique, mieux maîtrisé, techniquement et financièrement, ce nouveau projet assurera la préservation du bâtiment et le réaménagement de ses espaces intérieurs, en rétablissant son unité et de meilleures conditions d'accueil à ses visiteurs.

En contrepartie du soutien important accordé à ces grandes institutions, je leur demande d'incarner encore davantage la responsabilité nationale qui est la leur, proches de l'ensemble de nos concitoyens et facteurs d'animation des territoires.

Le programme « Création » connaît, comme celui du patrimoine, une très forte augmentation de 4,5 % qui permettra d'assurer un soutien renforcé à la création, la diffusion et la production artistique dans les domaines du spectacle vivant et des arts visuels. À ces 37 millions d'euros de mesures nouvelles s'ajouteront 320 millions d'euros issus du plan de relance, ce qui est, là encore, totalement inédit. L'une des priorités est de mieux accompagner les établissements de création en régions : 15 millions d'euros seront consacrés à la restauration et à la consolidation des marges artistiques des labels, ainsi qu'au soutien des compagnies artistiques. Sur ce total, 3 millions d'euros iront aux arts visuels. Les mesures du plan de relance viendront, quant à elles, soutenir la programmation et financer des chantiers de rénovation de ces établissements.

Le spectacle vivant sera également fortement soutenu grâce au renforcement des moyens du Centre national de la musique, le CNM, avec 7,5 millions d'euros supplémentaires dans le PLF au programme 334, pour accompagner sa montée en puissance, et surtout la dotation exceptionnelle de 200 millions d'euros dans le cadre du plan de relance pour qu'il joue un rôle moteur dans la reprise de l'ensemble de la filière musicale, elle aussi gravement mise à mal par la pandémie. Les dispositifs fiscaux permettront de soutenir l'activité des salles de spectacle, avec une prorogation du crédit d'impôt pour le spectacle vivant aux critères assouplis et la création d'un crédit d'impôt théâtre. On peut noter que Bercy, habituellement défavorable aux crédits d'impôt, a clairement indiqué que ma demande était justifiée.

Une autre priorité est de renforcer le soutien aux artistes et aux créateurs, en particulier ceux qui n'entrent pas dans le champ des dispositifs transversaux. En plus du grand plan de commande artistique doté de 30 millions d'euros, le PLF 2021 prévoit 5 millions d'euros au titre du Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps) pour diminuer la précarité des artistes et techniciens intermittents et 2 millions d'euros pour mettre en oeuvre les premières mesures à destination des artistes-auteurs avant la fin du 1 er trimestre 2021.

La mission « Culture » comporte également le nouveau programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », qui reprend les actions 1, 2 et 9 qui étaient auparavant inscrites au programme 224 concernant l'enseignement supérieur culturel, l'accès à la culture et la politique linguistique. À périmètre constant, il bénéficiera, en 2021, de 46 millions d'euros de crédits supplémentaires, soit une forte hausse de 8,5 %. Une nouvelle délégation générale, créée au sein du ministère de la culture au 1 er janvier prochain, aura la charge de ces moyens. Elle assurera un pilotage transversal de notre action en matière d'accès à la culture dans les territoires, d'éducation artistique et culturelle (EAC) et de formation en lien avec les ministères concernés dont, bien entendu, celui chargé de la cohésion des territoires et ceux de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. L'an prochain, nous amplifierons l'action menée pour atteindre notre objectif « 100 % EAC » en partenariat avec ces ministères et les collectivités territoriales.

La hausse des crédits du pass Culture permettra d'accompagner son développement. Partant du bilan de ses expérimentations, je souhaite le faire évoluer afin qu'il s'articule mieux avec la fin du parcours d'éducation artistique et culturelle pour enfin diversifier les pratiques culturelles de nos jeunes.

La politique d'accès à la culture dans les territoires bénéficie également de moyens supplémentaires, notamment pour accompagner un nouveau label, celui de « capitale française de la culture », dont le premier sera décerné en 2021. Tous les deux ans, ce label distinguera l'innovation artistique et l'activité d'une ville ou d'un groupement de collectivités.

Par ailleurs, les États généraux des festivals, à Avignon en octobre, ont permis de lancer, avec succès, une concertation entre les acteurs culturels et les collectivités locales, premiers partenaires de ces événements. Leurs travaux vont continuer et nous permettre de mieux accompagner ces manifestations qui jouent un rôle majeur dans l'attractivité de nos territoires, parallèlement à la prolongation du fonds festival en 2021.

L'enseignement supérieur dans le domaine de la culture fera l'objet d'une attention particulière l'an prochain, dans une volonté d'accompagnement des créateurs de demain. L'accroissement conséquent du budget de 3,3 % après des années de stagnation vise à améliorer les conditions de vie et d'études des élèves de ces écoles et leur insertion professionnelle. S'y ajoutera un plan exceptionnel de rénovation et de modernisation de leurs infrastructures s'élevant à 70 millions d'euros, financé par le plan de relance.

Concernant la mission « Médias, livre et industries culturelles », la hausse de 3,2 % exprime notre volonté de moderniser et consolider ces filières culturelles aux fragilités structurelles révélées par la crise. Le programme « Presse et médias » verra son budget progresser de 2,9 %. Ces nouveaux moyens de 483 millions d'euros pour la période 2020-2022 sont intégrés au plan « filière » pour la presse et ont été présentés par le Président de la République à la profession le 27 août dernier. Il s'agit d'un plan de modernisation massif qui accompagnera la transformation nécessaire de la filière.

Grâce au plan de relance, et au-delà des moyens inscrits dans la troisième loi de finances rectificative (LFR3), le fonds stratégique pour le développement de la presse sera abondé de 45 millions d'euros sur deux ans, le montant de l'aide à la modernisation des diffuseurs de presse sera doublé et un fonds de transformation des imprimeries de la presse régionale doté de 31 millions d'euros.

Les enjeux environnementaux et sociaux occupent une place centrale dans ce plan de filières : un fonds pour la transition écologique est donc mis en place, de même qu'un fonds de lutte contre la précarité, doté de 18 millions d'euros par an en soutien aux acteurs les plus fragiles de la profession comme les pigistes, les photojournalistes ou les dessinateurs de presse. Des mesures nouvelles d'aide au pluralisme seront mises en place, l'une à destination des services de presse en ligne, d'informations politiques et générales, à hauteur de 4 millions d'euros par an, l'autre à destination de la presse ultramarine à hauteur de 2 millions d'euros par an.

Le programme « Livre et industries culturelles » connaîtra une hausse moyenne de 3,5 % l'année prochaine, soit plus de 10 millions d'euros. Au-delà des mesures concernant la filière musicale, déjà évoquées, ces nouveaux crédits permettront de financer l'achèvement du chantier de restauration du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France (BnF). L'ouverture de 30 millions d'euros en autorisations d'engagement va également permettre à la BnF de lancer la construction d'un nouveau centre de stockage, opérationnel d'ici 2027. Plus de 80 candidatures ont d'ores et déjà été déposées. Le secteur du livre bénéficie en outre d'un plan total de 89 millions d'euros sur trois ans, financé par la LFR3 de 2020 et le plan de relance, avec l'objectif de soutenir les activités des libraires et des bibliothèques.

Concernant les filières cinématographiques et audiovisuelles, en plus des ressources habituelles du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) stables en 2021, un plan global de 165 millions d'euros inclus dans le plan de relance les accompagne pour permettre la reprise et moderniser l'ensemble de leurs acteurs.

Le financement de l'audiovisuel public respectera, en 2021, la trajectoire engagée en 2018. Le compte de concours financier pour l'audiovisuel public s'élèvera à 3,72 milliards d'euros et le montant de la contribution à l'audiovisuel public dont s'acquitteront nos concitoyens restera stable. L'effort d'économie de 80 millions d'euros demandé aux sociétés de l'audiovisuel public a été réduit de 10 millions d'euros, afin de tenir compte de la prolongation, jusqu'à l'été 2021, de la diffusion linéaire de France 4. Je souhaite engager une réelle réflexion participative et stratégique sur l'offre que nous voulons en matière de contenus éducatifs, sans urgence, qui s'appuie sur la créativité de la représentation nationale. Un soutien financier exceptionnel de 70 millions d'euros sera octroyé, dans le cadre du plan pour compenser les impacts de la crise sanitaire. La coïncidence entre les deux enveloppes de 70 millions d'euros ne représente pas un effet de balance, mais d'un côté, une aide conjoncturelle et, de l'autre, une trajectoire structurelle.

En parallèle, une vaste réflexion sur les ressources de l'audiovisuel public doit être menée, compte tenu de la suppression totale, à l'horizon 2023, de la taxe d'habitation à laquelle est adossée la contribution à l'audiovisuel public (CAP). Nous approfondirons le début de ce travail avec l'ensemble des parlementaires dont les sénateurs, très attentifs à ce sujet d'importance.

Je veux saluer les travaux en cours menés par le Sénat à l'occasion de la transposition de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) introduite dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (Ddadue). Ils vont permettre, avec la révision du décret sur les services de médias audiovisuels à la demande, d'intégrer les plateformes numériques ciblant le public français à notre système de contribution à la création. Il s'agit d'une première étape essentielle d'un système de rééquilibrage d'ensemble de notre système de financement de la création. Les actions et les ambitions de la France, en ce domaine, sont attendues pour fixer un modèle. Une révision du décret fixant la contribution et les obligations des chaînes historiques a lieu, avec des négociations professionnelles, dans ce cadre. Une adaptation de la chronologie des médias devra être mise en place dans les prochains mois, avec ouverture des concertations dans les prochains jours.

Concernant les autres mesures, certaines disposions prioritaires très attendues par le secteur doivent faire l'objet d'une traduction législative, dès que possible, en particulier la lutte contre piratage et l'évolution de la régulation. Un nouveau projet de loi « resserré », proposé au Premier ministre, tient compte des travaux déjà effectués lors de l'examen du projet loi initial. S'il est impossible de reprendre toutes les dispositions proposées, il est indispensable d'adapter les règles encadrant ce secteur à la transformation rapide, tant chez ses acteurs que dans les usages de nos concitoyens.

Telles sont les orientations qui guideront mon ministère, ce budget en étant le reflet, doté de moyens nouveaux, à la hauteur des attentes des professionnels de la culture et du grand public. Il prend en compte les défis urgents, conjoncturels et structurels. En complément du plan de relance, il a pour but de conforter le modèle culturel français, dont l'originalité fait notre fierté.

M. Jean-Raymond Hugonet , rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel . - Il y a deux ans, votre prédécesseur, Franck Riester, assurait que la réforme de la CAP, indispensable pour boucler le financement de la réforme de l'audiovisuel, aurait lieu au plus tard dans le cadre du PLF 21. Après le report de la réforme de la gouvernance de l'audiovisuel, l'examen de la réforme de la CAP sera-t-il à son tour renvoyé à une date ultérieure ? Pourquoi une vraie concertation avec le Parlement et le Sénat notamment, ne serait pas entamée, avec un partenariat possible entre majorité et opposition ?

L'existence de la chaîne jeunesse de France Télévisions, France 4, a été prolongée d'un an seulement, alors qu'elle a toute sa place au sein d'une télévision publique comme le montre le succès en Afrique de la chaîne francophone Tivi5 Monde créée par TV5 Monde. Le montant de l'économie réalisée par la suppression de France 4 apparait, par ailleurs, très limité. Une contradiction importante semble exister entre la légitime volonté du gouvernement de promouvoir les valeurs de la République dans les quartiers prioritaires, où les familles n'ont pas les moyens d'accéder à une offre culturelle et audiovisuelle large, et celle de supprimer cette chaîne qui pourrait constituer cet outil pédagogique indispensable. À l'aune des crises que nous connaissons, le gouvernement pourrait-il réévaluer cette question, quitte à demander à l'audiovisuel public de réaliser des économies sur d'autres postes ?

M. Michel Laugier , rapporteur pour avis sur les crédits de la presse . - La presse joue un rôle important lors d'une crise sanitaire et doit être maintenue à un haut niveau. Ses difficultés ont souvent été évoquées, notamment la chute du groupe de distribution Presstalis qui a eu lieu au plus mauvais moment, en plein confinement. Une partie de la France a ainsi été privée de journaux pendant plusieurs mois. Peut-on chiffrer précisément la dépense engagée par l'État ces dernières années pour le maintien à flot de cette société ? Comment s'assurer d'un sort plus favorable à France Messagerie qui a remplacé Presstalis ? Qui va assumer la dette de cette grande maison ?

Concernant les droits voisins, des annonces contradictoires récentes suggéraient un accord, puis sa mise en doute. Quelle est la volonté de Google et Facebook de s'inscrire dans le cadre légal tracé par la proposition de David Assouline ? Avez-vous des échanges avec d'autres pays qui tardent à lancer leur transposition ?

M. Julien Bargeton , rapporteur pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles . - Le pass Culture suscite beaucoup d'interrogations, notamment sur son évolution et son avenir, qui appellent des précisions. Le choc de la crise sur le secteur culturel est très fort et il faut reconnaître les efforts de soutien déployés par le gouvernement, malgré l'existence de demandes encore en suspens. Cette démultiplication des fonds est d'ailleurs soulignée par les différents acteurs que nous rencontrons.

Quel sera l'avenir et le fonctionnement du CNM, suite à l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 8 septembre 2020 sur les crédits dits « irrépartissables » qui prive de 25 millions d'euros par an les organismes de gestion collective (OGC) ? Une compensation par le CNM a été évoquée, est-elle selon vous envisageable ? Que va faire la France ? Des négociations européennes auront-elles lieu pour essayer de corriger cet arrêt dans un règlement ?

M. Pierre Ouzoulias , au nom de M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis sur les crédits du cinéma . - Concernant la transposition de la directive services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), quelles seront l'architecture et la philosophie générale des projets d'ordonnance et de décret ? Quelles sont les premières réactions des plateformes ? Sur le domaine du cinéma, la difficulté est de ne pas connaître aujourd'hui le montant des pertes de l'industrie cinématographique pour l'année prochaine. Y aura-t-il un aspect dynamique dans l'aide que vous pourriez lui apporter et des moyens d'ajustement d'un budget supplémentaire à ses pertes ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - À propos de la réforme de la contribution à l'audiovisuel, deux clans s'affrontent, les tenants de la budgétisation et ceux qui souhaitent le maintien de la redevance, avec des propositions intéressantes mais qui arrivent à ne pas « familialiser » cette contribution. Compte tenu du report à 2023 de la suppression de la taxe d'habitation sur la résidence principale, cette réforme n'est pas urgente, d'autant que le rendement de cette contribution continue de croître permettant un maintien du tarif, ce qui est important pour les ménages modestes. Des pistes de référence ont été identifiées par le gouvernement, et un travail d'analyse technique approfondi aura lieu d'ici 2022 avec les parlementaires et ceux qui voudront s'y associer. Le principe est de permettre à l'audiovisuel de bénéficier d'un financement pérenne, gage de son indépendance, sans créer de nouvel impôt, en cohérence avec la politique fiscale conduite par le gouvernement depuis 2017 pour améliorer le pouvoir d'achat des Français.

Concernant l'arrêt de France 4, il est nécessaire de s'interroger sur les moyens d'accompagner l'offre éducative des Français. Si l'action de France 4 pendant le confinement mérite d'être saluée, on ne peut pas bâtir une télévision-confinement. La réflexion doit porter sur les besoins exacts de nos enfants et non sur le maintien ou non d'une chaîne, quelle que soit l'affection qu'on lui porte. Comment les enfants évoluent-ils ? Quels outils utilisent-ils ? Faut-il avoir une chaîne éducative, de divertissement ou culturelle ? Dix millions d'euros sont dégagés pour permettre cette réflexion par rapport à la trajectoire arbitrée en 2018. Comment coordonner cette réflexion avec l'utilisation des nouveaux outils numériques utilisés par les jeunes dont la consommation augmente ? Comment les programmes des chaînes comme Okoo s'articulent avec les programmes de l'Éducation nationale ? Face à un public de 6 à 18 ans, comment imaginer des programmes éducatifs structurants ? Quel est l'apport des autres chaînes de l'audiovisuel public ? Toutes ces questions alimenteront la réflexion pour définir l'outil correspondant aux réels besoins de nos enfants.

Concernant Presstalis, la situation est particulièrement compliquée, avec la filière de la vente au numéro, indispensable au pluralisme de la presse, en forte baisse et des acteurs aux difficultés récurrentes. L'État a accompagné les discussions autour de la restructuration de Presstalis qui ont conduit à la création de France Messagerie, nouvelle structure en charge de la distribution de la presse quotidienne nationale, le 1 er juillet 2020. L'engagement de l'État s'élève, dans la restructuration de Presstalis, à 76 millions d'euros et, dans les besoins de France Messagerie, à 80 millions d'euros dont 68 de subventions et 12 de prêt. Le soutien public à la filière ne se dément pas mais s'appuie sur la responsabilité des éditeurs pour assurer la pérennité du système de distribution. France Messagerie représente aujourd'hui 55 % de parts de marché, les Messageries lyonnaises de presse (MLP) 45 %, et l'État verse chaque année aux dix quotidiens d'information politique et générale (IPG) une aide à la distribution de la presse quotidienne de 18 millions d'euros. Dans le cadre du protocole de conciliation de 2018, les crédits de la section A de cette aide sont portés à 27 millions d'euros par an pour 2018-2021 par redéploiement des crédits en provenance du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP). L'État est toujours fortement engagé dans les messageries historiques, d'une part, en prenant en charge le décalage de la procédure de collecte à hauteur de 17 millions d'euros et les chèques de qualification dus aux marchands de presse, qui représentent 16,2 millions d'euros ; d'autre part, dans les besoins de financement de la nouvelle société avec une subvention de 68 millions d'euros et un prêt du Fonds de développement économique et social (FDES) de 12 millions d'euros. Des aides exceptionnelles aux petits éditeurs de 8 millions d'euros et aux diffuseurs spécialisés de 19 millions d'euros ont par ailleurs été octroyées.

Au sujet des droits voisins des éditeurs et agences de presse, un investissement exemplaire dans la négociation des deux directives d'avril 2018 relatives aux droits d'auteur, a abouti à des éléments décisifs sur la rémunération des créateurs et les titulaires de droits. La première directive vise à sécuriser la rémunération des oeuvres diffusées à la télévision par technique dite de « l'injection directe », la seconde consacre des dispositions visant à garantir un meilleur partage de la valeur créée par la diffusion des oeuvres sur internet. Les démarches de Google visent à un seul but : contourner l'application de ce droit, notamment par l'octroi de licences à titre gratuit. Le 9 avril 2020, l'autorité de la concurrence, saisie par des éditeurs de presse, a enjoint Google à négocier « de bonne foi » sur ces droits voisins et la Cour d'appel de Paris a rejeté le pourvoi contestant cette décision. Si certains acteurs du système sont prêts à céder aux sirènes de Google, je veux saluer ceux qui y résistent.

À propos du pass Culture, les objectifs sont connus : favoriser l'autonomie culturelle chez les jeunes, avec un crédit de 500 euros pour chaque jeune de 18 ans, à utiliser dans les biens et services culturels référencés sur le pass. La gestion du dispositif est confiée à la Société du Pass culture, avec une hausse de ses crédits de 20 millions d'euros en 2021 soit 59 millions d'euros au total. La question de sa généralisation est en cours, ainsi que celle d'une meilleure articulation avec les parcours d'éducation artistique pour les 16-17 ans. Il faut par ailleurs noter que le pass a contribué à relancer le secteur culturel suite au confinement, la barre des 100 000 inscrits ayant été franchie mi-septembre. Quatorze départements sont aujourd'hui concernés par l'expérimentation. Au 2 novembre, on compte un taux d'inscription de 85 %, 115 000 comptes sur les 135 000 éligibles et un taux d'utilisation de 81,5 %, contrairement aux craintes escomptées. 130,70 euros sont dépensés en moyenne sur une période de 9 mois et 4 300 lieux culturels sont actifs pour près de 2 500 000 offres disponibles. Les catégories les plus réservées sont à 58 % les livres, à 15 % la musique, à 10,1 % l'audiovisuel, à 4,1 % le cinéma. Les biens physiques représentent 65,1 % des biens réservés, les biens numériques 25,4 %, les événements 9,4 %, ce dernier chiffre étant le plus décevant et sans doute le domaine sur lequel les offres doivent être mieux mises en avant.

Concernant l'arrêt de la Cour de justice, ce sont plus les OGC qui vont être impactés que le financement du CNM. Par le biais des OGC, des activités seront financées mais vous êtes modeste sur la perte estimée à 25 millions d'euros alors que je tablerai plutôt sur 30 actuellement. Cet arrêt de la Cour de justice permet de ne pas reverser les sommes perçues aux artistes et aux producteurs non européens en raison de l'absence de réciprocité, aussi appelé droits « irrépartissables ». L'arrêt dit par ailleurs que la législation européenne aurait dû prévoir la liste exhaustive des pays concernés. Je suis ces travaux au plus près avec la commission européenne. Je ne me lancerai pas dans la description du projet de décret « SMAD », qui est complexe et se trouve disponible en ligne. Cette 3 e consultation des acteurs du secteur, avec, d'un côté, producteurs et créateurs français et, de l'autre, les plateformes, se termine le 12 novembre. À votre demande sur la réaction de ces dernières, évidemment mesurée, je vous répondrai par notre volonté d'un décret ambitieux, et en même temps prudent : on peut aspirer à obtenir 35 ou 40 % mais il s'agit aussi de respecter l'équité et de ne pas s'exposer à des contentieux dommageables qui anéantiraient tous les efforts. Pour exemple, cela représente pour une plateforme comme Netflix environ 190 millions d'euros.

M. David Assouline . - Je partage avec vous une réflexion au sujet de l'ouverture des librairies. Une idée est en train de faire son chemin et vous devez la porter haut et fort, c'est le fait que la culture est un ciment de notre société et une réponse en temps de crise sanitaire et sociale, quand il y a un attentat contre un professeur et la liberté d'expression. Il faut la considérer comme un bien essentiel, dans la mise en place des nouvelles mesures. Je vous demande de plaider en ce sens.

Concernant la contribution à l'audiovisuel public, vous indiquez qu'elle restera stable, ce qui est un euphémisme, car une décision consensuelle de longue date voulait qu'une stabilité impliquait une augmentation de 1 % au minimum pour tenir compte de l'augmentation du coût de la vie. Il s'agit donc d'une baisse du budget de l'audiovisuel public et notamment de celui de France Télévisions, puisque sur les 70 millions d'euros de la trajectoire budgétaire de baisse, 60 millions concernent France Télévisions. Avec 65 millions d'euros d'impact estimés de la covid-19, cette baisse est conséquente, compensée par seulement 45 millions d'euros de dotations exceptionnelles dans le plan de relance. Chacun mesure les efforts faits pour passer ce moment difficile dans toutes les filières. La présence à la maison imposée par le confinement augmente le temps passé à regarder la télévision et Netflix. Nous avons tous intérêt à ce que le service public propose, dans ce contexte, une offre de qualité. C'est là que se pose la question de France 4 qui, par erreur de langage, serait qualifiée de chaîne du confinement, alors qu'elle est une chaîne du service public nécessaire pour les enfants, preuve en est que le secteur privé, dont M6, se l'approprie et que la BBC, qui avait arrêté, en est revenue. Le service public a besoin de s'adresser aux enfants, livrés à des plateformes et à des programmes avec peu de considération pour la qualité et l'éducation, notamment civique, surtout après l'attentat contre M. Paty. On ne peut pas considérer qu'à chaque nouveau ministre, on recommence à zéro. Nous avons réfléchi avec le gouvernement, avec France Télévisions et même Mme Ernotte, pour remporter sa candidature au CSA, a mis en avant son projet de maintien de France 4.

Sur le sujet de la presse et des droits d'auteurs, la majorité sénatoriale et mon groupe, par principe opposés au jeu des ordonnances, avons accepté de négocier avec Franck Riester dans un souci de rapidité, avec l'assurance d'une écriture conjointe. Or nous n'avons jamais été contactés pour en discuter concrètement et être associés à cette rédaction. Le contrat de confiance passé avec le gouvernement était que nous allions, jusqu'au bout, établir ce texte ensemble. Depuis, nous n'avons jamais été contactés pour en discuter concrètement et être associés à l'écriture de ces ordonnances. Il serait bien de tenir cette parole car nous avons fait un effort politique d'ouverture en acceptant en juillet de faire les choses vite, pour les auteurs et pour la création française. En retour, nous nous sentons un peu lésés quant à l'association et la considération du Parlement.

M. Jean-Raymond Hugonet , au nom de Michel Savin . - Michel Savin a dû prendre le train qui reste pour rejoindre les cimes de l'Isère. Il m'a donc demandé de poser cette question pour lui. Madame la ministre, vous avez annoncé courant septembre différentes mesures de soutien à la filière cinématographique durement touchée par la crise sanitaire. Un fonds exceptionnel de compensation des pertes de recettes des salles de cinéma doté de 50 millions d'euros a été créé et confié au Centre national du cinéma et de l'image animée. Or, de par la nature même du CNC, ce fonds ne peut s'adresser aux cinémas de gestion publique. Vous avez également annoncé, le 22 octobre, de nouvelles aides et notamment une enveloppe supplémentaire de 30 millions d'euros pour les acteurs de la filière cinématographique. Une partie de ces aides est-elle destinée aux cinémas exploités en régie directe par les collectivités jusqu'ici ignorés par les plans de soutien du gouvernement ? En effet, de nombreuses collectivités gèrent en direct des cinémas publics. Leur fermeture imposée par le gouvernement pour freiner l'épidémie entraîne de lourdes pertes d'exploitation alors même que leurs finances se trouvent déjà fragilisées par la crise sanitaire. Ces cinémas publics remplissent un rôle important de diffusion culturelle notamment dans les territoires interurbains et ruraux, mal dotés en cinémas privés. Aussi semble-t-il important que l'État fasse preuve de solidarité en accordant aux cinémas publics les mêmes aides qu'aux privés.

Mme Sabine Van Heghe . - Je souhaite poser une question sur la presse et particulièrement la presse quotidienne régionale frappée de plein fouet par la crise sanitaire, avec notamment la fermeture de nombreux points de vente et la forte diminution de son chiffre d'affaires. La situation était déjà très difficile du fait de changements structurels des modes de consommation de l'information. Nous sommes tous d'accord pour veiller à l'indépendance de la presse, au respect du pluralisme et à liberté d'expression. Au moment où de fausses informations circulent abondamment sur les réseaux sociaux, le soutien à la presse et à la presse quotidienne régionale est indispensable. Il en va de la bonne santé de notre démocratie. Par rapport à l'augmentation des aides à la presse dans le plan de relance, pouvant être jugée insuffisante du fait des précédentes baisses observées depuis 2018, des inquiétudes s'expriment quant au soutien apporté à la presse locale, en particulier dans la transformation de son offre numérique. Je vous remercie, madame la ministre, des précisions que vous voudrez bien m'apporter sur ce sujet.

Mme Claudine Lepage . - Madame la ministre, j'aimerais vous poser une question sur l'audiovisuel extérieur, qui occupe une place en marge de l'audiovisuel public, même si France Médias Monde est associée à France Info. France Médias Monde et TV5 Monde, chacun dans leur spécificité, jouent un rôle de premier plan dans la diplomatie culturelle de la France et donnent une belle image, engagée, de l'information. Vous avez fait mention du projet de loi « resserré » sur l'audiovisuel. Quelle sera la place réservée à l'audiovisuel extérieur dans le cas où il verrait le jour ? Il est important de conserver les spécificités et les missions de celui-ci.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - J'ai réalisé, monsieur le président, que je n'avais pas répondu à votre question sur les COM, mais elle reboucle finalement avec les dernières questions sur le plan de transformation de l'audiovisuel public énoncée en juillet 2018 et qui conditionne les COM 2020-2022. Cinq axes sont prioritaires : renforcer l'offre audiovisuelle de proximité, conforter le statut d'offre de référence de l'information, sanctuariser son rôle central dans la culture et la création - je me réjouis que France Télévisions ait décidé de consacrer une soirée à un spectacle en ce moment en répétition dans nos lieux de culture fermés, Hippolyte et Aricie, l'opéra de Jean-Philippe Rameau répété à l'Opéra-Comique, que l'on pourra voir sur France 3 ainsi que d'autres spectacles édités par l'audiovisuel public. Ceci permettra peut-être à certains de découvrir l'opéra, développer l'offre éducative et les contenus destinés à la jeunesse et contribuer au rayonnement international de la France. Ces objectifs sont tout à fait essentiels. Le report du projet de création d'une holding ne signifie en rien le renoncement à poursuivre la transformation de l'audiovisuel public et favoriser les coopérations entre les entreprises qui le composent. Pour autant, les synergies doivent être multipliées, le gouvernement a invité l'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public, couvertes par un COM, à le renégocier et j'ai écrit aux dirigeants de l'audiovisuel public, cet été, dans cette perspective. L'ensemble du secteur va donc être couvert par des COM, alignés dans le temps sur l'horizon budgétaire de 2022. Ces contrats comprendront un volet commun à ces entreprises, dédié à leurs missions communes, ainsi qu'à leur engagement conjoint à progresser davantage en matière de coopérations multiples, éditoriales et non éditoriales. Les textes de ces COM sont en cours de finalisation et seront transmis au CSA et aux commissions parlementaires dans les prochaines semaines. Vous allez donc pouvoir vous en emparer.

Je veux dire à M. Assouline qu'on continue à vendre des livres et à les acheter dans notre pays et dans des librairies indépendantes. Je passe, pour venir au bureau, devant deux librairies indépendantes et peux vous dire que le « cliquez-emportez » marche ! Nous soutenons nos librairies par des mesures transversales considérablement majorées comme le fonds de solidarité porté à 10 000 euros, le chômage partiel, les prêts garantis par l'État qui sont poursuivis. Nous avons, par ailleurs, décidé que tous les livres vendus en « cliquez-emportez » ou envoyés par la poste ne rentreraient pas en ligne de compte dans le calcul du chiffre d'affaires permettant d'accéder au fonds de solidarité. Toutes ces aides sont considérables. En accord avec le ministre de l'économie et de la relance, nous avons mis en place la prise en charge des frais postaux qui permet de placer les librairies indépendantes au niveau des grandes plateformes à 1 centime l'envoi. De même, La Poste a fait une ouverture considérable, en divisant pratiquement par 3 le prix de ses portages de colis dans une agglomération. On peut situer cet effort pour l'État, entre 10 et 20 millions d'euros sur cette prise en charge de la quasi-gratuité du tarif. Certaines librairies témoignent même de la présence de beaucoup de clients et de difficultés à organiser les commandes. Les librairies sont pour la plupart ouvertes, il est possible de téléphoner, sans être obligé de passer par internet, de passer et préparer des commandes, de demander des conseils à son libraire. Comme vous, je souhaite la réouverture des librairies le plus tôt possible, bien entendu, et nous réfléchissons aux actions par rapport au contexte sanitaire. Une librairie, comme le disait excellemment mon ami Alain Duault dans un éditorial paru récemment, ça n'est pas comme acheter un paquet de nouilles dans un supermarché ! Ce qu'on aime, c'est feuilleter les livres, discuter avec les gens, c'est un lieu de convivialité et dans l'état actuel, tout cela est évidemment compliqué. On pourrait imaginer, si la situation sanitaire se desserre, évoquer la question des jauges, en discussion avec les acteurs du secteur, libraires et éditeurs, à hauteur de 4 m², voire même de 8 m² par personne, les libraires y sont disposés, un accueil sur rendez-vous, mais on ne peut pas transiger sur le fait de ne pas feuilleter les livres, même avec masques et gel hydroalcoolique. Développer des moyens logistiques n'est pas si simple. Nous travaillons avec Bruno Le Maire sur ces adaptations.

J'ai déjà répondu aux questions concernant la contribution à l'audiovisuel public. Les efforts de gestion étaient tout à fait soutenables par rapport au travail accompli en 2018. Concernant le décret SMAD et l'écriture des ordonnances, je ne sais pas où on est sur le travail de collaboration avec l'assemblée sénatoriale, je vais me renseigner sur cette consultation et revenir vers vous à ce sujet sans chercher de fausses excuses.

Concernant la filière cinématographique et la gestion publique, il est vrai que sur les 6 000 salles de cinéma de notre pays, 400 sont en gestion publique. Leur modèle économique n'est pas comparable à celui des salles commerciales. Néanmoins, j'ai demandé que le CNC regarde la situation au cas par cas et que, si elle se révélait très difficile et bien que ne relevant pas de la mission du CNC, il puisse aider ces salles. Je tiens vraiment à ce que le maillage si important des salles de cinéma soit préservé pendant la crise.

L'audiovisuel extérieur et France Médias Monde sont engagés, comme l'ensemble des entreprises du secteur public, dans les négociations des COM. Une élaboration est en cours avec une signature prévue début 2021, comportant les objectifs communs et spécifiques qui traduisent les missions confiées. Dans un projet « resserré », l'audiovisuel extérieur ne sera pas concerné. J'ai bien indiqué les contours de ce texte législatif, qui sont le piratage et l'autorité de régulation, soit la fusion du CNC et de l'Hadopi pour former l'ARCOM. Nous rencontrons beaucoup de difficultés, d'ailleurs, à trouver un créneau législatif, mais cela n'empêche pas ma résolution dans ce domaine. Il y aura peut-être des idées d'initiatives parlementaires, on verra.

Mme Sylvie Robert . - Merci beaucoup, madame la ministre, pour la présentation de ces programmes 131 sur la création et 361 sur la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture. Je mesure l'ampleur des efforts réalisés par l'État pour sauver la création artistique et culturelle dans un moment que vous avez justement qualifié de critique. Le secteur culturel, dans son intégralité, est en train de payer un lourd tribut du fait de la crise. Sans revenir sur les analyses chiffrées, je voudrais vous questionner sur plusieurs points. On sait que les acteurs culturels ont subi différentes phases, un confinement total, un déconfinement avec une reprise d'activités, puis, brutalement, un reconfinement que je ne qualifierai pas de partiel, car les lieux sont fermés. Beaucoup souffrent encore, comme les festivals, d'un manque d'anticipation, de visibilité. Ils ont besoin qu'on les aide à anticiper, notamment à trois mois car leur modèle économique ne leur permet souvent pas de stopper leurs activités. Avez-vous des éléments de calendrier ou une méthode de travail qui permettrait d'y répondre, avec cette incertitude qui pèse sur la durée ? Je sais la difficulté de répondre à ma question. Pour pouvoir continuer, beaucoup demandent la prolongation de l'activité partielle exceptionnelle qui s'arrête au 31 décembre, devenant ensuite activité partielle de longue durée, ce qui diminue considérablement le remboursement. Dans leur situation, une telle décision serait très importante.

Les collectivités territoriales jouent, vous le savez, un rôle majeur. Avec les mesures du PLF pour 2021, du plan de relance, du PLFR4, des sous-préfets ont été nommés pour prendre en charge la relance dans les territoires. J'aimerais savoir comment vos annonces seront traduites concrètement dans les territoires. La coordination qui sera mise en place n'est pas très claire avec le rôle qui sera confié aux sous-préfets en charge de la relance. Comment trouver une bonne coordination entre sous-préfets, directions régionales des affaires culturelles (DRAC), collectivités territoriales, pour que l'organisation territoriale, qui va permettre à la fois sur la relance et, sur ce que j'appelle de mes voeux, un printemps culturel, puisse être bien accompagnée ? Nous avons besoin d'une clarification sur la méthodologie pour pouvoir, au sein des collectivités territoriales, fluidifier et simplifier les aides. Beaucoup d'interrogations demeurent.

Les écoles supérieures d'art me tiennent à coeur, ainsi que les écoles supérieures d'architecture qui souffrent beaucoup. On nous a annoncé la remise rapide d'un rapport sur leur situation. Quand doit-il être publié ? Nous aimerions en disposer car, derrière ces écoles, se pose la question de la recherche, de l'intégration de ces écoles dans le système licence master doctorat (LMD), et des vacataires. Je vous remercie pour l'enveloppe pour la rénovation énergétique, très importante pour ces écoles. La question du fonctionnement de ces écoles et de l'enseignement de l'architecture dans notre pays est fondamentale en ce moment de transition écologique. On vit finalement sociologiquement, philosophiquement et même intellectuellement des mouvements qui pourraient faire déplacer des populations au-delà des zones urbaines vers les zones rurales, et ces questions d'environnement et d'habitat sont très importantes.

Enfin, car je sais que mes collègues compléteront mes propos, je voudrais vous dire qu'en plus des lieux subventionnés et privés existent également de très nombreuses associations culturelles qui diffusent la culture dans les territoires, enseignent les pratiques artistiques, gèrent des lieux non conventionnés, non labellisés. Beaucoup rencontrent aujourd'hui des difficultés majeures et sont peu soutenues, éligibles un peu aux dispositifs culture, un peu aux dispositifs vie associative, un peu aux dispositifs destinés à l'économie sociale et solidaire (ESS). Elles constituent des acteurs importants de l'éducation artistique et culturelle, aujourd'hui à l'arrêt car ces lieux sont fermés. C'est pourquoi je plaide pour un printemps culturel très important qui s'appuierait sur les projets exceptionnels menés par ces associations dans les écoles, collèges, lycées. Il y a de l'argent : c'est un moyen de l'utiliser. La volonté existe mais une vraie organisation et des méthodes de travail sont à mettre en place.

Vous prolongez le fonds festival. Je tenais à vous dire que l'organisation des États généraux des festivals avait été très bien reçue par les organisateurs de festivals. Ils attendent maintenant un calendrier, des critères et, là aussi, l'association des collectivités territoriales sera précieuse. Nous, parlementaires et élus, sommes prêts à vous accompagner car il y a urgence. La relance n'est pas encore complètement là. J'espère qu'elle sera rapide, visible et lisible dans les territoires de notre pays.

Mme Céline Boulay-Espéronnier , pour Philippe Nachbar . - Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits du programme patrimoine, m'a laissé ses questions. La première concerne la situation très préoccupante des opérateurs, singulièrement ceux dont le niveau des ressources propres est le plus élevé. Après l'audition des présidents du musée du Louvre et du château de Versailles, la semaine dernière, nous nous demandons si les crédits inscrits permettront aux opérateurs de surmonter les conséquences de la crise, dans la mesure où leur montant a été déterminé avant la mise en place du nouveau confinement. Quelle est votre position ?

Deuxièmement, nous sommes préoccupés par la faiblesse des crédits accordés aux monuments historiques appartenant aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés, qui représentent pourtant la majorité de ces monuments et fournissent du travail aux entreprises de restauration sur l'ensemble du territoire. Ces crédits sont globalement stables dans le PLF pour 2021 et leur niveau reste modeste au titre du plan de relance puisqu'ils représentent seulement 6,5 % en autorisations d'engagement (AE) et 3 % en crédits de paiement (CP) du volet patrimonial de ce plan. Dans la mesure où les collectivités territoriales, comme les propriétaires privés, devraient voir leur capacité financière se contracter en 2021 sous l'effet de la crise - repli des collectivités sur leurs dépenses obligatoires, pertes financières enregistrées par l'absence d'ouverture de leurs monuments - comment justifier que l'effort de l'État ne soit pas plus conséquent ? Enfin, afin de les inciter davantage à engager des travaux dans les mois à venir, certains suggèrent que l'État relève temporairement le taux de sa subvention aux travaux, même pour les opérations non éligibles au fonds incitatif et partenarial pour les petites communes. Quel regard portez-vous sur ces propositions ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je vais répondre à Mme Van Heghe sur le soutien à la presse quotidienne régionale et vais compléter mon propos. Les questions sont très nombreuses et tout le monde connaît l'importance de la presse quotidienne régionale (PQR) dans l'accès des citoyens à l'information. Le soutien de l'État à son égard est très fort, avec 2,9 millions d'euros d'aides au pluralisme pour la presse locale ainsi que l'aide au portage et le fonds stratégie qui lui profite largement. S'ajoute, dans le cadre du plan filière presse, un soutien exceptionnel de 50 millions d'euros sur 2 ans, pour le fonds stratégie et 36 millions d'euros pour la restructuration des imprimeries de la presse en région. C'est donc une aide plus que substantielle.

En réponse à Mme Sylvie Robert, la territorialisation du plan de relance est un enjeu qui m'a habitée pendant toute son élaboration. Sur le 1,6 milliard d'euros, hors 4 e programme d'investissements d'avenir (PIA4) dont on ne connaît pas encore les projets, 460 millions d'euros sont territorialisés, c'est-à-dire programmés région par région. Les crédits alloués aux filières qui se diffuseront sur l'ensemble du territoire - presse, cinéma, livres notamment - seront également suivis. Hors opérateur, on peut estimer que plus de 1 milliard d'euros sur les 1,6 bénéficieront directement aux territoires. Il ne suffit pas d'affecter de l'argent aux territoires, il faut que ce soit coordonné avec eux et qu'on ait des effets de levier des politiques de l'État, de concertations et parfois de codécisions. J'ai voulu que les collectivités territoriales soient pleinement associées à ces politiques de plan de relance, en réunissant le Conseil des territoires pour la culture (CTC) le 27 octobre dernier. Des CTC locaux seront réunis très prochainement. J'ai exigé que le rôle des DRAC, souvent mises de côté dans ces réunions globales, soit pris en compte. À chaque séance, le plan de relance sera évoqué comme la gestion de crise et ses conséquences sur la culture. Un suivi très fin de tout cela est nécessaire.

Vous m'avez posé une question, à laquelle je ne peux pas répondre, sur la date de sortie de la crise. Vous-même avez bien voulu en convenir. Je m'inscris résolument dans la préparation de la sortie de crise. Souvenez-vous, pendant le premier confinement, comme les répétitions n'avaient pas pu avoir lieu, lorsque la crise s'est desserrée, les spectacles n'étaient pas prêts - cela a considérablement affecté les festivals d'été. En autorisant les tournages et les répétitions, outre que j'alimente l'audiovisuel public et, pourquoi pas, d'autres types de médias pour leur diffusion, les spectacles seront prêts dès la fin du confinement et permettront la reprise du spectacle vivant. Il est important de réduire au maximum le délai de reprise des activités et de s'y préparer.

Vous pointez l'approche en silo du ministère de la culture, j'en conviens volontiers, c'est un diagnostic que je partage. C'est pourquoi j'ai voulu créer au ministère une nouvelle délégation générale aux territoires et à la transmission des politiques culturelles, avec la vocation de décloisonner les politiques et d'être un interlocuteur unique pour les acteurs des territoires, ce qui est souvent compliqué. L'objectif est aussi de décloisonner les pratiques patrimoniales ou traditionnelles et les cultures numériques nouvelles.

Les États généraux des festivals, dont vous avez souligné le succès, correspondaient aux besoins des acteurs de ces festivals de décompresser, de dire à quel point ils avaient souffert. Il fallait échanger dans ce domaine. Mon prédécesseur a, dès le 6 avril, mis en place une cellule d'accompagnement aux festivals et 10 millions d'euros de crédits complémentaires ont été ouverts dès juillet en soutien aux éditions annulées. On estime aujourd'hui que 300 organisateurs vont être soutenus dans tous les domaines. 5 millions d'euros supplémentaires alimenteront ce fonds d'urgence en 2021 dans le cadre du plan de relance. La crise a réinterrogé la façon dont l'État devait accompagner ces festivals et les ateliers tenus à Avignon ont abordé des thèmes nouveaux : la diversité, l'égalité hommes-femmes, le bénévolat, outre les questions classiques sur la territorialisation, les partenariats avec les collectivités territoriales, le mécénat... Tout a été envisagé, au cours de cette première période de diagnostic. Une nouvelle réunion avec les chefs des sept ateliers de ces États généraux envisagera des solutions concrètes. Rendez-vous est donné, en croisant les doigts, au printemps de Bourges, pour avancer des solutions concrètes et nous nous reverrons régulièrement car ce pilotage est à mener finement et de façon évolutive.

Les enjeux des écoles d'architecture sont tout à fait considérables. D'abord, en urgence, il fallait veiller à leur équipement numérique pour l'enseignement à distance et le besoin pour les vingt écoles sera couvert. À moyen terme, avec la bonne mise en oeuvre de la réforme de 2018, ces écoles doivent occuper une place centrale dans la définition et la diffusion des solutions pour la transition écologique et sociale des bâtiments. Cette réforme doit aller à son terme et accompagner les écoles en moyens financiers. Elles vont bénéficier des crédits importants que vous avez soulignés. La réunion de restitution du rapport que vous avez mentionné aura lieu prochainement et le rapport sera livré avant Noël.

L'impact de la crise sur les opérateurs est évidemment massif et nous y avons répondu amplement en nous adaptant à chaque situation. Le deuxième confinement crée une situation nouvelle dont nous sommes en train d'évaluer les conséquences. Les modèles d'aides déployés lors du premier confinement, comme les 115 millions d'euros consacrés à accompagner les pertes de billetteries liées au couvre-feu à partir de 21 heures, vont être remodelés pour aider les opérateurs de façon conforme aux exigences du confinement. Sans préjuger de ce qui se passera, le gouvernement est décidé à prolonger les mesures si le confinement se prolongeait, aussi bien en ce qui concerne l'intermittence ou le chômage partiel, autant que de besoin. Le ministre de l'économie et de la relance s'est plusieurs fois exprimé sur ce sujet.

Est-ce que les crédits seront suffisants ? Que coûte aux établissements cette prolongation du confinement, de l'interdiction de mener des spectacles à l'Opéra de Paris, de recevoir des visiteurs au musée du Louvre ou à Versailles ? Cela coûte 30 millions d'euros par mois pour l'ensemble des grands opérateurs, « vaisseaux amiraux » de notre culture. Ils seront accompagnés de la meilleure façon. Nous avons déjà donné des enveloppes extrêmement substantielles dont vous avez la liste, avec une palme au château de Versailles qui le mérite. Des efforts de gestion peuvent aussi sans doute être consentis par les opérateurs, avec une réflexion à mener, dossier par dossier.

Il me tient à coeur de revenir sur une sorte de débat récurrent qui oppose les financements engagés sur les grands opérateurs et les territoires. Je ne vois pas comment justifier cette opposition. Les grands opérateurs sont la marque de notre pays, reflets de notre histoire. Il est vrai que l'Opéra de Paris n'est pas à Montauban et le Louvre pas à Lengelsheim. Situés dans la capitale, ces grands opérateurs doivent être entretenus, valorisés, ils sont des produits d'appel considérables. Espérons que lorsque le tourisme aura repris, ils seront en bon état. Pour autant, ils ont un rôle d'animation des territoires colossal, avec, par exemple, le prêt d'oeuvres par le Louvre aux établissements territoriaux. Il faut sortir de ce débat stérile car, si on délaisse l'entretien du patrimoine et ne procède pas aux grandes réparations, les états de déshérence consécutifs coûteront beaucoup plus cher in fine .

Il y a un soutien significatif aux monuments historiques ne relevant pas de la responsabilité de l'État. Je voudrais là aussi sortir de l'idée reçue suivante : l'État croulerait sous l'argent et les collectivités territoriales seraient en difficulté. Pardon, tout le monde est à la peine dans ce domaine. Chacun fait un effort et essaie de gérer le mieux possible ses responsabilités. Le soutien de l'État à des opérations qui ne sont pas de sa responsabilité dans le cadre de la loi de décentralisation est massif. D'ailleurs, les collectivités territoriales nous accompagnent aussi dans un certain nombre d'opérations qui sont de notre ressort. Il faut parler de concertation dans une situation difficile. Plus de 170 millions d'euros ont été prévus pour les monuments historiques non-État, soit 70 % des crédits monuments historiques déconcentrés. Un effet de levier considérable est engendré qui multiplierait au moins par deux voire par trois les fonds. Dans le plan de relance, 40 millions d'euros en faveur des monuments historiques non-État pourraient générer 120 millions d'euros de travaux. J'espère qu'on les dépensera, ce qui n'est pas gagné car ces subventions ont souvent du mal à être consommées et engager des travaux pour un propriétaire privé ou une collectivité territoriale reste difficile à entreprendre, même avec un niveau de subvention important. Nous le suivrons ensemble.

Mme Sonia de la Provôté . - Merci, madame la ministre, de ce temps passé et de la qualité de vos réponses. Concernant le patrimoine, je veux rebondir sur ce que vous venez de dire. Pour les opérateurs de l'État, il s'agit d'un rebasage ou d'une sécurisation des budgets avec une vraie volonté de maintenir ou accompagner le mieux possible. Globalement, de l'avis de tous sur le terrain, ce sont plutôt les gros chantiers avec de gros budgets qui vont être accompagnés dans le plan de relance, car les petits chantiers sont plus difficilement identifiables. Ils ont cet avantage pourtant d'être diffus sur tout le territoire et surtout de concerner des entreprises locales. Cette remarque faite, pourrait-on imaginer, dans le cadre d'une loi de finances rectificative pour 2021, qu'une partie des crédits finance ce type de petites opérations de restauration et d'entretien tant elles sont nécessaires pour le patrimoine dans les territoires ?

Sur le fonds incitatif à destination des petites communes rurales, je souhaiterais une plus grande transparence sur l'usage des crédits, car j'ai le sentiment que certaines régions accompagnent mieux que d'autres et comme le montant des crédits reste modeste, très peu de chantiers sont accompagnés au final. Les pertes de recettes de mécénat vont avoir un impact important sur le secteur des patrimoines. Beaucoup de mécènes se réorientent vers d'autres priorités que le patrimoine et la culture. Nous devons anticiper une diminution au cours des deux prochaines années au moins. Est-ce que votre ministère a prévu des dispositions particulières pour favoriser le mécénat ou le flécher - plus particulièrement vers le patrimoine ? S'il fait défaut, beaucoup de monuments, petits et grands, vont en souffrir.

Je veux redire que l'assistance à maîtrise d'ouvrage qui n'est plus exercée par l'État est identifiée, par tous les acteurs, comme une des sources principales des difficultés pour mobiliser les crédits. En effet, les chantiers sont complexes, et le maire d'une petite commune ne peut pas trouver les moyens de mener à bien son projet. Le ministère de la culture est attendu à ce sujet. Je souhaite enfin réagir : je m'attendais à ce que le patrimoine non protégé ou vernaculaire, qui constitue une grande part du patrimoine de la France et de son identité, soit davantage pris en considération après le Loto du patrimoine. L'État ne devrait-il pas créer un fonds dédié, aider à son recensement et à sa restauration par le biais de programmations annuelles ? La feuille est mince entre le classement et le non-classement et, quelquefois, on ne classe pas pour ne pas avoir les contraintes du classement.

Sur la culture, je voulais intervenir sur la question des intermittents, que vous n'avez pas abordée. Est-ce que l'année blanche sera également prolongée et pour quelle durée ?

Les arts visuels ne sont pas la partie du programme « Création » la plus mise en avant. Ses artistes sont essentiellement accompagnés par le RSA en temps de crise, ils sont pourtant extrêmement présents et contribuent à l'accès à la culture dans tous les territoires. Je souhaiterais que le ministère fasse un effort particulier pour accompagner massivement la structuration de cette discipline, distincte du spectacle vivant : les parcours des artistes et les fonctionnements ne sont pas identiques. J'aimerais que les spécificités de cette filière soient mieux prises en compte dans le budget et le détail de ses mesures. J'insiste sur la nécessité de réévaluer peut-être les schémas d'orientation pour les arts visuels (SODAVI) qui, pour l'instant, n'ont pas réussi à la structurer.

Je me réjouis que les crédits d'impôts soient étendus à l'art dramatique, mais constate une discrimination peu compréhensible. En effet, il n'y a pas de hiérarchie entre les disciplines, nous en sommes d'accord, que sont l'art dramatique, les marionnettes, le cirque et la danse, par exemple. Aussi, je souhaiterais voir ce crédit étendu à toutes les disciplines, puisqu'aucune n'est prééminente sur l'autre, sauf à trouver une justification que je n'ai pas.

Au sujet du chômage partiel, je vous demande qu'il accompagne toutes les structures quel que soit leur statut, suivant l'objectif des PLFR de ne pas perdre ni structure ni lieu. Les structures publiques dont les employés ont pourtant des contrats de travail de droit privé se trouvent défavorisées, alors qu'elles sont essentielles pour prendre en charge les politiques culturelles.

Mme Marie-Pierre Monier . - Je voudrais attirer votre attention sur trois points particuliers du budget : les crédits sur les études et travaux sur les sites patrimoniaux remarquables dont la stagnation est préoccupante depuis 4 ans, la situation des crédits destinés à l'enrichissement des collections, en stagnation pour la 2 e année consécutive, et enfin l'archéologie, très impactée, avec des chantiers arrêtés au printemps et peu de budget dans le plan de relance. Je me réjouis du plan Musées et des moyens accordés à ce dispositif en faveur l'accès à la culture dans les territoires. Je reste néanmoins prudente car cela concerne des établissements disparates en moyens et en capacités de mobilisation autour de projets. Je souhaite que vous nous assuriez que, dans le cadre de ce plan Musées, ce seront prioritairement les musées qui en ont le plus besoin et non ceux qui, forts de leurs budgets disponibles, ont, déjà ou rapidement, des projets prêts à servir. Par rapport aux monuments historiques des collectivités, le fonds incitatif et partenarial en faveur des collectivités à faibles ressources est abondé de 5 millions d'euros supplémentaires et peut aussi bénéficier de 40 millions d'euros sur 2 ans au titre du plan de relance. Cependant, compte tenu des besoins en restauration et en entretien de ces monuments, je crains que cela soit insuffisant. Afin d'éviter des choix difficiles entre monuments, tous plus importants les uns que les autres, serait-il possible de pérenniser ce fonds à un niveau de 30 à 35 milliards d'euros à l'issue du plan de relance ?

M. Lucien Stanzione . - Ma question va dans le sens de l'intervention de notre collègue Sylvie Robert. Madame la ministre, vous êtes venue mi-octobre, en Avignon, pour ouvrir et animer les États généraux des Festivals. Vous avez annoncé un certain nombre de mesures financières pour soutenir le spectacle vivant dans le cadre du plan de relance. Avec la deuxième vague de la covid, allez-vous augmenter les aides au bénéfice de ce secteur en perdition ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre . - Effectivement, ce sont des questions très complètes, je réalise, à travers la catastrophe que nous traversons, que ce n'est jamais assez, sur tous les sujets. L'État a décidé de faire sauter toutes les limites habituelles et d'accompagner à la fois les opérateurs publics, privés, les collectivités territoriales et les personnes elles-mêmes dans leur parcours de vie d'une manière totalement inédite, en particulier pour la culture. Je comprends, partage souvent les interrogations et aimerais avoir le pouvoir d'augmenter les crédits à ma disposition. Nous avons, je crois, de mémoire, 44 000 monuments protégés dans notre pays, soit le patrimoine le plus conséquent du monde, avec des exigences budgétaires colossales. On n'en fera jamais assez, mais on en fait vraiment beaucoup.

Vous avez évoqué, à juste titre, le retrait du mécénat. Comment pourrait-il en être autrement ? Dans un contexte économique difficile, c'est la variable d'ajustement rêvée, malgré les aides fiscales massives données à ce mécénat. Le mécène n'est jamais couvert à 100 % par ces aides fiscales. Aucune mesure incitative ne pourra faire en sorte que cette variable d'ajustement ne soit pas réalisée par le mécénat, j'en conviens volontiers. Un certain nombre de maquettes financières, comme la réalisation de la salle modulable de l'Opéra de Paris avec 10 millions d'euros de mécénat, ne seront jamais réalisées. Ces maquettes financières doivent être revisitées à l'aune de ce que vous pointez avec acuité et dont je partage le diagnostic.

Concernant l'aide à la maîtrise d'ouvrage, il est important de préciser qu'elle est gratuite pour les propriétaires privés et les communes qui ne peuvent l'assumer, payante sinon, en tant que service. Pour rappel, ces dépenses peuvent être comptabilisées dans leurs demandes de subvention, ce qu'ignorent certains propriétaires. Les DRAC sont très attentives à l'enjeu d'accompagnement des maîtres d'ouvrage dans ce domaine.

Sur la très importante question sociale de l'intermittence et du chômage partiel, nous reverrons bien entendu les situations, autant que de besoin et si, au 31 décembre, la crise persiste, nous continuerons le chômage partiel. J'ajoute que certaines structures, dont des établissements subventionnés, qui auraient pu y avoir accès, ont choisi, sous pression salariale, de ne pas faire appel au chômage partiel, rémunéré à 84 %. Certains salariés ne voulaient pas de chômage partiel. On l'oublie quelquefois. J'aurais bien aimé, pour mon budget qu'ils fassent appel au chômage partiel, cela aurait permis de réaliser certaines économies sur les crédits du ministère. Ceci étant, d'autres établissements n'y ont pas droit par leur structure juridique. Peut-on le changer demain ? Je n'y verrai que des avantages pour les arguments que je viens de vous donner : certes, c'est toujours l'État qui paye mais on déporte la dépense du ministère de la culture vers le ministère du travail, restant, pour le contribuable, identique.

La problématique des arts visuels n'avait pas la même acuité que celle du spectacle vivant. Il y a des effets de stockages et de flux dans les arts visuels. Ils bénéficieront d'aides dans le cadre du soutien aux festivals, que ce soit pour les grands événements de la photographie et les petits événements.

J'avais déjà abordé l'archéologie dans mon intervention liminaire. Vous avez salué le plan Musées. Les crédits d'enrichissement des collections sont stables, c'est vrai : dans cette politique, nous avons stabilisé plusieurs lignes ne relevant pas de l'urgence. Quand nous serons dans une meilleure fortune, nous pourrons reprendre cette politique plus dynamique ensuite. Nos crédits sont actuellement fléchés sur tout ce qui concernait la survie, comme dans une famille en grande difficulté qui, plutôt que de changer de voiture, essaie de maintenir ce qui doit être maintenu.

Monsieur Stanzione, vous me demandez d'augmenter les aides au maximum : je mets toutes mes forces dans les négociations budgétaires pour obtenir le maximum et témoigne devant vous que ce combat a été entendu.

Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Au sujet de la réorientation du projet de restauration du Grand Palais à partir de la fin septembre, j'ai été rassurée partiellement uniquement, car j'aimerais savoir ce que signifie le terme de réorientation. J'ai bien noté, dans le PLF, la référence à l'importance de poursuivre les chantiers stratégiques déjà engagés et l'abondement de 10 millions d'euros sur le schéma directeur du Grand Palais. Mme Nyssen, ministre de la culture à l'époque, parlait de projet d'exception donnant au Grand Palais l'opportunité de s'inscrire de plain-pied dans le XXI e siècle. J'ai par ailleurs noté que M. Chatillon, architecte en chef des monuments historiques, a dit que l'époque des grands projets était peut-être révolue et il me semble, madame la ministre, avoir lu dans la presse que vous disiez que la pandémie remet en question l'idée même des grandes expositions. Les grands projets renforcent l'attractivité de notre pays, il ne faut pas en faire le deuil. Est-ce qu'il s'agit d'une restauration ou d'une transformation ? Le coût initial était de 466 millions d'euros, ce qui n'est pas rien, et j'ai lu que le nouveau projet aurait un coût identique avec un dédommagement du cabinet d'architectes qui a beaucoup travaillé sur le projet. Le Grand Palais sera-t-il prêt pour les Jeux Olympiques de 2024 comme prévu ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je ne souhaite absolument pas supprimer les grandes expositions qui sont constitutives de l'ADN du Grand Palais ! J'ai dit que le projet initial avec travaux d'excavation massive paraissait pharaonique. Le fait que le plan d'économie soit au même prix interpelle, mais la réactualisation des travaux portait le budget entre 550 et 580 millions d'euros. Par ailleurs, les façades et la statuaire du Grand Palais sont dégradées, sous filet, or ces travaux n'étaient pas compris dans le projet initial. Les 466 millions d'euros ont, par ailleurs, une réserve de précaution de 30 millions d'euros, soit 436 millions d'euros en réalité pour pouvoir être garantis dans la bonne marche du projet. Plus sobre, plus sûre, cette restauration profonde respectera ce qui était voulu, sous l'égide d'André Malraux par l'architecte Pierre Vivien, abandonnant les opérations lourdes tout en conservant des éléments d'origine. La maîtrise d'oeuvre sera confiée à l'architecte en chef des monuments historiques pour les missions de restauration des espaces d'origine. Le Grand Palais, qui contient Universcience, est plus grand que Versailles et constitue un élément structurant du paysage parisien, mais il est considérablement dégradé et présente des problèmes de sécurité importants. Pour assurer la sécurité financière, pendant sa fermeture de janvier 2021 à septembre 2024, les manifestations habituelles seront accueillies dans un Grand Palais éphémère, dont la structure est en cours d'installation sur le Champ de Mars, cofinancée par la Réunion des musées nationaux - Grand Palais (Rmn-GP) et le comité d'organisation des Jeux Olympiques (COJO). Le cheminement sera conservé, l'entrée gratuite et les services ouverts dans la rue centrale, une entrée à l'aspect végétalisé se trouvant sur le côté de la scène. Les crédits budgétaires s'élèvent à 123 millions d'euros, la subvention PIA3 à 160 millions d'euros, l'emprunt bancaire souscrit par la Rmn-GP à 150 millions d'euros, remboursés sur 25 ans, le mécénat Chanel à 25 millions d'euros ainsi que des partenariats et ressources propres à Universcience à hauteur de 8 millions d'euros. Je veux dire publiquement que l'abandon de la maîtrise d'oeuvre du cabinet d'architectes LAN ne constitue pas un acte de défiance ou de remise en cause des capacités de ce cabinet. Un appel à projet aura lieu pour ce nouveau projet. Le dédit à payer au cabinet ne majore pas la maquette financière et le cabinet LAN sera appelé à soumissionner s'il le souhaite. J'espère avoir été assez complète.

M. Laurent Lafon , président . - Je vous remercie, madame la ministre, pour les réponses précises que vous avez apportées à chacun des intervenants.


* 1 Proposition de loi n° 381 (2018-2019), déposée par Mme Dominique Vérien, visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine

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