Avis n° 143 (2020-2021) de M. Michel LAUGIER , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 19 novembre 2020

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N° 143

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation
et de la communication (1)
sur le projet de loi de finances ,
adopté par l'Assemblée nationale, pour
2021 ,

TOME IV

Fascicule 2

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES :

Presse

Par M. Michel LAUGIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mmes Laure Darcos, Catherine Dumas, M. Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Michel Savin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mme Sabine Drexler, MM. Fabien Genet, Jacques Grosperrin, Abdallah Hassani, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Mme Else Joseph, MM. Claude Kern, Michel Laugier, Mme Claudine Lepage, MM. Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, François Patriat, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

AVANT-PROPOS

L'année 2020 aurait pu, sans un soutien fort de l'État, être fatale à une presse engagée depuis plusieurs années dans une spirale négative dont elle peine à s'extraire et frappée comme l'ensemble des secteurs par la crise pandémique.

Les deux chantiers initiés ou soutenus par la commission, les droits voisins et la réforme de la distribution , ont montré leur caractère central en 2020, même s'ils sont encore loin d'avoir porté leurs fruits. Le soutien massif qu'a apporté l'État au secteur, vient donc d'une certaine manière compenser la difficulté pour la presse à imaginer un modèle économique viable en mesure de lui permettre d'absorber les chocs.

Le rapporteur pour avis insiste sur ce point : s'il était normal que l'État vienne au secours de la presse durant la période de pandémie, le secteur doit travailler à son équilibre économique , avec le soutien de l'État, mais sans attendre de lui une forme de garantie perpétuelle . La chute de Presstalis a du reste démontré le caractère nécessairement transitoire de solutions fondées sur une injection permanente de crédits publics.

Les défis qui attendent la presse sont donc nombreux en 2021, mais les motifs d'espoir le sont également :

- la transformation numérique a été accélérée par la pandémie et commence à constituer, pour de nombreux titres, un complément de ressources viable. Elle pourrait être encouragée par le « plan filière » mis en place pour les prochaines années et l'aide, depuis longtemps soutenue par le rapporteur pour avis, enfin accordée à la presse en ligne ;

- plus profondément peut-être, durant cette année, la presse a également su marquer son rôle essentiel de diffusion d'une information de proximité , alors que la proximité manquait, et de lutte contre le « virus » des fausses informations, alors même qu'elles pullulaient. Nos concitoyens se sont en bonne partie retrouvés dans une presse qui, dans certains endroits, était pourtant impossible à acquérir en raison des derniers soubresauts sociaux de l'entreprise Presstalis, et des décisions contestables prises par La Poste dans les premiers jours du confinement.

Il reste donc à permettre au secteur de s'extraire d'une crise mondiale qu'il subit, mais dont il constitue aussi l'un des remèdes.

I. UNE PRESSE FRAGILISÉE ET DÉSORMAIS TERRASSÉE PAR LA PANDÉMIE

A. AVANT MÊME LA PANDÉMIE, UNE SITUATION CRITIQUE

1. Une diffusion et des recettes en baisse constante

La pandémie mondiale a frappé un secteur qui peine, depuis plusieurs années, à trouver des relais de croissance face à la montée en puissance de la diffusion de l'information sur Internet. Ainsi, entre 2006 et 2018, le chiffre d'affaires global de la presse est passé de 10,6 à 6,5 milliards d'euros. Sur les dix dernières années, il s'est donc réduit de plus d'un tiers. Le chiffre des recettes de ventes s'est contracté de 23 %. Le chiffre d'affaires publicitaire a baissé de plus de la moitié.

Entre 1990 et 2007, les recettes de publicité représentent entre 44 % et 48 % du chiffre d'affaires total de la presse écrite. Cette part est tombée à 30 % en 2018. La principale explication réside dans l'érosion plus importante durant cette période des recettes de publicité par rapport à celles de ventes .

2. Une diffusion numérique qui n'a pas encore pris le relais

Diffusion numérique des principaux quotidiens nationaux

2018

2019

PQN
- échantillon

Diffusion payée en moyenne

Versions numériques en moyenne

Versions numériques en pourcentage de la diffusion

Diffusion payée en moyenne

Versions numériques en moyenne

Versions numériques en pourcentage de la diffusion

Aujourd'hui en France

109 458

6 349

5,80%

99 902

9 565

9,69 %

La Croix

87 662

13 676

15,60%

88 039

17 546

20,01 %

Les Echos

130 006

45 491

34,99%

130 899

52 153

40,10 %

L'Humanité

32 017

1 057

3,30%

36 347

6 449

17,78 %

Libération

68 362

17 584

25,72%

72 489

27 117

37,94 %

Le Monde

300 143

138 154

46,03%

334 287

184 898

57,14 %

Le Figaro

313 694

114 638

36,54%

329 646

152 158

48,68 %

Source : ministère de la culture

Parmi les grandes familles de presse, c'est la presse quotidienne nationale qui est la plus avancée dans la diffusion numérique.

Cette mutation vers le digital ne s'accompagne cependant pas encore de recettes suffisantes pour compenser la perte de ventes « physiques » , même si ce passage est difficilement appréhendable au niveau du chiffre d'affaires. La seule estimation disponible est celle réalisée par l'Institut de recherches et d'études publicitaires (IREP) sur le pourcentage moyen que représente cette activité au sein des plus grandes entreprises du secteur . Si les recettes publicitaires totales ont augmenté de 2,6 % en 2019, celles de la presse ont de nouveau baissé de 4,1 % en lien notamment avec le recul de la diffusion. La croissance du marché est en effet essentiellement portée par Internet, notamment sur mobile. La presse ne profite pas de cette croissance, en raison de la captation massive des recettes publicitaires par les grandes entreprises du numérique comme Google et Facebook . Dans ce contexte, la mise en oeuvre de la loi sur les droits voisins constitue un motif d'espoir, mais ne saurait résoudre à elle seule l'ensemble des difficultés du secteur.

B. ENFIN LES DROITS VOISINS ?

Le 24 juillet 2019 était promulguée la proposition de loi d'origine sénatoriale relative à la création de droits voisins au profit des agences et des éditeurs de presse . La France est ainsi devenue le premier État de l'Union européenne à transposer dans son droit national l'article 15 de la directive sur les droits d'auteur du 17 avril 2019.

Cette loi est destinée à doter les éditeurs et les agences de presse de la capacité juridique et des moyens de négocier avec les plateformes pour faire valoir leurs droits et parvenir à une répartition des revenus plus équilibrée pour eux, pour les journalistes et pour les photographes. Les seuls Google et Facebook s'accaparent en effet plus de 70 % des ressources publicitaires en ligne et 90 % pour le mobile, contre 12 % seulement pour tous les éditeurs de presse.

La réponse européenne qui s'est imposée avec l'adoption de la directive constitue indéniablement le seul niveau à même de déboucher sur des résultats concrets et rapides. Dans ce combat, force est de reconnaitre que la France s'est trouvée isolée dans sa position pionnière , les autres pays semblant temporiser dans la transposition.

L'attitude très fermée adoptée par Google a contribué à tendre les négociations avec les éditeurs. La stratégie de Google a principalement consisté à tenter de se mettre en conformité avec la loi en proposant aux éditeurs de presse de choisir la façon dont leurs articles seraient référencés sur ses services (Google Search, Google News...), en optant soit pour un référencement « dégradé » sans accord de l'éditeur ; soit pour un référencement « enrichi », à condition cette fois que l'éditeur l'accepte, mais sans que Google propose en contrepartie une quelconque rémunération.

Ce faisant, Google affichait clairement son refus d'entamer des négociations sur la rémunération du droit voisin des éditeurs et agences de presse .

Une plainte a été déposée par les principaux représentants de la presse contre Google auprès de l'Autorité de la Concurrence pour abus de position dominante en novembre 2019.

Dans sa décision du 9 avril 2020, cette dernière a considéré que Google était susceptible de détenir une position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste et que les pratiques dénoncées étaient susceptibles d'être qualifiées d'anticoncurrentielles. Elle a donc imposé une négociation « de bonne foi » entre Google et les éditeurs, pour une durée de trois mois.

A la fin de l'été 2020, la période de négociation étant échue, les principaux représentants des éditeurs ont annoncé avoir déposé un second recours auprès de l'Autorité contre Google, pour non-respect de ses obligations . Dans le même temps, le 2 juillet 2020, Google a fait appel de la décision de l'Autorité devant la cour d'appel de Paris , qui a rendu une décision défavorable à l'opérateur le 8 octobre.

Plus d'un an après l'adoption de la loi, les promesses nées avec l'adoption de la loi n'ont pas été tenues. Comme le rapporteur pour avis l'exprimait dans son rapport de l'année dernière, la stratégie de Google est à la fois :

- locale , en étirant en longueur la négociation pour fissurer le front jusqu'à présent uni des éditeurs ;

- et résolument mondiale , car accorder des droits voisins en France reviendrait à devoir les acquitter à brève échéance dans le monde entier.

Il est maintenant impératif que les grandes plateformes reconnaissent la primauté de la loi sur leurs propres intérêts et appliquent intégralement ses dispositions. Les négociations semblent à l'heure actuelle entrées dans leur phase finale et, plus que jamais, la commission, à l'origine de la loi, appelle à une solution satisfaisante et équilibrée pour la presse.

C. LES CONSÉQUENCES DRAMATIQUES DE LA PANDÉMIE

Dès les premiers jours de confinement au printemps, la diffusion a diminué de 20 % en moyenne et les recettes publicitaires de 80 %. Les activités de diversification dans l'évènementiel ont été arrêtées. Les titres ont donc été confrontés à une chute simultanée de l'ensemble de leurs sources de revenus.

Selon les chiffres fournis au rapporteur pour avis, les ventes au numéro de presse quotidienne nationale se sont effondrées de 41 % entre mars et mai, de 18 % pour la presse quotidienne régionale. Il convient à ce propos de souligner que les points de vente sont dans leur grande majorité restés ouverts, ce qui s'est avéré essentiel pour la continuité de la vie démocratique . La diffusion numérique, si elle a progressé entre 30 % et près de 50 % suivant les types de presse, n'a pas compensé le recul des ventes.

Sur l'année 2020, la profession estime la baisse du chiffre d'affaires autour de 20 % , ce qui est considérable dans un marché déjà extrêmement fragile.

Les différentes mesures adoptées par le Parlement et examinées ci-après permettent en partie au secteur de « surnager ». On ne peut cependant que déplorer la concomitance de cette crise systémique avec la chute de Presstalis, qui a représenté un défi supplémentaire à gérer pour la profession dans son ensemble 1 ( * ) .

II. UN SOUTIEN FORT DE L'ÉTAT QUI S'INSCRIT MAINTENANT DANS LE « PLAN FILIÈRE »

A. UN EFFORT BUDGÉTAIRE CERTAIN

Comme l'ensemble des secteurs de l'économie, la presse a bénéficié des mesures de soutien générales (chômage partiel...). Pour autant, des aides exceptionnelles ont dû être attribuées en urgence pour répondre à une situation extrêmement détériorée.

La lecture des crédits consacrés à la presse doit s'effectuer cette année en distinguant trois niveaux distincts , par ordre chronologique :

- les mesures du plan d'urgence adoptées avec la troisième loi de finances rectificative du 30 juillet 2020 ;

- les crédits proposés par le présent projet de loi de finances sur le programme 180 pour l'année 2021 ;

- enfin, les crédits de la mission « plan de relance » , également examinés dans le cadre du présent projet de loi de finances.

Ces mesures s'inscrivent toutes dans le « plan filière », destiné à donner les moyens à la presse de se préparer aux défis technologiques, écologiques et économiques qu'elle doit affronter dans les prochaines années.

Le tableau suivant retrace de manière synthétique les crédits supplémentaires du « plan filière » sur 2020, 2021 et 2022, d'un montant de 331 millions d'euros . Ils ne comprennent pas les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2021, qui font l'objet d'un tableau à part.

Crédits budgétaires du « plan filière » 2020, 2021 et 2022

en millions d'euros

Loi de finances rectificative

Projet de loi de finances
- mission plan de relance

Total

191

140

331

Source : commission de la culture, de l'éducation et de la communication

B. UN NOUVEAU CRÉDIT D'IMPÔT

Les 331 millions d'euros de crédits budgétaires sont complétés par un nouveau crédit d'impôt, mis en place par l'article 2 de la loi de finances rectificative du 30 juillet 2020. Il concerne le premier abonnement à un journal, à une publication périodique ou à un service de presse en ligne qui présente le caractère de presse d'information politique et générale .

Il convient de noter que l'abonnement à un service de presse en ligne n'est pas éligible au bénéfice du crédit d'impôt lorsqu'il est inclus dans un service assurant la diffusion numérique groupée de services de presse en ligne ou de versions numérisées de journaux ou publications périodiques ne présentant pas tous le caractère de presse d'information politique ou générale.

Ce crédit d'impôt, ne peut être obtenu qu'une seule fois pour le foyer fiscal dans son ensemble, quel que soit le nombre d'abonnements éligibles souscrits au cours de la période, à savoir jusqu'au 31 décembre 2022 et pour une durée minimale de douze mois. Le bénéfice du crédit d'impôt est égal à 30 % des dépenses effectivement supportées.

Le coût estimé du dispositif est de 60 millions d'euros en année pleine, soit 120 millions d'euros en 2021 et 2022 .

Cependant, le crédit d'impôt n'est pas encore entré en application . Le dispositif est en effet encore en cours de notification à la Commission européenne, et sa mise en oeuvre repose sur la publication de circulaires de la part du ministère de l'économie. Il conviendra d'être particulièrement attentif à ce que cette mesure bienvenue soit déployée le plus rapidement possible.

C. LES MESURES LES PLUS SIGNIFICATIVES DU « PLAN FILIÈRE »

1. La continuité de la distribution

La fin d'activité de Presstalis (voir infra ) a été un choc majeur pour toute la profession, des éditeurs aux vendeurs.

Pris ensemble, 76 millions d'euros de crédits ont été ouverts pour financer la poursuite d'activité, alors que les actionnaires entamaient des négociations complexes. 35 millions d'euros de prêt ont également été accordés. De manière générale, l'État s'est substitué à la messagerie défaillante pour assurer le paiement d'une partie des sommes dues aux éditeurs et aux diffuseurs. Enfin, 80 millions d'euros ont été apportés à la nouvelle société France Messagerie (voir infra ).

2. Sauver les diffuseurs

Les diffuseurs, pénalisés par la crise pandémique d'un côté, Presstalis de l'autre, ont reçu 43 millions d'euros sur la période.

Compte tenu de l'impasse de trésorerie dans laquelle se trouvait Presstalis au mois d'avril, l'État a pris en charge le paiement des « chèques de qualification » dus aux diffuseurs de presse au titre du second semestre 2019 pour un montant de 16,2 millions d'euros . L'État s'est par ailleurs engagé à prendre en charge les compléments de rémunération dus aux diffuseurs de presse indépendants et spécialistes au titre du premier semestre 2020 pour un montant de 8 millions d'euros .

Face aux mouvements de grève qui ont affecté la distribution de la presse à la suite du redressement judiciaire de Presstalis, une aide exceptionnelle au bénéfice de l'ensemble des diffuseurs de presse et fonction de leur situation géographique d'un montant de 19 millions d'euros a enfin été instituée par le décret du 14 août 2020.

3. Aider les éditeurs

En plus des mesures générales, les éditeurs de la presse IPG ont perçu des aides exceptionnelles d'un montant de 8 millions d'euros, auxquelles il convient d'ajouter 3 millions d'euros pour l'outre-mer et 5 millions d'euros pour les imprimeries, soit 16 millions d'euros.

D. LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2021

Comme le montre le tableau suivant, actualisé chaque année par le rapporteur pour avis pour disposer d'une vision globale, les crédits du programme 180 progressent de 6,5 % , en raison de la création de deux dotations supplémentaires instaurées par la présente loi de finances :

Ø une aide au pluralisme des titres ultramarins . Cette aide permettra de prendre en compte les difficultés et spécificités de la presse ultramarine. En effet, l'éloignement de la métropole et l'insularité, ainsi que des facteurs démographiques, sociaux et économiques propres à ces territoires fragilisent particulièrement la presse. La dotation est fixée à 2 millions d'euros en 2021 ;

Ø une aide aux services de presse en ligne . La création d'une aide spécifique permettra de tenir compte de l'évolution des différents usages des lecteurs , tout en permettant de garantir la coexistence de plusieurs stratégies associant presse imprimée, bi-médias et « tout-en-ligne ». L'aide est budgétée à hauteur de 4 millions d'euros en 2021.

Le rapporteur pour avis, qui avait dénoncé ces deux dernières années la non prise en compte de la presse en ligne dans les aides au pluralisme, et interrogé le ministre en commission à ce propos, se réjouit tout particulièrement de cette juste reconnaissance de la presse en ligne .

Extrait de l'audition de Franck Riester, ministre de la culture,
devant la commission le 31 octobre 2019

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis . - Ma deuxième question porte sur les services de presse en ligne. Actuellement, les aides au pluralisme sont réservées non pas à la presse d'information politique et générale (IPG), mais à la presse IPG imprimée. Depuis plusieurs années, des réflexions sont en cours sur ce sujet, mais pour l'instant, il n'y a pas de traduction concrète, au-delà du fonds stratégique. Ne pensez-vous pas qu'il serait enfin temps d'accélérer l'aide à la transition numérique ?

M. Franck Riester, ministre . - Lors de la réforme de la loi Bichet, nous avons étendu aux kiosques et aux agrégateurs numériques les mêmes critères de pluralisme de diffusion qu'à la distribution physique de la presse. Dans le Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), 70 % des dossiers d'aide ont concerné des services de presse en ligne (SPEL). Un taux super réduit de TVA est applicable depuis 2014 aux SPEL, et une réflexion est en cours pour aller plus loin. Je vous en tiendrai informés.

E. PRÉPARER LE FUTUR

Les crédits destinés à la presse inscrits dans le plan de relance s'élèvent à 140 millions d'euros sur 2021 et 2022. En plus des axes déjà évoqués, comme la préservation de la distribution via l'aide à France Messagerie, l'aide renforcée au pluralisme ou le crédit d'impôt, plusieurs mesures ont pour objet de permettre à la filière de se restructurer et ce, dans trois secteurs en particulier :

Ø les imprimeries , qui bénéficieront de 31 millions d'euros sur trois ans pour permettre aux structures industrielles de s'adapter à la baisse continue des flux. Un fonds pour la transition écologique doté de 8 millions d'euros en 2021 et 2022 est par ailleurs mis en place pour financer des projets d'investissements destinés à réduire l'empreinte carbone et pour accompagner la fin de l'éco-contribution en nature dont bénéficient aujourd'hui les éditeurs ;

Ø la transformation du modèle économique de la presse . Le Fonds stratégique pour le développement de la presse, initialement doté de 16,5 M€, qui permet de subventionner les dépenses d'investissement des éditeurs et des agences de presse voit ses crédits abondés à hauteur de 22,5 millions d'euros par an ;

Ø la lutte contre la précarité, avec un fonds doté de 18 millions d'euros par an qui doit être mis en place afin d'accompagner les acteurs les plus fragiles de la profession (pigistes, photojournalistes, dessinateurs de presse...) dans cette période de transformation.

F. NE PAS REPRENDRE D'UNE MAIN..

La presse a reçu une attention particulière des pouvoirs publics saluée par la totalité des interlocuteurs du rapporteur pour avis. Au-delà de ce soutien bienvenu et à la hauteur de l'importance de la presse, l'attention du rapporteur pour avis a été attirée à plusieurs reprises sur de possibles « effets induits » par des réformes générales potentiellement complexes à gérer pour la presse. Ainsi, le secteur pourrait souffrir de deux handicaps :

- l'évolution d'un cadre réglementaire qui garantissait jusqu'à présent des recettes à certains secteurs de la presse, avec la réforme des annonces légales évoquée l'année dernière par le rapporteur pour avis, la levée des seuils au-delà desquels les marchés publics doivent faire l'objet d'une publicité, ou encore la possibilité pour les chaînes de télévision de diffuser de la publicité « ciblée » ;

- de nouvelles normes écologiques , comme l'interdiction d'emballages plastiques, la fin de la faculté d'acquitter l'éco contribution en « nature », ou bien l'interdiction à l'horizon 2025 des huiles minérales pour l'impression des titres.

Dans les deux cas cependant, les pouvoirs publics ont prévu des mécanismes d'accompagnement, en particulier sur l'aspect écologique. Si aucune de ces contraintes n'est contestable dans son principe, il convient d'en tenir compte pour avoir une bonne appréhension de l'état du secteur et de l'effort budgétaire en sa faveur .

III. LA CHUTE FINALE DE PRESSTALIS

A. UNE FAILLITE QUI NE SURPREND PAS MAIS DÉÇOIT

Dans ses trois précédents rapports budgétaires pour avis 2 ( * ) , ainsi que dans le rapport consacré à la loi de modernisation de la distribution de la presse 3 ( * ) , le rapporteur pour avis a évoqué en détail la situation, devenue peu à peu intenable, de Presstalis. Le 1 er juillet 2020, le tribunal de commerce a homologué la reprise du « niveau 1 » de la société par la Coopérative des quotidiens et la création de France Messagerie , tandis que le « niveau 2 » (SAD et SOPROCOM) était liquidé.

La cessation de paiement de la société ne peut être qualifiée de surprenante. Elle n'en constitue pas moins une déception au regard des moyens mis en oeuvre par l'État ces dernières années pour préserver ce canal essentiel de distribution de la presse, en particulier quotidienne, et un coup très rude porté au secteur, qui a dû assumer presque simultanément pandémie, période d'incertitude sur l'avenir de la distribution et mouvements de protestation sociale localisés, mais malheureusement particulièrement violents et durables.

B. FRANCE MESSAGERIE : UN AVENIR À CONSTRUIRE

Les éditeurs actionnaires de la messagerie ont échangé pendant plusieurs mois afin d'identifier une solution de reprise de l'activité. La perte de deux mois de chiffre d'affaires consécutive à la crise de la distribution représente environ 118 millions d'euros. Compte tenu du risque systémique que faisait peser une liquidation judiciaire de la messagerie sur la filière, dont le coût total a été estimé à près de 623 millions d'euros , l'État a décidé d'apporter son soutien dans le cadre d'un financement de pré-reprise de la structure.

La coopérative des quotidiens (CDQ) a finalement été la seule à déposer une offre de reprise des actifs du niveau 1 de Presstalis ainsi que du niveau 2 pour Paris (site de Bobigny, dépositaire) le 12 mai. D'autres alternatives, qui opéraient un rapprochement plus poussé avec les Messageries lyonnaises de presse (MLP) n'ont finalement pas été retenues, principalement pour des raisons tenant au statut des personnels de Presstalis. Le tribunal de commerce a prononcé le redressement judiciaire des activités du siège et du dépôt de Bobigny, assorti d'une période d'observation de deux mois, ainsi que la liquidation judiciaire sans poursuite d'activité de ses filiales en province (SAD et SOPROCOM). Cette liquidation a entraîné le licenciement de 512 salariés, à ajouter aux 133 salariés licenciés au niveau 1.

En matière de financement, le plan présenté par la CDQ représente un coût total évalué à 127 millions d'euros . L'État s'est engagé de son côté dans le financement à hauteur de 80 millions d'euros , dont 14 sous forme de prêt, en plus d'un maintien du niveau d'aides actuel, de la péréquation et de l'abandon des prêts du Fonds de développement économique et social (FDES).

Ce soutien a été conditionné à la prise en charge par les éditeurs du coût des départs dans la durée 2021-2022 , soit 47 millions d'euros.

Suite à ces garanties, France Messagerie présente un compte de résultat prévisionnel positif, avec un résultat d'exploitation à 0,7 million d'euros en 2021 et 1,6 million d'euros en 2022.

La création de cet organisme permet d'apurer en bonne partie les dettes à la fois financières mais également sociales de l'entreprise Presstalis. Le niveau 2 ayant été cédé en presque totalité, le périmètre de France Messagerie peut laisser espérer un avenir pour la société. Cependant, il semble utile de poser dès à présent quatre conditions :

• réserver les aides exceptionnelles consenties par l'État à la restructuration de l'entreprise , et non pas à alimenter avec le grand concurrent maintenant dominant, les MLP, une guerre des prix qui, de part et d'autre, a montré ses effets mortifères ;

• adapter le format de la société à un marché dont il est difficile de penser qu'il ne va pas poursuivre la baisse de volume enregistrée ces dix dernières années ;

• mener rapidement à bien les adaptations, en particulier en termes d'assortiment, rendues nécessaires par la loi sur la modernisation de la distribution de la presse ;

• poursuivre les travaux sur un rapprochement, à terme, avec les MLP, sous des conditions réalistes de part et d'autre.

IV. L'AFP POURSUIT SA REFONTE

A. VERS UN ÉQUILIBRE FINANCIER DURABLE ?

La dotation à l'Agence France-Presse représente un peu moins de la moitié des aides à la presse .

À l'initiative de son président nommé en avril 2018, l'AFP met en oeuvre depuis 2019 un plan de transformation visant à rétablir un équilibre financier durable . Le rapporteur pour avis avait souligné les années précédentes la complexité de cet équilibre, alors même que les principaux clients de l'Agence, à savoir les titres de presse, sont dans une situation très difficile. Ce plan a pour double objectif de développer les recettes commerciales de l'Agence, en particulier dans la vidéo, avec 23 millions d'euros sur 5 ans, et d'engager une démarche de réduction des charges et de la masse salariale .

L'État a tenu ses engagements auprès de l'Agence, en accompagnant ce plan de transformation d'une aide exceptionnelle de 17 millions d'euros , répartie sur 2019 et 2020. Ces sommes ont permis de financer le plan social et de développer le nouveau plan vidéo, axe central de la stratégie de l'Agence.

Pour 2021, et conformément aux engagements fixés dans le contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2019-2023, la dotation de l'Agence revient à un niveau proche de 2019, soit 135 millions d'euros , décomposés en 113,3 millions pour la compensation des missions d'intérêt général remplies par l'Agence (MIG) et 21,6 pour les abonnements de l'État aux services de l'AFP.

B. UNE PREMIÈRE APPRÉCIATION DES RÉSULTATS

Il est encore trop tôt pour donner un avis définitif sur les options stratégiques du nouveau président et sur leur exécution , d'autant plus que la crise pandémique n'épargne pas l'Agence, dont les principaux clients dans la presse se trouvent encore plus fragilisés. Pour autant, on peut relever les éléments suivants :

Ø En ce qui concerne l'évolution de l'offre de services et les revenus

L'AFP est parvenue à lancer sa nouvelle plateforme en juin 2020. Elle comporte des contenus décloisonnés, des pages permettant d'accéder à des contenus multimédias par thématiques recherchées, un agenda interactif des événements à venir, et un onglet « compte client » permettant de suivre en temps réel sa consommation de crédits. Les objectifs fixés par l'État pour reconfigurer l'offre de l'Agence sur l'expérience client semblent remplis. Cependant, si la croissance de la vidéo a été de bon niveau (près de 12 % de hausse entre juin 2019 et juin 2020), elle reste en deçà des prévisions . A l'opposé, l'investigation numérique a largement dépassé ses objectifs. Le défi des prochaines années sera de voir si l'Agence parvient à augmenter ses revenus tirés de l'image, alors que les impacts de la crise sanitaire se feront sentir sur les clients médias et corporate de l'Agence.

Ø La réduction des charges

Les résultats sont plus satisfaisants et en ligne avec les prévisions. Les économies en 2020 devraient s'élever à près de 9 millions d'euros, essentiellement sur la masse salariale. Le regroupement des services sur le site de la Bourse, paradoxalement facilité par l'expérience de télétravail « subi » au printemps 2020, doit permettre d'économiser 2,5 millions d'euros par an.

Le rapporteur pour avis ne peut que souhaiter que la bonne maîtrise des charges, qui a nécessité des sacrifices importants de la part des personnels de l'Agence, puisse se doubler d'un accroissement significatif des revenus à brève échéance.

V. LE SOUTIEN À L'EXPRESSION RADIOPHONIQUE LOCALE

A. UNE AIDE ACCORDÉE DEPUIS 1986

L'aide aux radios associatives, prévue à l'article 80 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, représente près de 31,75 millions d'euros dans le projet de loi de finances, en hausse d'un million d'euros en 2021. Elle est accordée aux radios locales associatives accomplissant une mission de communication sociale de proximité , lorsque leurs ressources publicitaires sont inférieures à 20 % de leur chiffre d'affaires total . Le Fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER) est chargé de la gestion de cette aide. Chaque année, 687 radios en ont bénéficié en 2019, et les montants couvrent 40 % des ressources.

Depuis 2015, les radios qui souhaitent en bénéficier doivent remplir les deux conditions suivantes :

- proposer une programmation d'intérêt local spécifique à la zone géographique de diffusion d'une durée quotidienne d'au moins 4 heures entre 6 heures et minuit, hors programmes musicaux dépourvus d'animation ou fournis par un tiers ;

- justifier que cette programmation est réalisée par des personnels d'antenne et dans des locaux situés dans cette zone de diffusion .

B. QUATRE TYPES DE SUBVENTION

La dotation est elle-même divisée en quatre types de subvention :

• la subvention d'installation (240 000 euros en faveur de 15 radios en 2019), accordée aux services de radio nouvellement autorisés par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ;

• la subvention d'équipement (800 000 euros en faveur de 165 radios en 2019), destinée à financer les projets d'investissement en matériel radiophonique d'un service de radio à hauteur de 50 % au maximum de leur montant et dans la limite de 18 000 euros par période de cinq ans ;

• la subvention d'exploitation, soit 23,42 millions d'euros en 2019, attribuée aux services de radio qui en font la demande et remplissent les critères.

• la subvention sélective, de 6,28 millions d'euros en 2019, conçue comme un outil incitatif, spécialement dédié au développement de la mission de communication sociale de proximité des radios associatives, apprécié par le ministère.

Ce fonds, incontestablement utile, permet à des radios locales d'exercer leur activité de proximité auprès des territoires. Son évolution maîtrisée montre par ailleurs que la réforme des critères actée en 2015 a été pertinente.

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Compte tenu de ces observations, le rapporteur pour avis propose à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « presse et médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2021 .

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La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « presse et médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2021 .

TRAVAUX EN COMMISSION

MERCREDI 18 NOVEMBRE 2020

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M. Laurent Lafon , président . - Mes chers collègues, nous avons trois rapports budgétaires à examiner. Ils vous seront présentés par Michel Laugier pour la presse, Philippe Nachbar pour le patrimoine et Sylvie Robert pour la création, la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture.

M. Michel Laugier , rapporteur pour avis des crédits de la presse . - Monsieur le président, toutes nos interventions dans le cadre du projet de loi de finances commenceront cette année par le rappel du désastre infligé par la pandémie aux différents secteurs de la culture. Dès les premiers jours de confinement, la diffusion des titres de presse a diminué de 20 % en moyenne et les recettes publicitaires, de 80 %. Les activités de diversification dans l'événementiel ont été arrêtées. Pour 2020, la profession estime la baisse du chiffre d'affaires à environ 20 %, dans un marché déjà extrêmement fragile. Pourtant, les pouvoirs publics n'ont pas laissé mourir la presse. Je crois même que la solidarité nationale a été mise à contribution. Chaque acteur de la filière - diffuseurs, vendeurs et éditeurs - a exprimé sa reconnaissance de l'effort fourni.

Quelques données illustreront mes propos. Les crédits alloués à la presse dans le cadre du projet de loi de finances progressent de 6,5 %. Le montant de 118,1 millions d'euros est important au regard des précédents budgets qui étaient en stagnation, mais il reste insuffisant pour combattre efficacement la pandémie. Il convient d'y ajouter les moyens déployés pour le troisième projet de loi de finances de juillet à hauteur de 71 millions d'euros et les crédits du Plan de relance, de 140 millions d'euros. Les aides pour 2020 et 2021 totalisent donc 331 millions d'euros. Ces montants sont complétés par un nouveau crédit d'impôt pour le premier abonnement aux titres de presse, qui devrait entrer en application d'ici la fin de l'année dans le meilleur des cas. Ce crédit d'impôt représentera 60 millions d'euros par an. Finalement, en sus des mesures générales, la presse a bénéficié de plus de 400 millions d'euros d'aides spécifiquement destinées à lui permettre de surmonter la crise et à préparer l'avenir.

Ce projet de budget marque par ailleurs la progression de la reconnaissance de la presse en ligne, avec une dotation à hauteur de 4 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2021. En outre, le fonds stratégique pour le développement de la presse est utilisé pour d'autres causes comme les divers sauvetages de Presstalis.

Je souhaiterais aussi évoquer la lutte contre la précarité. Un fonds doté de 18 millions d'euros par an doit être mis en place afin d'accompagner les acteurs les plus fragiles de la profession : pigistes, photojournalistes et dessinateurs de presse. Cela me paraît primordial dans un secteur où le modèle technologique est en pleine transformation.

Deux dossiers nous suivent également depuis plusieurs années. Sur le dossier des droits voisins, nous oscillons entre menaces de procès et signature imminente d'un accord. Je me garderai donc de formuler un pronostic. Les décisions successives de justice et de l'Autorité de la concurrence n'ont pas été à l'avantage de Google, contraint d'engager des négociations vraiment sérieuses. En outre, les autres pays européens ont jusqu'à fin juin pour transposer la directive, poussés par leurs propres éditeurs de presse qui suivent le combat des éditeurs français. La tactique de Google, qui a essayé de diviser la profession, n'a pas fissuré le front des éditeurs, mais, dans le contexte actuel, certains pourraient être tentés de céder. Je serai donc prudemment optimiste quant à l'issue des négociations. Bien entendu, il nous faut continuer sans relâche à appuyer nos éditeurs.

Le second dossier, aussi rituel que déplaisant, concerne Presstalis. Il me revient le triste privilège d'en commenter la cessation d'activité, que je qualifierai de déception surtout au regard des efforts considérables fournis par les pouvoirs publics. La fin de la société au mois de mai a percuté le secteur au même moment que la crise pandémique et les violents mouvements sociaux qui ont perturbé la distribution des titres dans le quart sud-est du pays. L'État est à nouveau sollicité pour près de 190 millions d'euros et ce qu'on espère être un solde de tout compte, soit un peu moins de la moitié de l'enveloppe du plan pour la filière. La nouvelle société France Messagerie, qui constitue une version réduite de Presstalis, doit maintenant faire ses preuves. En un mot, il reste à espérer que cette estocade de près de 200 millions d'euros soit la dernière. Le doute est cependant permis et je vous donne rendez-vous en novembre 2021.

Les crédits de la presse recouvrent également la dotation accordée à l'Agence France-Presse (AFP), qui en représente un peu moins de la moitié, soit 135 millions d'euros en 2021. A l'initiative de son président, l'Agence met en oeuvre depuis 2019 un plan de transformation visant à rétablir un équilibre financier durable. L'exercice est rendu encore plus complexe quand ses principaux clients, les titres de presse, sont dans une situation très difficile. Ce plan a pour double objectif de développer les recettes commerciales de l'Agence, en particulier dans la vidéo avec 23 millions d'euros sur cinq ans, et d'engager une démarche de réduction des charges et de la masse salariale. Il est encore trop tôt pour donner un avis définitif sur les résultats de ce plan. Pour autant, les objectifs relatifs aux dépenses sont bien tenus. Si la croissance de la vidéo a été de bon niveau avec 12 % de hausse entre juin 2019 et juin 2020, elle reste en deçà des prévisions. Je souhaite donc vivement que la bonne maîtrise des charges puisse se doubler d'un accroissement significatif des revenus à brève échéance.

Il m'apparaît important, avant de conclure, de rendre un hommage appuyé au secteur de la presse dans son ensemble. Ce secteur a traversé en 2020 une double crise qui s'est ajoutée à celle qu'il traverse depuis des années. Et pourtant, dans ce contexte ravagé, jamais l'information n'a été aussi essentielle. Et jamais la presse n'a fait défaut, tant la presse nationale et régionale que les magazines spécialisés. Nous devons rendre hommage aux journalistes, aux imprimeurs et aux vendeurs de presse qui sont restés ouverts malgré tout.

Dans ce contexte particulier, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « presse et médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2021.

Mme Else Joseph . - Le groupe Les Républicains partage les conclusions du rapporteur Michel Laugier. Il nous semble primordial de soutenir le plan de soutien à la filière presse qui repose cette année sur plusieurs dispositifs fiscaux, dont le Plan de relance et les crédits de la mission que nous examinons aujourd'hui.

Les fragilités structurelles du secteur de la presse se sont accentuées du fait de la crise sanitaire avec l'érosion de ses deux principales sources de revenus : les ventes de journaux papier et les recettes publicitaires. Malgré l'ouverture des kiosques, les ventes ont chuté de 40 % du fait de la limitation des déplacements. Avec l'arrêt des activités économiques, les campagnes de publicité commandées ont été annulées ou reportées. Nombreux sont les titres mis en difficulté, de Ouest France à Paris Normandie ou au Parisien qui a fusionné ses éditions départementales. Le hasard du calendrier fait que le secteur a connu un nouvel épisode de crise de la distribution avec le dépôt de bilan en mai de Presstalis. L'impact de cet évènement sur la distribution montre l'urgence d'un soutien à tous les acteurs du secteur.

Je voudrais soulever quelques questions concernant la distribution et ses réseaux. Qu'en est-il du problème récurrent des invendus, qui est également un enjeu écologique ? Il convient de repenser la chaîne de valeur de manière globale.

Enfin, le confinement a davantage mis en valeur la problématique du numérique. Quelles solutions mettre en place pour assurer la transition numérique de la presse, l'aider à diversifier ses recettes ? Les jeunes générations ne connaissent l'information que sur Internet, ce qui pose problème sur le plan démocratique, car cette information n'émane pas toujours de médias fiables. Pour préserver le pluralisme et la qualité de l'information, il est essentiel et urgent de soutenir le secteur de la presse, ce que fera évidemment notre groupe.

M. Jérémy Bacchi . - Je partage les propos du rapporteur sur des budgets qui ne sont pas totalement suffisants pour enrayer les difficultés du secteur de la presse, en pleine crise structurelle. Il me semble particulièrement nécessaire de soutenir la presse dans la transition numérique. Le numérique pose en effet la question des ressources, parce que les recettes publicitaires y sont bien inférieures aux recettes publicitaires sur format papier. Il est nécessaire de créer un nouveau modèle économique qui permette d'accompagner les diffuseurs ainsi que les journaux papier dans la transition numérique.

Je pense aussi que, dans la période actuelle, le soutien à la presse relève d'une question de démocratie. Quand la presse est en crise, la démocratie est en crise. Nous nous devons de soutenir la presse quotidienne régionale et les journaux d'opinion, quelles que soient les opinions qu'ils portent. Il en va de l'avenir de notre démocratie.

Je souhaiterais enfin dire un mot sur la distribution et sur Presstalis. Monsieur le rapporteur, vous évoquiez des failles dans le système de distribution dans la région sud-est à la suite de mouvements sociaux. En réalité, la distribution a été arrêtée suite à la liquidation des sociétés d'agence et de diffusion (SAD) prononcée dans les Bouches-du-Rhône, puis en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Les salariés sont donc au chômage, ils ne sont pas en grève. Depuis quelques semaines, une régie transitoire est enfin en mesure d'assurer la distribution. Il est important de soutenir cette initiative pour pérenniser la distribution de la presse dans une région qui compte quelques millions d'habitants. Cela étant, je regrette que nous ne soyons pas à la hauteur des enjeux sur la distribution de la presse. Je vous lance un appel : nous avons besoin d'une distribution de haut niveau afin de garantir un meilleur maillage territorial. Nous ne voulons pas de distributeurs qui choisissent les points de vente en fonction de leur rentabilité, nous en avons aussi besoin dans les zones plus reculées, plus rurales.

M. Pierre-Antoine Levi . - Je salue le travail de notre rapporteur et collègue du groupe. Le secteur affronte une double crise, une crise conjoncturelle et une crise structurelle liée à l'émergence du numérique et à la faillite de Presstalis. C'est à l'aune de ce contexte qu'il faut apprécier le budget qui nous est présenté.

Le soutien à la presse ne faiblit pas dans ce budget. Nous observons une augmentation des crédits de plus de 3 % du programme 180 « presse et médias ». Nous ne pouvons par ailleurs que saluer l'instauration de trois aides pérennes : une aide en faveur du service de presse en ligne d'information politique et générale ; une aide à destination des titres de presse ultramarins ; et une aide aux publications à faibles ressources publicitaires.

Concernant Presstalis, son activité avait été reprise en juillet par France Messagerie, accompagnée de la suppression de plus de 500 emplois. Nous connaissons aussi l'impact de la faillite de Presstalis sur certains titres. Déjà pour 2019, avant même la fin d'activité de la société, Le Canard enchaîné annonce une perte de 30 000 euros en 2019 contre un bénéfice de 1,4 million d'euros en 2018, liée à des créances sur Presstalis.

Le crédit d'impôt sur les premiers abonnements pour la presse d'information politique et générale mis en place dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2020 était salutaire, ainsi que son maintien dans le projet de budget pour 2021. Il en est de même pour les volets du Plan de relance spécifiquement dédiés à la presse. Pour accompagner la transition écologique du secteur, 23,5 millions d'euros sont alloués en crédits de paiement. Un fonds pour la résorption de la précarité dans le secteur est par ailleurs mis en place, d'environ 24 millions d'euros en crédits de paiement.

A plus long terme, nous avons des raisons d'espérer. La restructuration de la distribution a bien eu lieu. Par ailleurs, une solution semble se dessiner sur la question des droits voisins avec Google.

M. David Assouline . - Je me félicite de l'augmentation de ce budget après une réduction de 2 millions d'euros en 2020 et de 5 millions d'euros en 2019. Cette année, il progresse de 7 millions d'euros. Ce soutien profite avant tout au pluralisme, car les aides à la diffusion, au portage ou à la modernisation sont simplement maintenues. Or la crise structurelle qui frappe la presse est due à la mutation technologique et le secteur a besoin d'investissements et d'aides pour survivre.

Nous n'apprécions pas assez l'importance dans notre démocratie de la pluralité des titres et de la presse d'opinion. L'effondrement de la presse auquel nous assistons affecte le lien démocratique entre le citoyen et l'ensemble des institutions. Certes, il faut trouver le moyen de conjurer la haine en ligne, il s'agit d'un combat essentiel. Cependant, si l'information professionnelle, produite par des journalistes qui coûtent cher, n'est pas réhabilitée, les fake news remplaceront les informations sur Internet.

Dans le cadre de la discussion budgétaire, le groupe socialiste, écologiste et républicain ne s'opposera pas aux crédits de la presse, puisqu'ils augmentent. Cependant, il est essentiel pour la démocratie de soutenir davantage le combat que nous avons mené ici, traduit par une proposition de loi sur les droits voisins que j'ai portée, soutenue par l'ensemble de notre commission. En toile de fond, nous assistons à un rapport de force entre les éditeurs, Google et les grandes plateformes qui concentrent les ressources publicitaires. Je suis optimiste sur l'accord qui doit être signé avec ces acteurs, mais si l'État et le ministère avaient été plus fermes, l'enveloppe aurait pu être plus élevée. J'en appelle au gouvernement pour agir en ce sens.

M. Bernard Fialaire . - Je me réjouis de l'augmentation du budget. Cependant, au-delà des problèmes économiques, nous devons nous interroger sur l'avenir de la presse et sur la préservation de son indépendance, tout en garantissant la crédibilité de l'information. Nous ne pourrons éviter un débat sur la déontologie de la presse, indispensable pour justifier et garantir un soutien national au secteur.

En ce qui concerne la diffusion sur tous les territoires, en particulier ruraux, il faudrait considérer que la presse est un bien essentiel. Ce débat s'insère dans une réflexion plus globale sur l'aménagement du territoire. Le soutien à la presse pourra être revu par ce biais.

M. Michel Laugier , rapporteur pour avis . - Je constate que nous partageons un bon nombre d'observations sur ce budget. Il sera certes nécessaire d'engager une discussion sur la déontologie, mais ce budget démontre, à travers l'aide au pluralisme, que nous y veillons.

En matière de transition numérique, nous savons que les ventes de journaux baissent d'année en année, ainsi que les tirages. Par ailleurs, 800 points de vente ferment tous les ans. Le passage au numérique est toutefois soutenu et de nombreux journaux développent des efforts importants pour la numérisation. La transition écologique est également accompagnée, bénéficiant d'une aide de près de 16 millions d'euros, en particulier pour la transformation des imprimeries.

Je n'ai pas présenté la répartition des aides au pluralisme, mais L'Humanité , par exemple, reçoit plus de 3 millions d'euros par an et La Croix , 2,9 millions d'euros.

J'ai souhaité terminer ma présentation en rendant hommage au travail réalisé par tous les supports de presse, qu'il faut aider en cette période difficile. Les efforts importants réalisés cette année montrent que nous sommes sur la bonne voie.

Concernant la distribution, le problème ne touche que les quotidiens nationaux, les quotidiens régionaux assumant eux-mêmes leur distribution. La gestion des invendus se trouve pour sa part confrontée à des problèmes d'informatisation. Une amélioration a été apportée par la loi de 2019 relative à la modernisation de la distribution, qui a permis aux vendeurs de presse d'intervenir dans la définition du nombre de journaux qui leur sont livrés. Je suis donc assez optimiste sur la possibilité d'une meilleure gestion qui permettrait d'économiser du papier.

M. Max Brisson . - Je voudrais dire à Michel Laugier combien j'approuve son tableau d'une situation inquiétante. Je partage aussi l'observation de David Assouline sur l'enjeu démocratique que représente la presse.

En ce qui concerne le métier de journaliste, je crois à la signification de la certification et je pense que les journalistes sont nécessaires face à la diffusion d'informations non filtrées. S'il faut davantage de déontologie, je souligne combien ce métier est utile à la démocratie. Nous devons le défendre.

Sur le programme 180, j'évoquerai les radios libres locales, à statut associatif, confrontées à une baisse des recettes, qu'elles soient publicitaires, liées aux événements qu'elles organisent ou à la baisse des subventions. Nous avons tous reçu des courriers et des propositions d'amendements proposant le fléchage des aides du Fonds de soutien à l'expression radiophonique (FSER) sur ces radios associatives qui jouent un rôle important dans la vie de nos territoires. Je remarque que l'audiovisuel public est insuffisamment présent sur certains sujets, comme la pratique des langues régionales, tandis que ces radios associatives jouent un rôle en la matière.

Le deuxième sujet que je souhaiterais évoquer concerne le passage au numérique terrestre, le DAB+. Les nouvelles radios associatives sont aidées, mais pas celles déjà présentes sur la bande FM qui doivent passer au DAB+. Il me semble constater ici une distorsion sur ce passage au numérique.

Mme Laure Darcos . - Je souhaiterais revenir sur la presse quotidienne régionale (PQR) et les médias locaux. Le journal Le Parisien oriente actuellement son contenu sur les informations nationales, ce qui ne présente aucun intérêt pour les lecteurs des départements franciliens. Ceux-ci souhaitent des nouvelles de leur département. Par ailleurs, Le Républicain de l'Essonne , journal qui ne vit que de souscriptions et d'annonces légales, nous a saisis pour que nous demandions au tribunal de commerce de publier toutes les annonces dans ce journal. Nous n'avons pas répondu à leur requête, car nous respectons la séparation des pouvoirs. Cependant, nous pourrions répertorier tous les journaux habilités à recevoir ces annonces légales. C'est un sujet hors budget, mais pourrait-on demander aux services publics, notamment aux tribunaux, de passer leurs annonces dans ces journaux ? Ce pourrait être une façon pour eux de survivre en ces temps de crise.

M. Michel Laugier , rapporteur pour avis . - Je tenterai de rassurer Max Brisson. Dans le budget, une ligne est consacrée aux radios associatives. Un peu plus de 31 millions d'euros sont fléchés pour accompagner les radios déjà en place, selon différents critères. En outre, 30 millions d'euros ont été votés dans le plan d'urgence pour 2020 pour d'autres radios locales non associatives. Cette ligne n'est toutefois pas inscrite dans le budget annuel.

Bien sûr, nous sommes tous attachés à notre PQR. Je me suis entretenu avec le président du Parisien pour lui rapporter que les élus locaux, en particulier les maires, étaient déçus de la disparition des éditions départementales au profit d'une seule édition régionale. En réponse, Pierre Louette s'est engagé à ce que rapidement le journal consacre deux pages par département.

En ce qui concerne les annonces légales, il s'agit d'un problème réglementaire. Si le seuil des marchés publics est revu à la baisse, les maires seront mécontents, car moins libres ; s'il est remonté, la presse en souffrira. Ce sujet, discuté tous les ans, est pour nous un crève-coeur.

M. David Assouline . - Le soutien aux radios a légèrement augmenté par rapport à l'année dernière, mais le secteur n'a bénéficié d'aucune aide dans le cadre du confinement. Non seulement l'enveloppe de 31 millions d'euros qui lui est dévolue s'avère très insuffisante par rapport au nombre d'acteurs concernés, considérablement sous-estimé, mais ce secteur se trouve particulièrement fragilisé avec le confinement. Je vous informe donc que j'ai préparé un amendement proposant une augmentation de 3,5 millions d'euros de ce budget, en essayant de ne pas porter préjudice à d'autres secteurs fragiles. Nous avons les moyens, dans l'Hémicycle, de voter cette rallonge qui sera soumise à l'approbation de tous nos collègues.

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « presse et médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2021.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 20 octobre 2020

- Direction générale des médias et des industries culturelles - ministère de la culture : M. Fabrice CASADEBAIG , sous-direction de la presse écrite et des métiers de l'information.

- Culture Presse : MM. Daniel PANETTO , président, et Philippe di MARZIO , directeur général.

Mercredi 21 octobre 2020

- Messageries lyonnaises de presse : M. José FERREIRA , président.

- Groupe Les Echos/Le Parisien : MM. Pierre LOUETTE , président directeur général, et Pierre PETILLAULT , directeur adjoint des affaires publiques.

ANNEXE

Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

MARDI 10 NOVEMBRE 2020

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M. Laurent Lafon, président . - Nous sommes très heureux de vous accueillir de nouveau parmi nous cette semaine afin que vous nous présentiez les grandes lignes du budget de la culture, un des secteurs les plus durement frappés par la crise sanitaire, un secteur en danger, avec la crainte de conséquences en cascade sur l'emploi, les artistes, l'accès à la culture, la diversité artistique ainsi que le dynamisme et le rayonnement des territoires.

Au-delà des menaces que fait peser cette crise, nous constatons qu'elle accélère et amplifie les changements déjà à l'oeuvre depuis plusieurs années, en particulier la question du numérique, d'où les fortes attentes vis-à-vis de l'État de la part de l'ensemble des acteurs culturels, soit pour les soutenir et les aider à passer ce cap qui pourrait se révéler fatidique, soit pour les accompagner face aux changements et mieux réguler ce nouveau monde culturel en pleine émergence, soit sur ces deux aspects à la fois.

Comme vous l'avez souligné, il s'agit, pour 2021, d'un budget d'une ampleur exceptionnelle : aux crédits de la mission culture s'ajoute le volet culture de la mission relance ainsi que les mesures générales et sectorielles mises en place au cours de l'année 2020.

Nous tenons à saluer votre détermination depuis votre arrivée à la tête de ce ministère pour que la culture ne passe en aucune manière par pertes et profits pendant cette période compliquée. Le nouveau confinement a, hélas, de nouveau suspendu depuis fin octobre les activités d'une majorité d'acteurs culturels, au moment même où un certain nombre d'entre eux constatait les premiers signes de reprise. Dans ce contexte, nous aimerions avoir des précisions sur l'impact de cet arrêt sur le budget de la culture en 2021. Pouvez-vous par ailleurs nous confirmer que les mesures de relance seront mobilisées à titre de soutien et pensez-vous que de nouvelles mesures pourraient être envisagées courant 2021 ? Quelles sont les réformes structurelles que vous identifiez comme prioritaires l'an prochain pour la sortie de crise ?

L'audiovisuel constitue l'autre grand volet budgétaire de votre ministère. Au sujet des ressources de l'audiovisuel public, nous attendons toujours le rapport au Parlement relatif à la réforme de la contribution à l'audiovisuel public. Comment expliquer ce retard alors que de nombreux rapports, notamment celui de notre commission de 2015, ont permis de baliser depuis longtemps le chemin à suivre, s'inspirant des taxes universelles mises en place par nos voisins allemands et suisses ? Pour en revenir à la crise sanitaire actuelle, le gouvernement a souhaité apporter un soutien aux entreprises de l'audiovisuel public dans le cadre du plan de relance, tout en maintenant la trajectoire budgétaire. Il prévoit de préciser la feuille de route dans le cadre des nouveaux contrats d'objectifs et de moyens (COM) de 3 ans. Pouvez-vous nous en indiquer les priorités ? Que va-t-il advenir du projet d'examen au Parlement du nouveau projet de loi « ramassé » consacré à l'audiovisuel ?

Il me faut enfin mentionner les questions toujours sensibles de la presse - qui a doublement souffert de la pandémie et des soubresauts de l'entreprise Presstalis -, des industries culturelles, comme les librairies par exemple, et enfin du cinéma, menacé dans son existence même par le confinement, comme nous l'a montré notre table ronde du 27 octobre dernier.

À l'issue de votre intervention liminaire, nos rapporteurs pour avis vous poseront une série de questions sur la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Nous poursuivrons nos travaux dans un second temps avec la partie « création et patrimoine ».

Concernant la tension ressentie la semaine dernière à l'issue du texte de loi sur le retour des biens aux Républiques du Sénégal et du Bénin, nous avons exprimé notre déception d'apprendre, par voie de presse, la remise de la couronne du dais à Madagascar au moment même où nous débattions dans l'hémicycle. Vous savez notre attachement à ce sujet et comprenez notre réaction. Cette remarque, en avant-propos, ne vise pas à relancer le débat mais au contraire à clore cet épisode, et vous dire, madame la ministre, notre volonté de travailler avec vous dans les meilleures conditions.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je vous remercie pour votre accueil. Pour préciser votre préoccupation concernant le prêt à Madagascar de la couronne du dais de la Reine Ranavalona III, il ne s'agit pas d'une restitution, mais d'une convention de dépôt signée avec Madagascar. Seule une loi au Parlement peut en effet déroger au caractère inaliénable des collections publiques et cette procédure n'est absolument pas remise en cause. La demande du gouvernement malgache datait de plusieurs années durant lesquelles il lui a été clairement indiqué que seul un prêt était envisageable. Une concomitance de calendrier fait que cette acceptation du prêt a eu lieu au moment de notre discussion à ce sujet. Il ne s'agit de ma part d'aucune dissimulation. Ayant été parlementaire pendant un quart de siècle, je suis très attachée aux prérogatives du Parlement. Je tiens à exprimer aux sénateurs et aux sénatrices toute ma considération pour le travail accompli et les assurer que tout projet de restitution sera soumis à un vote, avec les procédures d'analyses, scientifiques et historiques, nécessaires.

Vous l'avez justement évoqué, monsieur le président, le secteur de la culture traverse une période extrêmement difficile. Dans ce contexte, les missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles » vont, en 2021, connaître une hausse exceptionnelle. L'augmentation de 4,8 % des crédits budgétaires du ministère de la culture témoigne de l'importance accordée par le gouvernement à la culture qui joue un rôle indispensable dans notre économie, ainsi que dans nos vies sociales, démocratiques et également intimes. L'effort budgétaire important consenti s'inscrit dans la continuité de la mobilisation totale dont l'État fait preuve depuis le début de la crise pour soutenir les acteurs culturels. Pour rappel, le monde de la culture dans son ensemble a déjà bénéficié de 5 milliards d'euros de mesures d'urgence dont 3,3 milliards d'euros dans le cadre des mesures transversales, ainsi que de plusieurs mesures d'accompagnement, la plus significative étant les 949 millions d'euros accordés aux intermittents du spectacle dans le cadre de « l'année blanche ». Pour pouvoir se projeter, j'ai obtenu que le volet culturel du plan France Relance mobilise une enveloppe exceptionnelle de 2 milliards d'euros en soutien à l'ensemble des acteurs culturels à partir de janvier 2021. D'autres mesures ont eu lieu : depuis la rentrée, 220 millions d'euros ont été mobilisés pour que les secteurs du spectacle vivant et du cinéma puissent faire face aux nouvelles contraintes de distanciation physique et au couvre-feu. Alors qu'a débuté une nouvelle période de confinement, je travaille avec les professionnels à adapter ces dispositifs à la réalité des besoins.

Au cours de la première année de mise en oeuvre sur les deux que compte le plan de relance, plus d'1,1 milliard d'euros de moyens exceptionnels viendront s'additionner aux crédits des missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles ». Ce budget complétera et amplifiera l'action menée pour réparer et refonder nos politiques culturelles. La crise sanitaire, véritable tournant pour le monde de la culture, n'en finit pas de bouleverser les conditions de vie et de création des acteurs culturels et révèle également les pratiques de nos concitoyens. Elle exacerbe des fragilités structurelles préexistantes, causées par des mutations profondes. Notre modèle culturel doit les prendre en compte. Les résultats de l'enquête sur les pratiques culturelles des Français, parue début juillet, mettent en lumière la nécessité de décloisonner et de réconcilier les cultures patrimoniale et numérique, afin d'atteindre l'objectif fixé par mon glorieux prédécesseur André Malraux. En effet, au-delà des mesures financées par les crédits budgétaires, c'est l'un des objectifs stratégiques pour nos industries culturelles et créatives, dotées de 400 millions d'euros sur 5 ans dans le cadre du 4 e programme d'investissement d'avenir. Les moyens inscrits dans les deux missions budgétaires nous permettront de relever ces défis en mettant les habitants et les territoires au coeur de nos politiques culturelles.

Par rapport à l'année 2020, la mission « Culture » connaît une forte hausse de 4,6 % à périmètre constant.

Le patrimoine bénéficie d'un budget de 1,015 milliard d'euros, en hausse de 4,4 %, auxquels s'ajoutent 345 millions d'euros issus du plan de relance. L'investissement prévu dans ce secteur a pour but de développer économiquement les territoires et de renforcer leur attractivité et leur cohésion. C'est l'objectif du plan de rénovation des musées territoriaux, doté de 52 millions d'euros sur deux ans, dont six provenant du plan de relance, et du soutien renforcé aux archives et à l'archéologie dont bénéficieront les équipements patrimoniaux dans les territoires. Dès l'année prochaine, un vaste plan « cathédrales » sera entrepris, en plus de son financement structurel annuel, doté de 50 millions d'euros par an, auxquels s'ajoutent 40 millions d'euros issus du plan de relance, en 2021 puis en 2022, soient au total 180 millions d'euros. Ce budget permettra, d'une part, de réaliser les travaux de mise en sécurité nécessaires et évoqués de longue date et d'accélérer les projets de restauration des cathédrales, parallèlement à ceux des monuments historiques, qu'ils appartiennent aux collectivités territoriales ou aux propriétaires privés. Par ailleurs, il a pour vocation de poursuivre les grands chantiers comme la Cité de la langue française et de la francophonie et la restauration du château de Villers-Cotterêts.

Nous devons, par ailleurs, veiller à l'entretien du patrimoine non protégé dans nos territoires et à sa valorisation, aux côtés des collectivités territoriales dont le rôle est central. Stéphane Bern et moi-même partageons la volonté d'une meilleure représentation de ces monuments au sein des projets de restauration soutenus par le « Loto du patrimoine » lors de sa prochaine édition.

En articulation avec le plan de relance, le projet de loi de finances pour 2021 prévoit des financements visant à garantir la réalisation des programmes de travaux des grandes institutions culturelles patrimoniales comme de création : ainsi 15 millions d'euros de mesures nouvelles permettront de poursuivre le chantier de relogement du Centre national des arts plastiques à Pantin ou encore des investissements pour équiper les deux scènes de l'Opéra de Paris.

Nous avons choisi de réorienter le projet de restauration nécessaire du Grand Palais, dans une optique de maîtrise des coûts et des délais, compte tenu des dérives constatées et de l'échéance des Jeux Olympiques de 2024. Plus écologique, mieux maîtrisé, techniquement et financièrement, ce nouveau projet assurera la préservation du bâtiment et le réaménagement de ses espaces intérieurs, en rétablissant son unité et de meilleures conditions d'accueil à ses visiteurs.

En contrepartie du soutien important accordé à ces grandes institutions, je leur demande d'incarner encore davantage la responsabilité nationale qui est la leur, proches de l'ensemble de nos concitoyens et facteurs d'animation des territoires.

Le programme « Création » connaît, comme celui du patrimoine, une très forte augmentation de 4,5 % qui permettra d'assurer un soutien renforcé à la création, la diffusion et la production artistique dans les domaines du spectacle vivant et des arts visuels. À ces 37 millions d'euros de mesures nouvelles s'ajouteront 320 millions d'euros issus du plan de relance, ce qui est, là encore, totalement inédit. L'une des priorités est de mieux accompagner les établissements de création en régions : 15 millions d'euros seront consacrés à la restauration et à la consolidation des marges artistiques des labels, ainsi qu'au soutien des compagnies artistiques. Sur ce total, 3 millions d'euros iront aux arts visuels. Les mesures du plan de relance viendront, quant à elles, soutenir la programmation et financer des chantiers de rénovation de ces établissements.

Le spectacle vivant sera également fortement soutenu grâce au renforcement des moyens du Centre national de la musique, le CNM, avec 7,5 millions d'euros supplémentaires dans le PLF au programme 334, pour accompagner sa montée en puissance, et surtout la dotation exceptionnelle de 200 millions d'euros dans le cadre du plan de relance pour qu'il joue un rôle moteur dans la reprise de l'ensemble de la filière musicale, elle aussi gravement mise à mal par la pandémie. Les dispositifs fiscaux permettront de soutenir l'activité des salles de spectacle, avec une prorogation du crédit d'impôt pour le spectacle vivant aux critères assouplis et la création d'un crédit d'impôt théâtre. On peut noter que Bercy, habituellement défavorable aux crédits d'impôt, a clairement indiqué que ma demande était justifiée.

Une autre priorité est de renforcer le soutien aux artistes et aux créateurs, en particulier ceux qui n'entrent pas dans le champ des dispositifs transversaux. En plus du grand plan de commande artistique doté de 30 millions d'euros, le PLF 2021 prévoit 5 millions d'euros au titre du Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps) pour diminuer la précarité des artistes et techniciens intermittents et 2 millions d'euros pour mettre en oeuvre les premières mesures à destination des artistes-auteurs avant la fin du 1 er trimestre 2021.

La mission « Culture » comporte également le nouveau programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », qui reprend les actions 1, 2 et 9 qui étaient auparavant inscrites au programme 224 concernant l'enseignement supérieur culturel, l'accès à la culture et la politique linguistique. À périmètre constant, il bénéficiera, en 2021, de 46 millions d'euros de crédits supplémentaires, soit une forte hausse de 8,5 %. Une nouvelle délégation générale, créée au sein du ministère de la culture au 1 er janvier prochain, aura la charge de ces moyens. Elle assurera un pilotage transversal de notre action en matière d'accès à la culture dans les territoires, d'éducation artistique et culturelle (EAC) et de formation en lien avec les ministères concernés dont, bien entendu, celui chargé de la cohésion des territoires et ceux de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. L'an prochain, nous amplifierons l'action menée pour atteindre notre objectif « 100 % EAC » en partenariat avec ces ministères et les collectivités territoriales.

La hausse des crédits du pass Culture permettra d'accompagner son développement. Partant du bilan de ses expérimentations, je souhaite le faire évoluer afin qu'il s'articule mieux avec la fin du parcours d'éducation artistique et culturelle pour enfin diversifier les pratiques culturelles de nos jeunes.

La politique d'accès à la culture dans les territoires bénéficie également de moyens supplémentaires, notamment pour accompagner un nouveau label, celui de « capitale française de la culture », dont le premier sera décerné en 2021. Tous les deux ans, ce label distinguera l'innovation artistique et l'activité d'une ville ou d'un groupement de collectivités.

Par ailleurs, les États généraux des festivals, à Avignon en octobre, ont permis de lancer, avec succès, une concertation entre les acteurs culturels et les collectivités locales, premiers partenaires de ces événements. Leurs travaux vont continuer et nous permettre de mieux accompagner ces manifestations qui jouent un rôle majeur dans l'attractivité de nos territoires, parallèlement à la prolongation du fonds festival en 2021.

L'enseignement supérieur dans le domaine de la culture fera l'objet d'une attention particulière l'an prochain, dans une volonté d'accompagnement des créateurs de demain. L'accroissement conséquent du budget de 3,3 % après des années de stagnation vise à améliorer les conditions de vie et d'études des élèves de ces écoles et leur insertion professionnelle. S'y ajoutera un plan exceptionnel de rénovation et de modernisation de leurs infrastructures s'élevant à 70 millions d'euros, financé par le plan de relance.

Concernant la mission « Médias, livre et industries culturelles », la hausse de 3,2 % exprime notre volonté de moderniser et consolider ces filières culturelles aux fragilités structurelles révélées par la crise. Le programme « Presse et médias » verra son budget progresser de 2,9 %. Ces nouveaux moyens de 483 millions d'euros pour la période 2020-2022 sont intégrés au plan « filière » pour la presse et ont été présentés par le Président de la République à la profession le 27 août dernier. Il s'agit d'un plan de modernisation massif qui accompagnera la transformation nécessaire de la filière.

Grâce au plan de relance, et au-delà des moyens inscrits dans la troisième loi de finances rectificative (LFR3), le fonds stratégique pour le développement de la presse sera abondé de 45 millions d'euros sur deux ans, le montant de l'aide à la modernisation des diffuseurs de presse sera doublé et un fonds de transformation des imprimeries de la presse régionale doté de 31 millions d'euros.

Les enjeux environnementaux et sociaux occupent une place centrale dans ce plan de filières : un fonds pour la transition écologique est donc mis en place, de même qu'un fonds de lutte contre la précarité, doté de 18 millions d'euros par an en soutien aux acteurs les plus fragiles de la profession comme les pigistes, les photojournalistes ou les dessinateurs de presse. Des mesures nouvelles d'aide au pluralisme seront mises en place, l'une à destination des services de presse en ligne, d'informations politiques et générales, à hauteur de 4 millions d'euros par an, l'autre à destination de la presse ultramarine à hauteur de 2 millions d'euros par an.

Le programme « Livre et industries culturelles » connaîtra une hausse moyenne de 3,5 % l'année prochaine, soit plus de 10 millions d'euros. Au-delà des mesures concernant la filière musicale, déjà évoquées, ces nouveaux crédits permettront de financer l'achèvement du chantier de restauration du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France (BnF). L'ouverture de 30 millions d'euros en autorisations d'engagement va également permettre à la BnF de lancer la construction d'un nouveau centre de stockage, opérationnel d'ici 2027. Plus de 80 candidatures ont d'ores et déjà été déposées. Le secteur du livre bénéficie en outre d'un plan total de 89 millions d'euros sur trois ans, financé par la LFR3 de 2020 et le plan de relance, avec l'objectif de soutenir les activités des libraires et des bibliothèques.

Concernant les filières cinématographiques et audiovisuelles, en plus des ressources habituelles du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) stables en 2021, un plan global de 165 millions d'euros inclus dans le plan de relance les accompagne pour permettre la reprise et moderniser l'ensemble de leurs acteurs.

Le financement de l'audiovisuel public respectera, en 2021, la trajectoire engagée en 2018. Le compte de concours financier pour l'audiovisuel public s'élèvera à 3,72 milliards d'euros et le montant de la contribution à l'audiovisuel public dont s'acquitteront nos concitoyens restera stable. L'effort d'économie de 80 millions d'euros demandé aux sociétés de l'audiovisuel public a été réduit de 10 millions d'euros, afin de tenir compte de la prolongation, jusqu'à l'été 2021, de la diffusion linéaire de France 4. Je souhaite engager une réelle réflexion participative et stratégique sur l'offre que nous voulons en matière de contenus éducatifs, sans urgence, qui s'appuie sur la créativité de la représentation nationale. Un soutien financier exceptionnel de 70 millions d'euros sera octroyé, dans le cadre du plan pour compenser les impacts de la crise sanitaire. La coïncidence entre les deux enveloppes de 70 millions d'euros ne représente pas un effet de balance, mais d'un côté, une aide conjoncturelle et, de l'autre, une trajectoire structurelle.

En parallèle, une vaste réflexion sur les ressources de l'audiovisuel public doit être menée, compte tenu de la suppression totale, à l'horizon 2023, de la taxe d'habitation à laquelle est adossée la contribution à l'audiovisuel public (CAP). Nous approfondirons le début de ce travail avec l'ensemble des parlementaires dont les sénateurs, très attentifs à ce sujet d'importance.

Je veux saluer les travaux en cours menés par le Sénat à l'occasion de la transposition de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) introduite dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (Ddadue). Ils vont permettre, avec la révision du décret sur les services de médias audiovisuels à la demande, d'intégrer les plateformes numériques ciblant le public français à notre système de contribution à la création. Il s'agit d'une première étape essentielle d'un système de rééquilibrage d'ensemble de notre système de financement de la création. Les actions et les ambitions de la France, en ce domaine, sont attendues pour fixer un modèle. Une révision du décret fixant la contribution et les obligations des chaînes historiques a lieu, avec des négociations professionnelles, dans ce cadre. Une adaptation de la chronologie des médias devra être mise en place dans les prochains mois, avec ouverture des concertations dans les prochains jours.

Concernant les autres mesures, certaines disposions prioritaires très attendues par le secteur doivent faire l'objet d'une traduction législative, dès que possible, en particulier la lutte contre piratage et l'évolution de la régulation. Un nouveau projet de loi « resserré », proposé au Premier ministre, tient compte des travaux déjà effectués lors de l'examen du projet loi initial. S'il est impossible de reprendre toutes les dispositions proposées, il est indispensable d'adapter les règles encadrant ce secteur à la transformation rapide, tant chez ses acteurs que dans les usages de nos concitoyens.

Telles sont les orientations qui guideront mon ministère, ce budget en étant le reflet, doté de moyens nouveaux, à la hauteur des attentes des professionnels de la culture et du grand public. Il prend en compte les défis urgents, conjoncturels et structurels. En complément du plan de relance, il a pour but de conforter le modèle culturel français, dont l'originalité fait notre fierté.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel . - Il y a deux ans, votre prédécesseur, Franck Riester, assurait que la réforme de la CAP, indispensable pour boucler le financement de la réforme de l'audiovisuel, aurait lieu au plus tard dans le cadre du PLF 21. Après le report de la réforme de la gouvernance de l'audiovisuel, l'examen de la réforme de la CAP sera-t-il à son tour renvoyé à une date ultérieure ? Pourquoi une vraie concertation avec le Parlement et le Sénat notamment, ne serait pas entamée, avec un partenariat possible entre majorité et opposition ?

L'existence de la chaîne jeunesse de France Télévisions, France 4, a été prolongée d'un an seulement, alors qu'elle a toute sa place au sein d'une télévision publique comme le montre le succès en Afrique de la chaîne francophone Tivi5 Monde créée par TV5 Monde. Le montant de l'économie réalisée par la suppression de France 4 apparaît, par ailleurs, très limité. Une contradiction importante semble exister entre la légitime volonté du gouvernement de promouvoir les valeurs de la République dans les quartiers prioritaires, où les familles n'ont pas les moyens d'accéder à une offre culturelle et audiovisuelle large, et celle de supprimer cette chaîne qui pourrait constituer cet outil pédagogique indispensable. À l'aune des crises que nous connaissons, le gouvernement pourrait-il réévaluer cette question, quitte à demander à l'audiovisuel public de réaliser des économies sur d'autres postes ?

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis sur les crédits de la presse . - La presse joue un rôle important lors d'une crise sanitaire et doit être maintenue à un haut niveau. Ses difficultés ont souvent été évoquées, notamment la chute du groupe de distribution Presstalis qui a eu lieu au plus mauvais moment, en plein confinement. Une partie de la France a ainsi été privée de journaux pendant plusieurs mois. Peut-on chiffrer précisément la dépense engagée par l'État ces dernières années pour le maintien à flot de cette société ? Comment s'assurer d'un sort plus favorable à France Messagerie qui a remplacé Presstalis ? Qui va assumer la dette de cette grande maison ?

Concernant les droits voisins, des annonces contradictoires récentes suggéraient un accord, puis sa mise en doute. Quelle est la volonté de Google et Facebook de s'inscrire dans le cadre légal tracé par la proposition de David Assouline ? Avez-vous des échanges avec d'autres pays qui tardent à lancer leur transposition ?

M. Julien Bargeton, rapporteur pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles . - Le pass Culture suscite beaucoup d'interrogations, notamment sur son évolution et son avenir, qui appellent des précisions. Le choc de la crise sur le secteur culturel est très fort et il faut reconnaître les efforts de soutien déployés par le gouvernement, malgré l'existence de demandes encore en suspens. Cette démultiplication des fonds est d'ailleurs soulignée par les différents acteurs que nous rencontrons.

Quel sera l'avenir et le fonctionnement du CNM, suite à l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 8 septembre 2020 sur les crédits dits « irrépartissables » qui prive de 25 millions d'euros par an les organismes de gestion collective (OGC) ? Une compensation par le CNM a été évoquée, est-elle selon vous envisageable ? Que va faire la France ? Des négociations européennes auront-elles lieu pour essayer de corriger cet arrêt dans un règlement ?

M. Pierre Ouzoulias, au nom de M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis sur les crédits du cinéma . - Concernant la transposition de la directive services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), quelles seront l'architecture et la philosophie générale des projets d'ordonnance et de décret ? Quelles sont les premières réactions des plateformes ? Sur le domaine du cinéma, la difficulté est de ne pas connaître aujourd'hui le montant des pertes de l'industrie cinématographique pour l'année prochaine. Y aura-t-il un aspect dynamique dans l'aide que vous pourriez lui apporter et des moyens d'ajustement d'un budget supplémentaire à ses pertes ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - À propos de la réforme de la contribution à l'audiovisuel, deux clans s'affrontent, les tenants de la budgétisation et ceux qui souhaitent le maintien de la redevance, avec des propositions intéressantes mais qui arrivent à ne pas « familiariser » cette contribution. Compte tenu du report à 2023 de la suppression de la taxe d'habitation sur la résidence principale, cette réforme n'est pas urgente, d'autant que le rendement de cette contribution continue de croître permettant un maintien du tarif, ce qui est important pour les ménages modestes. Des pistes de référence ont été identifiées par le gouvernement, et un travail d'analyse technique approfondi aura lieu d'ici 2022 avec les parlementaires et ceux qui voudront s'y associer. Le principe est de permettre à l'audiovisuel de bénéficier d'un financement pérenne, gage de son indépendance, sans créer de nouvel impôt, en cohérence avec la politique fiscale conduite par le gouvernement depuis 2017 pour améliorer le pouvoir d'achat des Français.

Concernant l'arrêt de France 4, il est nécessaire de s'interroger sur les moyens d'accompagner l'offre éducative des Français. Si l'action de France 4 pendant le confinement mérite d'être saluée, on ne peut pas bâtir une télévision-confinement. La réflexion doit porter sur les besoins exacts de nos enfants et non sur le maintien ou non d'une chaîne, quelle que soit l'affection qu'on lui porte. Comment les enfants évoluent-ils ? Quels outils utilisent-ils ? Faut-il avoir une chaîne éducative, de divertissement ou culturelle ? Dix millions d'euros sont dégagés pour permettre cette réflexion par rapport à la trajectoire arbitrée en 2018. Comment coordonner cette réflexion avec l'utilisation des nouveaux outils numériques utilisés par les jeunes dont la consommation augmente ? Comment les programmes des chaînes comme Okoo s'articulent avec les programmes de l'Éducation nationale ? Face à un public de 6 à 18 ans, comment imaginer des programmes éducatifs structurants ? Quel est l'apport des autres chaînes de l'audiovisuel public ? Toutes ces questions alimenteront la réflexion pour définir l'outil correspondant aux réels besoins de nos enfants.

Concernant Presstalis, la situation est particulièrement compliquée, avec la filière de la vente au numéro, indispensable au pluralisme de la presse, en forte baisse et des acteurs aux difficultés récurrentes. L'État a accompagné les discussions autour de la restructuration de Presstalis qui ont conduit à la création de France Messagerie, nouvelle structure en charge de la distribution de la presse quotidienne nationale, le 1 er juillet 2020. L'engagement de l'État s'élève, dans la restructuration de Presstalis, à 76 millions d'euros et, dans les besoins de France Messagerie, à 80 millions d'euros dont 68 de subventions et 12 de prêt. Le soutien public à la filière ne se dément pas mais s'appuie sur la responsabilité des éditeurs pour assurer la pérennité du système de distribution. France Messagerie représente aujourd'hui 55 % de parts de marché, les Messageries lyonnaises de presse (MLP) 45 %, et l'État verse chaque année aux dix quotidiens d'information politique et générale (IPG) une aide à la distribution de la presse quotidienne de 18 millions d'euros. Dans le cadre du protocole de conciliation de 2018, les crédits de la section A de cette aide sont portés à 27 millions d'euros par an pour 2018-2021 par redéploiement des crédits en provenance du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP). L'État est toujours fortement engagé dans les messageries historiques, d'une part, en prenant en charge le décalage de la procédure de collecte à hauteur de 17 millions d'euros et les chèques de qualification dus aux marchands de presse, qui représentent 16,2 millions d'euros ; d'autre part, dans les besoins de financement de la nouvelle société avec une subvention de 68 millions d'euros et un prêt du Fonds de développement économique et social (FDES) de 12 millions d'euros. Des aides exceptionnelles aux petits éditeurs de 8 millions d'euros et aux diffuseurs spécialisés de 19 millions d'euros ont par ailleurs été octroyées.

Au sujet des droits voisins des éditeurs et agences de presse, un investissement exemplaire dans la négociation des deux directives d'avril 2018 relatives aux droits d'auteur, a abouti à des éléments décisifs sur la rémunération des créateurs et les titulaires de droits. La première directive vise à sécuriser la rémunération des oeuvres diffusées à la télévision par technique dite de « l'injection directe », la seconde consacre des dispositions visant à garantir un meilleur partage de la valeur créée par la diffusion des oeuvres sur internet. Les démarches de Google visent à un seul but : contourner l'application de ce droit, notamment par l'octroi de licences à titre gratuit. Le 9 avril 2020, l'autorité de la concurrence, saisie par des éditeurs de presse, a enjoint Google à négocier « de bonne foi » sur ces droits voisins et la Cour d'appel de Paris a rejeté le pourvoi contestant cette décision. Si certains acteurs du système sont prêts à céder aux sirènes de Google, je veux saluer ceux qui y résistent.

À propos du pass Culture, les objectifs sont connus : favoriser l'autonomie culturelle chez les jeunes, avec un crédit de 500 euros pour chaque jeune de 18 ans, à utiliser dans les biens et services culturels référencés sur le pass. La gestion du dispositif est confiée à la Société du Pass culture, avec une hausse de ses crédits de 20 millions d'euros en 2021 soit 59 millions d'euros au total. La question de sa généralisation est en cours, ainsi que celle d'une meilleure articulation avec les parcours d'éducation artistique pour les 16-17 ans. Il faut par ailleurs noter que le pass a contribué à relancer le secteur culturel suite au confinement, la barre des 100 000 inscrits ayant été franchie mi-septembre. Quatorze départements sont aujourd'hui concernés par l'expérimentation. Au 2 novembre, on compte un taux d'inscription de 85 %, 115 000 comptes sur les 135 000 éligibles et un taux d'utilisation de 81,5 %, contrairement aux craintes escomptées. 130,70 euros sont dépensés en moyenne sur une période de 9 mois et 4 300 lieux culturels sont actifs pour près de 2 500 000 offres disponibles. Les catégories les plus réservées sont à 58 % les livres, à 15 % la musique, à 10,1 % l'audiovisuel, à 4,1 % le cinéma. Les biens physiques représentent 65,1 % des biens réservés, les biens numériques 25,4 %, les événements 9,4 %, ce dernier chiffre étant le plus décevant et sans doute le domaine sur lequel les offres doivent être mieux mises en avant.

Concernant l'arrêt de la Cour de justice, ce sont plus les OGC qui vont être impactés que le financement du CNM. Par le biais des OGC, des activités seront financées mais vous êtes modeste sur la perte estimée à 25 millions d'euros alors que je tablerai plutôt sur 30 actuellement. Cet arrêt de la Cour de justice permet de ne pas reverser les sommes perçues aux artistes et aux producteurs non européens en raison de l'absence de réciprocité, aussi appelé droits « irrépartissables ». L'arrêt dit par ailleurs que la législation européenne aurait dû prévoir la liste exhaustive des pays concernés. Je suis ces travaux au plus près avec la commission européenne. Je ne me lancerai pas dans la description du projet de décret « SMAD », qui est complexe et se trouve disponible en ligne. Cette 3 e consultation des acteurs du secteur, avec, d'un côté, producteurs et créateurs français et, de l'autre, les plateformes, se termine le 12 novembre. À votre demande sur la réaction de ces dernières, évidemment mesurée, je vous répondrai par notre volonté d'un décret ambitieux, et en même temps prudent : on peut aspirer à obtenir 35 ou 40 % mais il s'agit aussi de respecter l'équité et de ne pas s'exposer à des contentieux dommageables qui anéantiraient tous les efforts. Pour exemple, cela représente pour une plateforme comme Netflix environ 190 millions d'euros.

M. David Assouline . - Je partage avec vous une réflexion au sujet de l'ouverture des librairies. Une idée est en train de faire son chemin et vous devez la porter haut et fort, c'est le fait que la culture est un ciment de notre société et une réponse en temps de crise sanitaire et sociale, quand il y a un attentat contre un professeur et la liberté d'expression. Il faut la considérer comme un bien essentiel, dans la mise en place des nouvelles mesures. Je vous demande de plaider en ce sens.

Concernant la contribution à l'audiovisuel public, vous indiquez qu'elle restera stable, ce qui est un euphémisme, car une décision consensuelle de longue date voulait qu'une stabilité impliquait une augmentation de 1 % au minimum pour tenir compte de l'augmentation du coût de la vie. Il s'agit donc d'une baisse du budget de l'audiovisuel public et notamment de celui de France Télévisions, puisque sur les 70 millions d'euros de la trajectoire budgétaire de baisse, 60 millions concernent France Télévisions. Avec 65 millions d'euros d'impact estimés de la covid-19, cette baisse est conséquente, compensée par seulement 45 millions d'euros de dotations exceptionnelles dans le plan de relance. Chacun mesure les efforts faits pour passer ce moment difficile dans toutes les filières. La présence à la maison imposée par le confinement augmente le temps passé à regarder la télévision et Netflix. Nous avons tous intérêt à ce que le service public propose, dans ce contexte, une offre de qualité. C'est là que se pose la question de France 4 qui, par erreur de langage, serait qualifiée de chaîne du confinement, alors qu'elle est une chaîne du service public nécessaire pour les enfants, preuve en est que le secteur privé, dont M6, se l'approprie et que la BBC, qui avait arrêté, en est revenue. Le service public a besoin de s'adresser aux enfants, livrés à des plateformes et à des programmes avec peu de considération pour la qualité et l'éducation, notamment civique, surtout après l'attentat contre M. Paty. On ne peut pas considérer qu'à chaque nouveau ministre, on recommence à zéro. Nous avons réfléchi avec le gouvernement, avec France Télévisions et même Mme Ernotte, pour remporter sa candidature au CSA, a mis en avant son projet de maintien de France 4.

Sur le sujet de la presse et des droits d'auteurs, la majorité sénatoriale et mon groupe, par principe opposés au jeu des ordonnances, avons accepté de négocier avec Franck Riester dans un souci de rapidité, avec l'assurance d'une écriture conjointe. Or nous n'avons jamais été contactés pour en discuter concrètement et être associés à cette rédaction. Le contrat de confiance passé avec le gouvernement était que nous allions, jusqu'au bout, établir ce texte ensemble. Depuis, nous n'avons jamais été contactés pour en discuter concrètement et être associés à l'écriture de ces ordonnances. Il serait bien de tenir cette parole car nous avons fait un effort politique d'ouverture en acceptant en juillet de faire les choses vite, pour les auteurs et pour la création française. En retour, nous nous sentons un peu lésés quant à l'association et la considération du Parlement.

M. Jean-Raymond Hugonet, au nom de Michel Savin . - Michel Savin a dû prendre le train qui reste pour rejoindre les cimes de l'Isère. Il m'a donc demandé de poser cette question pour lui. Madame la ministre, vous avez annoncé courant septembre différentes mesures de soutien à la filière cinématographique durement touchée par la crise sanitaire. Un fonds exceptionnel de compensation des pertes de recettes des salles de cinéma doté de 50 millions d'euros a été créé et confié au Centre national du cinéma et de l'image animée. Or, de par la nature même du CNC, ce fonds ne peut s'adresser aux cinémas de gestion publique. Vous avez également annoncé, le 22 octobre, de nouvelles aides et notamment une enveloppe supplémentaire de 30 millions d'euros pour les acteurs de la filière cinématographique. Une partie de ces aides est-elle destinée aux cinémas exploités en régie directe par les collectivités jusqu'ici ignorés par les plans de soutien du gouvernement ? En effet, de nombreuses collectivités gèrent en direct des cinémas publics. Leur fermeture imposée par le gouvernement pour freiner l'épidémie entraîne de lourdes pertes d'exploitation alors même que leurs finances se trouvent déjà fragilisées par la crise sanitaire. Ces cinémas publics remplissent un rôle important de diffusion culturelle notamment dans les territoires interurbains et ruraux, mal dotés en cinémas privés. Aussi semble-t-il important que l'État fasse preuve de solidarité en accordant aux cinémas publics les mêmes aides qu'aux privés.

Mme Sabine Van Heghe . - Je souhaite poser une question sur la presse et particulièrement la presse quotidienne régionale frappée de plein fouet par la crise sanitaire, avec notamment la fermeture de nombreux points de vente et la forte diminution de son chiffre d'affaires. La situation était déjà très difficile du fait de changements structurels des modes de consommation de l'information. Nous sommes tous d'accord pour veiller à l'indépendance de la presse, au respect du pluralisme et à liberté d'expression. Au moment où de fausses informations circulent abondamment sur les réseaux sociaux, le soutien à la presse et à la presse quotidienne régionale est indispensable. Il en va de la bonne santé de notre démocratie. Par rapport à l'augmentation des aides à la presse dans le plan de relance, pouvant être jugée insuffisante du fait des précédentes baisses observées depuis 2018, des inquiétudes s'expriment quant au soutien apporté à la presse locale, en particulier dans la transformation de son offre numérique. Je vous remercie, madame la ministre, des précisions que vous voudrez bien m'apporter sur ce sujet.

Mme Claudine Lepage . - Madame la ministre, j'aimerais vous poser une question sur l'audiovisuel extérieur, qui occupe une place en marge de l'audiovisuel public, même si France Médias Monde est associée à France Info. France Médias Monde et TV5 Monde, chacun dans leur spécificité, jouent un rôle de premier plan dans la diplomatie culturelle de la France et donnent une belle image, engagée, de l'information. Vous avez fait mention du projet de loi « resserré » sur l'audiovisuel. Quelle sera la place réservée à l'audiovisuel extérieur dans le cas où il verrait le jour ? Il est important de conserver les spécificités et les missions de celui-ci.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - J'ai réalisé, monsieur le président, que je n'avais pas répondu à votre question sur les COM, mais elle reboucle finalement avec les dernières questions sur le plan de transformation de l'audiovisuel public énoncée en juillet 2018 et qui conditionne les COM 2020-2022. Cinq axes sont prioritaires : renforcer l'offre audiovisuelle de proximité, conforter le statut d'offre de référence de l'information, sanctuariser son rôle central dans la culture et la création - je me réjouis que France Télévisions ait décidé de consacrer une soirée à un spectacle en ce moment en répétition dans nos lieux de culture fermés, Hippolyte et Aricie, l'opéra de Jean-Philippe Rameau répété à l'Opéra-Comique, que l'on pourra voir sur France 3 ainsi que d'autres spectacles édités par l'audiovisuel public. Ceci permettra peut-être à certains de découvrir l'opéra, développer l'offre éducative et les contenus destinés à la jeunesse et contribuer au rayonnement international de la France. Ces objectifs sont tout à fait essentiels. Le report du projet de création d'une holding ne signifie en rien le renoncement à poursuivre la transformation de l'audiovisuel public et favoriser les coopérations entre les entreprises qui le composent. Pour autant, les synergies doivent être multipliées, le gouvernement a invité l'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public, couvertes par un COM, à le renégocier et j'ai écrit aux dirigeants de l'audiovisuel public, cet été, dans cette perspective. L'ensemble du secteur va donc être couvert par des COM, alignés dans le temps sur l'horizon budgétaire de 2022. Ces contrats comprendront un volet commun à ces entreprises, dédié à leurs missions communes, ainsi qu'à leur engagement conjoint à progresser davantage en matière de coopérations multiples, éditoriales et non éditoriales. Les textes de ces COM sont en cours de finalisation et seront transmis au CSA et aux commissions parlementaires dans les prochaines semaines. Vous allez donc pouvoir vous en emparer.

Je veux dire à M. Assouline qu'on continue à vendre des livres et à les acheter dans notre pays et dans des librairies indépendantes. Je passe, pour venir au bureau, devant deux librairies indépendantes et peux vous dire que le « cliquez-emportez » marche ! Nous soutenons nos librairies par des mesures transversales considérablement majorées comme le fonds de solidarité porté à 10 000 euros, le chômage partiel, les prêts garantis par l'État qui sont poursuivis. Nous avons, par ailleurs, décidé que tous les livres vendus en « cliquez-emportez » ou envoyés par la poste ne rentreraient pas en ligne de compte dans le calcul du chiffre d'affaires permettant d'accéder au fonds de solidarité. Toutes ces aides sont considérables. En accord avec le ministre de l'économie et de la relance, nous avons mis en place la prise en charge des frais postaux qui permet de placer les librairies indépendantes au niveau des grandes plateformes à 1 centime l'envoi. De même, La Poste a fait une ouverture considérable, en divisant pratiquement par 3 le prix de ses portages de colis dans une agglomération. On peut situer cet effort pour l'État, entre 10 et 20 millions d'euros sur cette prise en charge de la quasi-gratuité du tarif. Certaines librairies témoignent même de la présence de beaucoup de clients et de difficultés à organiser les commandes. Les librairies sont pour la plupart ouvertes, il est possible de téléphoner, sans être obligé de passer par internet, de passer et préparer des commandes, de demander des conseils à son libraire. Comme vous, je souhaite la réouverture des librairies le plus tôt possible, bien entendu, et nous réfléchissons aux actions par rapport au contexte sanitaire. Une librairie, comme le disait excellemment mon ami Alain Duault dans un éditorial paru récemment, ça n'est pas comme acheter un paquet de nouilles dans un supermarché ! Ce qu'on aime, c'est feuilleter les livres, discuter avec les gens, c'est un lieu de convivialité et dans l'état actuel, tout cela est évidemment compliqué. On pourrait imaginer, si la situation sanitaire se desserre, évoquer la question des jauges, en discussion avec les acteurs du secteur, libraires et éditeurs, à hauteur de 4 m², voire même de 8 m² par personne, les libraires y sont disposés, un accueil sur rendez-vous, mais on ne peut pas transiger sur le fait de ne pas feuilleter les livres, même avec masques et gel hydroalcoolique. Développer des moyens logistiques n'est pas si simple. Nous travaillons avec Bruno Le Maire sur ces adaptations.

J'ai déjà répondu aux questions concernant la contribution à l'audiovisuel public. Les efforts de gestion étaient tout à fait soutenables par rapport au travail accompli en 2018. Concernant le décret SMAD et l'écriture des ordonnances, je ne sais pas où on est sur le travail de collaboration avec l'assemblée sénatoriale, je vais me renseigner sur cette consultation et revenir vers vous à ce sujet sans chercher de fausses excuses.

Concernant la filière cinématographique et la gestion publique, il est vrai que sur les 6 000 salles de cinéma de notre pays, 400 sont en gestion publique. Leur modèle économique n'est pas comparable à celui des salles commerciales. Néanmoins, j'ai demandé que le CNC regarde la situation au cas par cas et que, si elle se révélait très difficile et bien que ne relevant pas de la mission du CNC, il puisse aider ces salles. Je tiens vraiment à ce que le maillage si important des salles de cinéma soit préservé pendant la crise.

L'audiovisuel extérieur et France Médias Monde sont engagés, comme l'ensemble des entreprises du secteur public, dans les négociations des COM. Une élaboration est en cours avec une signature prévue début 2021, comportant les objectifs communs et spécifiques qui traduisent les missions confiées. Dans un projet « resserré », l'audiovisuel extérieur ne sera pas concerné. J'ai bien indiqué les contours de ce texte législatif, qui sont le piratage et l'autorité de régulation, soit la fusion du CNC et de l'Hadopi pour former l'ARCOM. Nous rencontrons beaucoup de difficultés, d'ailleurs, à trouver un créneau législatif, mais cela n'empêche pas ma résolution dans ce domaine. Il y aura peut-être des idées d'initiatives parlementaires, on verra.

Mme Sylvie Robert . - Merci beaucoup, madame la ministre, pour la présentation de ces programmes 131 sur la création et 361 sur la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture. Je mesure l'ampleur des efforts réalisés par l'État pour sauver la création artistique et culturelle dans un moment que vous avez justement qualifié de critique. Le secteur culturel, dans son intégralité, est en train de payer un lourd tribut du fait de la crise. Sans revenir sur les analyses chiffrées, je voudrais vous questionner sur plusieurs points. On sait que les acteurs culturels ont subi différentes phases, un confinement total, un déconfinement avec une reprise d'activités, puis, brutalement, un reconfinement que je ne qualifierai pas de partiel, car les lieux sont fermés. Beaucoup souffrent encore, comme les festivals, d'un manque d'anticipation, de visibilité. Ils ont besoin qu'on les aide à anticiper, notamment à trois mois car leur modèle économique ne leur permet souvent pas de stopper leurs activités. Avez-vous des éléments de calendrier ou une méthode de travail qui permettrait d'y répondre, avec cette incertitude qui pèse sur la durée ? Je sais la difficulté de répondre à ma question. Pour pouvoir continuer, beaucoup demandent la prolongation de l'activité partielle exceptionnelle qui s'arrête au 31 décembre, devenant ensuite activité partielle de longue durée, ce qui diminue considérablement le remboursement. Dans leur situation, une telle décision serait très importante.

Les collectivités territoriales jouent, vous le savez, un rôle majeur. Avec les mesures du PLF pour 2021, du plan de relance, du PLFR4, des sous-préfets ont été nommés pour prendre en charge la relance dans les territoires. J'aimerais savoir comment vos annonces seront traduites concrètement dans les territoires. La coordination qui sera mise en place n'est pas très claire avec le rôle qui sera confié aux sous-préfets en charge de la relance. Comment trouver une bonne coordination entre sous-préfets, directions régionales des affaires culturelles (DRAC), collectivités territoriales, pour que l'organisation territoriale, qui va permettre à la fois sur la relance et, sur ce que j'appelle de mes voeux, un printemps culturel, puisse être bien accompagnée ? Nous avons besoin d'une clarification sur la méthodologie pour pouvoir, au sein des collectivités territoriales, fluidifier et simplifier les aides. Beaucoup d'interrogations demeurent.

Les écoles supérieures d'art me tiennent à coeur, ainsi que les écoles supérieures d'architecture qui souffrent beaucoup. On nous a annoncé la remise rapide d'un rapport sur leur situation. Quand doit-il être publié ? Nous aimerions en disposer car, derrière ces écoles, se pose la question de la recherche, de l'intégration de ces écoles dans le système licence master doctorat (LMD), et des vacataires. Je vous remercie pour l'enveloppe pour la rénovation énergétique, très importante pour ces écoles. La question du fonctionnement de ces écoles et de l'enseignement de l'architecture dans notre pays est fondamentale en ce moment de transition écologique. On vit finalement sociologiquement, philosophiquement et même intellectuellement des mouvements qui pourraient faire déplacer des populations au-delà des zones urbaines vers les zones rurales, et ces questions d'environnement et d'habitat sont très importantes.

Enfin, car je sais que mes collègues compléteront mes propos, je voudrais vous dire qu'en plus des lieux subventionnés et privés existent également de très nombreuses associations culturelles qui diffusent la culture dans les territoires, enseignent les pratiques artistiques, gèrent des lieux non conventionnés, non labellisés. Beaucoup rencontrent aujourd'hui des difficultés majeures et sont peu soutenues, éligibles un peu aux dispositifs culture, un peu aux dispositifs vie associative, un peu aux dispositifs destinés à l'économie sociale et solidaire (ESS). Elles constituent des acteurs importants de l'éducation artistique et culturelle, aujourd'hui à l'arrêt car ces lieux sont fermés. C'est pourquoi je plaide pour un printemps culturel très important qui s'appuierait sur les projets exceptionnels menés par ces associations dans les écoles, collèges, lycées. Il y a de l'argent : c'est un moyen de l'utiliser. La volonté existe mais une vraie organisation et des méthodes de travail sont à mettre en place.

Vous prolongez le fonds festival. Je tenais à vous dire que l'organisation des États généraux des festivals avait été très bien reçue par les organisateurs de festivals. Ils attendent maintenant un calendrier, des critères et, là aussi, l'association des collectivités territoriales sera précieuse. Nous, parlementaires et élus, sommes prêts à vous accompagner car il y a urgence. La relance n'est pas encore complètement là. J'espère qu'elle sera rapide, visible et lisible dans les territoires de notre pays.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, pour Philippe Nachbar . - Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits du programme patrimoine, m'a laissé ses questions. La première concerne la situation très préoccupante des opérateurs, singulièrement ceux dont le niveau des ressources propres est le plus élevé. Après l'audition des présidents du musée du Louvre et du château de Versailles, la semaine dernière, nous nous demandons si les crédits inscrits permettront aux opérateurs de surmonter les conséquences de la crise, dans la mesure où leur montant a été déterminé avant la mise en place du nouveau confinement. Quelle est votre position ?

Deuxièmement, nous sommes préoccupés par la faiblesse des crédits accordés aux monuments historiques appartenant aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés, qui représentent pourtant la majorité de ces monuments et fournissent du travail aux entreprises de restauration sur l'ensemble du territoire. Ces crédits sont globalement stables dans le PLF pour 2021 et leur niveau reste modeste au titre du plan de relance puisqu'ils représentent seulement 6,5 % en autorisations d'engagement (AE) et 3 % en crédits de paiement (CP) du volet patrimonial de ce plan. Dans la mesure où les collectivités territoriales, comme les propriétaires privés, devraient voir leur capacité financière se contracter en 2021 sous l'effet de la crise - repli des collectivités sur leurs dépenses obligatoires, pertes financières enregistrées par l'absence d'ouverture de leurs monuments - comment justifier que l'effort de l'État ne soit pas plus conséquent ? Enfin, afin de les inciter davantage à engager des travaux dans les mois à venir, certains suggèrent que l'État relève temporairement le taux de sa subvention aux travaux, même pour les opérations non éligibles au fonds incitatif et partenarial pour les petites communes. Quel regard portez-vous sur ces propositions ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je vais répondre à Mme Van Heghe sur le soutien à la presse quotidienne régionale et vais compléter mon propos. Les questions sont très nombreuses et tout le monde connaît l'importance de la presse quotidienne régionale (PQR) dans l'accès des citoyens à l'information. Le soutien de l'État à son égard est très fort, avec 2,9 millions d'euros d'aides au pluralisme pour la presse locale ainsi que l'aide au portage et le fonds stratégie qui lui profite largement. S'ajoute, dans le cadre du plan filière presse, un soutien exceptionnel de 50 millions d'euros sur 2 ans, pour le fonds stratégie et 36 millions d'euros pour la restructuration des imprimeries de la presse en région. C'est donc une aide plus que substantielle.

En réponse à Mme Sylvie Robert, la territorialisation du plan de relance est un enjeu qui m'a habitée pendant toute son élaboration. Sur le 1,6 milliard d'euros, hors 4 e programme d'investissements d'avenir (PIA4) dont on ne connaît pas encore les projets, 460 millions d'euros sont territorialisés, c'est-à-dire programmés région par région. Les crédits alloués aux filières qui se diffuseront sur l'ensemble du territoire - presse, cinéma, livres notamment - seront également suivis. Hors opérateur, on peut estimer que plus de 1 milliard d'euros sur les 1,6 bénéficieront directement aux territoires. Il ne suffit pas d'affecter de l'argent aux territoires, il faut que ce soit coordonné avec eux et qu'on ait des effets de levier des politiques de l'État, de concertations et parfois de codécisions. J'ai voulu que les collectivités territoriales soient pleinement associées à ces politiques de plan de relance, en réunissant le Conseil des territoires pour la culture (CTC) le 27 octobre dernier. Des CTC locaux seront réunis très prochainement. J'ai exigé que le rôle des DRAC, souvent mises de côté dans ces réunions globales, soit pris en compte. À chaque séance, le plan de relance sera évoqué comme la gestion de crise et ses conséquences sur la culture. Un suivi très fin de tout cela est nécessaire.

Vous m'avez posé une question, à laquelle je ne peux pas répondre, sur la date de sortie de la crise. Vous-même avez bien voulu en convenir. Je m'inscris résolument dans la préparation de la sortie de crise. Souvenez-vous, pendant le premier confinement, comme les répétitions n'avaient pas pu avoir lieu, lorsque la crise s'est desserrée, les spectacles n'étaient pas prêts - cela a considérablement affecté les festivals d'été. En autorisant les tournages et les répétitions, outre que j'alimente l'audiovisuel public et, pourquoi pas, d'autres types de médias pour leur diffusion, les spectacles seront prêts dès la fin du confinement et permettront la reprise du spectacle vivant. Il est important de réduire au maximum le délai de reprise des activités et de s'y préparer.

Vous pointez l'approche en silo du ministère de la culture, j'en conviens volontiers, c'est un diagnostic que je partage. C'est pourquoi j'ai voulu créer au ministère une nouvelle délégation générale aux territoires et à la transmission des politiques culturelles, avec la vocation de décloisonner les politiques et d'être un interlocuteur unique pour les acteurs des territoires, ce qui est souvent compliqué. L'objectif est aussi de décloisonner les pratiques patrimoniales ou traditionnelles et les cultures numériques nouvelles.

Les États généraux des festivals, dont vous avez souligné le succès, correspondaient aux besoins des acteurs de ces festivals de décompresser, de dire à quel point ils avaient souffert. Il fallait échanger dans ce domaine. Mon prédécesseur a, dès le 6 avril, mis en place une cellule d'accompagnement aux festivals et 10 millions d'euros de crédits complémentaires ont été ouverts dès juillet en soutien aux éditions annulées. On estime aujourd'hui que 300 organisateurs vont être soutenus dans tous les domaines. 5 millions d'euros supplémentaires alimenteront ce fonds d'urgence en 2021 dans le cadre du plan de relance. La crise a réinterrogé la façon dont l'État devait accompagner ces festivals et les ateliers tenus à Avignon ont abordé des thèmes nouveaux : la diversité, l'égalité hommes-femmes, le bénévolat, outre les questions classiques sur la territorialisation, les partenariats avec les collectivités territoriales, le mécénat... Tout a été envisagé, au cours de cette première période de diagnostic. Une nouvelle réunion avec les chefs des sept ateliers de ces États généraux envisagera des solutions concrètes. Rendez-vous est donné, en croisant les doigts, au printemps de Bourges, pour avancer des solutions concrètes et nous nous reverrons régulièrement car ce pilotage est à mener finement et de façon évolutive.

Les enjeux des écoles d'architecture sont tout à fait considérables. D'abord, en urgence, il fallait veiller à leur équipement numérique pour l'enseignement à distance et le besoin pour les vingt écoles sera couvert. À moyen terme, avec la bonne mise en oeuvre de la réforme de 2018, ces écoles doivent occuper une place centrale dans la définition et la diffusion des solutions pour la transition écologique et sociale des bâtiments. Cette réforme doit aller à son terme et accompagner les écoles en moyens financiers. Elles vont bénéficier des crédits importants que vous avez soulignés. La réunion de restitution du rapport que vous avez mentionné aura lieu prochainement et le rapport sera livré avant Noël.

L'impact de la crise sur les opérateurs est évidemment massif et nous y avons répondu amplement en nous adaptant à chaque situation. Le deuxième confinement crée une situation nouvelle dont nous sommes en train d'évaluer les conséquences. Les modèles d'aides déployés lors du premier confinement, comme les 115 millions d'euros consacrés à accompagner les pertes de billetteries liées au couvre-feu à partir de 21 heures, vont être remodelés pour aider les opérateurs de façon conforme aux exigences du confinement. Sans préjuger de ce qui se passera, le gouvernement est décidé à prolonger les mesures si le confinement se prolongeait, aussi bien en ce qui concerne l'intermittence ou le chômage partiel, autant que de besoin. Le ministre de l'économie et de la relance s'est plusieurs fois exprimé sur ce sujet.

Est-ce que les crédits seront suffisants ? Que coûte aux établissements cette prolongation du confinement, de l'interdiction de mener des spectacles à l'Opéra de Paris, de recevoir des visiteurs au musée du Louvre ou à Versailles ? Cela coûte 30 millions d'euros par mois pour l'ensemble des grands opérateurs, « vaisseaux amiraux » de notre culture. Ils seront accompagnés de la meilleure façon. Nous avons déjà donné des enveloppes extrêmement substantielles dont vous avez la liste, avec une palme au château de Versailles qui le mérite. Des efforts de gestion peuvent aussi sans doute être consentis par les opérateurs, avec une réflexion à mener, dossier par dossier.

Il me tient à coeur de revenir sur une sorte de débat récurrent qui oppose les financements engagés sur les grands opérateurs et les territoires. Je ne vois pas comment justifier cette opposition. Les grands opérateurs sont la marque de notre pays, reflets de notre histoire. Il est vrai que l'Opéra de Paris n'est pas à Montauban et le Louvre pas à Lengelsheim. Situés dans la capitale, ces grands opérateurs doivent être entretenus, valorisés, ils sont des produits d'appel considérables. Espérons que lorsque le tourisme aura repris, ils seront en bon état. Pour autant, ils ont un rôle d'animation des territoires colossal, avec, par exemple, le prêt d'oeuvres par le Louvre aux établissements territoriaux. Il faut sortir de ce débat stérile car, si on délaisse l'entretien du patrimoine et ne procède pas aux grandes réparations, les états de déshérence consécutifs coûteront beaucoup plus cher in fine .

Il y a un soutien significatif aux monuments historiques ne relevant pas de la responsabilité de l'État. Je voudrais là aussi sortir de l'idée reçue suivante : l'État croulerait sous l'argent et les collectivités territoriales seraient en difficulté. Pardon, tout le monde est à la peine dans ce domaine. Chacun fait un effort et essaie de gérer le mieux possible ses responsabilités. Le soutien de l'État à des opérations qui ne sont pas de sa responsabilité dans le cadre de la loi de décentralisation est massif. D'ailleurs, les collectivités territoriales nous accompagnent aussi dans un certain nombre d'opérations qui sont de notre ressort. Il faut parler de concertation dans une situation difficile. Plus de 170 millions d'euros ont été prévus pour les monuments historiques non-État, soit 70 % des crédits monuments historiques déconcentrés. Un effet de levier considérable est engendré qui multiplierait au moins par deux voire par trois les fonds. Dans le plan de relance, 40 millions d'euros en faveur des monuments historiques non-État pourraient générer 120 millions d'euros de travaux. J'espère qu'on les dépensera, ce qui n'est pas gagné car ces subventions ont souvent du mal à être consommées et engager des travaux pour un propriétaire privé ou une collectivité territoriale reste difficile à entreprendre, même avec un niveau de subvention important. Nous le suivrons ensemble.

Mme Sonia de la Provôté . - Merci, madame la ministre, de ce temps passé et de la qualité de vos réponses. Concernant le patrimoine, je veux rebondir sur ce que vous venez de dire. Pour les opérateurs de l'État, il s'agit d'un rebasage ou d'une sécurisation des budgets avec une vraie volonté de maintenir ou accompagner le mieux possible. Globalement, de l'avis de tous sur le terrain, ce sont plutôt les gros chantiers avec de gros budgets qui vont être accompagnés dans le plan de relance, car les petits chantiers sont plus difficilement identifiables. Ils ont cet avantage pourtant d'être diffus sur tout le territoire et surtout de concerner des entreprises locales. Cette remarque faite, pourrait-on imaginer, dans le cadre d'une loi de finances rectificative pour 2021, qu'une partie des crédits finance ce type de petites opérations de restauration et d'entretien tant elles sont nécessaires pour le patrimoine dans les territoires ?

Sur le fonds incitatif à destination des petites communes rurales, je souhaiterais une plus grande transparence sur l'usage des crédits, car j'ai le sentiment que certaines régions accompagnent mieux que d'autres et comme le montant des crédits reste modeste, très peu de chantiers sont accompagnés au final. Les pertes de recettes de mécénat vont avoir un impact important sur le secteur des patrimoines. Beaucoup de mécènes se réorientent vers d'autres priorités que le patrimoine et la culture. Nous devons anticiper une diminution au cours des deux prochaines années au moins. Est-ce que votre ministère a prévu des dispositions particulières pour favoriser le mécénat ou le flécher - plus particulièrement vers le patrimoine ? S'il fait défaut, beaucoup de monuments, petits et grands, vont en souffrir.

Je veux redire que l'assistance à maîtrise d'ouvrage qui n'est plus exercée par l'État est identifiée, par tous les acteurs, comme une des sources principales des difficultés pour mobiliser les crédits. En effet, les chantiers sont complexes, et le maire d'une petite commune ne peut pas trouver les moyens de mener à bien son projet. Le ministère de la culture est attendu à ce sujet. Je souhaite enfin réagir : je m'attendais à ce que le patrimoine non protégé ou vernaculaire, qui constitue une grande part du patrimoine de la France et de son identité, soit davantage pris en considération après le Loto du patrimoine. L'État ne devrait-il pas créer un fonds dédié, aider à son recensement et à sa restauration par le biais de programmations annuelles ? La feuille est mince entre le classement et le non-classement et, quelquefois, on ne classe pas pour ne pas avoir les contraintes du classement.

Sur la culture, je voulais intervenir sur la question des intermittents, que vous n'avez pas abordée. Est-ce que l'année blanche sera également prolongée et pour quelle durée ?

Les arts visuels ne sont pas la partie du programme « Création » la plus mise en avant. Ses artistes sont essentiellement accompagnés par le RSA en temps de crise, ils sont pourtant extrêmement présents et contribuent à l'accès à la culture dans tous les territoires. Je souhaiterais que le ministère fasse un effort particulier pour accompagner massivement la structuration de cette discipline, distincte du spectacle vivant : les parcours des artistes et les fonctionnements ne sont pas identiques. J'aimerais que les spécificités de cette filière soient mieux prises en compte dans le budget et le détail de ses mesures. J'insiste sur la nécessité de réévaluer peut-être les schémas d'orientation pour les arts visuels (SODAVI) qui, pour l'instant, n'ont pas réussi à la structurer.

Je me réjouis que les crédits d'impôts soient étendus à l'art dramatique, mais constate une discrimination peu compréhensible. En effet, il n'y a pas de hiérarchie entre les disciplines, nous en sommes d'accord, que sont l'art dramatique, les marionnettes, le cirque et la danse, par exemple. Aussi, je souhaiterais voir ce crédit étendu à toutes les disciplines, puisqu'aucune n'est prééminente sur l'autre, sauf à trouver une justification que je n'ai pas.

Au sujet du chômage partiel, je vous demande qu'il accompagne toutes les structures quel que soit leur statut, suivant l'objectif des PLFR de ne pas perdre ni structure ni lieu. Les structures publiques dont les employés ont pourtant des contrats de travail de droit privé se trouvent défavorisées, alors qu'elles sont essentielles pour prendre en charge les politiques culturelles.

Mme Marie-Pierre Monier . - Je voudrais attirer votre attention sur trois points particuliers du budget : les crédits sur les études et travaux sur les sites patrimoniaux remarquables dont la stagnation est préoccupante depuis 4 ans, la situation des crédits destinés à l'enrichissement des collections, en stagnation pour la 2 e année consécutive, et enfin l'archéologie, très impactée, avec des chantiers arrêtés au printemps et peu de budget dans le plan de relance. Je me réjouis du plan Musées et des moyens accordés à ce dispositif en faveur l'accès à la culture dans les territoires. Je reste néanmoins prudente car cela concerne des établissements disparates en moyens et en capacités de mobilisation autour de projets. Je souhaite que vous nous assuriez que, dans le cadre de ce plan Musées, ce seront prioritairement les musées qui en ont le plus besoin et non ceux qui, forts de leurs budgets disponibles, ont, déjà ou rapidement, des projets prêts à servir. Par rapport aux monuments historiques des collectivités, le fonds incitatif et partenarial en faveur des collectivités à faibles ressources est abondé de 5 millions d'euros supplémentaires et peut aussi bénéficier de 40 millions d'euros sur 2 ans au titre du plan de relance. Cependant, compte tenu des besoins en restauration et en entretien de ces monuments, je crains que cela soit insuffisant. Afin d'éviter des choix difficiles entre monuments, tous plus importants les uns que les autres, serait-il possible de pérenniser ce fonds à un niveau de 30 à 35 milliards d'euros à l'issue du plan de relance ?

M. Lucien Stanzione . - Ma question va dans le sens de l'intervention de notre collègue Sylvie Robert. Madame la ministre, vous êtes venue mi-octobre, en Avignon, pour ouvrir et animer les États généraux des Festivals. Vous avez annoncé un certain nombre de mesures financières pour soutenir le spectacle vivant dans le cadre du plan de relance. Avec la deuxième vague de la covid, allez-vous augmenter les aides au bénéfice de ce secteur en perdition ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre . - Effectivement, ce sont des questions très complètes, je réalise, à travers la catastrophe que nous traversons, que ce n'est jamais assez, sur tous les sujets. L'État a décidé de faire sauter toutes les limites habituelles et d'accompagner à la fois les opérateurs publics, privés, les collectivités territoriales et les personnes elles-mêmes dans leur parcours de vie d'une manière totalement inédite, en particulier pour la culture. Je comprends, partage souvent les interrogations et aimerais avoir le pouvoir d'augmenter les crédits à ma disposition. Nous avons, je crois, de mémoire, 44 000 monuments protégés dans notre pays, soit le patrimoine le plus conséquent du monde, avec des exigences budgétaires colossales. On n'en fera jamais assez, mais on en fait vraiment beaucoup.

Vous avez évoqué, à juste titre, le retrait du mécénat. Comment pourrait-il en être autrement ? Dans un contexte économique difficile, c'est la variable d'ajustement rêvée, malgré les aides fiscales massives données à ce mécénat. Le mécène n'est jamais couvert à 100 % par ces aides fiscales. Aucune mesure incitative ne pourra faire en sorte que cette variable d'ajustement ne soit pas réalisée par le mécénat, j'en conviens volontiers. Un certain nombre de maquettes financières, comme la réalisation de la salle modulable de l'Opéra de Paris avec 10 millions d'euros de mécénat, ne seront jamais réalisées. Ces maquettes financières doivent être revisitées à l'aune de ce que vous pointez avec acuité et dont je partage le diagnostic.

Concernant l'aide à la maîtrise d'ouvrage, il est important de préciser qu'elle est gratuite pour les propriétaires privés et les communes qui ne peuvent l'assumer, payante sinon, en tant que service. Pour rappel, ces dépenses peuvent être comptabilisées dans leurs demandes de subvention, ce qu'ignorent certains propriétaires. Les DRAC sont très attentives à l'enjeu d'accompagnement des maîtres d'ouvrage dans ce domaine.

Sur la très importante question sociale de l'intermittence et du chômage partiel, nous reverrons bien entendu les situations, autant que de besoin et si, au 31 décembre, la crise persiste, nous continuerons le chômage partiel. J'ajoute que certaines structures, dont des établissements subventionnés, qui auraient pu y avoir accès, ont choisi, sous pression salariale, de ne pas faire appel au chômage partiel, rémunéré à 84 %. Certains salariés ne voulaient pas de chômage partiel. On l'oublie quelquefois. J'aurais bien aimé, pour mon budget qu'ils fassent appel au chômage partiel, cela aurait permis de réaliser certaines économies sur les crédits du ministère. Ceci étant, d'autres établissements n'y ont pas droit par leur structure juridique. Peut-on le changer demain ? Je n'y verrai que des avantages pour les arguments que je viens de vous donner : certes, c'est toujours l'État qui paye mais on déporte la dépense du ministère de la culture vers le ministère du travail, restant, pour le contribuable, identique.

La problématique des arts visuels n'avait pas la même acuité que celle du spectacle vivant. Il y a des effets de stockages et de flux dans les arts visuels. Ils bénéficieront d'aides dans le cadre du soutien aux festivals, que ce soit pour les grands événements de la photographie et les petits événements.

J'avais déjà abordé l'archéologie dans mon intervention liminaire. Vous avez salué le plan Musées. Les crédits d'enrichissement des collections sont stables, c'est vrai : dans cette politique, nous avons stabilisé plusieurs lignes ne relevant pas de l'urgence. Quand nous serons dans une meilleure fortune, nous pourrons reprendre cette politique plus dynamique ensuite. Nos crédits sont actuellement fléchés sur tout ce qui concernait la survie, comme dans une famille en grande difficulté qui, plutôt que de changer de voiture, essaie de maintenir ce qui doit être maintenu.

Monsieur Stanzione, vous me demandez d'augmenter les aides au maximum : je mets toutes mes forces dans les négociations budgétaires pour obtenir le maximum et témoigne devant vous que ce combat a été entendu.

Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Au sujet de la réorientation du projet de restauration du Grand Palais à partir de la fin septembre, j'ai été rassurée partiellement uniquement, car j'aimerais savoir ce que signifie le terme de réorientation. J'ai bien noté, dans le PLF, la référence à l'importance de poursuivre les chantiers stratégiques déjà engagés et l'abondement de 10 millions d'euros sur le schéma directeur du Grand Palais. Mme Nyssen, ministre de la culture à l'époque, parlait de projet d'exception donnant au Grand Palais l'opportunité de s'inscrire de plain-pied dans le XXI e siècle. J'ai par ailleurs noté que M. Chatillon, architecte en chef des monuments historiques, a dit que l'époque des grands projets était peut-être révolue et il me semble, madame la ministre, avoir lu dans la presse que vous disiez que la pandémie remet en question l'idée même des grandes expositions. Les grands projets renforcent l'attractivité de notre pays, il ne faut pas en faire le deuil. Est-ce qu'il s'agit d'une restauration ou d'une transformation ? Le coût initial était de 466 millions d'euros, ce qui n'est pas rien, et j'ai lu que le nouveau projet aurait un coût identique avec un dédommagement du cabinet d'architectes qui a beaucoup travaillé sur le projet. Le Grand Palais sera-t-il prêt pour les Jeux Olympiques de 2024 comme prévu ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je ne souhaite absolument pas supprimer les grandes expositions qui sont constitutives de l'ADN du Grand Palais ! J'ai dit que le projet initial avec travaux d'excavation massive paraissait pharaonique. Le fait que le plan d'économie soit au même prix interpelle, mais la réactualisation des travaux portait le budget entre 550 et 580 millions d'euros. Par ailleurs, les façades et la statuaire du Grand Palais sont dégradées, sous filet, or ces travaux n'étaient pas compris dans le projet initial. Les 466 millions d'euros ont, par ailleurs, une réserve de précaution de 30 millions d'euros, soit 436 millions d'euros en réalité pour pouvoir être garantis dans la bonne marche du projet. Plus sobre, plus sûre, cette restauration profonde respectera ce qui était voulu, sous l'égide d'André Malraux par l'architecte Pierre Vivien, abandonnant les opérations lourdes tout en conservant des éléments d'origine. La maîtrise d'oeuvre sera confiée à l'architecte en chef des monuments historiques pour les missions de restauration des espaces d'origine. Le Grand Palais, qui contient Universcience, est plus grand que Versailles et constitue un élément structurant du paysage parisien, mais il est considérablement dégradé et présente des problèmes de sécurité importants. Pour assurer la sécurité financière, pendant sa fermeture de janvier 2021 à septembre 2024, les manifestations habituelles seront accueillies dans un Grand Palais éphémère, dont la structure est en cours d'installation sur le Champ de Mars, cofinancée par la Réunion des musées nationaux - Grand Palais (Rmn-GP) et le comité d'organisation des Jeux Olympiques (COJO). Le cheminement sera conservé, l'entrée gratuite et les services ouverts dans la rue centrale, une entrée à l'aspect végétalisé se trouvant sur le côté de la scène. Les crédits budgétaires s'élèvent à 123 millions d'euros, la subvention PIA3 à 160 millions d'euros, l'emprunt bancaire souscrit par la Rmn-GP à 150 millions d'euros, remboursés sur 25 ans, le mécénat Chanel à 25 millions d'euros ainsi que des partenariats et ressources propres à Universcience à hauteur de 8 millions d'euros. Je veux dire publiquement que l'abandon de la maîtrise d'oeuvre du cabinet d'architectes LAN ne constitue pas un acte de défiance ou de remise en cause des capacités de ce cabinet. Un appel à projet aura lieu pour ce nouveau projet. Le dédit à payer au cabinet ne majore pas la maquette financière et le cabinet LAN sera appelé à soumissionner s'il le souhaite. J'espère avoir été assez complète.

M. Laurent Lafon, président . - Je vous remercie, madame la ministre, pour les réponses précises que vous avez apportées à chacun des intervenants.


* 1 Dans le cadre du groupe de travail mis en place par la commission au moment du confinement, les mécanismes de la crise dans la presse avaient été plus précisément analysés : Rapport d'information de Mme Catherine Morin-Desailly, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication n° 667 (2019-2020) - 22 juillet 2020 - https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-667-notice.html

* 2 Le dernier consacré au projet de loi de finances pour 2020 : https://www.senat.fr/rap/a19-145-42/a19-145-42.html

* 3 https://www.senat.fr/rap/l18-501/l18-501.html

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