D. LES MODALITÉS DE RÉPARTITION DES DOTATIONS D'INVESTISSEMENT DEMEURENT PERFECTIBLES

1. La DETR, une dotation dont la réforme reste à faire

La dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), qui représente en 2021 un montant stable de 1,046 milliard d'euros, est une dotation attribuée sous forme de subventions aux communes et EPCI « en vue de la réalisation d'investissements, ainsi que de projets dans le domaine économique, social, environnemental, sportif et touristique ou favorisant le développement ou le maintien des services publics en milieu rural » 35 ( * ) . Les modalités de sa répartition posent deux séries de difficultés :

- au moment de sa répartition en enveloppes départementales ;

- au moment de l'attribution par le préfet de département des subventions aux projets éligibles.

a) La répartition en enveloppes départementales

En premier lieu, la dotation est répartie en enveloppes départementales selon des critères fixés par le législateur.

La répartition en enveloppes départementales de la DETR

Les critères actuels de répartition de la DETR en enveloppes départementales sont définis à l'article L. 2334-35 du code général des collectivités territoriales. Cette répartition se déroule en deux temps :

- une quote-part est d'abord constituée au profit des circonscriptions territoriales de Wallis-et-Futuna, des communes ainsi que des groupements de communes des collectivités d'outre-mer et de Nouvelle-Calédonie ;

- une fois cette quote-part retranchée du montant total, les crédits sont répartis en quatre sous-enveloppes représentant chacune un quart des crédits : la première est basée sur la population des EPCI éligibles, la deuxième sur leur potentiel fiscal, la troisième sur la densité départementale et la quatrième sur le potentiel financier des communes éligibles.

Les critères de répartition ne permettent pas une prise en compte adéquate de la ruralité des territoires concernés 36 ( * ) . Face à ce constat largement partagé, l'article 258 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 a prévu un gel des enveloppes départementales de DETR pour l'année 2020 afin d'évaluer avec sérénité les pistes d'évolution possibles et une mission d'information, présidée par Jean-René Cazeneuve et dont la rapporteure est Christine Pirès Beaune, a été créée par la commission des finances de l'Assemblée nationale.

Ses premières conclusions sont reflétées par l'article 59 , qui prévoit de recentrer la répartition de la DETR sur les départements dont les territoires sont les plus ruraux, en procédant à deux modifications :

- pour la détermination de la première sous-enveloppe relative aux EPCI éligibles, ne compter que les communes qui, au sein de ces EPCI, sont considérées comme des communes rurales par l'Insee ;

- limiter la variation annuelle des enveloppes départementales, actuellement de 5 %, à seulement 3 % du montant de l'année précédente 37 ( * ) .

Bienvenues, ces modifications pourraient néanmoins s'avérer insuffisantes pour recentrer effectivement la dotation sur les territoires ruraux . Le rapporteur appelle donc à la poursuite des travaux sur cette question , qui ne sauraient en l'état offrir une réponse entièrement satisfaisante aux difficultés posées par la ventilation en enveloppes départementales de la DETR.

b) La répartition entre projets décidée par le préfet de département

En second lieu, le mode d'attribution par le préfet de département des crédits qui lui sont alloués semble perfectible . Une proposition de loi visant à réformer la procédure d'octroi de la DETR, déposée par Hervé Maurey et adoptée par le Sénat le 22 octobre, a prévu diverses modifications, dont :

- l'abaissement de 100 000 à 80 000 euros du montant de subvention proposé par le préfet au-delà duquel une saisine pour avis de la commission d'élus est requise ;

- une obligation de motivation des refus d'attribution de subvention ;

- la présentation par le préfet à la commission d'élus, en fin d'année, d'un bilan des crédits consommés et des crédits non affectés ainsi que diverses obligations d'information de la commission sur les décisions prises par le préfet.

Ces trois évolutions, qui se fondent sur des constats déjà formulés par le rapporteur, recueillent son avis favorable.

2. Souples, les modalités de répartition de la DSIL et de la DSID doivent garantir l'information et l'association des élus

Les modalités de répartition de la DSIL posent deux difficultés distinctes : d'une part, les objectifs fixés par le législateur ne semblent pas toujours prévaloir dans les décisions d'attribution ; d'autre part, les modalités de répartition ne semblent pas faire l'objet d'une transparence et d'une association adéquates des collectivités territoriales . Déjà évoquées par le rapporteur l'année précédente 38 ( * ) , ces critiques voient leur actualité renouvelée alors qu'une part exceptionnelle de DSIL d'un milliard d'euros constitue le volet de soutien à l'investissement local du plan de relance présenté par le Gouvernement (voir ci-dessus).

En premier lieu, la répartition effective de la DSIL semble parfois insuffisamment correspondre aux objectifs fixés par le législateur . Ceux-ci sont définis à l'article L. 2334-42 du code général des collectivités territoriales et prévoient deux grandes catégories de priorités :

- d'une part, six objectifs limitativement définis : rénovation thermique, transition énergétique, développement des énergies renouvelables ; mise aux normes et de sécurisation des équipements publics ; développement d'infrastructures en faveur de la mobilité ou de la construction de logements ; développement du numérique et de la téléphonie mobile ; création, transformation et rénovation des bâtiments scolaires ; réalisation d'hébergements et d'équipements publics rendus nécessaires par l'accroissement du nombre d'habitants ;

- d'autre part, l'ensemble des « opérations visant au développement des territoires ruraux inscrites dans un contrat signé » entre le préfet et la commune ou l'EPCI concerné.

À ces objectifs s'ajoutent des priorités définies chaque année par le Gouvernement , généralement dans le cadre de la circulaire « dotations d'investissement » adoptée en début d'année .

Il est à cet égard parfaitement compréhensible que le Gouvernement, dans le respect du cadre fixé par le législateur, rappelle aux préfets les priorités qu'il poursuit, afin que ceux-ci en tiennent compte dans le cadre de l'attribution des dotations . Néanmoins, cette priorisation des projets au profit de ceux s'inscrivant dans les objectifs poursuivis par le Gouvernement nuit de manière très regrettable à l'esprit de déconcentration censé dicter l'attribution de la DSIL 39 ( * ) . Comme le rapporteur l'avait déjà relevé lors de l'exercice précédent, il en va ainsi du pré-fléchage de 35 % de la dotation vers des projets s'inscrivant dans l'axe « accélération de la transition écologique » du « Grand plan d'investissement » (GPI), pour lequel le rapporteur n'a été en mesure de trouver aucun fondement juridique ou budgétaire. Par ailleurs, le rapporteur tient à réitérer son opposition au mécanisme de « bonus », pour les collectivités ayant respecté leur contrat dit « de Cahors », prélevé sur l'enveloppe de DSIL. Insuffisamment encadré, il devra faire l'objet d'une révision dans le cadre de la prochaine loi de programmation des finances publiques 40 ( * ) .

En ce qui concerne la part de DSIL exceptionnelle, les priorités retenues par le Gouvernement, à savoir les projets ayant trait à la transition écologique, ceux visant à promouvoir la « résilience sanitaire » et ceux visant à soutenir la préservation du patrimoine public, ne correspondent qu'imparfaitement aux objectifs définis par le législateur . Sans préjuger de leur opportunité, ces priorités appellent deux remarques :

- d'une part, l'articulation des subventions versées au titre des projets en faveur de la transition écologique avec celles déjà versées au titre de la DSIL « ordinaire » (qui sont censés représenter 35 % au moins de celle-ci) pourrait poser question ;

- d'autre part, les projets promouvant la résilience sanitaire semblent difficilement correspondre aux objectifs définis par le législateur . Dans les faits, ces projets pourront vraisemblablement se rattacher aux priorités « mise aux normes et de sécurisation des équipements publics » ou « réalisation d'hébergements et d'équipements publics rendus nécessaires par l'accroissement du nombre d'habitants » 41 ( * ) , mais la pertinence de l'ajout d'une telle priorité, sans rapport direct avec les objectifs définis par le législateur , semble contestable sur le plan technique.

En second lieu, le maintien de modes d'attribution distincts entre DETR et DSIL semble de moins en moins pertinent, pour trois raisons . Premièrement, bien que l'arrêté d'attribution soit signé par le préfet de région, l'instruction des dossiers et la construction de la décision d'attribution reviennent largement aux préfets de département dans les faits. Deuxièmement, le Gouvernement justifie ces modalités d'attribution différentes par la différence de nature entre la DETR et la DSIL, celle-ci ayant vocation à financer des projets qualifiés de « structurants ». Néanmoins, le montant moyen de subvention au titre de la DETR ne cesse d'augmenter (41 411 euros en 2016 contre 48 219 euros en 2019) tandis que celui au titre de la DSIL a nettement diminué depuis 2016 (166 221 euros en 2016 contre 138 327 euros en 2019) : à terme, un rapprochement des modalités d'attribution pourrait donc être envisagé . Enfin, les modalités d'attribution de la DETR permettent une meilleure association des collectivités territoriales concernées à la procédure de subvention . Si les modalités d'attribution de la DSIL offrent aux services de l'État une souplesse de gestion bienvenue, ce gain d'agilité se paie inévitablement d'un défaut d'association des collectivités concernées.

Pour l'ensemble de ces raisons, la commission des lois a adopté deux amendements n os II-610 et II.-611, sur proposition du rapporteur, tendant à assurer une meilleure association des collectivités territoriales à l'attribution des subventions au titre de la DSIL et déjà adoptés à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2020 :

- prenant acte des similitudes entre la DETR et la DSIL, cette dernière serait désormais constituée de deux parts, l'une (égale à 20 % du montant total de la dotation) restant entre les mains des préfets de région, l'autre (égale à 80 % du total) répartie selon des modalités similaires à celles de la DETR par les préfets de département , qui connaissent mieux les besoins du terrain et sont déjà de facto chargés de la répartition de la dotation. Le préfet de région continuerait à répartir 20 % des crédits de la DSIL, ce qui lui permettrait, le cas échéant, de financer des projets d'ampleur régionale et d'opérer une forme de redistribution entre départements d'inégale richesse ;

- le second amendement, de repli, créerait une instance de suivi permettant, en premier lieu, de favoriser d'éventuelles synergies entre les différentes dotations et de mieux coordonner l'effort de l'État de soutien à l'investissement des collectivités territoriales et, en second lieu, de mieux associer les élus locaux aux décisions d'attribution de subvention de la DETR, la DPV, la DSIL et la DSID.

Enfin, en ce qui concerne la seule DSID, la commission a adopté, sur proposition de son rapporteur, un amendement n° II-609 qu'elle avait déjà adopté à l'occasion de l'examen du précédent projet de loi de finances, tendant, d'une part, à associer les présidents de conseils départementaux aux attributions de subvention au titre de la part « projet » de la DSID et, d'autre part, à f avoriser l'information du public et des autres élus du territoire sur les attributions par la publication sur le site Internet de la préfecture de région des décisions de subvention.

* *

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Au bénéfice de ces observations, la commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la mission « Relations avec les collectivités territoriales » inscrits au projet de loi de finances pour 2021 .

Les crédits de cette mission seront examinés en séance publique le 2 décembre 2020.


* 35 Article L. 2334-36 du code général des collectivités territoriales.

* 36 Il serait néanmoins inexact de soutenir que la DETR n'est pas effectivement dirigée en priorité vers les territoires ruraux. À titre d'exemple, des départements franciliens particulièrement urbains comme Paris (0 euro de dotation), les Hauts-de-Seine (109 692,84 euros, soit 0,01 % du total de la dotation) ou la Seine-Saint-Denis (301 344,06 euros de dotation, soit 0,03 % du montant total de la dotation) touchent des montants mineurs ; à l'inverse, des départements ruraux tels que la Lozère (15 184 703,05 euros de dotation, soit 1,48 % du total) ou la Meuse (14 764 414,00 euros de dotation, soit 1,44 % du total) touchent une part plus importante du total de la dotation.

* 37 Ce faisant, les évolutions résultant de la première modification prévue par l'article 59 verraient leur effet lissé dans le temps.

* 38 Voir à cet égard l'avis n° 146, tome XII (2019-2020), portant sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, déposé le 21 novembre 2019, pp. 43 à 47

* 39 L'ambiguïté de l'exercice consistant pour le Gouvernement en la définition de priorités au sein d'un cadre fixé par le législateur apparaît d'ailleurs au sein de la circulaire du 14 janvier 2020 relative aux dotations et fonds de soutien à l'investissement en faveur des territoires en 2020, qui prévoit en sa page 2 : « la DSIL, gérée au niveau régional, finance des opérations qui s'inscrivent dans le cadre de grandes priorités thématiques définies dans la loi. Celles-ci sont suffisamment larges pour s'adapter aux besoins locaux, mais doivent permettre de faire progresser les politiques publiques prioritaires du Gouvernement en faveur de la cohésion des territoires. »

* 40 Pour de plus amples développements sur ces deux sujets, se référer à la deuxième partie de l'avis n° 146 (2019-2020) sur la même mission budgétaire.

* 41 Ces projets devraient essentiellement concerner la construction ou la rénovation de maisons de santé.

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