EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 2 novembre 2021 sous la présidence de M. Dominique de Legge, vice-président, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Christian Klinger sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

M. Dominique de Legge , président . - Mes chers collègues, je vous prie d'excuser Claude Raynal, qui est empêché cet après-midi.

Nous allons examiner le rapport pour avis de notre commission sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022.

M. Christian Klinger , rapporteur pour avis . - Le Gouvernement a présenté le 7 octobre dernier le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. La commission des finances a souhaité se saisir pour avis de ce texte au regard de ses effets sur nos finances publiques. Cet avis porte principalement sur la trajectoire des comptes sociaux.

Les finances de la sécurité sociale se trouvent aujourd'hui prises entre deux tendances contradictoires : la crise sanitaire a provoqué un effondrement sans précédent des comptes de la sécurité sociale, et les mesures de confinement se sont poursuivies dans la première moitié de l'année. Or, dans le même temps, la reprise économique, plus vigoureuse que prévu, vient améliorer les prévisions de recettes et de solde par rapport à celles qui étaient inscrites dans le PLFSS de l'année dernière.

Cette reprise économique, si elle est une bonne nouvelle, ne doit pas faire oublier les risques majeurs qui pèsent aujourd'hui sur les comptes sociaux. Je préfère ainsi parler de « convalescence » des comptes sociaux : s'il y a indéniablement une amélioration des indicateurs, les effets de la crise continuent de se faire sentir, et elle continuera à marquer la trajectoire des finances sociales pour de nombreuses années.

En effet, la crise est à l'origine d'une dégradation sans précédent des comptes sociaux. Le déficit cumulé du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) a augmenté de 26,8 milliards en 2020 pour atteindre 38,7 milliards d'euros. La détérioration est nettement plus importante qu'au plus fort de la crise économique des subprimes : le déficit agrégé du régime général et du FSV avait atteint les 28 milliards d'euros en 2010, ce qui représentait une augmentation de 13,9 milliards d'euros par rapport à 2009.

La crise a eu un effet ciseaux : les recettes des régimes obligatoires de base ont diminué de 1,9 % en 2020 tandis que, dans le même temps, les dépenses progressaient de 4,6 %. L'augmentation des dépenses provient à la fois des mesures exceptionnelles pour lutter contre la crise et des premières revalorisations décidées dans le cadre du Ségur de la santé.

Les indicateurs s'améliorent en 2021. Le déficit du régime général et du FSV devrait se réduire de 10,6 % par rapport à 2020, pour s'établir tout de même à un niveau très élevé : 34,6 milliards d'euros. Cette amélioration est poussée par le dynamisme des recettes, qui devraient augmenter de 7,9 % en 2021 à la faveur d'une progression de 6,2 % de la masse salariale du secteur privé.

Ce dynamisme des recettes ne doit cependant pas masquer l'augmentation des dépenses en 2021 : celles-ci progressent de 6,3 % par rapport à 2020, pour atteindre 456,3 milliards d'euros. Les dépenses de crise y participent pour 14,8 milliards d'euros, et l'intégration des dépenses de la nouvelle branche autonomie est également un facteur significatif, pour 5,4 milliards d'euros.

Toutefois, je voudrais attirer votre attention sur les dépenses engagées au titre du Ségur de la santé : en 2021, elles participent à l'augmentation des dépenses de la sécurité sociale pour 8,3 milliards d'euros, et elles sont d'autant plus notables que, dans leur majorité, ce sont des mesures de revalorisation salariale, et donc des dépenses qui ont vocation à être pérennes.

En 2022, nous pouvons espérer que l'essentiel de la crise sera derrière nous. Cet optimisme se traduit dans les prévisions pour les comptes sociaux : le déficit du régime général et du FSV devrait être ramené à 21,6 milliards d'euros, ce qui représente une réduction de 37,5 % par rapport à l'exercice précédent. Mais c'est aussi le moment où nous devons nous interroger sur la trajectoire des comptes sociaux, et leurs risques de dérives. En effet, il est désormais possible de mieux distinguer entre les augmentations de dépenses qui visent à répondre immédiatement à la crise, et celles qui ont vocation à s'installer dans la durée. Les premières ne représentent pas une menace pour les comptes sociaux, contrairement aux secondes.

À ce titre, je voudrais citer deux chiffres : à l'horizon de 2024, le déficit des régimes obligatoires de base et du FSV devrait s'établir à 15 milliards d'euros, et celui du régime général et du FSV à 13 milliards d'euros. Ces déficits sont qualifiés par la Cour des comptes, dans son rapport paru au début du mois d'octobre dernier, de « permanents », c'est-à-dire qu'ils ne se résorberont pas, sauf mesures nouvelles ou « miracle » économique.

J'en profite pour faire un aparté sur les prévisions macroéconomiques. Elles sont sans aucun doute plus fiables qu'elles ne l'étaient l'année dernière : l'incertitude liée à la situation sanitaire est grandement réduite. Pour autant, il ne faut pas croire que tous les facteurs de risque ont disparu. La situation sanitaire peut se dégrader avec l'apparition d'un nouveau variant, et en dehors du risque sanitaire les tensions actuelles sur le marché des matières premières et sur la main d'oeuvre obèrent la reprise.

Néanmoins, il est prévu que les prévisions de croissance pour 2021 soient rehaussées par rapport au taux de 6 % qui figure aujourd'hui dans le PLFSS et qui a servi de base à la rédaction de mon avis. Toutefois, même s'il était nécessaire de procéder à une réactualisation des données, cette révision des indicateurs macroéconomiques ne devrait pas changer le sens de l'avis.

En effet, il demeurera toujours à partir de 2024 un déficit permanent et élevé. Or plus longtemps on maintiendra ce déficit, plus il sera difficile d'inverser la tendance, et plus la perspective de retour à l'équilibre des comptes s'éloignera. Il est donc nécessaire de mettre en place dès maintenant des mesures nouvelles pour assainir les comptes sociaux. C'est justement là qu'est le problème : le PLFSS ne présente aucune mesure structurelle forte à même de rétablir la trajectoire des comptes de la sécurité sociale.

Comme l'année dernière, le Gouvernement a fait ce choix pour ne pas contrarier la relance de l'économie. Cet argument s'entend, et certains investissements sont en effet nécessaires. Néanmoins, toutes les mesures de maîtrise des dépenses ne sont pas incompatibles avec la croissance économique, mais peuvent au contraire la favoriser.

J'aimerais citer deux exemples : il n'y a rien de notable dans ce PLFSS concernant les arrêts de travail, et la seule mesure prise pour renforcer la lutte contre la fraude sociale est une simplification marginale du processus de contrôle. Pourtant, ces réformes auraient pu être mises en oeuvre sans compromettre la reprise économique.

Mais la grande absente du texte est la réforme des retraites. En effet, quoique la branche vieillesse n'ait été que marginalement affectée par la crise, elle est aujourd'hui celle qui connaît, en pourcentage, l'évolution la plus inquiétante. Il est prévu que le solde de la branche vieillesse soit déficitaire de 2,5 milliards d'euros en 2022, que ce déficit s'aggrave à 4,2 milliards d'euros en 2023, et qu'il atteigne 7,6 milliards d'euros en 2025. Le déficit de 2025 serait ainsi plus de trois fois supérieur à celui de 2022.

L'absence de réforme du système de retraites conduit non seulement à éloigner la perspective du retour à l'équilibre de la branche vieillesse, mais elle contribue aussi à aggraver son déficit. Or, encore une fois, plus les réformes seront repoussées dans le temps, plus il sera difficile d'inverser la tendance.

Nous sommes ainsi obligés de poser de nouveau la question de la gestion de la dette sociale.

Vous savez que la loi organique et la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie a prévu le transfert à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) de 136 milliards d'euros de dette sociale d'ici à 2023. Cette somme couvre 31 milliards d'euros de déficits cumulés à la fin 2019, 92 milliards d'euros de déficits cumulés pour la période 2020-2023 et 13 milliards d'euros de reprise de la dette hospitalière.

Or le présent projet de loi de financement met en avant des déficits cumulés du régime général et du FSV supérieurs à 92 milliards d'euros pour la période 2020-2023. Le déficit cumulé atteindrait en effet 109 milliards d'euros fin 2023. En outre, il est prévu un déficit de 13 milliards d'euros pour l'exercice 2024 et de 13,3 milliards d'euros à la fin de l'année 2025. La Cades est dans une impasse financière.

Malgré cela, la loi du 7 août 2020 prévoit de réaffecter à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) une partie de la fraction de contribution sociale généralisée (CSG) actuellement versée à la Cades. À compter du 1 er janvier 2024, date à laquelle seront amorties les dettes reprises par la Cades entre 1996 et 2018, cette fraction serait réduite à 0,45 point de CSG, soit 2,3 milliards d'euros.

Ces perspectives rendent irréaliste la prévision actuelle d'une extinction de la Cades aux environs de 2033. Le poids de la dette sociale est donc confié aux générations futures, ce qui est pourtant ce que l'on cherchait à éviter au moins depuis la création de la Cades en 1996.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, vous aurez compris que ma position sur l'équilibre général du texte est réservée. Je ne considère toutefois pas que celui-ci soit irrécupérable à ce stade. Je propose donc d'adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale, sous réserve des améliorations qui seront apportées par la commission des affaires sociales.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je remercie le rapporteur pour son travail. De nombreuses questions restent sans réponse. Comment les dépenses du Ségur de la santé sont-elles intégrées dans l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) ? Dans quelle mesure participent-elles à la revalorisation de cet objectif sur le long terme ?

M. Christian Klinger , rapporteur pour avis . - L'Ondam pour 2022 inclut 9,9 milliards d'euros pour la revalorisation des rémunérations des personnels, ce qui correspond à 80 % des mesures du Ségur de la santé, et 2,7 milliards d'euros supplémentaires pour des dépenses d'investissement, soit plus de 12,5 milliards d'euros pour le Ségur de la santé. Cette différence de type de dépenses a un impact sur la trajectoire des comptes sociaux : les mesures d'investissement sont censées être ponctuelles, tandis que les mesures de revalorisation salariale ont un impact sur les PLFSS des années suivantes.

M. Stéphane Sautarel . - Je remercie le rapporteur pour la clarté de ses propos. La loi Grand âge et autonomie a été reportée ; pour autant, les crédits de la branche autonomie ont été inscrits dans le PLFSS. Quelles sont les incidences de l'avenant 43 sur l'aide à domicile dans le cadre du Ségur de la santé ? Les réponses budgétaires sont-elles prévues dans le PLFSS ?

Quid des oubliés du Ségur dans la fonction publique territoriale et hospitalière ? En effet, on constate des écarts de traitement selon le lieu d'intervention de ces personnels, en établissement ou à domicile.

M. Roger Karoutchi . - On déplore les démissions d'un certain nombre de personnels hospitaliers depuis plus d'un an. Par ailleurs, on a appris il y a quelques jours que 20 % des lits étaient désarmés. L'hôpital est donc en tension, car un cinquième des lits est en réalité fermé. Le PLFSS n'apporte aucune réponse à cette situation. Comment arrêter l'hémorragie de personnels qui quittent l'hôpital par lassitude, parce qu'ils sont insuffisamment payés ou qu'ils considèrent que le Ségur ne leur a rien apporté ? Comment réarmer matériellement et psychologiquement l'hôpital ?

M. Éric Bocquet . - L'année 2020 a été particulière pour la sécurité sociale, en raison des dépenses imprévues, notamment de produits de santé. Quel est l'impact sur le budget de la sécurité sociale de la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en allégement de cotisations sociales ?

M. Marc Laménie . - Je remercie le rapporteur pour son analyse très pertinente. J'ai trois questions : comment s'explique l'augmentation de 3,4 % des recettes ? Quelle est l'évolution prévisible du volet médicosocial ? Et quel avenir pour la Cades ?

M. Vincent Segouin . - Je veux revenir sur le schéma d'évolution du solde de la sécurité sociale. Le Gouvernement ne cesse de nous dire que tout va bien. Je m'étonne de constater que la prévision de déficit est de 21 milliards d'euros pour 2022, de 15 milliards pour 2023, de 13 milliards en 2024, et de 13,3 milliards en 2025. Ces prévisions sont-elles fondées ?

M. Thierry Cozic . - Je remercie le rapporteur de sa présentation. Près de 80 milliards d'euros de déficit cumulé entre 2020 et 2022 vont être versés à la Cades : le Gouvernement fait porter par cette structure les déficits engendrés par les arrêts de travail liés au confinement, qui ne sont pas des dépenses de santé. Contrairement à la dette de l'État, qui est rarement remboursée, il n'en est pas de même pour celle de la Cades, qui doit être éteinte à une date donnée, en 2033. Le remboursement de la dette pourrait-il être utilisé pour justifier une forte rigueur budgétaire, avec une restriction du champ de la solidarité ?

M. Sébastien Meurant . - Combien de lits et d'hôpitaux ont-ils été fermés en dépit des engagements du Président de la République ?

Les démissions en cascade des infirmières et aides-soignantes et la mise à pied de certains personnels liée à l'obligation vaccinale ont conduit au désarmement de lits d'hôpital. On entend des chiffres très variables. Connaît-on le nombre réel de personnels ayant refusé de se faire vacciner ? À quelle hauteur ces personnels ont-ils contribué au désarmement de lits ?

S'agissant de la fraude sociale, le magistrat Charles Prats, des articles de presse et des rapports, notamment de la Cour des comptes, mentionnent une différence très importante entre le nombre de cartes Vitale et le nombre d'habitants en France. Mais le rapporteur indique qu'il n'est guère possible de lutter contre cette fraude...

Enfin, comment voter ce budget alors que le rapporteur s'interroge sur la soutenabilité de la dette de la Cades ?

M. Christian Bilhac . - Les chiffres sont inquiétants. Le chômage recule, l'activité économique repart, et pourtant les comptes de la sécurité sociale se dégradent. Je ne comprends pas pourquoi on ne retrouve pas le niveau d'équilibre d'avant-crise.

Peut-on continuer à maintenir en place le financement d'un système créé en 1945 ? On ne vit plus dans le même monde ! Les chefs d'entreprise souffrent des charges sociales, qui pèsent sur l'activité des entreprises, sur l'emploi, et favorisent le développement du travail au noir. N'y aurait-il pas d'autres pistes pour financer la sécurité sociale que les cotisations, qui sont d'ailleurs loin d'être la seule source de financement ? Il faudrait envisager un financement par des automatisations. Par exemple, quand un supermarché remplace une caissière par une caisse automatique, il économise 40 000 euros de salaires : une partie de cette économie ne pourrait-elle pas être taxée pour financer la sécurité sociale ?

M. Christian Klinger , rapporteur pour avis . - Monsieur Sautarel, la branche autonomie est récente. Aucune mesure structurelle ne figure dans ce PLFSS pour 2022. L'élection présidentielle nous apportera peut-être des éclairages sur les projets des candidats pour alimenter cette branche.

Monsieur Karoutchi, le PLFSS ne comporte aucune mesure pour lutter contre la fuite des personnels. L'amélioration de la rémunération devrait néanmoins être incitative.

Monsieur Bocquet , la transformation du CICE s'est traduite par une diminution des recettes de la Sécurité sociale. Ces baisses ont été compensées par des transferts de TVA dans les lois de finances jusqu'en 2020.

Je répondrai globalement aux questions sur la Cades. Celle-ci aurait normalement dû s'éteindre en 2024 s'il n'y avait pas eu la crise sanitaire. Les projections arrivent à l'équilibre en 2033, mais il manque déjà quelques milliards d'euros, car les déficits de 2023, 2024 et 2025 seront supérieurs aux prévisions. Une autre difficulté est qu'à partir de 2024 la fraction de CSG actuellement versée à la Cades baissera de 0,45 point, ce qui représente 2,3 milliards d'euros.

Par ailleurs, le risque ne concerne pas que les recettes, mais aussi la charge de la dette : une remontée des taux risque de pénaliser les émissions d'emprunts. Je signale à ce titre que les taux d'emprunt de la Cades sont plus élevés que ceux de l'État.

Concernant la fraude sociale, l'article 15 du PLFSS prévoit que les échanges avec un tiers sollicité peuvent être dématérialisés à la demande de l'agent chargé du contrôle et du recouvrement des organismes de la sécurité sociale. Cette disposition devrait apporter davantage de souplesse dans les actions de contrôle, mais son impact est limité, puisqu'il est estimé à environ 6 millions d'euros. Le montant annuel des préjudices subis par les branches du régime général de la sécurité sociale a été estimé par la Cour des comptes en 2019 à 771 millions d'euros, chiffre en augmentation de 162 % depuis 2010. Une réforme d'ampleur doit être opérée en la matière.

Si le déficit de la sécurité sociale ne s'améliore pas, c'est en raison de l'absence de réformes structurelles. Le Ségur de la santé représente une charge pérenne de 9 milliards d'euros. Le déficit de la branche vieillesse ne cesse de croître, et l'augmentation de l'activité économique n'est pas assez importante pour compenser l'accroissement des dépenses.

M. Dominique de Legge , président . - Quel est votre avis sur l'ensemble du PLFSS ?

M. Christian Klinger , rapporteur pour avis . - J'émets un avis de sagesse.

Mme Christine Lavarde . - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale n'a pas encore été amendé par la commission des affaires sociales. En l'état, nous sommes plutôt opposés au texte du Gouvernement.

M. Dominique de Legge , président . - Les réserves dont vous nous avez fait part sont tellement importantes que vous estimez que la commission pourrait émettre un avis défavorable sur le texte ?

M. Christian Klinger , rapporteur pour avis . - Effectivement !

La commission émet un avis défavorable sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

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