EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 18 NOVEMBRE 2020

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - J'aborderai successivement, dans le cadre de ce rapport pour avis sur les crédits alloués aux pouvoirs publics par le projet de loi de finances pour 2021, les budgets de la Présidence de la République, du Conseil constitutionnel et de la Cour de justice de la République. Ces crédits sont globalement très stables puisqu'ils s'élèvent à 993,9 millions d'euros, soit une baisse d'environ 0,05 % par rapport à l'année précédente.

Concernant la Présidence de la République, je ferai à nouveau une remarque liminaire : j'ai sollicité un entretien avec le directeur de cabinet de la Présidence de la République, lequel m'avait reçu à trois reprises avant 2019. Il a refusé de me recevoir pour la deuxième année consécutive, ce qui ne me semble pas conforme aux usages.

Les remarques que nous avions faites l'an dernier ont été prises en compte, ce qui montre l'utilité de nos rapports. La dotation annuelle allouée à la Présidence de la République est passée de 100 millions d'euros en 2017 à 103 millions en 2018 et 2019, puis à 105,316 millions en 2020. Pour 2021, la dotation devrait être de 105,3 millions d'euros, soit une très légère baisse de seize mille euros par rapport à l'année précédente, d'autant plus facile à réaliser que le budget annuel est plus élevé de cinq millions d'euros depuis deux ans . Pour ce qui est du contenu du budget de fonctionnement, de très sérieux efforts ont été faits. Les dépenses de personnels, comme les dépenses de déplacements - même si pour ces dernières c'est sans doute lié à la conjoncture sanitaire - sont davantage maitrisées.

Cette maitrise des dépenses doit d'autant plus être soulignée qu'elle n'a pas freiné la nécessaire hausse des dépenses liées à la sécurité. Pratiquement, la fusion entre le Groupe de sécurité de la Présidence de la République (GSPR) et ce qui relevait du commandement militaire a été effectuée. Cette rationalisation est d'autant plus légitime que tous ces personnels sont gérés par les ministères de l'intérieur et de la défense. La hausse des dépenses de sécurité apparaissait d'autant plus nécessaire que les vagues de contestations depuis deux mois contre la France et contre la personne du Président de la République se sont multipliées. Il serait donc irresponsable de ne pas consacrer ces sommes, que je qualifierais même d'indispensables, à la sécurité physique du Chef de l'État et à la protection contre les attaques informatiques.

S'agissant du Conseil constitutionnel, le budget pour 2021 est en baisse en raison de la non-reconduction de la dotation exceptionnelle qui avait été ouverte en 2020 pour assurer le suivi de la première initiative prise dans le cadre du « référendum d'initiative partagée », mécanisme prévu à l'article 11 de la Constitution. Si l'on fait abstraction des 765 000 euros qui ont été nécessaires pour suivre le recueil des soutiens, le budget du Conseil constitutionnel est en réalité presque reconduit à l'identique.

Ce rapport est ainsi l'occasion de revenir sur la rédaction de l'article 11 qui n'est pas satisfaisante. Je soupçonne même que sa rédaction vise volontairement à ne jamais permettre l'application du mécanisme. Je vous en parle d'autant plus librement que j'avais été rapporteur de la loi organique relative à l'article 11 de la Constitution, laquelle est certes parfaitement conforme à notre norme suprême mais ne permet pas, pas plus que le texte constitutionnel en tout cas, de voir un jour le mécanisme aboutir à la tenue d'un référendum : d'abord le seuil exigé de 4,7 millions de soutiens est trop élevé ; ensuite, si ce seuil était par extraordinaire atteint, il n'aurait aucune chance de déboucher sur un référendum, puisqu'il faudrait pour cela qu'aucune des deux assemblées parlementaires n'examine le texte dans un délai de six mois. Autrement dit, il suffit à tout groupe d'une des deux assemblées parlementaires d'utiliser son droit de tirage et d'inscrire le texte à l'ordre du jour d'une chambre pour que le référendum n'ait jamais lieu. Je souhaite donc inscrire dans le rapport qu'on peut, à tout le moins, réfléchir au devenir de ce mécanisme. Le président du Conseil constitutionnel, M. Laurent Fabius, et son secrétaire général, M. Jean Maïa, ont évoqué cette question lorsqu'ils m'ont reçu : ils estiment que le site Internet sur lequel le recueil des soutiens s'opère manque d'ergonomie. Par ailleurs, une réflexion devrait être engagée sur une meilleure publicité autour du mécanisme lorsqu'il est utilisé. La proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aérodromes de Paris avait tout de même recueilli 1 093 030 soutiens, alors qu'on en a très peu parlé.

Le deuxième point important relatif au Conseil constitutionnel touche au dixième anniversaire de la QPC, à laquelle le Conseil constitutionnel a consacré le dernier hors-série de sa revue « titre VII » le mois dernier : le Conseil constitutionnel souhaite ouvrir, en 2021, le chantier d'un véritable dispositif de suivi de la procédure de QPC à l'échelle nationale, prenant en compte l'ensemble du processus, depuis les premières juridictions saisies jusqu'à lui. Une cellule dédiée au sein du secrétariat général sera constituée pour un coût estimé à 300 000 euros. Je soutiens pleinement une telle initiative. En effet, le Conseil constitutionnel n'est pas le seul acteur à intervenir dans le mécanisme de la QPC : les juridictions des deux ordres juridictionnels, les avocats et bien sûr les justiciables se sont appropriés le mécanisme. Le Conseil souhaite désormais aller plus loin en analysant de manière plus approfondie à cette occasion les caractéristiques au sens large de la QPC : dans quelle mesure les avocats encouragent-ils leurs clients à y recourir ? Existe-t-il des zones géographiques plus enclines à soulever des QPC ? Pourquoi le contentieux en matière fiscale donne-t-il lieu à un nombre de QPC si important alors que le droit du travail, par exemple, entraîne nettement moins de QPC ? Quelle est la typologie des QPC qui « n'atteignent pas » le Conseil constitutionnel ? Il sera particulièrement bienvenu, pour le Conseil constitutionnel, de bénéficier de cette vue d'ensemble de la QPC, le cas échéant pour suggérer au législateur de formuler des propositions.

J'ai également eu l'occasion de m'entretenir avec le président Fabius de la question des irrecevabilités des amendements parlementaires, dont les critères ont varié dans le temps.

Enfin, en janvier et février 2021, la formation de jugement de la Cour de justice de la République (CJR) devrait se réunir pour juger M. Édouard Balladur, ancien premier ministre, et M. François Léotard, ancien ministre de la Défense, dans le volet financier lié à l'attentat de Karachi en 2002. Comme tous les procès devant la CJR, cela devrait entrainer un coût approximatif de 71 500 euros.

Par ailleurs, la volonté de déplacer des différends du terrain de l'opportunité politique vers le terrain judiciaire s'est amplifiée, ce qui conduit à une hausse considérable de l'activité de la CJR. Au 12 novembre 2020, la Cour était saisie de 178 plaintes, dont 113 plaintes ont été déposées en rapport avec la Covid-19 et 13 affaires étaient en cours d'instruction. Pour 2021, la CJR estime à environ 200 000 euros la hausse des frais de justice afférente pour l'année 2021. Cette augmentation sera financée par le report du solde de la dotation non consommée au titre de l'année 2020, report qui a été autorisé par la direction du budget. La CJR est ainsi le seul des pouvoirs publics relevant de la présente mission dont le budget est négativement altéré, au global, par la crise sanitaire et la stabilité de sa dotation pour 2021 n'est possible que grâce à la bonne gestion des années passées.

Je vous propose donc, nonobstant certaines remarques formulées à titre liminaire, d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « pouvoirs publics ».

M. Patrick Kanner . - Nous partageons le point de vue de Jean-Pierre Sueur lorsqu'il propose un avis favorable sur l'adoption de ces crédits, par ailleurs très stables.

Je souhaite juste formuler une remarque de forme sur le caractère désobligeant de la non-réception du rapporteur désigné par notre commission par le directeur de cabinet de la Présidence de la république. Chacun connaît le différend qui a conduit à cette situation il y a maintenant plus d'un an et dont le caractère épidermique aurait pu se résoudre à l'occasion d'un tel entretien. Je le regrette et je pense que cette situation mériterait d'être signalée au président du Sénat afin de trouver une issue.

Sur la forme, notre rapporteur, par ailleurs Questeur du Sénat, n'a pas abordé le budget des assemblées parlementaires et de « la Chaîne parlementaire ». La dotation des deux assemblées est gelée depuis 2012, ce qui représente un effort considérable. Les deux assemblées parlementaires coûtent au total moins d'un milliard d'euros, ce qui par habitant et en comparaison des autres démocraties est peu élevé. La dotation de « La Chaîne parlementaire » est, elle-aussi, stable, alors qu'en parallèle l'audimat ne cesse d'augmenter, cela grâce à des programmes de qualité tant sur Public Sénat que sur LCP-Assemblée nationale.

M. François-Noël Buffet , président . - J'adresserai au nom de notre commission un courrier afin de faire part de notre insatisfaction au regard de cette situation : le rapporteur pour avis au nom de notre commission doit être reçu par le directeur de cabinet du Président de la République s'il le demande. Après tout, il ne fait que son travail.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2021 à la mission « pouvoirs publics ».

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