N° 649

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er juin 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ,

Par Mme Christine LAVARDE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Mme Nadine Bellurot, M. Christian Bilhac, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

3875 rect., 3995 et T.A. 602

Sénat :

551 , 634 et 635 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Réunie le 1 er juin 2021 sous la présidence de M. Claude Raynal, président la commission des finances a examiné l'avis de Mme Christine Lavarde sur le projet de loi n° 551 (2020-2021) portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets .

Au sein du titre III « se déplacer » la commission des finances s'est saisie pour avis des articles 25, 25 bis , 30, 32, et 35, portant sur la transition écologique des véhicules, le transport routier de marchandises et le secteur aérien. Au sein du titre V « se nourrir », la commission des finances s'est saisie pour avis de l'article 60 bis , 62 et 63 sur le chèque alimentation durable et une redevance sur les engrais minéraux azotés.

I. LA COMMISSION DES FINANCES A SOUHAITÉ TRADUIRE CONCRÈTEMENT UN « SOUTIEN RENFORCÉ » À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE VERS LES MOBILITÉS PROPRES, NÉCESSAIRE POUR ACCOMPAGNER DES OBJECTIFS PROGRAMMATIQUES QUI N'ONT PAS FAIT L'OBJET D'UNE ÉVALUATION SUFFISAMMENT SÉRIEUSE

A. EN MATIÈRE DE TRANSPORT, LE PROJET DE LOI PORTE DES DISPOSITIONS ET DES OBJECTIFS PROGRAMMATIQUES DONT LES CONSÉQUENCES SOCIO-ÉCONOMIQUES N'ONT PAS ÉTÉ SUFFISAMMENT ÉVALUÉES

1. Des mesures concrètes devront accompagner les nouveaux objectifs fixés par la loi en termes de transition énergétique vers des mobilités moins polluantes

La transition énergétique du parc des véhicules particuliers est une nécessité et doit être encouragée de façon volontariste. L'article 25 enrichit notamment l'article 73 de la loi d'orientation des mobilités (LOM) d' un objectif de fin de vente, d'ici 2030, des voitures particulières neuves émettant plus de 95gCO 2 /km. Le rapporteur regrette le caractère très évasif de l'étude d'impact . Cette étude signale « qu'il n'est pas exclu qu'une telle mesure ait un impact (...) sur l'emploi dans le secteur automobile français » . Le secteur automobile représente environ 400 000 emplois en France. Les gains environnementaux attendus sont estimés dans une fourchette allant de 80 000 à 300 000 tonnes de CO 2 par an. Nos voisins européens n'ont pas pris d'objectifs similaires de fin de vente de certaines catégories de véhicules en fonction de leur niveau d'émissions.

Pour accompagner les objectifs fixés au secteur, le gouvernement doit d'une part concrétiser ses promesses de soutien renforcé et, d'autre part, garantir un développement suffisamment étendu et rapide du réseau de bornes de recharge et d'avitaillement. Le Gouvernement a amendé l'article 25 pour prendre des engagements de soutiens aux véhicules propres, d'extension de la prime à la conversion ou encore de renforcement du soutien au rétrofit . Tous ces engagements doivent être traduits concrètement. Les diminutions programmées du bonus écologique en juillet 2021 puis en janvier 2022 semblent en contradiction avec les engagements affichés par le gouvernement dans le projet de loi.

2. En raison de la fragilité du secteur, la transition énergétique et l'évolution de la fiscalité pesant sur le transport routier de marchandises doivent être conduites avec discernement et en ayant une vision suffisamment précise des perspectives d'offre et de réseaux d'avitaillement en énergies alternatives au gazole

L'article 25 propose un objectif de fin de vente, d'ici 2040, des véhicules lourds utilisant majoritairement des énergies fossiles . La trajectoire de disponibilité d'une offre suffisamment massive de véhicules propres à des coûts abordables reste à confirmer par les conclusions définitives de la « task force camions propres ». Ces conclusions devraient également conditionner l'objectif de suppression du tarif réduit de TICPE sur le gazole routier du transport de marchandises fixé à 2030. Pour ne pas nuire à la compétitivité d'un secteur fragile, composé majoritairement de PME et très exposé à la concurrence intra-européenne, il n'est pas raisonnable de laisser penser que cet objectif puisse être atteint sans une convergence de la fiscalité européenne .

La contribution spéciale régionale sur le transport routier de marchandises envisagée à l'article 32 est lourde d'incertitudes . Elle divise les régions et pourrait conduire à une situation d'une inextricable complexité , source de multiples effets contreproductifs , reports de trafics incontrôlés et de menaces pour l'équilibre économique des transporteurs routiers français.

3. L'évolution de la tarification carbone du transport aérien doit être envisagée, à minima, au niveau européen et garantir une bonne articulation des dispositifs existants ou en devenir

Pour ne pas menacer la compétitivité du secteur, l'objectif d'un prix du carbone suffisant pour le transport aérien ne peut passer que par un dispositif européen. La solution pourrait venir d'une réforme du marché d'échanges de quotas d'émissions européens et doit s'accompagner d'un soutien renforcé à la transition énergétique de l'aérien, en particulier pour développer les carburants d'aviation durables.

B. LA COMMISSION DES FINANCES A EU LE SOUCI DE TRADUIRE DE FAÇON CONCRÈTE LES ENGAGEMENTS DE SOUTIEN RENFORCÉ À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE AFFICHÉS DANS LE PROJET DE LOI

1. Les soutiens au renouvellement des parcs de véhicules doivent être renforcés pour accompagner et stimuler la transition énergétique du transport routier

Les aides à l'acquisition de véhicules propres présentent des insuffisances et ne permettent pas de couvrir le surcoût à l'achat. Pour les plus modestes, le micro-crédit est peu efficace. Le Gouvernement a reconnu l'inadaptation des aides dédiées à l'acquisition de véhicules utilitaires légers propres. Enfin, si le dispositif de suramortissement a prouvé son efficacité , il n'en va pas de même du bonus à l'acquisition de poids lourds électriques et hydrogènes qui s'est révélé parfaitement inopérant.

En conséquence, la commission a adopté des amendements pour créer des prêts à taux zéro pour l'achat de véhicule légers peu polluants ( COM-1929 ) et de véhicules lourds à motorisations alternatives au gazole ( COM-1934 ) ainsi que pour prolonger le dispositif de suramortissement en faveur de l'acquisition de poids lourds à motorisations alternatives au gazole ( COM-1931 ).

2. Dès lors que le projet de loi fixe des objectifs programmatiques sans en avoir évalué sérieusement les conséquences, voire même le caractère réaliste, ces objectifs doivent être conditionnés à la démonstration à la fois de leur faisabilité technologique mais aussi de leur soutenabilité économique pour des secteurs fragilisés

Il est regrettable que l'objectif de suppression, d'ici 2030, du tarif réduit de TICPE au bénéfice des transporteurs routiers soit fixé avant même de savoir si l'offre de camions et les réseaux d'avitaillement permettraient un renouvellement significatif des flottes à cette date. Ce travail est actuellement conduit par la « task force camions propres ».

En conséquence, la commission a adopté un amendement COM-1930 qui vise à préciser que l'objectif d'une suppression, d'ici 2030, du tarif réduit de TICPE sur le gazole du transport routier de marchandises sera conditionné à la disponibilité effective et attestée d'une offre de véhicules lourds propres et d'un réseau d'avitaillements suffisants.

II. EN MATIÈRE D'AGROÉCOLOGIE, FACE À L'ABSENCE DE MESURES CONCRÈTES CONTENUES DANS LE PROJET DE LOI, LA COMMISSION DES FINANCES PROPOSE L'ACCOMPAGNEMENT DES AGRICULTEURS PAR L'ÉTAT, DANS LE CADRE D'UNE TRANSITION INDISPENSABLE

A. LE CHÈQUE ALIMENTAIRE : UN DISPOSITIF DONT LES CONTOURS RESTENT FLOUS ET AUX ENJEUX BUDGÉTAIRES INCONNUS

1. L'article 60 bis propose la remise au Parlement de deux rapports sur le dispositif

L'une des propositions de la convention citoyenne consiste à mettre en place des chèques alimentaires pour les ménages modestes, à utiliser pour l'achat de produits durables, issus de l'agroécologie ou des circuits courts.

L'article 60 bis du projet de loi, qui résulte d'un amendement adopté par la commission spéciale de l'Assemblée nationale, prévoit uniquement la remise par le Gouvernement au Parlement de deux rapports , le premier dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, portant sur les délais et modalités d'instauration du chèque, le second dans un délai de six mois, afin d'évoquer les conditions de la mise en oeuvre de ce chèque (les personnes bénéficiaires, les produits éligibles, la valeur faciale, la durée et le financement).

2. Un dispositif aux contours très flous et sur l'opportunité duquel il est difficile de se prononcer compte tenu de l'absence de données quant à son coût pour l'État

Avec ce dispositif, le Gouvernement entend poursuivre plusieurs objectifs : structurer les filières agricoles, améliorer l'impact de l'agriculture sur l'environnement et réduire les inégalités sociales et nutritionnelles. La commission des finances est réservée sur la capacité d'un tel dispositif à structurer les filières agricoles au niveau local : afin de respecter les règles de la concurrence européenne, il ne pourra être donné d'avantages à certains types de commerces par exemple, ni aux produits spécifiquement d'origine française.

Par ailleurs, plusieurs possibilités restent envisagées à ce jour, s'agissant tant des bénéficiaires du chèque (le public des 18-25 ans a pu être évoqué), selon le niveau de revenus et la composition des foyers, que de ses modalités de distribution et des produits éligibles. Il est par conséquent impossible de se prononcer sur le coût du dispositif, qui n'a d'ailleurs pas fait l'objet d'arbitrage budgétaire , dès lors qu'il dépend du public cible, des produits éligibles, du montant et de la fréquence de versement du chèque, informations renvoyées aux rapports. Selon les hypothèses, le coût du dispositif varie entre quelques centaines de millions d'euros à 1 ou 2 milliards d'euros annuels, un coût qu'il est difficilement envisageable de faire porter par le seul budget du ministère de l'agriculture et de l'alimentation.

B. SI LE PROJET DE LOI ENVISAGE LA MISE EN PLACE D'UNE REDEVANCE SUR LES ENGRAIS AZOTÉS, LA COMMISSION DES FINANCES CONSIDÈRE QU'UNE TELLE INITIATIVE DOIT RELEVER DU NIVEAU EUROPÉEN ET PROPOSE LA MISE EN PLACE D'UN PLAN D'ACCOMPAGNEMENT DES AGRICULTEURS DANS UNE TRANSITION INDISPENSABLE

1. Le projet de loi envisage une taxation des engrais minéraux azotés si plusieurs conditions ne sont pas respectées

Si les matières fertilisantes sont des intrants indispensables à l'agriculture, les émissions d'azote qui les accompagnent sous forme minérale dans l'environnement comportent de nombreux effets . La transformation de l'azote dans l'air agit ainsi sur le réchauffement global de l'atmosphère, en émettant du protoxyde d'azote (N20), un puissant gaz à effet de serre, mais a également un impact important sur la qualité de l'air , générant des oxydes d'azote (NOX) et de l'ammoniac (NH 3 ), des polluants atmosphériques. Ainsi, 94 % des émissions d'ammoniac et 88 % des émissions de protoxyde d'azote en France sont d'origine agricole . Compte tenu de leur impact sur l'environnement, des objectifs de réduction d'émissions de protoxyde d'azote et d'ammoniac sont fixés aux niveaux européen et national. Les cibles fixées semblent toutefois inatteignables en l'absence de mesures supplémentaires.

L'article 62 du projet de loi indique qu'il est envisagé de mettre en place une redevance sur les engrais azotés minéraux si, pendant deux années consécutives, les objectifs annuels de réduction d'émissions définis par décret (décret instauré par l'article 63) n'ont pas été tenus et sous réserve de l'absence de dispositions équivalentes dans le droit de l'Union européenne. Il prévoit également la remise d'un rapport au Parlement dans un délai d'un an afin de déterminer les modalités de mise en oeuvre de cette éventuelle taxation (taux, assiette, affectation des recettes, etc.).

L'article 63 prévoit en outre la remise d'un autre rapport annuel au Parlement sur le respect des objectifs annuels de réduction d'émissions. Au-delà de la capacité des services à produire un tel rapport, une fréquence annuelle de mesure des émissions ne permettrait pas de refléter les changements de pratiques des agriculteurs.

En conséquence, la commission a adopté un amendement COM-1933 qui supprime la remise de ce rapport annuel, et propose la fixation d'une trajectoire pluriannuelle de réduction des émissions, déclinée par des objectifs annuels .

2. Compte tenu des échecs des taxations nationales mises en place en Europe sur ce sujet, la commission des finances estime que la taxation des engrais azotés doit résulter d'une initiative européenne et prévoit un plan d'accompagnement des agriculteurs dans une transition indispensable

D'abord, l'efficacité d'une telle taxation des engrais minéraux sur la réduction des émissions reste incertaine, la demande d'engrais azotée étant globalement peu sensible aux variations de prix des engrais. En revanche, il est certain que cette redevance entraînerait une baisse de l'excédent brut d'exploitation du secteur agricole.

La taxation de l'azote, soit via les engrais minéraux, soit via le surplus d'azote, a pu exister par le passé dans certains pays d'Europe du Nord (Finlande en 1976, Suède en 1985, Autriche en 1986, Norvège en 1988, puis plus récemment Danemark en 1998 et Pays-Bas en 1998), mais elle a été abandonnée pour différentes raisons (intégration dans l'Union européenne, crise agricole, manque d'efficacité, etc.). Ainsi, compte tenu des échecs des taxations nationales en Europe sur ce sujet, la commission des finances considère que l'initiative d'une telle taxation doit relever de l'Union européenne, afin de ne pas porter préjudice à la compétitivité de la « Ferme France » .

Toutefois, des leviers d'action restent à maximiser pour réduire les émissions d'ammoniac et de protoxyde d'azote, car des solutions agronomiques existent mais restent méconnues (substitution par des engrais organiques ou des matières fertilisantes moins émissives, utilisation d'équipements d'épandage moins émissifs,...). Il importe donc de valoriser ces solutions et d'accompagner les agriculteurs pour les mettre en oeuvre.

En conséquence, la commission a adopté un amendement COM-1932 qui propose la mise en place par l'État d'un plan « Eco'Azot » rassemblant l'ensemble des mesures mises en place pour réduire les émissions liées à ces intrants et mettant en avant les bonnes pratiques. A défaut de réussite de ces mesures d'accompagnement, et si les objectifs de réduction des émissions ne sont pas atteints pendant au moins trois années consécutives, il pourra être envisagé de mettre en place une redevance, au niveau européen.

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